En pleine COP16 Biodiversité, l'envoyé spécial de l'ONU pour les océans a convoqué une session extraordinaire d’urgence sur l'état des récifs coralliens. Selon lui, « les coraux sont confrontés au blanchiment massif le plus extrême et le plus étendu jamais enregistré ». Un Fonds spécifique, créé voici quatre ans, n'a récolté que 0,1% du budget nécessaire pour des actions dont l'urgence est patente. Et si la France, qui est aux premières loges de la vie corallienne avec ses territoires d'outremer, prenait l'initiative d'une vaste campagne internationale ?
Et la beauté du monde s’en trouvera fichtrement amputée. La beauté du monde, et pas seulement. Car ces animaux qui n’en ont pas l’air rendent de considérables services au vivant, nous y compris. Cela fait un moment déjà que scientifiques et écologistes tirent la sonnette d’alarme : les coraux, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, sont vraiment mal en point. Depuis les années 1970, les Caraïbes ont déjà perdu 80 % de leurs récifs coralliens et la Grande Barrière de Corail australienne a perdu la moitié de ses populations de coraux...
Les causes sont connues, et elles sont multiples : pollution des océans avec les rejets des eaux usées industrielles et urbaines, exploitation intensive des fonds marins, réchauffement climatique et acidification des océans. Même la déforestation apporte son concours : l’augmentation du transport des sédiments dans les rivières qui finissent par rejoindre les mers et océans a un impact sur la turbidité de l'eau et diminue significativement la pénétration de la lumière, affectant directement la photosynthèse des algues, ce qui a une répercussion directe sur la dénutrition des coraux.
Et au fait, ça sert à quoi le corail ? Comme l’explique notre-planete.info, le rôle premier de la barrière de corail est de protéger physiquement les côtes contre les cyclones en absorbant de 70 % à 90 % la puissance des vagues. L'érosion est ainsi limitée et les activités agricoles et touristiques deviennent alors possibles. Secundo, les récifs coralliens abritent 30% de la biodiversité marine. On considère qu’1 km2 de récifs coralliens peut produire entre 10 à 15 tonnes de poissons. Ils représentent donc un vaste réservoir alimentaire pour les populations insulaires qui tirent leurs apports en protéines presque exclusivement de la consommation de poisson. Enfin, pour les scientifiques, la barrière de corail représente une banque génétique précieuse d'où sont extraites des molécules d'intérêt dans l'élaboration des traitements de demain pour certaines pathologies.
Corail mort sur une plage d’Indonésie. Photo Christophe Magdelaine / notre-planete.info
Sauf que voilà : nous nous approchons de l’effondrement de tout l’écosystème des récifs coralliens. La menace est telle que, lors de la COP16 Biodiversité, l'envoyé spécial de l'ONU pour les océans, l'ambassadeur Peter Thomson, a convoqué une session extraordinaire d’urgence. Selon lui, « les coraux sont confrontés au blanchiment massif le plus extrême et le plus étendu jamais enregistré. Nous atteignons le point de basculement ». Le blanchiment est le résultat d'un stress causé par des vagues de chaleur longues et intenses dues à l'augmentation de la température de l'eau. À mesure que les océans se réchauffent, les épisodes de blanchiment massif deviennent plus fréquents et plus meurtriers. En termes simples, le blanchiment se produit lorsque les coraux perdent les algues très spéciales qui leur sont associées, les zooxanthelles, qui fournissent environ 85 % de leur nourriture. À des températures élevées, les algues quittent l'organisme et le squelette du corail devient visible. Le corail entre alors dans un état de "famine totale" et devient plus sensible aux maladies et à la mort.
Plus d'un milliard de personnes dépendent des récifs coralliens pour leur alimentation, la protection de leurs côtes, leurs pratiques culturelles et leurs activités économiques. Les perdre reviendrait à perdre tous ces services écosystémiques. Le dernier rapport du Réseau mondial de surveillance des récifs coralliens (qui produit des informations scientifiques sur l'état et les tendances de ces écosystèmes dans le monde) indique qu'entre 2009 et 2018, le monde a perdu 14 % des coraux de ses récifs. Si le chiffre semble "petit", il équivaut en réalité à une surface plus grande que la Grande Barrière de Corail en Australie, cette énorme chaîne de coraux de 2.600 kilomètres et seul être vivant observable depuis l'espace.
« J'ai du mal à imaginer un monde sans coraux, mais je le vois approcher à grands pas », insiste Peter Thomson : « Ils seront dans des aquariums, ou il y aura quelques survivants, mais ils ne seront plus tels que nous les connaissons ». Selon la vision plus optimiste de l'accord de Paris, qui vise à ce que les températures mondiales n'augmentent pas de plus de 1,5 °C d'ici la fin du siècle, entre 70 et 90 % des récifs auraient disparu.
D’ores et déjà, « la plupart des récifs des îles des Caraïbes sont au plus haut niveau d'alerte, avec un stress sans précédent et un risque de mortalité catastrophique », indique Margaux Monfared, de l’Initiative internationale pour les récifs coralliens (ICRI). Une action immédiate et décisive est nécessaire pour empêcher l'effondrement fonctionnel des récifs, insiste-t-elle.
Le Fonds mondial pour les récifs coralliens, géré par le Programme des Nations unies pour l'environnement mais financé par le secteur privé et les gouvernements, a été créé il y a quatre ans pour anticiper cette crise imminente. Alors que l'objectif était de mobiliser 12 milliards de dollars, seuls 13 millions de dollars, soit 0,1 %, ont été reçus jusqu'à présent. « Nous sommes loin des objectifs que nous nous sommes fixés. Nous connaissons le problème, nous avons des mécanismes pour y faire face, nous avons créé un portefeuille de projets sur les récifs que nous pensons pouvoir protéger, mais nous manquons de fonds », se désole le directeur de ce Fonds, Pierre Bardoux-Chesneau. Or, « c'est maintenant qu'il faut agir », martèle Margaux Monfared.
Et si la France ? On s’explique : la France est le seul pays au monde à posséder des récifs coralliens dans les trois océans de la planète. Ses collectivités d’outre-mer abritent ainsi près de 10 % des récifs et 20% des atolls du monde. La France détient ainsi une responsabilité mondiale en matière de conservation et de gestion durable des récifs coralliens et de leurs écosystèmes. On ne peut pas dire que rien ne soit fait, mais ce serait peut-être le moment de prendre l’initiative d’une vaste campagne internationale de levée de fonds, au moins pour parer au plus urgent, en sachant que cela ne sera pas suffisant. La cause première de l’effondrement de l’écosystème des récifs coralliens reste le réchauffement climatique, comme l’indique l'envoyé spécial de l'ONU pour les océans : « Arrêtez de brûler des combustibles fossiles. Il semble que l'on n'en ait pas assez dit. L'humanité est dépendante du pétrole, et c'est la principale cause des problèmes liés aux coraux ».
Dominique Vernis
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