Colombie : enlevée par un groupe de paramilitaires en mai 2000, Jineth Bedoya, alors journaliste pour El Espectador, a fait condamner l’État colombien pour sa passive complicité.
«Le 18 octobre 2021 entre dans l’histoire comme le jour où une lutte, qui a commencé par un crime individuel, a porté la revendication des droits de milliers de femmes victimes de violence sexuelle et de femmes journalistes qui laissent une partie de leur vie dans leur travail», a salué sur Twitter Jineth Bedoya, lauréate en 2020 du prix mondial de la liberté de la presse de l’Unesco. Voilà plus de vingt ans que Jineth Bedoya, journaliste colombienne, se bat pour obtenir justice.
Le 25 mai 2000, alors âgée de 26 ans, et alors qu’elle enquêtait pour le journal El Espectador sur un réseau de trafic d’armes au sein d’un des établissements pénitentiaires les plus réputés en Colombie, la prison La Modelo (qui n’a rien d’un modèle, voir plus bas), elle avait été enlevée par un groupe de paramilitaires qui l’avaient torturée et violée pendant seize heures, avant de l’abandonner nue au bord d’une route.
Absence d’enquête de l’État
Dans un jugement historique, lundi 18 octobre, la Cour interaméricaine des droits humains a reconnu la responsabilité de l’État colombien dans le calvaire de Jineth Bedoya. Selon la Cour, dont le jugement est définitif, L’État colombien a été reconnu coupable pour « l’absence d’enquête sur les menaces qu’avait reçu » la journaliste, mais aussi de « violation des droits aux garanties judiciaires, à la protection judiciaire et à l’égalité devant la loi en raison du manque de diligence dans l’exécution des enquêtes. » Ajoutons que pendant vingt ans, Jineth Bedoya a continué à être l’objet de menaces, d’intimidations et de persécutions.
Les faits « n’ont pu être réalisés sans l’assentiment et la collaboration de l’État, ou du moins avec sa tolérance », a estimé la Cour interaméricaine des droits humains. À l’audience, Jineth Bedoya a mis en cause des agents de l’État, notamment un « influent » général de la police.
Ce jugement vient à nouveau confirmer les relations de connivence et de complicité qui ont existé, notamment sous la présidence d’Alvaro Uribe, entre l’État colombien et les milices paramilitaires d’extrême-droite. Ce lien reste aujourd’hui encore actif, quoique de façon plus « discrète ». Le nombre d’assassinats de leaders sociaux ces derniers mois le montre : la plupart interviennent dans des régions d’où l’État s’est grandement absenté, laissant la place aux groupes armés.
Avoir dans un premier temps contesté la composition du tribunal, l’État colombien a « pleinement accepté » la sentence prononcée le 18 octobre. Jineth Bedoya « n’aurait jamais dû être enlevée et torturée » et « le jugement doit nous guider dans les mesures à prendre pour que cela ne se reproduise plus », a ajouté le président Ivan Duque. Comme dirait Greta Thunberg : BLA-BLA-BLA.
La Cour interaméricaine des droits humains a en outre recommandé une formation des fonctionnaires et des forces de sécurité contre les violences faites aux femmes. Pas un mot, en revanche, sur la prison La Modelo, dont Jineth Bedoya demandait la fermeture. Une prison qui reste synonyme d’enfer. Voici ci-dessous documentaire de Paul Comiti et Thierry Gaytan (mars 2018).
Photo en tête d’article : Jineth Bedoya lors d’une conférence de presse à Bogotá, le 23 mars 2021. Photo AFP
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