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Ukraine : le sang versé de Margarita Polovinko

Dernière mise à jour : il y a 1 jour


Elle n'aura pas le temps d'éventuellement devenir célèbre. "Belle, talentueuse et courageuse", Margarita Polovinko, jeune artiste ukrainienne, venait d'avoir 31 ans. Poutine l'a tuée.


Doit-on, à nouveau, parler de "génération sacrifiée" ? (1) Elle venait d'avoir 31 ans, le 24 mars dernier. Comme beaucoup d'artistes de sa génération, Margarita Polovinko a mis entre parenthèses sa "carrière artistique" pour défendre son pays, l'Ukraine, au lendemain de l'offensive à grande échelle déclenchée par la Russie de Poutine, le 24 février 2022. Rester à l'écart, comment serait-ce possible ? Elle s'est d'abord rendue dans les régions de Mykolaiv et de Kherson pour aider à reconstruire les maisons détruites. Elle a rejoint les équipes de secouristes qui évacuent des soldats blessés dans les zones les plus chaudes de la ligne de front, et a enfin rejoint le bataillon mécanisé d'une brigade, où elle assemblait des drones.


Margarita Polonivko, Dessin au crayon, mars 2022


 

Margarita Polonivko expliquait qu'elle avait commencé à beaucoup dessiner au début de la guerre, lorsque sont apparues les premières nouvelles concernant la mort d'enfants à Irpine : « J'ai peint une fille qui survolait les maisons comme un ange. Elle survole la laideur du monde. Ma première perception des Russes était qu'ils étaient des monstres qui venaient et se battaient avec les gens ».

 

Margarita avait reçu une formation artistique à l'école supérieure de théâtre et d'art de Dnipro, puis à l'Académie nationale des beaux-arts et d'architecture, où elle s'est spécialisée dans la peinture de chevalet. Avant la guerre, elle travaillait sur les thèmes de la société post-industrielle, de la marginalisation et de la solitude. Ses héros étaient des "parias" mythologiques, symboles des personnes en marge de la société. Pendant la guerre, son art s'est transformé : elle a commencé à tenir un journal et à dessiner avec un simple crayon, puis avec du sang : « J'aimerais donner aux gens la possibilité d'effacer le sang de ces œuvres, de sorte qu'il n'en reste qu'une trace qui ne peut être lavée. Lorsque je commence à peindre, le sang est rouge vif. Le souvenir du traumatisme l'est aussi. Puis l'œuvre s'estompe, devient brune ou même verte. La mémoire du traumatisme demeure également, mais elle change de saturation, de couleur », expliquait-elle.


Margarita Polovniko, Papier, sang, février 2022


Couleur du sang avant qu'il ne sèche, le rouge était aussi associé, pour Margarita Polovinko, à Kryvyi Rih, sa ville natale (la même que Volodymyr Zelensky, copieusement ciblée par les bombardements russes), entourée de carrières de minerai rouge : le "sang de la terre".


Margarita Polovinko, Papier, sang, 2023


Margarita Polovinko ne dessinera plus. Elle est morte au front, dans des conditions qui n'ont pas encore été précisées. « Margarita est morte en nous protégeant tous. Elle était très belle, talentueuse et courageuse. N'oubliez jamais », écrit l'une de ses amies artistes, Inga Levy. Elle sera enterrée ce vendredi 11 avril au cimetière de Kryvyi Rih, sur la "promenade des célébrités". Poutine, qui est bien un monstre, ne lui a pas laissé le temps de devenir éventuellement célèbre.


Jean-Marc Adolphe


(sources : presse ukrainienne, et secondaryarchive.org)


(1). On parle de "génération sacrifiée" à propos de la "Renaissance fusillée" : au lendemain de la Révolution de 1917, une nouvelle génération d’hommes et de femmes de lettres en Ukraine, portée par un espoir d’émancipation nationale, inaugure une "Renaissance" de la littérature ukrainienne. Ainsi se multiplie, dans les années 1920, comme jamais, le nombre d’œuvres publiées en Ukraine ; on assiste aussi à l’éclosion de plusieurs groupes littéraires, dont le plus célèbre est Vaplitè, l’Académie libre de littérature prolétarienne. La répression bolchévique qui suivra dans les années 30 fera disparaître ces écrivaines et écrivains du champ culturel ukrainien soit à la suite de leur assassinat, soit à la suite de leur mort littéraire, conséquence de leur (auto)censure ou de leur exil.


Nota bene - au Panthéon des écrivain(e)s et artistes morts depuis le début de la guerre en Ukraine, Margarita Polovinko rejoint notamment la jeune écrivaine ukrainienne Victoria Amelina, morte dans un bombardement russe en juin 2023, à qui les humanités avaient tout de suite rendu hommage (lire ICI). Alors que les éditions Flammarion viennent de publier Regarder les femmes regarder la guerre. Ukraine. Journal interrompu, une rencontre autour de Victoria Amelina, organisée par le Centre de Recherche Europes-Eurasie et l'Institut ukrainien en France, a lieu ce jeudi 10 avril à l'INALCO, Paris13ème, de 19 h à 21 h, en présence d'Oleksansra Matviichuk (ICI). A cette occasion, nous publierons demain, en exclusivité, une sélection de poèmes de Victoria Amelina.

 

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