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Trump, ad nauseam

Photo du rédacteur: Michel StruloviciMichel Strulovici

Dernière mise à jour : il y a 5 jours

Dessin Adam Zyglis / Buffalo News


Le régime nazi avait fait de l'épuration et de la transformation de la langue un outil de conviction de masse privilégié. Au Cambodge, les Khmers rouges tout autant. C'est cette voie qu'emprunte aujourd'hui Donald Trump en bannissant certains mots du vocabulaire scientifique ou encore en effaçant données et archives des sites de l'administration fédérale. L'Histoire nous apprend qu'un tel contrôle totalitaire du langage précède et accompagne les pires des régimes. « La Révolution sera complète quand le langage sera parfait », prévenait déjà George Orwell dans 1984.

Et en complément : un texte du philosophe, écrivain et journaliste ukrainien Stanislav Aseyev, suite à la décision de l'administration Trump de fermer Radio Liberty.


« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu »

Prologue de l’Évangile selon Jean

 

La logorrhée verbale utilisée par Trump comme une arme de sidération de masse et de saturation du débat politique a été mûrement pensée par les idéologues qui ont maturé sa campagne et son projet pendant quatre ans. Cet envahissement de la parole, informations mâtinés en continu de fake news, le poète Bernard Noël aurait pu le définir comme une « censure par saturation » (1). Ce déferlement est l'aspect le plus visible et mis en scène de ce Trump2 qui occupe les espaces de la part disponible de nos cerveaux, ad nauseam.


Dans cette offensive idéologique d'une rare intensité (2), sorte de blitzkrieg idéologique, une seule référence, par son ampleur et sa rapidité, vient à l'esprit. Ce sont les deux mois qui ont suivi la nomination de Hitler comme chancelier du Reich dont l'acmé fut la provocation de l'incendie du Reichstag, en février et la destruction totale des structures politiques de l’État allemand, qui passa ensuite sous contrôle absolu des Hitlériens.


Autre similitude, les soutiens du monde économique organisant l'accès au pouvoir de Hitler et du NSPAD. Dans leur dernier ouvrage, Le monde nazi, 1919-1945, les historiens Johan Chapotot, Christain Ingrao et Nicolas Patin, remarquent : « L'accession de Hitler au pouvoir a été largement voulue par les élites patrimoniales de cette époque, à savoir les grands agrariens, les propriétaires terriens, les acteurs de l’industrie lourde et de la banque, regroupés autour de ce qu’on appelle le "Mittelbau". Cette structure de PME, qui est encore aujourd’hui importante en Allemagne, a très tôt pris parti pour les nazis, dès la seconde moitié des années 1920. Ce sont donc les possédants qui ont voulu l’arrivée d’Hitler au pouvoir et ils l'ont obtenue grâce au soutien des dirigeants politiques de cette époque. » (3) Aujourd'hui, Trump a reçu et reçoit le soutien actif des GAFAM et de la tech, du complexe militaro-industriel, des magnats de l'énergie, de l'acier... (4)

 

Épurer la langue


Autre élément de ressemblance entre la théorie et la pratique du régime hitlérien, depuis leur arrivée au pouvoir, Trump-Musk et leur camarilla ont pris pour cible les mots et le langage (5), cet élément fondateur de nos sociétés, de nos personnalités, de notre mémoire. « les frontières de mon langage sont les frontières de mon monde », écrivait le philosophe Ludwig Wittgenstein (6). Ainsi et pour ne prendre que cet exemple, Trump et son ministre de la Défense, l'ancien présentateur de Fox News Pete Hegseth, ont ordonné à tous les services de l'armée de supprimer toute photo, vidéo ou article de presse mentionnant la diversité, l’équité et l’inclusion. Parmi des dizaines d’années d’archives de ce ministère, 26.000 images auraient été déjà signalées et jetées aux oubliettes, notait l'Agence Associated Press, le 26 février dernier.


De même, dans toutes les administrations fédérales comme dans tous les centres de recherche qui en dépendent, s'étend une véritable chasse aux sorcières des mots et expressions ! Voir ces termes interdits ou mis sous surveillance dans les documents passés ou présents des ministères, donne le tournis. Cette tentative de blanchiment du vocabulaire ressemble à une "purification" qui rappelle d'autres systèmes totalitaires. Le New York Times du 7 mars dernier en a établi une première liste de 200. En voici un florilège : « antiracisme, noir, autochtone, personne de couleur, assigné à la naissance, préjugé à l'égard de , inclusion, race, genre ; changement climatique, énergie propre, diversité, équité communautaire, héritage culturel, handicap, discrimination, égalité, égalité des chances, femme, femelle, migrant, golfe du Mexique, inclusion, injustice, LGBT, minorité, santé mentale... »


Cette volonté totalitaire de maîtriser jusqu'à l'intime, a été fort bien décrite par la journaliste Ludivine Domeon, le 12 mars dernier, dans Ouest-France : « Ce ne sont pas des livres qu’on brûle, mais des sites internet, des pages, des index et des bases de données, traquées par l’intelligence artificielle, lancée à la chasse aux mots par l’administration Trump. Pour aller plus loin encore, Trump, qui n’aime ni les minorités, ni les faits scientifiques, fait en sorte que les chercheurs souhaitant être fiancés par l’État fédéral doivent éviter dans leurs travaux, dans leurs sujets, certains mots ».


Ces mises à l'index ne rappellent-elles rien ? Georges Orwell l'anticipa avec une vista sans pareille dans 1984. Voici un extrait du chapitre V de cette œuvre prémonitoire : « Ne voyez-vous pas que le véritable but de la novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera délimité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées. (…) Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de plus en plus restreint. Il n’y a plus, dès maintenant, c’est certain, d’excuse ou de raison au crime par la pensée. C’est simplement une question de discipline personnelle, de maîtrise de soi-même. Mais même cette discipline sera inutile en fin de compte. La Révolution sera complète quand le langage sera parfait. (…) Vous est-il jamais arrivé de penser, Winston, qu’en l’année 2050, au plus tard, il n’y aura pas un seul être humain vivant capable de comprendre une conversation comme celle que nous tenons maintenant ? »,


Les actes faisant foi, nous comprenons mieux aujourd'hui, l'admiration de Trump pour Hitler, comme nous le révéla en 2019 le général John Kelly, qui avait été son chef d’état-major au cours de sa première présidence. «  Hitler a fait du bon travail » lui disait-il en privé. On sait que le dictateur allemand avait fait de l'épuration, de la transformation de la langue un outil de conviction de masse privilégié. « Le nazisme a pénétré la chair et le sang des masses au travers de mots isolés, d'expressions, de formes syntaxiques. Celles-ci ont été imposées en les répétant des millions de fois et ont été adoptées inconsciemment », écrivait en 1947 le philologue Victor Klemperer. Celui-ci avait pu analyser, en quelque sorte de l'intérieur, comme "prisonnier" du système hitlérien, la transformation de la langue allemande et son cheminement vers l'empoisonnement des esprits : « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, elles semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir. Si quelqu’un, au lieu d’héroïque et vertueux, dit pendant assez longtemps. fanatique, il finira par croire vraiment qu’un fanatique est un héros vertueux et que, sans fanatisme, on ne peut pas être un héros. Les vocables fanatique et fanatisme n’ont pas été inventés par le Troisième Reich, il n’a fait qu’en modifier la valeur et les a employés plus fréquemment en un jour que d’autres époques en des années. » (6) On ne sait si Trump et Musk ont lu le philologue et 1984, mais leurs conseillers, les idéologues qui parlent à leur "imaginaire", oui, sans aucun doute.

 

Un homme nouveau


Cette offensive généralisée va au delà d'une manipulation de masse. Il s'agit pour Trump et sa camarilla de cheminer vers la création d'un «  homme nouveau », d'un Américain vivant la dictature comme une normalité. Cette violence me rappelle celle qu'utilisèrent les Khmers rouges au Cambodge. Eux aussi avaient fait de la construction d'une langue, une arme de masse pour imposer leur idéologie.

Quelques-unes des 17.000 victimes qui furent torturées à la tristement célèbre prison

de Tuol-Sleng (dite "S-21") par les Khmers rouges. Photo Paul Arps


Lors de mon premier voyage à Phnom Penh en 1980, un an après que les partisans de Pol Pot en aient été chassés par l'armée vietnamienne, je m'étais aperçu d'un phénomène étrange. Lors de mes discussions avec des Cambodgiens de la rue, parlant français, le mot «  je » n'était jamais employé. Face à cette incongruité, les Khmers m'expliquaient que, pendant quatre ans, ce «  je » avait été banni de leur vocabulaire. Dans mes Sorties de guerre, je cite Laurence Picq qui fut traductrice officielle des Khmers rouges à Phnom Penh de 1975 à 1979. Elle était l'épouse d'un de leurs dirigeants. «  Le pronom personnel est aboli et les adjectifs de possession «  "mon" et "ma" furent remplacés par des expressions bâtardes du style "notre-ma", ce qui donnait "nous-je pensons que", "notre-ma tâche" : « L'individu ne comptait plus. Il n'existait plus que comme élément d'un groupe. Toutes les formules de politesse furent abolies et les termes hiérarchisés de l'ancienne société bouddhiste pour s'adresser à l'autre furent résumées en un sec et obligatoire "met", contraction de "samamet", c'est à dire "camarade" ». (8)


Cette épuration linguistique, ce rétrécissement du monde, Trump et ses amis Républicains qui gouvernent la majorité des États, ont décidé de la faire débuter dès l'enfance : en pays totalitaire, il n'est jamais trop tôt. De nombreux ouvrages destinés à la jeunesse traitant de genre, de racisme ou les questions LGTB sont désormais bannis. Dernier exemple en date, le livre pour enfants écrit par l'actrice Julianne Moore, a été interdit dans toutes les écoles dépendant du ministère de la Défense, soit pour 20.000 élèves. Son crime : il raconte l'histoire de "Freckleface Strawberry", une enfant constellée de petites taches de rousseur. L'actrice américaine, fille de militaire, a elle-même été scolarisée dans un de ces établissements. Et sur Instagram, le 16 février dernier, elle s'en indigne ainsi : « Je n'aurais jamais cru voir cela dans un pays où la liberté d'expression est un droit constitutionnel ».


Esther Cyna, historienne, maîtresse de conférences en civilisation des États-Unis à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines suit de près cette censure de masse aux Etats-Unis (9). Elle explique que ce mouvement « a débuté à la suite de la défaite de Donald Trump en 2020 (...) les conservateurs se sont mobilisés à l'échelle locale  après avoir vu leur candidat se faire battre dans la course à la Maison Blanche. Cela a accéléré le mouvement qui, aujourd'hui, est sans précédent ». (10) Entre 2023 et 2024 ce sont ainsi 10.046 ouvrages qui ont été bannis dans 29 États dirigés par les républicains, a recensé  l'American Library Association (ALA). En tête de liste : la Floride et l'Iowa, l'Arkansas, le Texas, la Géorgie, l'Utah.


Entre 2023 et 2024 dans la seule Floride du Républicain Ron DeSantis le Pen América ( le plus important des Pen internationaux) recense 4.500 cas d'interdictions dans 33 districts scolaires ! Parmi les livres interdits dans l'ensemble des États-Unis, des ouvrages célébrissimes : le Journal d'Anne Franck, 1984, les ouvrages de Stephen King, L'Oeil plus bleu, le roman d'apprentissage de Toni Morrison, Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, de Harper Lee, Le Meilleur des mondes, d'Aldous Huxley, Maus, d'Art Spiegelman, ou encore Gender Queer, de Maia Kobabe.


Ce qui était le fait des gouverneurs républicains et qui se trouvait en partie freinée par l’administration Biden, est désormais repris et multiplié par Trump et son équipe. Linda McMahon ; la nouvelle ministre fédérale de l'Éducation et ancienne vice-présidente de la Fédération nationale de catch, indiquait le 24 janvier dernier qu'elle comptait « mettre fin à l'infox de Biden sur la censure de livres ». Linda McMahon a également défendu le principe d'États libres de fixer leurs exigences en matière d'éducation et de construire leurs propres programmes. Il y a un an, le 6 février 2024, une candidate au poste de Secrétaire d'État du Missouri, Valentina Gomez, affiliée au parti républicain, voulait se démarquer de ses trois concurrents. Elle s'est donc filmée en train de brûler au lance-flammes deux ouvrages destinés aux adolescents, qui abordent les droits LGBT et la vie sexuelle. Mais était-il besoin d'en faire autant quand on sait, comme l'explique Ray Bradbury dans Farenheit 451 qu'« il n'y a pas besoin de brûler des livres pour détruire une culture. Juste de faire en sorte que les gens arrêtent de les lire. »

 

Le projet trumpiste de lessivage de l'esprit des hommes et de rétrécissement de leur champ de vision, s'il réussit, nous fera basculer alors dans ce monde décrit par Ray Bradbury : « Des fois, je les écoute dans le métro. Ou aux distributeurs de rafraichissement. Et vous savez quoi ? Les gens ne parlent de rien. Non, non, de rien. Ils citent toute une ribambelle de voitures, de vêtements ou de piscines et disent : "Super!" Mais ils disent tous la même chose et personne n'est jamais d'un avis différent. Et la plupart du temps, dans les cafés, ils se font raconter les mêmes histoires drôles par les juke-boxes, ou regardent défiler les motifs colorés sur les murs musicaux, des motifs abstraits, de simples taches de couleurs. »

 

Voici venu le temps des assassins de la mémoire.


Michel Strulovici


NOTES


(1). Voir "Bernard Noël, contre l'ordre, l'opacité du poème", les humanités, 17 mars 2025 (ICI).


(2). Depuis novembre dernier, les humanités ont multiplié les chroniques et analyses du grand chambardement trumpiste et de sa signification.


(3). Voir l'interview de J. Chapoutat par Flore Bosq, pour le site web ELUCID, du 4 février 2025. Dans cet interview, l'historien rappelle également : « On retrouve d’ailleurs un phénomène similaire en Italie quand, en 1922, les libéraux mettent les fascistes au pouvoir pour que les grands propriétaires terriens et les industriels se débarrassent des syndicalistes, des communistes et des socialistes qui occupaient leurs terres ou leurs usines. » (ICI). L'ouvrage cité est Le monde nazi.1919-1945, Éditions Tallandier, 2024. 

(4). La liste des donateurs de sa campagne est des plus signifiante. Selon le Wall Street Journal, certaines entreprises ont fait des dons importants. Parmi les principaux donateurs : « JPMorgan Chase&Co, la plus grande banque des États-Unis, a donné 1 million de dollars. Les constructeurs automobiles Hyundai et Stellantis, ainsi que la compagnie aérienne Delta, ont chacun versé 1 million de dollars, selon Reuters. Les géants de la tech à savoir Google, Microsoft, Meta, Amazon et Apple ont également contribué à hauteur de 1 million de dollars chacun. » Site Challenges, 21 janvier 2025.


(5). voir Jean Marc Adolphe , "Le retour des camps de concentration", les humanités, 18 mars 2025 (ICI).


(6). Tractatus politico-philosophicus, aphorisme 5.6, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 1993.                       

(7). Victor Klemperer LTI , La langue du IIIème Reich, éditions Albin Michel. Voir également l'article de Bernard Umbrecht consacré à V. Klemperer dans son excellent blog , "le saute-Rhin", publié le 8 février 2015 (ICI).


(8). Michel Strulovici, Sorties de guerre, Vietnam, Laos, Cambodge 1975-2012, Édition des Indes savantes, 2016.


(9). Esther Cyna est maîtresse de conférences en civilisation des États-Unis à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Paris Saclay (Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines). Ses recherches portent sur le racisme dans l’histoire de l’éducation des États-Unis du XIXe siècle à nos jours. Elle a obtenu un doctorat en histoire de l’éducation et civilisation américaine en cotutelle à l’Université de Columbia aux États-Unis et à l’Université Sorbonne Nouvelle en 2021. Sa thèse, intitulée "Shortchanged : Racism, Inequality and School Finance in North Carolina, 1964-1997,” a été récompensée du prix C. Vann Woodward de la Southern Historical Association en 2022. Son premier livre, intitulé Plunder : A History of Racism and School Finance in the US South, est sous contrat avec les presses universitaires de l’Université de Caroline du Nord (UNC Press).


(10). Cité par Pauline Rouquette, France 24, le 19 février 2025.

 

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Complément

Un texte du philosophe, écrivain et journaliste ukrainien Stanislav Aseyev, suite à la décision de l'administration Trump de fermer Radio Liberty.


En violation de la loi et de la Constitution, l'administration Trump prétend avoir fermé Radio Free/Radio Liberty, un média qui est à l'origine d'une grande partie de ce que nous savons sur la Russie et le monde post-communiste. Stanislav Aseyev est un philosophe, écrivain et journaliste ukrainien qui a réalisé des reportages depuis l'Ukraine occupée par la Russie pour Radio Liberty après la première invasion russe de l'Ukraine entre 2015 et 2017. Il a été arrêté et détenu pendant 962 jours dans le tristement célèbre camp de torture russe de Donetsk, connu sous le nom d'Izolatsiya (Isolement). Il a été torturé pour ses reportages pour Radio Liberty. Après l'invasion russe à grande échelle de 2022, Aseyev a servi comme fantassin dans l'armée ukrainienne et a été deux fois blessé. 


Lorsque vous êtes assis sur une chaise, des fils reliés à votre corps, tout est simple dans un certain sens. Vous êtes un ennemi, et en face de vous se trouvent vos ennemis. Le courant électrique qui a traversé mon corps le 11 avril 2017, pour des articles que j'avais écrits pour Radio Liberty, force mes muscles à se contracter. Le psychisme des victimes se « contracte » de la même manière, ce qui leur permet de supporter la torture : l'organisme mobilise tout ce qu'il a.


Assis sur cette chaise au « ministère de la Sécurité d'État » dans la région de Donetsk occupée par la Russie, je savais pourquoi j'étais là. À ce moment-là, j'avais réussi à écrire une cinquantaine d'articles pour Radio Liberty, qui exposaient le monde totalitaire de la torture dans les territoires occupés d'Ukraine. Les personnes masquées qui m'ont torturé m'ont dit que Radio Liberty était toujours une branche de la CIA, et donc un ennemi sans équivoque de la Russie.


Comme je l'ai dit, tout était simple : deux mondes - la liberté et la tyrannie - et une chaise avec des fils entre eux comme une frontière entre ces mondes.


Et maintenant, l'un d'eux a disparu. Aujourd'hui, des gens qui n'ont pas l'intelligence de distinguer Radio Liberty d'un récepteur radio ont accepté une équation des mains de bourreaux et de tyrans. Cette équation est bien plus forte qu'un courant électrique : 2+2=5.


Cette équation, bien connue depuis 1984 d'Orwell, est en train de se réaliser sous nos yeux. Vous savez, si ce jour-là, dans l'analogie de Donetsk avec le « ministère de l'amour », ils m'avaient montré la décision de Trump sur les « branches de la CIA et l'ennemi de la Russie », ils n'auraient pas eu à me torturer : je n'aurais tout simplement pas su comment j'avais atterri sur cette chaise. 


Si l'Amérique détruit l'un de ses propres symboles et que la Russie l'applaudit sur toutes les chaînes fédérales, alors peut-être que 2 + 2 font vraiment 5 ?


Et parlant d'Orwell. L'une de ses photos les plus célèbres, facilement la première à apparaître sur Google, est une photo de son visage souriant à côté d'un micro de la radio BBC. Une autre sorte de « radio » - située de l'autre côté de la Terre, Dieu merci. Parfois, on dirait que ce  visage orwellien aux rides serrées produites par le sourire répond aux milliers de « j'aime » pour les commentaires du « génie de Tesla » sur les récepteurs radio.


Quelle langue pourrions-nous utiliser pour expliquer cela à un pays qui n'a pas connu les épreuves de l'Ukraine ? Je suppose que traduire directement en anglais sera un processus si compliqué qu'il déformera ces significations.

Peut-être le langage des nombres ? Aujourd'hui, Washington les respecte. Ce n'est pas un hasard si le centre financier de l'univers, Wall Street, se trouve aux États-Unis. Et qui sait, verrons-nous un jour une équation courte au lieu des rapports habituels du « Dow Jones » et du « S&P 500 » : 2+2=5 avec une clarification tout aussi courte : « Make America Great Again » ?


  • Les mémoires de Stanislav Aseyev s'intitulent The Torture Camp on Paradise Street. Certains de ses articles de journalisme sur l'Ukraine occupée par les Russes, pour lesquels il a été arrêté et torturé, sont rassemblés dans son livre In Isolation. Ces livres sont disponibles auprès du Harvard Ukrainian Research Institute, qui propose également de nombreuses autres traductions d'excellente qualité et d'actualité de l'ukrainien.


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