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Un printemps pour faire commando poétique

Photo du rédacteur: Jean-Marc AdolpheJean-Marc Adolphe

Chiharu Shiota, "The Soul Trembles", affiche du Printemps des Poètes 2025


Pourquoi des poètes en temps de détresses ? Parce que. Aux humanités, on a toujours rêvé d'un journalisme inséparable de la poésie. Du 14 au 31 mars (et sans doute au-delà), nous nous associons avec vigueur au Printemps des poètes, secoué l'an passé par la polémique autour de Sylvain Tesson, et qui s'offre aujourd'hui une énergie décoiffante, volcanique, sous l'impulsion de sa nouvelle directrice artistique, l'écrivaine franco-roumaine Linda Maria Baros.


Jamais avare d'un bon mot, Rachida Dati, ci-devant ministre de la Culture, vante « l’éruption créatrice » en préambule-éditorial de la 27ème édition du Printemps des poètes, qui s'est donné pour thème la poésie volcanique : « que sont les poèmes sinon ces remontées des profondeurs, ces matières brûlantes qui dessinent de nouveaux territoires ? » Voilà qui coule de lave, comme aurait dit feu Haroun Tazieff. Qu'il soit permis, ici, de préférer l'enfer d'Arthur Rimbaud : « Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes » ("Adieu", Une saison en enfer, Alliance typographique, M.-J. Poot et compagnie, 1873).


Mais qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse. Et une « éruption créatrice » ne sera pas de trop pour faire oublier la gueule de bois qui avait saisi ce même Printemps des poètes l'an passé, à l'annonce d'un parrainage confié à Sylvain Tesson : plus de 2.000 signataires – poétesses, poètes, éditrices et éditeurs, libraires, actrices et acteurs de la scène culturelle française – avaient critiqué la nomination de l’« écrivain voyageur », s'inquiétant que l’événement culturel « créé “afin de contrer les idées reçues et de rendre manifeste l’extrême vitalité de la poésie”, soit [aujourd’hui] incarné par un écrivain érigé en icône réactionnaire ». La droite et l'extrême-droite eurent vite fait d'enfourcher le "cas Tesson" comme cheval de bataille, désignant les signataires de la tribune comme des « cafards », des « poètes d’extrême gauche sans talent et sans public » (dixit l'hebdomadaireValeurs actuelles).


La polémique eut en tout cas le mérite d'attirer l'attention sur le fonctionnement de l'association qui coiffe le Printemps des poètes. « Fonctionnement dispendieux, tentation hégémonique et dérives [d'une] structure [qui] contribue de façon calamiteuse à perpétuer une image mièvre, passéiste, normée et même, oui, réactionnaire de la poésie », pointait ainsi le poète oulipien Frédéric Forte. Une enquête du Monde, sur le « management traumatisant » de l'association (ICI) est venue sonner le coup de grâce pour sa directrice, l'écrivaine Sophie Nauleau, qui préféra remettre sa démission. Dès sa nomination, en 2018, Jacques Bonnaffé fut le premier à "ouvrir sa gueule", lors d'une grandiloquente cérémonie inaugurale avec les cuivres de la Garde républicaine. « Mais elle est où, la poésie ? », avait-il hurlé le poing levé, avant d'être fermement prié de quitter les lieux sous bonne escorte. Ardent passeur de poésie, le comédien avait lui-même été le parrain de l'édition 2015 du Printemps des poètes, sur le thème de l'insurrection (voir ci-dessous).


C'est donc sous de nouveaux atours que revient cette année le Printemps des poètes, lancé en 1998 par Jack Lang, peu ou prou sur le modèle de la Fête de la musique. Fidèle de l'ancien ministre de la Culture, dont il fut chef du bureau des affaires budgétaires et financières, entre temps passé par la direction de l'Institut national de l'audiovisuel, aujourd'hui directeur des Nouvelles éditions indépendantes (la holding médias de Matthieu Pigasse), Emmanuel Hoog a repris la présidence de l'association. On peut être haut fonctionnaire et aimer la poésie : alors jeune énarque, Emmanuel Hoog avait créé en 1986, en duo avec Thierry Consigny, devenu publicitaire, le Festival de poésie du Haut-Allier.

"...cela n’empêche pas la nouvelle vague de déferler. J’y vois le commando poétique (...) qui puise sa force dans le mot qui ne lisse rien, dans le mot qui casse, dans la décharge électrique de l’authenticité et de l’innovation." (Linda Maria Baros, directrice artistique du Printemps des poètes)

Autre signe de changement : dans un milieu encore trop essentiellement masculin (comme dans d'autres domaines de la culture), le conseil d'administration du Printemps des poètes s'est enrichi de quatre nouvelles "recrues", quatre femmes : l'écrivaine Paloma Hermina Hidalgo, la magistrate, romancière et poète Adeline Baldacchino, la libraire Marie-Claire Pleros et la politiste Anne Dujin, rédactrice en chef depuis 2020 de la revue Esprit (1). Et, cerise sur le gâteau, la direction artistique du Printemps des poètes a été confiée à l'écrivaine franco-roumaine Linda Maria Baros, qui en appelait en juin 2022, dans un manifeste publié sur le site En attendant Nadeau, "Lettre ouverte à ceux qui veulent que la poésie décoiffe" (ICI), à faire « commando poétique  » : « Qui dit nouvelle vague dit nécessairement nouvelle donne. On me fait parfois remarquer qu’il est trop tôt pour que cette dernière se détache de manière nette, qu’il faudra attendre qu’elle se décante pour que ses lignes de force soient parfaitement identifiables. C’est évident. Mais cela n’empêche pas la nouvelle vague de déferler. J’y vois le commando poétique dont j’attends la descente depuis une quinzaine d’années. Un commando qui puise sa force dans le mot qui ne lisse rien, dans le mot qui casse, dans la décharge électrique de l’authenticité et de l’innovation. J’y vois un moyen pour combattre autant le culte du banal que toute forme d’inaccessibilité élevée au rang de qualité suprême. Pour combattre aussi le recyclage stérile, le vers glucidique et les jugements préconçus. Une nouvelle donne contre l’inertie. (...) Je suis intimement convaincue qu’un commando poétique qui donnerait un nouveau visage à la poésie française et qui la promouvrait enfin énergiquement serait à même de changer la donne. Soutenons-le pour que sa descente soit volcanique. »


Linda Maria Baros en 2020. Photo Jan H. Mysjkin


De cette énergie éruptive (plutôt que le "disruptif" cher à Emmanuel Macron), vient le thème accolé à l'édition 2025 du Printemps des poètes : "POÉSIE. VOLCANIQUE". « La poésie descend dans la rue », indique le porogramme, « pour investir villes et villages, qu’elle déferle dans les écoles, les librairies, les bibliothèques, les médiathèques, les espaces culturels, qu’elle se donne à lire en gare ou dans le métro, qu’elle se fraie un chemin vers les hôpitaux, les centres d’accueil d’urgence ou les prisons, qu’elle résonne dans bien d’autres lieux encore. (...) La poésie, rappelons-le, annule les distances. En 2025, nous souhaitons rendre, à vos côtés, encore plus manifeste le dynamisme de la poésie pour qu’elle se donne à voir telle qu’elle est aujourd’hui.VOLCANIQUE. (...) Pour dire les volcans en ébullition et les matières rocheuses en fusion, bien entendu. Mais, surtout, l’énergie créative à l’état pur, l’éruption de l’imaginaire, ses coulées de lave, qui changent le mot en vision. Pour dire que la poésie, quand elle jaillit afin de fendre l’horizon et montrer le monde autrement, est effervescence, débordement et, avant tout, force du vivant. Pour dire enfin que l’éruption poétique ne connaît pas de limites...»


Dans le cadre du Printemps des poètes, Claude Favre (dernier ouvrage paru, co-écrit avec Jean-Philippe Cazier, et Frank Smith :

"C’est ce que l’on désire", éditions Lanskine, 2024) sera à Paimpont, en Ille-et-Vilaine, les 21 et 22 mars, autour des éditions Al Dante.


Piochons dans le programme, évidemment sans être exhaustifs :

  • Ce vendredi 14 mars à 19 h, en guise d'inauguration, à Paris, sous l'Arc de Triomphe, un "spectacle en immersion" qui entremêle voix et formes multiples de la poésie contemporaine de France et de Belgique, avec la participation des poètes Lisa Debauche, Carl Norac, Victor Malzac, Baptiste Pizzinat et Esther Tellermann.

  • Samedi 15 mars à 15 h, au Musée Guimet à Paris, poésie indienne, table ronde avec la participation de l’écrivaine Shumona Sinha Ray, du poète et journaliste Stéphane Bataillon et du fondateur du Thé des Écrivains Georges-Emmanuel Morali. Lectures par Hélène Babu et Thibault de Montalembert

  • Lundi 17 mars à 19 h, à La Criée – Théâtre national de Marseille, en partenariat avec le Centre international de poésie et les Éditions Seghers : "Esprit de résistance", avec la participation des poètes Rim Battal, Hortense Raynal, Guillaume Richez, Éric Sarner et Olivia Tapiero.

  • Les 21 et 22 mars à Paimpont en Ille-et-Vilaine, Autour des éditions Al Dante : invitation de Claude Favre, Vincent Lafaille, Carmen Diaz Salvatierra pour des lectures, dégustations et rencontres scolaires avec une émission de radio locale.

  • Le 26 mars à 13 h l'Institut Gustave Roussy à Villejuif : L’Institut Gustave Roussy a invité ses patients, leurs proches ainsi que le personnel médical à participer à un concours d’écriture, en partenariat avec Short Éditions. Six prix, organisés en six catégories – enfants, jeunes, adultes, créations collectives, créations d’ateliers et le prix Émotion du jury –, seront décernés le 26 mars à l’occasion d’un spectacle de restitution mis en voix autant par les lauréates et les lauréats que par la poète Paloma Hermina Hidalgo. Le concours donnera également lieu à un mur participatif à poèmes, à une vidéo-diffusion en flux continu de ces derniers via les écrans de l’Institut et à une anthologie.


Le programme complet du Printemps des poètes est à télécharger ci-dessous, en PDF.


Signalons encore la parution de deux anthologies à l'occasion de la 27ème édition du Printemps des poètes :


  • Les Éditions Bruno Doucey publient l’anthologie SAMU – Service d’Aide aux Mots Universels. Anthologie établie par Bruno Doucey et Ariane Lefauconnier.

    https://www.editions-brunodoucey.com


  • Les Éditions Seghers publient l’anthologie Esprit de résistance. L’année poétique : 118 poètes d’aujourd’hui. Anthologie établie par Jean-Yves Reuzeau.




Et aux humanités, on ne sera pas en reste :

  • du lundi 17 au dimanche 30 mars, Poésie en éclats, avec deux publications par jour.

  • lundi 31 mars à 18 h, en direct sur la chaîne YouTube des humanités, l'annonce d'une initiative d'ampleur pour et avec la poésie. A suivre...


Jean-Marc Adolphe



NOTES

(1). Anne Dujin m'avait confié, en "voix mêlées", un texte paru dans Nuit debout et culture assoupie, éditions L'Entretemps, 2016 : "Musique classique à Nuit debout. A-t-on bien mesuré ce qui se joue ?". Elle a publié l'an passé aux éditions Gallimard Noyau manquant, "une traversée de la vie au plus près du quotidien, saisissant les êtres, les choses, les faits les plus simples avec empathie, guettant en tout la fragilité et la beauté". (ICI)

(2). Linda Maria Baros, née le 6 août 1981 à Bucarest, est une poétesse, essayiste et traductrice franco-roumaine. « Poète hors du commun » dont l'« œuvre magistrale d'audace surprend tant elle est imprévisible, rêveuse et tranchante à la fois », elle est l'« une des voix littéraires les plus affirmées d'aujourd'hui ». Initiatrice et coorganisatrice du Festival Primavara Poeţilor/Le Printemps des Poètes en Roumanie, de 2005 – 2012, lauréate et secrétaire générale du prix Guillaume-Apollinaire, rapporteur général de l'Académie Mallarmé et vice-présidente du PEN Club français, elle dirige la revue de poésie et d'art visuel La Traductière et Poésie Poetry Paris / Festival franco-anglais de poésie. Elle est l'autrice de plusieurs recueils de poèmes, dont La Maison en lames de rasoir (Cheyne éditeur, 2006) et La nageuse désossée. Légendes métropolitaines (Le Castor Astral, 2020). Voir l'entretien qu'elle a récemment accordé à Livres Hebdo (ICI)


 

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