Une Terre, sinon rien
- Jean-Marc Adolphe
- il y a 8 heures
- 10 min de lecture

Et après ?, aurait dit Miles Davis (d'ailleurs, il l'a dit, et surtout joué). De l'Afghanistan à la Thaïlande, en passant par la Semaine sainte à Séville, les manifestation aux États-Unis pour l'éducation, en Équateur, au Chili et au Nigeria, on fait "tour du jour en 80 mondes" avec les photojournalistes d'Associated Press. Et après ? La péruvienne (autochtone) Mari Luz Canaquiri Murayari est l'une des lauréates du "Nobel de l'écologie". Et après ? Ce 25 avril, pour la 55e année consécutive, c'est le Jour de la Terre. Et après ? Peut-être préfère-t-on le "cosplay" ?
Ephémérides
Ce mardi 22 avril à 15 h, à Fleurance, dans le Gers, on inaugurera l'installation "Être arbre", une œuvre de land art imaginée par Louis Viel, plasticien qui « aime amener le regard à s’interroger sur l’état de la nature et son comportement » (ICI). « Cette œuvre artistique pérenne et évolutive, parce que vivante", rapporte La Dépêche, "installée par les agents des services municipaux, conjointement avec l’artiste, en réemployant du bois issu de l’entretien des espaces verts de la commune, se veut dévolue à la contemplation, en immersion dans une nature où l’on peut apprécier les beautés des formes et des couleurs, changeantes au fil des saisons. Depuis leur plantation en octobre dernier, les arbres ont "débourré" : les feuilles, d’un vert tendre, qui se développent révèlent leur identité. Les rondins de bois, initialement destinés aux déchets, organisés en spirales ou en alignements, ont commencé leur transformation en matière organique, entourés de graminées préparant leurs délicats épis... »
Près de Rennes, rapporte Ouest-France, les communes de Chavagne, Mordelles et Le Rheu se sont lancées dans une démarche collective sur la biodiversité. Un inventaire a déjà été dressé, une phase d’animations et de concertations doit se poursuivre jusqu’à l’été 2026. En 2025, l’objectif est la rédaction d’un plan d’actions en faveur de la biodiversité, pour lequel seront sollicités habitants, élus, agriculteurs, associations et entreprises, « pour découvrir les richesses du bocage, des mares et du bâti », explique Justine Delatouche, chargée de mission biodiversité intercommunale. Selon les estimations des Atlas de la Biodiversité Communale (ICI), qui concerne toutes les communes et intercommunalités volontaires, en dix ans, plus de 1.400 communes ont lancé une telle démarche, souvent portée par un ou plusieurs chargés de mission biodiversité, dont certains à l’échelle intercommunale. Pour mémoire, au 1er janvier 2025, la France comptait 34.875 communes (34.746 en France métropolitaine et 129 dans les départements d’outre-mer). Il reste donc du chemin à parcourir...
Du 22 avril au 4 mai, à Évreux, le festival Les AnthropoScènes invite à "Explorer les liens invisibles du vivant". Scientifiques, philosophes, artistes et penseurs viendront conférencer et débattre autour de sujets tels que l’écologie profonde, la résilience des écosystèmes, et les technologies durables, mais aussi les stratégies d’entraide du Vivant : arbres interconnectées, plantes alliées des champignons, microbes régulateurs de notre santé, etc. Le tout ponctué de spectacles, d'expositions, de projections de films documentaires : https://www.festival-anthroposcenes.com/
Ceci n'est qu'un échantillon ce ce que réserve aujourd'hui (et seulement en France), la 55e édition du Jour de la Terre, parce que oui, c'est le Jour de la Terre, ce dont les "grands médias" (hors presse régionale) se contrefichent éperdument. A cette occasion, Ipsos vient de divulguer le résultat d'une étude (ICI) qui révèle que plus de sept Français sur 10 sont préoccupés par les impacts déjà observés des dérèglements climatiques en France, un niveau légèrement supérieur à la moyenne mondiale. Plus de la moitié des Français considèrent le changement climatique comme la plus grande menace sanitaire pour l'humanité. Cependant, ils restent sceptiques quant à l'efficacité des mesures prises par les gouvernements et les entreprises, avec seulement 27% estimant que leur gouvernement a un plan clair pour lutter contre le changement climatique. Enfin, les Français se montrent très dubitatifs sur les bienfaits de la transition énergétique, notamment concernant les véhicules électriques et les fermes éoliennes offshore... On ne les a pas questionnés sur Le projet de loi de simplification de la vie économique, qui prévoit l’allègement du Code minier, notamment pour faciliter l’exploitation du sous-sol de la Guyane (lire sur Mediapart)
La marée était en noir
Si c'est aujourd'hui Jour de la Terre, c'est à cause de Santa Barbara. Pas la série télévisée des années 1980 (diffusée en France par TF1), mais la ville californienne dont le Museum of Modern Art abrite des œuvres de Monet, Renoir et Rembrandt, entre autres. Au large de Santa Barbara, le 28 janvier 1969, un puits de forage sous la plateforme offshore "Platform A" de la compagnie Union Oil, subit un violent "blowout" (éruption incontrôlée). Par nature, les éruptions sont souvent incontrôlées. Entre 80.000 et 100.000 barils de pétrole brut (soit 13 000 à 16 000 m³) s'échappent en mer en une dizaine de jours, puis de façon plus diffuse jusqu’en avril. Sont ainsi envoyés prématurément au cimetière, mazoutés, 3.500 oiseaux marins, ainsi que de nombreux mammifères marins (dauphins, éléphants de mer, otaries). 160 kilomètres de littoral sont gravement pollués.
Après cette marée noire, un sénateur démocrate du Wisconsin, Gaylord Nelson (qui fut par ailleurs, en 1973, l'un des les trois seuls sénateurs qui osèrent refuser de voter l'extension des opérations au Vietnam) se rend sur place pour constater l'ampleur de la catastrophe. Dans le vol qui le ramène à Washington, lui vient l'idée de créer une journée afin de promouvoir la protection de l'environnement dans les campus américains. Il engage Denis Hayes, alors étudiant à la faculté de droit de Harvard (l'université aujourd'hui honnie par Donald Trump) et le charge de mener le projet. C'est ainsi que le Jour de la Terre voit le jour et a lieu pour la première fois le 22 avril 1970. Âgé de 80 ans, Denis Hayes préside aujourd'hui la Bullitt Foundation à Seattle, qui œuvre pour le développement durable dans le nord-ouest des États-Unis.
En pièces détachées
En attente de meilleure fortune

Vincent Fournier, Flora Incognita
On aurait aimé parler ce jour, même en bref, du projet Flora incognita de l'artiste et photographe Vincent Fournier (photo ci-dessus), mais aussi du navire espion de 30.000 tonnes que la Chine vient de mettre à l'eau, et du feu vert que vient de donner Donald Trump à la pêche commerciale dans une immense zone maritime protégée dans le Pacifique, de la famine qu'est en train de provoquer au Soudan le coupe des aides humanitaires décidée par le même Donald Trump, de la "double dette" de Haïti, d'Ukraine et de la répression en Russie poutinienne, mais aussi en Tunisie (66 ans de prison pour une quarantaine d'opposants), et encore d'une jeune danseuse-chorégraphe vietnamienne qui ne sera sans doute jamais invitée en France... Mais on est condamnés à composer avec les moyens du bord et un matériel informatique défaillant (il y avait une occasion à saisir, souscription fut lancée qui, pour l'heure, a échoué près du but, mais échoué quand même)...
Un visage par jour
Mari Luz Canaquiri Murayari, "Nobel de l'écologie"
Dans son nom, il y a de la lumière ("luz"). Figure de proue du peuple autochtone Kukama Kukamiria au Pérou, Mari Luz Canaquiri Murayari l'une des sept récipiendaires du pix Goldman 2025, considéré comme le "Nobel de l'écologie". Cette récompense vient saluer le combat qu'elle mène depuis plus de vingt ans aux côtés de l'Association des femmes Huaynakana Kamatahuara Kana pour préserver le fleuve Marañón (dont les eaux alimentent 75 % des zones humides tropicales du pays), vital pour les communautés autochtones, des ravages et pollutions causés par l'exploitation pétrolière, dont les juteux profits n'ont cure de la forêt amazonienne. En mars 2024, un jugement historique a accordé la personnalité juridique au fleuve Marañón, reconnaissant le droit de ce cours d'eau à s'écouler librement et sans pollution.

Mari Luz Canaquiri Murayari. Photo prix Goldman
« Rien ne doit être négocié, car la vie ne se négocie pas, pas plus que la conscience », dit-elle dans un tout récent entretien (en espagnol) pour l'excellent site Mongabay Latam : « Je dis toujours que nous ne pouvons pas vendre notre conscience pour des miettes, mais plutôt la défendre. Car après nous, d'autres viendront, nos générations, et nous devons leur servir d'exemple afin qu'ils continuent à protéger cette vie merveilleuse, cette grande mère terre, la nature, les grands fleuves dont nous dépendons tous et dont nous buvons l'eau. Nous voulons que nos générations futures sachent ce que nous savons aujourd'hui et ce que nous vivons aujourd'hui. (...) Ceux qui vivent loin ne le ressentent peut-être pas, mais ils le ressentiront à l'avenir, car l'Amazonie est le poumon de la planète, elle purifie l'air et nous donne l'oxygène que nous respirons. Nous devons donc la protéger, nous devons en prendre soin ».
Son combat n'est pas isolé, et il s'inscrit dans un mouvement où, au sein des communautés autochtones, les femmes prennent une part déterminante : « Cela nous a coûté beaucoup, à nous les femmes, mais ce n'est pas impossible. Nous, les femmes, sommes en train de gagner et nous avons maintenant une voix propre que nous n'avions pas auparavant. Pour tout, c'était les hommes, ils pouvaient décider, ils pouvaient donner leur avis, ils pouvaient aller aux réunions, mais pas nous. C'est pourquoi nous nous sommes formées à notre organisation et, en 2001, nous étions déjà inscrites sur les réseaux publics, où nous pouvions faire entendre notre voix, exprimer nos opinions et revendiquer nos droits individuels et collectifs, pour nos enfants et pour le bien commun de tous. »
Bientôt sur les humanités : des portraits des autres récipiendaires du prix Goldman 2025.
Le son du jour
Miles Davis, So What
Ça tombait un mercredi. Il y a soixante-six ans, le 22 avril 1959 à New York, au Columbia 30th Street Studio, Miles Davis terminait la dernière des séances d'enregistrement de l'album Kind of Blue, qui allait sortir quatre mois plus tard, le 17 août 1959 chez Columbia Records. Miles Davis n'était pas tout seul ; avec lui il y avait là, excusez du peu, John Coltrane (saxophone ténor), Julian "Cannonball" Adderley (saxophone alto), Bill Evans (piano), Paul Chambers (contrebasse) et Jimmy Cobb (batterie).
Considéré comme l’un des plus grands albums de jazz de tous les temps, Kind of Blue (e titre fait référence à la fois aux tonalités "bleues" du jazz modal et à la couleur bleu-vert de la trompette de Miles Davis lors de l’enregistrement) s’est vendu à plus de cinq millions d’exemplaires rien qu’aux États-Unis, et l’album a été sélectionné par la Bibliothèque du Congrès américain pour figurer au National Recording Registry, en tant qu’enregistrement "culturellement, historiquement ou esthétiquement important". Donald Trump ne devrait pas tarder à le retirer de la liste : il parait que Miles Davis était noir, et en plus, il ne jouait même pas au golf.
Inspiré des idées théoriques de George Russell, auteur de The Lydian Chromatic Concept of Tonal Organization (ouvrage paru en 1953 qui a révolutionné la théorie musicale en proposant une nouvelle manière d’aborder l’harmonie, non plus basée sur les progressions d’accords traditionnelles [système majeur-mineur], mais sur l’utilisation des modes, notamment le mode lydien, comme base de l’improvisation et de la composition), et de ses propres expérimentations sur l’album Milestones (1958), Miles Davies voulait s’éloigner des contraintes harmoniques pour privilégier l’expression et l’improvisation. Dans son autobiographie, Miles Davis explique que la musique modale permettait de "continuer à l’infini" sans être limité par les accords, et que le défi devenait alors purement mélodique... (Lire sur mediamus.fr, "George Russell (1923-2009) et le jazz modal", ICI)
L’album Kind of Blue comprend cinq titres : So What, Freddie Freeloader, Blue in Green, All Blues et Flamenco Sketches. Dans l'extrait filmé ci-dessous, on entend le premier titre. La séquence est issue d'un film légendaire de 26', The Sound of Miles Davis, tourné en 1959 par Jack Smight pour le "Robert Herridge Theater" : non pas un théâtre comme on pourrait le croire, mais un programme télévisé conçu par le poète, écrivain et producteur Robert Herridge, considéré comme l'un des pionnier d'une télévision d'auteur aux Etats-Unis.
Le tour du jour en 80 mondes
Avec Associated Press, le meilleur du photojournalisme

Une réfugiée afghane regarde à travers un rideau déchiré à l'entrée de sa tente dans le camp de réfugiés de Kababayan à Peshawar, au Pakistan, le 8 avril 2025. Photo/Muhammad Sajjad / AP.

De jeunes hommes revêtent une pâte poudreuse appelée din sor pong, censée apporter bénédiction
et protection, alors qu'ils participent au festival de l'eau de Songkran, dans la province de Prachinburi,
au centre de la Thaïlande, le 13 avril 2025 (le festival de l'eau de Songkran est la célébration traditionnelle
du Nouvel An thaïlandais, qui a lieu chaque année du 13 au 15 avril, avec des festivités parfois étendues
sur plusieurs jours. Le mot "Songkran" vient du sanskrit et signifie "passage" ou "transition", symbolisant
le passage à une nouvelle année et une nouvelle phase spirituelle et culturelle). Photo Wason Wanichakorn / AP.

Une électrice dépose son bulletin de vote lors du second tour de l'élection présidentielle à Pujili, en Équateur,
le 13 avril 2025. Photo/Dolores Ochoa / AP.
Lors de la Semaine sainte à Séville
Des dizaines de milliers de fidèles ont envahi les toits, les ponts et les rues étroites de Séville pour regarder les images de Jésus et de la Vierge Marie portées dans des processions qui ont duré des heures tout au long de la Semaine sainte, du 13 au 20 avril.
De gauche à droite : un pénitent tient son fils de six mois dans ses bras alors qu'il marche
dans les rues de Séville pendant la Semaine sainte, le dimanche 13 avril 2025.
Des agents de la Guardia Civil surveillent la procession des pénitents de la confrérie 'La Paz' dans les rues de Séville.
Des pénitents de la confrérie Estrella marchent en procession sur le pont de Triana. (Photos Emilio Morenatti / AP).

A Santiago du Chili, le 5 avril 2025, Enzo Restovic chauffe un chapeau à la vapeur
dans la chapellerie et le musée "Donde Golpea el Monito",
qui préserve une tradition de fabrication de chapeaux remontant à 1915. Photo Esteban Felix / AP.

Des femmes pleurent la mort d'un membre de leur famille à la suite d'une attaque par des hommes armés dans la communauté agricole de Zike, dans le centre-nord du Nigeria, le 15 avril 2025. Photo Samson Omale / AP.
Aux Etats-Unis, Journée d'action en faveur de l'éducation
Le 17 avril, des professeurs d'université et des étudiants ont organisé des manifestations sur les campus américains pour protester contre ce qu'ils considèrent comme de vastes attaques contre l'enseignement supérieur, notamment des réductions massives de financement, l'expulsion d'étudiants étrangers et l'étouffement de la liberté d'expression au sujet de la guerre à Gaza.
De gauche à droite : Bethany Schoenfeld, ancienne élève de Berkeley, manifeste contre l'administration Trump à Berkeley (Californie),
le jeudi 17 avril 2025 (Photo Noah Berger / AP).
Cherish Lake, étudiante en dernière année à l'Université internationale de Floride, participe à une manifestation
contre les réductions du financement fédéral et l'accord conclu par la police du campus pour s'associer à la police de l'immigration
et des douanes, sur le campus de l'Université internationale de Floride, à Miami (Photo Rebecca Blackwell / AP).
Un manifestant tient une pancarte lors d'une manifestation à Foley Square, à New York (AP Photo Julia Demaree Nikhinson / AP)

Une "cosplayer" sourit lors du Comic Con à Prague, en République tchèque, le 12 avril 2025. Photo Petr David Josek / AP. (Le cosplay est un loisir consistant à incarner un personnage de fiction en reproduisant son costume, sa coiffure, son maquillage et souvent son attitude ou ses poses caractéristiques. Ce terme est une contraction des mots anglais "costume" et "play" (jeu) et désigne l'art de se déguiser et de jouer le rôle d'un personnage issu de mangas, d'animes, de films, de jeux vidéo, de bandes dessinées, de séries télévisées, etc.)
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