Passation de pouvoir entre Gabriel Attal et Michel Barnier, le 5 septembre 2024. Photo : Service photographique de Matignon
ÉDITORIAL Il ne manquait plus qu'un ministère chargé de la sécurité au quotidien ! Un dialogue imaginaire entre Jupiter et son nouveau Premier ministre dévoile les tractations dont fut l'objet la composition d'un gouvernement qui n'est ni de cohabitation ni de coalition, mais de coercition, pour imposer aux Français un "bon sens" qu'ils ont rejeté dans les urnes.
Alléluia ! La France a enfin un gouvernement. Le navire-amiral Barnier risque ne pas survivre aux premières tempêtes parlementaires, mais son équipage est fin prêt : 39 moussaillones et moussaillons triés sur le volet.
Ça a pris du temps, et à découvrir la composition de ce gouvernement, on comprend pourquoi. Sans être dans le secret des dieux, on imagine les tractations qui ont abouti à la formation de cette pas très dream team. Si Emmanuel Macron avait accepté Lucie Castets, dont le nom a été proposé par le Nouveau front populaire, il eut ouvert la voie à un gouvernement de cohabitation, comme cela a existé dans le passé. Or, de cohabitation, Jupiter ne saurait en imaginer l’hypothèse. Longtemps, ses émissaires ont cherché au sein de l’Assemblée nationale, une forme de coalition avec Les Républicains. En vain. Or, voilà que cette coalition prend forme sous la houlette de Michel Barnier. L’alliage réussit en tout cas à réunir certains rescapés de la Macronie avec des personnalités de droite qui, voici peu, disaient encore pis que pendre de ladite Macronie.
Pour autant, on ne saurait parler de gouvernement de coalition, mais plutôt de coercition. La situation inédite issue des dernières élections législ-hâtives a en effet contraint deux formations politiques, Renaissance et LR, à ravaler d’éventuelles divergences pour se donner communément l’impression de n’avoir pas perdu. Tractations ?, disait-on. Un peu de politique-fiction sous forme de dialogue entre Emmanuel Macron et Michel Barnier :
Emmanuel Macron : Bon, d’accord, je prends Retailleau à l’Intérieur, mais tu gardes Lecornu aux Armées, et Catherine Vautrin à la décentralisation.
Michel Barnier : Pas de problème, ils viennent de chez nous. Et Laurence Garnier ?
Emmanuel Macron : Non, là, franchement, elle est trop réac pour être à la Famille.
Michel Barnier : Et si je la mets à la Consommation ?
Emmanuel Macron : Bon, si tu veux, ça ne mange pas de pain. Au fait, je tiens à garder l’Europe, avec Jean-Noël Barrot, c’est un bon soldat du Modem, et la transformation de l’action publique, avec Guillaume Kasbarian. Tu sais que j’y tiens, à la transformation de l’action publique.
Michel Barnier : Ok, ok. Pour la Culture, j’ai un problème : ça n’intéresse personne.
Emmanuel Macron : Bon alors, on garde Dati. Elle ne sert pas à grand-chose mais ça lui fera plaisir.
Michel Barnier : C’est un peu pareil pour la transition énergétique.
Emmanuel Macron : Alors, on garde Pannier-Runacher, elle est bien, elle ne fait pas de vagues.
Michel Barnier : Bon, je crois qu’on a fait le tour…
Emmanuel Macron : Et l’Économie ?
Michel Barnier : Ah oui, l’Économie… Bon, Wauquiez n’en a pas voulu.
Emmanuel Macron : J’ai un petit jeune, Antoine Armand, il a à peu près l’âge de ton fils (ne t’inquiète pas, on va lui trouver une place), c’est un savoyard comme toi. Fais-moi confiance, il saura faire le job. Mais il ne s’occupera que de l’Économie. J’ai un autre petit jeune, Laurent Saint-Martin, au Budget.
Michel Barnier : ...en gros, tu gardes Bercy, les Armées et l’Europe, et je prends le reste…
Emmanuel Macron : Il faut bien composer. Quand tu négociais avec la Grande-Bretagne sur le Brexit, c’était une autre paire de tunnel sous la Manche, non ?
Ce dialogue imaginaire ne restitue pas toutes les bizarreries du gouvernement Barnier. Un gouvernement de coercition, donc, qui devra faire passer les ministères sous les fourches caudines de réductions budgétaires prévues par les plafonds de crédits préparés par Gabriel Attal. Sylvie Retailleau, la ministre sortante de l’enseignement supérieur, vient de ruer dans les brancards en dénonçant une trajectoire budgétaire « irréaliste, voire dangereuse » avec, dans le viseur du ratiboisement, les bourses étudiantes, ou encore la loi de programmation pour la recherche. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Hors du cadre budgétaire, la coercition est annoncée dans d’autres domaines. Concernant les outre-mer, secoués ces derniers mois par la crise à Mayotte et en Nouvelle Calédonie (où la pression ne retombe pas) et aujourd’hui par la situation en Martinique contre la vie chère, le portefeuille échoit à François-Noël Buffet, sénateur ultra-conservateur du Rhône, opposé au mariage pour tous et revendiquant haut et fort une "tolérance zéro" pour l’immigration illégale. Ayant dirigé au Sénat une mission d'information sur la question calédonienne, il était favorable à la réforme du dégel du corps électoral voulue par Emmanuel Macron, celle-là même qui a mis le feu aux poudres en Nouvelle-Calédonie. Bref, il va y avoir du sport.
Enfin, enfin… Toujours à la pointe de l’innovation, la France est le premier pays en Europe, et sans doute au monde, à créer un ministère chargé de… la sécurité au quotidien. L’heureux titulaire du maroquin s’appelle Nicolas Daragon. Membre de LR, maire de Valence, celui-ci déclare à France 3 Auvergne-Rhône-Alpes : « On est attendu pour rétablir l’autorité », avec, cela va sans dire, « des mesures de bon sens ». Le bon sens, l’autorité, voilà des sujets qu’affectionne tout particulièrement Emmanuel Macron. Et pour cause : lorsque le "libéralisme" dont il est le maître d’œuvre cesse d’être en phase avec la société dont il se réclame, la coercition plus ou moins punitive devient l’ultime outil régalien pour imposer son "bon sens" à l’opinion récalcitrante.
Jean-Marc Adolphe
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