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Dominique Vernis

Ukraine : Olesia, ballerine en treillis


Comme d’autres jeunes femmes en Ukraine, Olesia Vorotnyk s’est engagée au début de la guerre dans les Forces de défense territoriale. Particularité : Olesia est danseuse à l’Opéra national d’Ukraine. «Chaque citoyen a un rôle à jouer», dit-elle. Un engagement qui est aussi culturel, dans une guerre où l'histoire et l'identité ukrainiennes sont aussi contestées que le territoire.


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Avant, elle dansait Le Lac des Cygnes. Mais avant, c’était avant. Ballerine de l'Opéra national d'Ukraine, Olesia Vorotnyk n’a pas beaucoup hésité. Comme beaucoup d’autres femmes, dès le début de l’invasion russe en Ukraine, elle a rejoint les Forces de défense territoriale, la réserve militaire ukrainienne.

« Les premiers jours [de l’invasion russe], c'était le chaos », se souvient-elle. « On disait que les troupes russes avaient encerclé Kiev, les gens attendaient l'arrivée des tanks ». Olesia a commencé à évacuer les civils, « en utilisant les routes secondaires : Les Russes bombardaient l'autoroute de Zhytomyr [qui mène à la frontière moldave] »

« Je savais que s'il y avait une invasion complète, je n'irais pas à l'étranger. Je me battrais », confie-t-elle. « Chaque citoyen joue son rôle. Nous voulons que nos enfants grandissent avec une Ukraine forte et confiante, et non avec les mensonges qu'on nous a vendus pendant l'Union soviétique. » Lorsque la guerre a commencé,

« tout le monde voulait s'engager, mais la préférence allait aux hommes ayant déjà une expérience militaire : en tant que danseuse, je n'étais pas en haut de la liste ». Pourtant, dit-elle, il y a des similitudes utiles entre le ballet et le service militaire. Le ballet inculque la discipline, cultive la force mentale et apprend à tolérer la douleur : « Les chaussures font mal ; rester sur la pointe des pieds fait mal. Tes pieds saignent. Mais tu apprends à danser à travers tout cela ». Olesia s’est présentée au bureau de recrutement local et a finalement été acceptée. Armée d'un fusil AK-47, elle a été affectée à la surveillance de son quartier à Kiev, ainsi qu’à certains points de contrôle. « C'était un cauchemar », se souvient-elle, « la peur des saboteurs était omniprésente ».


Âgée de 30 ans, Olesia Vorotnyk est danseuse professionnelle depuis 2009. Elle a été enfant gymnaste avant de commencer à prendre des cours de danse classique à dix ans. Elle a étudié au collège chorégraphique de Kiev, puis a rejoint la troupe de danse de l'Opéra national. Mais le service militaire fait autant partie de son histoire que la danse. Son mari, avec qui elle a eu un fils, a été tué il y a trois ans dans le conflit qui gronde dans l'est de l'Ukraine, après l'insurrection soutenue par la Russie en 2014. Elle-même a fait une pause dans la danse pour se rendre dans la région du Donbass et voir la situation de ses propres yeux. Elle a apporté des livres en ukrainien aux bibliothèques, sur des sujets d'importance nationale comme l'Holodomor, la famine que Staline a infligée à l'Ukraine dans les années 1930. L'objectif était de favoriser la connaissance du pays et la fierté qu'il inspire.


Les arts ont un rôle particulier dans cette lutte. Avec plus ou moins de férocité, les tsars russes et les dirigeants soviétiques ont piétiné la culture ukrainienne pendant des siècles, persécutant les artistes ukrainiens, ridiculisant leurs aspirations nationales et supprimant leur langue. Ici, la culture est toujours politique, surtout pendant une guerre où l'histoire et l'identité sont aussi contestées que le territoire. Depuis le début de la guerre, le Ballet de de l'Opéra national d'Ukraine ne présente plus d'œuvres de Russes. Il n'y a plus de Lac des cygnes, dit-elle. Tchaïkovski est exclu.

En Occident, les discussions se poursuivent sur le boycott de la culture russe - comment équilibrer l'indignation et l'engagement, s'il faut faire la distinction entre les artistes classiques et les artistes actuels, ou entre ceux qui soutiennent aujourd'hui le Kremlin et ceux qui le répudient. Pour Olesia Vorotnyk, la situation est simple. « Les étrangers ne comprennent pas bien notre position car le ballet est toujours associé à la Russie, dit-elle. Mais les habitants de Marioupol occupée ont refusé d'accepter la nourriture et l'aide humanitaire des Russes - ils ont choisi de mourir de faim. Il n'est pas juste que le ballet présente [des œuvres russes] alors qu'ils souffrent. »

« Il y avait ce mythe de la grande Russie et de sa grande armée, ajoute la guerrière-ballerine. Mais à la suite de tous les crimes et les pillages, nous voyons la vérité. Ces sentiments ne sont pas près de s'estomper. On a vu la culture russe à Boutcha et Irpine. Je me demande si les Russes qui ont fait ça lisent Pouchkine. »

Photo Oleksandra Zlunitsyna


Début juin, alors que les combats se sont éloignés de Kiev, Olesia Vorotnyk a décidé qu'il était temps de danser à nouveau. Son prochain rôle sera dans "Die Libelle" ("La libellule") de Josef Strauss. Mais elle continue à faire du bénévolat dans son quartier, et Olesia sait qu'elle peut reprendre du service à tout moment. La violence est loin d'être terminée ; pour elle, elle est toujours proche. Elle s'entraîne encore au tir presque tous les jours…

Sur son téléphone, elle montre une photo de son fils lorsqu'il était bébé. Il est emmailloté dans le gilet pare-balles de son défunt mari.


Dominique Vernis,

à partir d’un article de The Economist.


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