Patrick Pouyanné et Vladimir Poutine, le 18 avril 2019 à Moscou, lors de la rencontre annuelle du Conseil économique de la Chambre de Commerce et d’Industrie France Russie coprésidée par l’oligarque
Guennadi Timtchenko, allié de TotalÉnergies au sein de la société Novatek.
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Les grands groupes pétroliers se retirent de Russie, pas TotalÉnergies. C’est qu’ayant imprudemment mis tous une grande partie de ses œufs dans le panier de Poutine (et dans des méga-projets gaziers dans l’Arctique), le groupe français est quelque peu gêné aux entournures : des sommes colossales sont en jeu. Alors, face à cela, que peut bien peser l’Ukraine ?
Alors que BP, Shell et ExxonMobil ont très vite annoncé leur désengagement de Russie et la mise en vente de leurs participations dans des sociétés russes, le groupe français TotalÉnergies traîne des pieds. Sous la pression de l’opinion internationale, et vraisemblablement avec l’aval de l’Élysée, le PDG de TotalÉnergies, Patrick Pouyanné, a annoncé hier son intention de faire de même. Mais sans précipitation, hein : il est urgent d’attendre. Total cesserait donc d’acheter du pétrole russe « d’ici la fin de l’année » et arrêterait tout nouvel investissement dans des projets dans le pays.
Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. La veille de cette annonce, l’oligarque Guennadi Timtchenko, réputé proche de Poutine, a fort opportunément démissionné du conseil d’administration de Novatek, le groupe gazier allié de TotalÉnergies. Novatek étant un groupe privé, l’éclipse de Timtchenko (par ailleurs coprésident avec Patrick PouyannédDu Conseil économique de la chambre de commerce et d'industrie franco-russe) pourrait permettre à Novatek déchaper aux sanctions occidentales).
Pour TotalÉnergies, l’enjeu est énorme. Ce matin sur RTL, Patrick Pouyanné a voulu minimiser l’affaire en affirmant que la Russie ne représentait que « 5 % du cash-flow et 10 % du résultat » de TotalÉnergies, et que « ça ne rapporte pas beaucoup d’argent ». Mais le problème n’est pas là. Le problème, ce sont les investissements considérables que TotalÉnergies a engagés avec Novatek dans l’Arctique, avec les mégaprojets « Yamal » (qui contribue à la fonte du permafrost) et « Arctic LNG2 » (financé par le biais de banques chinoises, pour contourner les sanctions liées à l’occupation de la Crimée). A eux seuls, ces deux projets représentent plus de 40 millions de dollars !
Total (aujourd’hui TotalÉnergies) a exagérément misé sur la Russie. Le bon sens populaire ne dit-il pourtant pas qu’il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier ? Cette fascination de Total pour la Russie de Poutine est héritée de son précédent PDG, Christophe Rodocanachi-Jacquin de Margerie, alias « Big Moustache » (mort en 2014 dans un accident d’avion à Moscou). Auteure d’un livre sur « L’Énigme Margerie » (éditions Robert Laffont), Muriel Boselli raconte comment le PDG de Poutine a « séduit » Vladimir Poutine, en devenant sponsor du prestigieux théâtre Marinsky de Saint-Pétersbourg, se rapprochant ainsi du chef d’orchestre Valery Gergiev, fidèle parmi les fidèles de Vladimir Poutine. Ah, le pouvoir de la musique !
Cet entregent vaudra à Christophe de Margerie d’être régulièrement invité à passer des soirées alcoolisées dans la datcha du président russe. « Poutine lui racontait ses discussions avec Obama, faisait de lui des caricatures, se moquait de sa naïveté », raconte Muriel Boselli. Après la vodka de Poutine, les milliards de Total ont coulé à flots. Voilà « comment TotalÉnergies est tombé dans son propre piège », écrivent Les Échos ce mardi 22 mars. Et maintenant qu’il y a de l’eau dans le gaz, on voit mal l’actuel PDG de TotalÉnergies dire à la Russie : reprenez le gaz, on garde l’eau. En effet, ça coûterait bonbon. Et pendant ce temps, Emmanuel Macron fait de grandes envolées lyriques sur la « souveraineté énergétique » de la France. Plutôt comique.
Jean-Marc Adolphe
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