Matt Gaetz, choisi par Donald Trump pour le Département de la Justice. Photo Photo Jacek Boczarski / Anadolu
SUITE AMÉRICAINE Jusqu'où Donald Trump ira-t-il trop loin ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que la nomination de Matt Gaetz à la Justice provoque un véritable tollé aux États-Unis, y compris parmi certains élus républicains. Pourtant, la justice, Matt Goetz connait bien, tant il traîne avec lui un certain nombre de casseroles. Idéologiquement proche du mouvement néo-fasciste des Proud Boys, il entérine d'une certaine manière, pour qui en doutait encore, l'ancrage extrême-droitier de la future administration Trump. Le Sénat, même républicain, aura-t-il encore son mot à dire ?
Donald Trump a désormais les pleins pouvoirs. Après la Cour Suprême, où il peut compter sur la loyauté de six juges sur 9, après la majorité républicaine au Sénat, il ne manquait plus que la Chambre des représentants. C’est désormais chose faite. S’il reste encore quelques sièges à pourvoir dans des districts où le décompte des voix n’est pas encore terminé, la victoire sur le fil, hier soir de Juan Ciscomani en Arizona (grâce au maintien d’une candidate écologiste), permet aux Républicains d’obtenir les 218 sièges nécessaires à la majorité.
Rien ne pourra donc arrêter le bulldozer ? Hier, Donald Trump a toutefois enregistré une première défaite (toute relative). Cela s’est joué au Sénat, où les parlementaires républicains ont élu, comme chef de leur majorité, le sénateur du Dakota du Sud John Thune, qui a battu John Cornyn, sénateur du Texas. Or, c’est peu dire que John Thune n’avait pas les faveurs de Trump, notamment pour s’être opposé, en 2020, aux tentatives de renversement des résultats de l’élection présidentielle. Certes libéral et très conservateur sur les questions sociales et familiales, mais reconnaissant, contrairement à Trump, la réalité du changement climatique, John Thune siège au Sénat depuis 2005 (après avoir été élu à la Chambre des représentants de 1997 à 2003). Son élection comme chef de la majorité au Sénat semble indiquer qu’une "vieille garde" républicaine entend encore garder un zeste d’indépendance vis-à-vis des diktats trumpistes.
La question va commencer à se poser très concrètement pour le choix des membres de l’administration Trump. Le milliardaire élu à la Présidence des États-Unis a demandé aux sénateurs, le 10 novembre, de se passer de leur approbation, théoriquement obligatoire, à une exception près : si le Sénat n’est pas en session. Concrètement, le Sénat devrait donc se mettre artificiellement en congé pour laisser à Trump toutes les coudées franches. Celui-ci avait d’ailleurs menacé : « Tout sénateur républicain visant à prendre la place convoitée de chef de file au Sénat américain doit accepter des nominations [hors des sessions parlementaires]. » Apparemment, c’est raté. On verra bien.
Donald Trump et Matt Gaetz, désigné comme nouvel Attorney General.
En tout cas, même chez certains Républicains, certaines nominations annoncées ont un peu de mal à passer. Après Pete Hegseth, pressenti au secrétariat d’État à la Défense (lire ICI), Donald Trump a choisi pour le poste d'Attorney General, procureur général, équivalent du ministre de la Justice, un sacré zinizin dont le choix fait pour le moins toussoter. Son nom ? Matt Gaetz. Fils de (d'un ancien sénateur), élu de Floride, membre influent du mouvement ultraconservateur Freedom Caucus, opposé au droit à l’avortement, climatosceptique, pro-armes, complotiste adepte de la théorie du grand remplacement, identifié par une enquête ukrainienne comme l’un des supports de la propagande pro-russe aux États-Unis, cet avocat épouse pratiquement toutes les positions de l’extrême droite américaine, jusqu'à adopter certains éléments de langage des Proud Boys, ce mouvement néo-fasciste qui promeut notamment le suprémacisme blanc. Matt Gaetz s'empressera d'ailleurs de gracier ceux d'entre eux qui ont été condamnés à la suite de l'assaut du Capitole, le 6 janvier 2021.
Ci-dessous : une sélection de quelques-unes des interventions (hargneuses) de Matt Gaetz ces quatre dernières années à la Chambre des Représentants (Forbes Breaking News)
Au palmarès du gugusse : l’invitation d’un négationniste de la Shoah au discours sur l’État de l’Union de Donald Trump en 2018, une consommation illégale de stupéfiants, une conduite en état d’ivresse, et des détournements de fonds publics (Matt Gaetz a dû démissionner de son siège de représentant de la Floride pour mettre fin à une enquête de la commission d’éthique de la Chambre des représentants). Pour un futur Procureur général, ça fait déjà beaucoup, mais ce n’est pas tout : en 2017, il avait été l’un des rares élus à s’être opposé à un projet de loi contre la traite des êtres humains, adopté par les deux chambres du Congrès, mais en 2021, The New York Times avait révélé que Matt Gaetz était sous le coup d’une enquête du FBI pour avoir entretenu une relation sexuelle rémunérée avec une jeune fille de 17 ans. Cela n’a guère surpris ses collègues parlementaires, à qui il avait l'habitude de montrer des photos et des vidéos de femmes nues avec lesquelles, disait-il, il avait eu des relations sexuelles… Matt Gaetz s’est dit « victime de l’establishment », pestant contre la « corruption » de la justice…
Alors, Matt Gaetz passera-t-il sur le grill du Sénat, pour être confirmé (ou non) comme Procureur général ? Le représentant républicain Mike Simpson confie qu’il a « du mal à croire qu’il puisse réussir à passer [ce] processus de confirmation ». Son collègue Max Miller est plus cru : « Gaetz a plus de chance d’avoir un dîner avec la reine Elizabeth II [décédée en 2022] que d’être confirmé par le Sénat. »
Tulsi Gabbard en février 2024. Photo Brendan Smialowski/AFP
On notera encore, parmi les nominations annoncées hier, celles de Tulsi Gabbard et de Dan Scavino. Représentante de Hawaï, ancienne élue démocrate, Tulsi Gabbard est ainsi récompensée pour avoir rejoint le camp de Trump en août dernier. Comme elle en avait formé le voeu en échange de son ralliement, elle hérite de la direction du renseignement national. Soupçonnée d'ingérences pro-russes dans sa campagne pour les primaires démocrates en 2019, elle s'était illustrée avant cela par son soutien au régime de Bachar-al-Assad, en 2017.
Dan Scavino. Photo Gage Skidmore
Enfin, Dan Scavino deviendra chef de cabinet adjoint de Donald Trump. Ce n'est pas une surprise : il avait déjà été directeur des réseaux sociaux de la Maison-Blanche lors du premier mandat de Trump, après avoir été l'un des responsables de sa campagne présidentielle. Concrètement, en plus de diffuser des vidéos truquées, c'est lui qui écrit la plupart des tweets du boss en puisant son inspiration sur certains réseaux conspirationnistes. Accessoirement, il a été condamné pour outrage au Congrès en 2022 après avoir refusé de se conformer à une citation à comparaître émanant de la commission d'enquête de la Chambre des représentants sur l'assaut du Capitole. Mais tout ça, c'était avant, quand Donald Trump comparait l'administration Biden à la Gestapo. Maintenant, toutes ces pauvres victimes de "l'État profond" vont pouvoir prendre leur revanche. Sans gants ni modération.
Jean-Marc Adolphe
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