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Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

Élections américaines : les Navajos feront-ils pencher la balance ?

Dernière mise à jour : 10 nov.

Une cavalière navajo porte un drapeau américain alors qu'elle attend le début de la cérémonie d'ouverture de la Western Navajo Fair

à Tuba City (Arizona), le 18 octobre 2024. Photo Rodrigo Abd / AP



A en croire les sondages, la prochaine élection présidentielle aux États-Unis s'annonce particulièrement serrée. Cela pourrait se jouer à deux ou trois États près, dont celui de l'Arizona, où vit la nation Navajo, qui représente 5,2 % de la population. Jusqu'en 1948, les Navajos étaient jugés trop "incompétents" pour avoir le droit de voter. D'autres obstacles leur ont ensuite été opposés, mais en 2020, ils ont voté en grand nombre pour le parti démocrate et ont fait basculer l'Arizona pour la première fois depuis des décennies. L'histoire se répétera-t-elle ?


CONTEXTE

Qui, de Donald Trump ou de Kamala Harris ? Aux États-Unis, l’heure de vérité approche. Avec la procédure du vote anticipé, plus de 66 millions de personnes ont déjà voté, ce qui représente plus d'un tiers du nombre total d'électeurs ayant voté en 2020. Le délai imparti au vote anticipé est terminé, sauf dans le Wisconsin, où la date limite a été fixée ce dimanche, et dans le Michigan, ce lundi.

 

En ces derniers jours de campagne électorale, Donald Trump fera halte en Pennsylvanie, ainsi qu’en Caroline du Nord et en Géorgie. Ce dernier État a penché en faveur des républicains pendant près de trente ans, jusqu'à ce que Joe Biden l'emporte avec moins d'un demi-point de pourcentage d'avance il y a quatre ans.

 

Le vote des femmes sera-t-il décisif ? Selon les sondages, l’écart est important : les femmes préféreraient de loin Kamala Harris à Donald Trump. Ce dernier a cru bon de proclamer, dans un récent meeting, qu’il « protègerait les femmes, qu’elles le veuillent ou non ». Une rhétorique machiste qui ne surprend guère, de la part de celui qui, en mai 2023, a été condamné pour l’agression sexuelle d’une journaliste, E. Jean Carroll, en 1996…

 

Pour faire pencher la balance en sa faveur, Donald Trump enfourche le canasson de la désinformation, colportant sans la moindre preuve des allégations de fraude électorale, ajoutant encore que Kamala Harris aurait accès à des informations secrètes sur le résultat des élections à venir. En cas de victoire de Kamala Harris (sachant que le résultat définitif ne pourrait être connu que le 6 novembre), il est probable que les équipes de Donald Trump vont faire feu de tout bois.


En attendant... les sondages prévoient que l'élection se jouera à un cheveu près. Imaginons que ce cheveu (ou caillou dans la godasse de Trump) se trouve en Arizona, et que dans cet État-là, ce soit le vote des Navajos qui fasse pencher la balance ?


REPORTAGE EN ARIZONA (ASSOCIATED PRESS)


Des Navajos se rassemblent pour une marche « Get out the vote » afin d'inciter les Amérindiens à voter

lors de la prochaine élection présidentielle, à Fort Defiance, en Arizona, le 12 octobre 2024. Photo Rodrigo Abd / AP


DILKON, Arizona - La Toyota rouge de Felix Ashley projette un panache de poussière le long des collines en pente et des rochers qu'il traverse des heures durant chaque semaine pour pomper de l'eau - la même route que celle que les électeurs empruntent tous les quatre ans pour aller voter lors des élections présidentielles.

Ici, dans cette partie oubliée de la nation navajo, la plus grande réserve amérindienne des États-Unis, les difficultés sont ancrées dans la vie quotidienne.


Près d'un tiers des maisons comme celle de Felix Ashley, 70 ans, n'ont toujours pas l'eau courante. La montée en flèche du chômage et de la pauvreté a poussé les jeunes Navajos, dont la plupart des enfants d'Ashley, à quitter leurs terres sacrées à la recherche d'un emploi. Des obstacles logistiques et juridiques empêchent depuis longtemps les 420.000 citoyens autochtones de l'Arizona de voter.


Felix Ashley boit du café à l'intérieur de sa maison, dans la nation Navajo à Dilkon, en Arizona, le 12 octobre 2024.

Photo Rodrigo Abd / AP


« Les gens perdent confiance dans le gouvernement et ne se soucient plus de voter. Les gens n'obtiennent pas ce qu'on leur a promis », déclare Felix Ashley, dont la famille offre des trajets aux auto-stoppeurs pour se rendre aux bureaux de vote le jour de l'élection. Pourtant, ce sont des électeurs autochtones comme lui qui pourraient être la clé de la victoire en Arizona et dans certains des États clés les plus contestés. En 2020, l'Arizona a voté pour un président démocrate pour la première fois depuis des décennies, le président Joe Biden l'emportant avec environ 10.500 voix d'avance. Les Amérindiens, qui représentent 5,2 % de la population de l'Arizona, ont connu une forte augmentation de leur participation et ont voté en grand nombre pour le Parti démocrate.


Cette victoire a fait tourner la tête des politiciens des deux partis, qui se rendent désormais en masse dans certaines des régions les plus reculées de l'Arizona. Les démocrates espèrent réitérer leur exploit, tandis que les républicains voient dans la frustration des électeurs autochtones à l'égard de l'économie l'occasion de recueillir de nouveaux suffrages. « Le vote autochtone est puissant, car il peut décider de la prochaine élection présidentielle. Tout le monde sait que cela se jouera à environ 15.000 voix en Arizona », indique Jacqueline De León, avocate spécialisée auprès du Native American Rights Fund et membre de la réserve amérindienne d'Isleta Pueblo, au Nouveau Mexique.


Des danseurs de cérémonie attendent de se produire lors d'un événement « Get out the vote », qui vise à inciter les Amérindiens à voter

lors des prochaines élections présidentielles, à Fort Defiance, Arizona, le 12 octobre 2024. Photo Rodrigo Abd / AP


Les foires locales et les marchés aux puces sont couverts de panneaux de campagne bleus et rouges sur lesquels on peut lire « Trump low prices » et d'autres écrits en argot autochtone « Stoodis Harris » ou « Let's do this Harris ». Des publicités radiophoniques pour les deux candidats à la présidence, Donald Trump et Kamala Harris, retentissent toutes les 30 minutes dans des foyers éloignés de la portée des signaux des téléphones portables.


Mais les électeurs autochtones de l'Arizona ont une question simple à poser aux candidats : Qu'avez-vous fait pour nous ? Le sentiment d'être oublié est un sentiment qui couve depuis longtemps parmi les 22 tribus reconnues par le gouvernement fédéral en Arizona, des maisons en pierre pressées au bord des hauts plateaux de la réserve Hopi aux plaines arides où Felix Ashley pompe de l'eau pour sa famille.


Des dizaines de personnes interrogées par les journalistes d'Associated Press ces dernières semaines ont exprimé leur frustration à l'égard des gouvernements tribaux démocrates, car la bureaucratie et les scandales de corruption entravent les efforts de développement les plus élémentaires, et à l'égard des politiciens de Washington, qui, selon eux, profitent rarement de leur place à la table des négociations pour faire pression en leur faveur. C'est ce qu'a ressenti Felix Ashley, qui vote démocrate, en pompant de l'eau dans un réservoir à l'arrière de son camion. Ce vétéran des Marines du Viêt Nam a du mal à se faire soigner pour son syndrome de stress post-traumatique en raison des longues distances qu'il doit parcourir pour se rendre dans un hôpital pour vétérans. Avec l'inflation galopante, la famille doit trouver de l'argent pour les choses les plus élémentaires, comme l'essence, pour aller rendre visite à un membre de la famille qui est en train de mourir. « On vous promet toujours des emplois, on vous promet l'eau courante. Mais ici, il n'y a rien », déclare-t-il.


Des nuages d'orage se forment sur la route 264, dans la nation Navajo, à la périphérie de Tuba City, en Arizona, le 18 octobre 2024. Photo/Rodrigo Abd / AP. 


Dans le même temps, certains électeurs sont confrontés à des obstacles presque insurmontables pour voter. Selon le Native American Rights Fund, certaines tribus doivent parcourir jusqu'à 450 kilomètres pour aller voter. Dans de nombreuses réserves, les maisons n'ont pas les adresses nécessaires pour pouvoir s'inscrire sur les listes électorales. Les membres d'organisations locales font du porte-à-porte pour aider les gens à s'inscrire en suivant leur géolocalisation et en la localisant sur une carte. Certains Navajos âgés ne parlent pas beaucoup l'anglais et les organisateurs leur fournissent des informations détaillées dans leur langue maternelle. « Nous nous donnons beaucoup de mal. Nous sommes presque au milieu de nulle part », déclare Lacosta Johnson, un Navajo de 45 ans, bénévole au sein de l'organisation non partisane Arizona Native Vote, qui a conduit pendant des heures un samedi soir jusqu'à la périphérie de la réserve pour mobiliser les électeurs.


Les obstacles logistiques sont aggravés par la suppression historique d'électeurs et les abus commis à l'encontre des communautés amérindiennes. Les autochtones ont été reconnus pour la première fois comme citoyens américains il y a 100 ans, mais l'Arizona les a empêchés de voter jusqu'en 1948, sous prétexte qu'ils étaient « incompétents ». De nombreux États ont utilisé des tests d'alphabétisation en anglais pour empêcher les électeurs de voter jusque dans les années 1970. 


Depuis lors, les experts juridiques affirment qu' un mélange de tactiques de dilution de l'électorat et de lois électorales contraignantes a bloqué le vote des Amérindiens, pas plus tard qu'en 2022. C'est à cette date que l'Assemblée législative de l'Arizona, contrôlée par les Républicains, et le gouverneur de l'époque ont adopté une loi obligeant les électeurs à fournir une preuve de résidence et une adresse pour le vote présidentiel. La Cour suprême des États-Unis a ensuite annulé cette mesure, mais les communautés autochtones ont vu des milliers de bulletins de vote rejetés lors d'élections antérieures en raison de lois similaires. Résultat : Les gens sont très sceptiques quant aux promesses faites année après année mais jamais tenues.


« Les résultats des élections sont si serrés que le fait d'exclure une communauté d'un millier d'électeurs a un impact considérable », déclare l'avocate Jacqueline De León : « À l'heure actuelle, de nombreux Amérindiens ne jouissent pas de leurs pleins droits de citoyens parce qu'il leur est trop difficile de voter. »


Les deux partis font campagne sur les terres amérindiennes


Les démocrates revendiquent depuis longtemps un avantage en termes de nombre de votes dans les réserves comme la nation Navajo. Dans les dernières semaines de campagne électorale, Kamala Harris a rencontré de jeunes Amérindiens en Arizona et leur a dit, dans une vidéo de campagne : « votre voix est votre vote, et votre vote est votre pouvoir ». Le président Joe Biden et le candidat à la vice-présidence Tim Walz se sont également rendus la semaine dernière dans des réserves de l'Arizona. A cette occasion, Joe Biden, dont c'était la première visite en territiore amérindien, a présenté des excuses officielles aux Amérindiens pour le « péché » d'un système d'internat géré par le gouvernement qui, pendant des décennies, a séparé de force les enfants amérindiens de leurs parents, le qualifiant de « tache dans l'histoire américaine » : pendant des décennies, les internats fédéraux ont été utilisés pour assimiler les enfants des nations amérindiennes à la société blanche.


De son côté, le Parti républicain a ouvert son premier siège de campagne dans la nation Navajo, a indiqué Halee Dobbins, directrice de la communication du Comité national républicain pour l'Arizona, et a commencé à s'installer dans des foires locales fréquentées depuis longtemps par les organisateurs démocrates. « En 2020, nous avons perdu les élections à 10.000 voix près et nous avons constaté que les démocrates s'emparent du vote amérindien depuis des décennies », indique Halee Dobbins : « Mais nous assistons à un énorme glissement vers le parti républicain, compte tenu des questions qui préoccupent les électeurs amérindiens - l'économie, l'inflation, le coût de la vie ».

Francine Bradley-Arthur pose pour une photo devant la Freedom House, une maison de campagne pro-Trump qu'elle a fondée

sur la nation Navajo à Window Rock, en Arizona, le 11 octobre 2024. Photo Rodrigo Abd / AP


À la mi-octobre, la campagne de Donald Trump a invité un groupe de partisans navajos, comme Francine Bradley-Arthur, 61 ans, à s'asseoir derrière lui lors d'un rassemblement, au cours duquel Trump a rendu hommage à un chef tribal conservateur. Francine Bradley-Arthur, ancienne démocrate, déclare qu'elle a commencé à faire campagne pour Donald Trump, en partie parce qu'elle estimait que les communautés autochtones ne ressentaient pas les retombées de leur soutien de longue date aux démocrates.


Le candidat démocrate au Sénat Ruben Gallego traverse le canyon de Havasu

dans l'espoir de rencontrer des membres de la tribu Havasupai et de tenir sa promesse électorale

de visiter toutes les tribus amérindiennes de l'Arizona, le 14 octobre 2024. Photo Rodrigo Abd / AP 


Pendant ce temps, le candidat démocrate au Sénat, Ruben Gallego, est allé jusqu'à marcher des heures dans un canyon pour rencontrer l'une des tribus les plus isolées d'Amérique du Nord dans les semaines précédant l'élection, où il est engagé dans une course serrée contre le républicain Kari Lake, qui a fait la promotion de fausses affirmations selon lesquelles Trump aurait gagné l'élection de 2020 en Arizona. Il espérait entrer en contact avec les électeurs de la réserve Havasupai, qui ne compte que 156 électeurs inscrits, afin de tenir une promesse de campagne consistant à visiter toutes les tribus amérindiennes de l'Arizona. La tribu est tellement rurale que les autorités électorales font entrer et sortir les bulletins de vote et le matériel électoral par hélicoptère.


M. Gallego dit avoir entendu des critiques selon lesquelles les hommes politiques ne visitent que les tribus les plus grandes et les plus accessibles, et que peu de personnes à Washington savent comment travailler avec les tribus pour leur apporter de l'aide. S'adressant aux électeurs démocrates d'Havasupai pour leur parler de leur lutte contre une mine d'uranium qui, selon eux, pourrait empoisonner leurs eaux, Ruben Gallego s'est heurté au scepticisme de certains, comme Dinolene Caska, un leader de la communauté d'Havasupai, qui a toutefois prévu de voter pour les démocrates parce que les législateurs démocrates ont soutenu la tribu dans son combat.


De jeunes danseuses Havasupai se préparent à exécuter une danse traditionnelle pour accueillir le candidat démocrate au Sénat

Ruben Gallego, à Supai (Arizona), le 14 octobre 2024. Photo Rodrigo Abd / AP.


Qui se battra pour les droits des autochtones ?


De nombreux autres électeurs navajos se tourneront également vers les candidats démocrates. Felix Ashley prévoit ainsi de voter pour Kamala Harris, tout comme il avait voté pour Joe Biden il y a quatre ans. Pour lui, le facteur décisif a été la lutte pour les droits relatifs à l'eau, longtemps défendus par les membres démocrates du Congrès (lire ICI, en anglais), et les dépenses sociales dont il espérait qu'elles se répercuteraient sur eux. Lui et sa famille ont froncé les sourcils face aux propos racistes tenus par Trump pendant la campagne, y voyant le signe que les républicains n'ont pas les intérêts des minorités à cœur.


Richard Begay garde son troupeau de chèvres dans la nation Navajo à Dilkon, Arizona, le 17 octobre 2024. Photo Rodrigo Abd / AP. 


Mais d'autres Navajos sont prêts à essayer quelque chose de nouveau. Voisin de Felix Ashley, Richard Begay, éleveur de chèvres de 68 ans, se réveille à 6 heures précises, allume une radio conservatrice et sirote un café dans une tasse sur laquelle on peut lire « TRUMP. Best President Ever », alors que le soleil se lève sur sa petite maison en bois. La farouche loyauté farouche de Richard Begay envers le parti républicain repose en grande partie sur l'économie. Il reproche à Joe Biden l'inflation qui touche de manière disproportionnée les Amérindiens en raison de la pénurie d'emplois dans leurs communautés, ce qui l'a contraint, lui et d'autres membres de sa famille, à quitter la réserve pendant de nombreuses années. Les prix de l'essence et de la nourriture pour ses animaux ont pesé sur son portefeuille : « Je me souviens que l'essence coûtait 1,60 dollar ici et que, lorsque M. Biden est arrivé, elle a augmenté de plus de 3 dollars. « Nous n'avons pas les moyens d'acheter de l'essence à des prix exorbitants. Nous payons plus pour moins ». Il espère que les efforts de Trump en faveur de la déréglementation pourraient ouvrir de nouvelles perspectives économiques dans sa réserve, en citant la construction controversée du Dakota Access Pipeline le long des terres tribales comme un exemple clé. Peut-être qu'alors, les jeunes verraient plus d'avenir à Dilkon. Il pense que sous une présidence Trump, le développement augmenterait, ce qui apporterait un peu d'optimisme. Mais pour l'instant, il guide ses chèvres le long des montagnes escarpées, qui n'ont guère changé depuis des générations que sa famille y habite.


Même s'il espère un changement, il exprime un sentiment qui unit les électeurs républicains et démocrates des réserves de tout l'État : « On se sert de nous ».


Megan Janetsky et Rodriigo Abd, pour Associated Press


 

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