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Trump-Musk et le retour des épidémies

Illustration : The Atlantic


Hier, lundi 10 mars 2025, Marco Rubio a annoncé que 83% des programmes de l'agence de développement USAID, qui représentent une part conséquente de l'aide humanitaire mondiale, allaient être supprimés. Les coupes budgétaires opérées par l'administration Trump et le DOGE piloté par Elon Musk entraînent de graves menaces pour la santé mondiale, mais aussi aux États-Unis, souligne Craig Spencer, professeur de santé publique et médecin urgentiste, dans une tribune publiée par The Atlantic.

Lors de la première réunion du cabinet de Donald Trump, à la fin du mois dernier, Elon Musk a admis, penaud, que le DOGE ("Department of Government Efficiency", département de l'Efficacité gouvernementale) avait « accidentellement annulé très brièvement » des programmes de prévention d'Ebola. Après un petit rire nerveux, il a affirmé que l'oubli avait été rapidement corrigé (voir ICI). Mais ce n'est pas le cas. La vérité est bien plus troublante : cette administration ne s'est pas contentée d'interrompre un poste budgétaire ; elle a activement démantelé l'infrastructure sur laquelle le pays s'appuie pour détecter et combattre les agents pathogènes mortels.


Pendant plus de dix ans, j'ai travaillé comme médecin et expert en santé publique pour lutter contre les maladies infectieuses dans le monde entier. En 2014, alors que je soignais des patients atteints d'Ebola en Guinée, j'ai moi-même contracté cette maladie et y ai survécu. Je sais à quel point l'attaque de Donald Trump contre les mesures de prévention des épidémies pourrait s'avérer mortelle. Nous ne manquerons pas de le regretter.

La campagne destructrice du DOGE a touché tous les secteurs, des NIH (National Institutes of Health) au National Weather Service (service météorologique national). Les coupes dans le domaine de la santé mondiale sont toutefois particulièrement alarmantes. On ne sait pas très bien ce que Musk pensait lorsqu'il a envoyé l'Agence américaine pour le développement international « dans la déchiqueteuse », comme il l'a proclamé sur X, le 5 février dernier avec une indifférence joyeuse ( « J'aurais pu aller à de superbes fêtes. J'ai fait ça à la place »). Idem pour ce que pensait Trump lorsqu'il a retiré les États-Unis de l'Organisation mondiale de la santé et muselé le CDC (The Centers for Disease Control and Prevention, la principale agence fédérale des États-Unis en matière de protection de la santé publique). Mais le résultat est qu'en un peu plus d'un mois, l'Amérique s'est transformée d'un leader mondial prééminent en matière de santé en un "has been" indigne de confiance. Saper ne serait-ce qu'une seule de ces institutions aurait constitué une menace sérieuse ; les vider de leur substance d'un seul coup est une invitation à de futures épidémies.

Dans un post sur X, le 2 février dernier, Elon Musk qualifiait l'USAID, l'Agence des États-Unis pour le développement international,

chargée du développement économique et de l'aide humanitaire dans le monde, "d'organisation criminelle".


Les retombées de ces coupes sombres sont particulièrement évidentes lorsqu'on examine l'USAID (l'Agence des États-Unis pour le développement international, chargée du développement économique et de l'aide humanitaire dans le monde, ou ce qu'il en reste. Le slogan de l'agence était « De la part du peuple américain », et peut-être que le peuple américain n'a pas compris qu'elle était aussi pour lui. Musk a carrément dénigré l'agence, la déclarant « organisation criminelle ». La Maison Blanche a pointé du doigt des dépenses présumées inutiles, notamment le financement d'un « opéra transgenre en Colombie » ou encore d'une « comédie musicale DEI » en Irlande (dont il a été avéré qu'elle n'était même pas financée par l'USAID).


Sur la page officielle de la Maison Blanche...


L'USAID était également le principal bailleur de fonds du Plan présidentiel d'aide d'urgence à la lutte contre le sida (PEPFAR), mis en place en 2003 sous George W. Bush. Le PEPFAR a sauvé plus de 25 millions de vies et contribué à étouffer la pandémie mondiale de VIH. Plus de 20 millions de personnes, dont 500.000 enfants, recevaient un traitement contre le VIH dans le cadre de ce programme lorsque M. Trump a signé, le premier jour de son entrée en fonction, un décret suspendant toute aide étrangère pendant 90 jours. Le secrétaire d'État Marco Rubio a promis que des dérogations permettraient de poursuivre le travail de sauvetage, mais peu d'entre elles ont été accordées. Pendant ce temps, le personnel de l'USAID qui a été mis en congé administratif ne peut pas distribuer de médicaments ni couvrir les frais de transport et de personnel. Après ce démantèlement, les activités du PEPFAR dans des centaines d'endroits dans le monde restent au mieux restreintes, au pire interrompues. Sans le soutien apporté depuis longtemps par le programme, des milliers de personnes mourront probablement beaucoup plus jeunes qu'elles ne l'auraient fait avec des soins médicaux appropriés. L'autorisation actuelle du PEPFAR se termine à la fin de ce mois ; son avenir après cela n'est pas clair.

De même, les efforts de l'USAID pour stopper Ebola à la source ont également disparu. Le rôle de l'USAID dans l'endiguement d'Ebola est depuis longtemps essentiel. Lors de l'épidémie de 2014 en Afrique de l'Ouest, au cours de laquelle plus de 11.000 personnes sont mortes, l'USAID a supervisé la formation des travailleurs de la santé locaux, la construction de centres de traitement d'Ebola et le contrôle des passagers aux frontières et dans les aéroports. Dix ans plus tard, quelques jours après le début du second mandat de M. Trump, l'Ouganda a signalé une nouvelle épidémie d'Ebola. Cette fois-ci, le gel de l'aide étrangère mis en place par Trump signifiait que l'USAID n'était pas en mesure de fournir les ressources habituelles pour le transport des échantillons de laboratoire ou la mise en place d'un contrôle dans les aéroports. Le lendemain du jour où M. Musk a assuré au gouvernement que la prévention d'Ebola avait été rapidement rétablie, le département d'État a annulé les efforts cruciaux de recherche des contacts et de surveillance de l'épidémie en Ouganda. L'USAID étant introuvable, l'OMS a renforcé sa propre réponse. Pour l'instant, c'est déjà ça, mais l'absence de l'Amérique est honteuse.

En 2023, les États-Unis ont versé à l'OMS 481 millions de dollars, soit un huitième de ce que les Américains dépensent chaque année en services professionnels de dressage de chiens

En outre, l'OMS pourrait ne plus avoir la capacité de le faire pendant longtemps. Dès le premier jour de son mandat, Donald Trump a signé un décret visant à se retirer de l'OMS, l'accusant d'exiger « des paiements onéreux de la part des États-Unis ». En 2023, les États-Unis ont versé 481 millions de dollars, soit un huitième de ce que les Américains dépensent chaque année en services professionnels de dressage de chiens, au budget de fonctionnement de l'OMS. Il est vrai que de nombreux Américains, encouragés par le dénigrement de l'organisation par M. Trump, ont développé une profonde méfiance à l'égard de l'OMS à la suite de ce qu'ils ont perçu comme des erreurs lors de la pandémie de coronavirus. Même ses partisans peuvent voir les défauts de l'organisation - elle est bureaucratique, sclérosée, et sa réforme se fait attendre. Malgré ces défauts, c'est une organisation dont nous avons désespérément besoin, et il n'existe pas de véritable alternative.


L'OMS est la seule organisation internationale capable d'identifier et de répondre rapidement aux menaces émergentes, telles que les flambées de maladies non identifiées comme celle qui sévit actuellement dans le nord-ouest de la République démocratique du Congo. Son réseau mondial de laboratoires chargés de détecter les menaces infectieuses - connu sous le nom de Gremlin- dépend fortement du soutien des États-Unis et risque aujourd'hui d'être fermé. Même si ses partenariats avec des collègues américains ont renforcé la surveillance, l'endiguement et la préparation à l'étranger, l'OMS nous aide également chez nous. Le même jour que les commentaires de M. Musk sur Ebola, la FDA a annulé la réunion au cours de laquelle les experts décident de la composition du vaccin contre la grippe de la saison prochaine. À l'avenir, les États-Unis devront attendre les conseils de l'OMS pour prendre cette décision cruciale et télécharger la recette du vaccin antigrippal de l'année prochaine. Si les États-Unis continuent d'abdiquer leur rôle de leader, ils seront contraints de s'en remettre à une organisation dont ils réduisent le financement et dont ils rompent la collaboration. Bien que l'OMS puisse encore trouver des fonds et du personnel, cela n'est pas garanti, surtout si d'autres pays suivent l'exemple de Trump et coupent les liens ou le financement.


L'USAID et l'OMS étant en état de siège, la responsabilité de la détection et de la lutte contre les maladies à l'échelle mondiale incomberait davantage au Centers for Disease Control and Prevention. Mais l'avenir des principaux « détectives de maladies » du monde est également menacé. Le plan visant à réduire la prochaine cohorte d'agents du CDC Epidemic Intelligence Service a heureusement été arrêté à au dernier moment, mais environ 750 membres du personnel du CDC ont tout de même été licenciés dans le cadre des récentes coupes budgétaires, y compris de nombreux agents en poste sur les lignes de front des épidémies dans tout le pays et dans le monde entier (environ 180 des personnes licenciées ont été réintégrées par la suite). Certaines pages du site web du CDC ont été supprimées et, lorsqu'un juge a ordonné leur rétablissement, nombre d'entre elles avaient été considérablement modifiées. Les communications du CDC, telles que le rapport hebdomadaire sur la morbidité et la mortalité (Morbidity and Mortality Weekly Report), sur lequel les prestataires de soins s'appuient pour suivre l'évolution des menaces sanitaires, ont été brusquement interrompues pour la première fois en plus de 60 ans. Le personnel des CDC a également reçu l'ordre de ne plus communiquer avec l'OMS et de retirer leur nom de tous les articles scientifiques rédigés en collaboration avec elle, ce qui affaiblit encore la portée des CDC et leur capacité à comprendre ce qui se passe dans le monde. Qu'il s'agisse de réduire l'USAID, de dénigrer l'OMS ou d'entraver le CDC, le résultat final est le même : l'Amérique se retire du leadership mondial en matière de santé, ce qui rend le monde entier moins sûr, y compris nous.


Comprenez comment cela fonctionnera sur le plan pratique : jusqu'à récemment, les pays avaient des raisons impérieuses de signaler les épidémies, même si cette transparence s'accompagnait parfois d'interdictions de voyager ou d'autres restrictions stigmatisantes. Ces bâtons valaient souvent les carottes, à savoir le financement de l'USAID et l'expertise des CDC qui apparaissaient et aidaient à mettre fin rapidement aux épidémies. Aujourd'hui, en l'absence de carottes, pourquoi un pays se soumettrait-il au bâton ? Les futures épidémies risquent d'être signalées trop tard, voire pas du tout, laissant l'Amérique dans l'ignorance des crises sanitaires émergentes. Depuis 2014, sept urgences de santé publique de portée internationale ont été déclarées par l'OMS. Le nombre d'épidémies d'Ebola augmente et le changement climatique intensifiera l'émergence et la propagation de microbes connus et potentiellement inconnus.


Il est dans l'intérêt des États-Unis d'inverser immédiatement la tendance et de reconstruire l'infrastructure cruciale nécessaire pour détecter les épidémies et y répondre. C'est non seulement la bonne chose à faire, mais c'est aussi une question de bon sens économique. En 1980, au plus fort de la guerre froide, l'OMS a déclaré que la variole était éradiquée, une étape importante franchie grâce au soutien conjoint des États-Unis et de l'Union soviétique. Les Américains ont investi environ 30 millions de dollars pour éradiquer la variole, une fraction de ce que le pays économise aujourd'hui chaque année en n'ayant plus besoin de vacciner contre la variole ou de la traiter - sans parler des vies sauvées.


Les Américains pensent qu'environ 25 % du budget national est consacré à l'aide étrangère. En réalité, ce chiffre est de 1 %, ou du moins il l'était. Les dépenses totales de l'USAID pour 2023 s'élevaient à 43 milliards de dollars, soit un vingtième du budget de la défense des États-Unis et à peu près ce que les entreprises de Musk ont reçu en financement public. Les dépenses du CDC étaient encore plus faibles, à savoir  9 milliards de dollars.


Malgré ses actions, Musk comprend clairement que ces systèmes sont essentiels à la sécurité de l'Amérique. Après avoir admis son erreur concernant Ebola, il a rapidement clarifié la situation : « Je pense que nous voulons tous la prévention d'Ebola ». Pour ce faire, il faudrait retirer de la poubelle les vestiges les plus essentiels de l'USAID. Les États-Unis doivent également renouer avec l'OMS et négocier les conditions du renouvellement de leur soutien et de leur engagement auprès de l'organisation avant qu'il ne soit trop tard. Et malgré toute la méfiance que de nombreux Américains nourrissent à l'égard du CDC après la pandémie, ils doivent se rallier à lui, une agence dont le rôle deviendra de plus en plus indispensable à mesure que la rougeole, la grippe aviaire et d'autres agents pathogènes se répandront dans le pays.


Aujourd'hui, et avec une rapidité surprenante, le pays tourne le dos à la santé mondiale. Ce faisant, il met en danger d'autres nations, mais aussi lui-même. Le compte de l'USAID sur X, qui était autrefois une chronique numérique de ses réalisations, a disparu. Lorsque je le recherche sur mon téléphone, j'obtiens un message d'erreur : « Quelque chose n'a pas fonctionné. Réessayez. » Nous devons tenir compte de cet avertissement. Musk et Trump ont détruit le bouclier qui protégeait autrefois l'Amérique de la prochaine contagion mondiale. Les maladies mortelles ne s'embarrassent pas de frontières ; aucun mur ne les empêchera d'entrer. Si l'Amérique maintient le cap, « quelque chose a mal tourné » deviendra l'épitaphe d'un grand pays, qui était autrefois le chef de file mondial en matière de préparation sanitaire. Cela nous manquera profondément.


Craig Spencer


(Craig Spencer est professeur de santé publique et médecin urgentiste à l'université Brown. Tribune publiée le 10 mars 2025 par The Atlantic. ICI)


A lire également :

  • États-Unis: l'administration Trump annonce supprimer 83% des programmes de développement de l'USAID. Le secrétaire d'État américain Marco Rubio a annoncé, le lundi 10 mars 2025, que 83% des programmes de l'agence de développement USAID, qui représentent une part conséquente de l'aide humanitaire mondiale, allaient être supprimés. Sur le site de RFI (ICI)

  • Fin de l’USaid : la lutte continue contre le VIH à la clinique ‘Witkoppen’ en Afrique du Sud. Sur France Inter, ICI.

 

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