Les Russes qui occupent désormais Marioupol affirment que «la vie s’améliore», à coups d’images soigneusement choisies et recadrées. Les jardins d’enfants, eux, se sont tus. Dans la septième séquence de son Journal de Marioupol, Katya évoque, à l’image de Taira, récemment libérée de sa captivité, l’engagement de ces médecins et secouristes qui ont contribué à sauver des vies au risque de la leur, à Marioupol comme à l’hôpital de Boutcha.
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Jardins d’enfants
On y entendait tous les jours des rires d'enfants, et les petits pouvaient jouer dans les cours. Ce sont les jardins d'enfants de Marioupol. Aujourd'hui, des ruines.
Les envahisseurs russes ont brutalement volé l'avenir des plus petits habitants de la ville.
L'histoire de Taira, secouriste
Le 17 juin, une secouriste volontaire, qui sauvait la vie de soldats et de civils depuis huit ans, a été libérée de la captivité des "fachrusses" (*)
Au début de la guerre dans le Donbass, elle a formé sa propre équipe de secouristes pour les évacuations sous le nom des "Anges de Taira". Après l'invasion russe, elle a travaillé à Marioupol. Le 16 mars, elle a été capturée par les « fachrusses ».
Les propagandistes ont présenté Taira à la télévision russe comme un monstre - ils lui ont attribué à des meurtres brutaux et l’ont accusée de trafic d'organes. En, fait, elle a sauvé des vies ukrainiennes pendant plus de huit ans, au péril de la sienne.
Sur les réseaux sociaux, elle a confié qu’elle ne pesait plus que 50 kg. Et que les conditions de détention des prisonniers ukrainiens ressemblent à un camp de concentration : les soins médicaux ne sont pas disponibles, les envahisseurs ne donnent aux Ukrainiens capturés aucune information sur leur famille.
Elle disait : "Je ne serais pas très surprise de me retrouver un jour dans une chambre à gaz. Et je ne plaisante pas, malheureusement. Et ce n'est qu’une part de ce qui se passe derrière les lignes de front. Ce sujet est douloureux et pointu. Tous les prisonniers doivent être libérés. Un système de contrôle et un programme d'échange doivent être développés"...
(*) Katya dit "rashists". Explication de mot ICI
A l’hôpital de Boutcha
Après l'invasion de la région de Kiev, ils ont été parmi les premiers à se retrouver sous occupation, qui a duré 33 jours. La vérité révélée après le départ des occupants a choqué le monde entier.
A Boutcha, l’hôpital local s’est retrouvé dans l’œil du cyclone.
Inna était au travail pendant toutes les premières semaines de l'occupation. "Aucun des médecins de notre hôpital n'a trahi son serment ou décidé de fuir. Des médecins qui habitaient à Boutcha, Irpine, Hostomel et Vorzel ont également travaillé à cette époque. Certains collègues sont venus de Kiev à pied car il leur était impossible de se déplacer en voiture."
Les médecins ont établi un plan d'action clair, se sont réapprovisionnés en nourriture, en eau, en médicaments et en diesel. Ils ont travaillé, dormi, et vécu dans l'hôpital pendant trois semaines.
"Très vite, l'électricité a disparu, puis le réseau de téléphonie mobile. Nous vivions dans une bulle et ne savions pas ce qui se passait autour de nous. Chacun faisait ce qu'il avait à faire. L'hôpital était constamment sous le feu de toutes sortes d'armes. Nous ne savions pas si le matin nous trouverait encore vivants.
On nous amenait des blessés tous les jours. La plupart d'entre eux étaient des habitants qui avaient essuyé des tirs lors de tentatives infructueuses pour quitter la ville dans leurs propres voitures.
L'une d'entre elles était une fillette de 7 ans - sa mère, grièvement blessée, est morte un peu plus tard, et son frère est mort pendant le bombardement. La fillette avait reçu des éclats d'obus à la tête. L'hôpital ne disposant pas d'un service de neurochirurgie, les médecins ont dû l'opérer avec les moyens du bord. Au total, les médecins ont opéré près de 100 personnes.
Nous avons compris que les Russes viendraient tôt ou tard. Nous soignions nos propres soldats blessés, et on pouvait hélas deviner quel serait leur sort après avoir été faits prisonniers. Alors, nous avons brûlé leurs uniformes militaires, réécrit leurs dossiers médicaux..."
Avenue Lénine, "la vie qui s’améliore"
Ils ne montrent même pas la maison dans son intégralité dans leurs brochures de propagande car il s'agit d'une ruine. Cette maison restaurée dans le centre de Marioupol a été impitoyablement bombardée par l'aviation russe. Une fois encore, les envahisseurs cherchent à montrer une image de "la vie qui s’améliore". Mais la vie dans la maison sur laquelle ils accrochent le panneau est impossible en raison de l'état d'urgence, de l'effondrement des étages supérieurs. Telle est la réalité de l’avenue Mira rebaptisée "avenue Lénine".
Un centre de secours, au cœur du chaos
A Marioupol, "Halabuda" est un espace de loisirs qui est devenu un centre d’aide et de secours pendant la guerre. Dès les premiers jours, des centaines d'habitants de Marioupol se sont rendus dans ce centre - avec l'aide des soldats. Quelques citations de ceux qui, pendant deux mois, ont sauvé des vies, en risquant la leur :
« Ils apportaient des conserves, des flocons d'avoine, de la viande en ragoût. Les gens pensaient qu'ils aidaient l'armée. Mais le temps a montré que les gens accumulaient des provisions pour toute la ville, pour eux-mêmes à l'avenir. Même plus tard, ils venaient avec des médicaments, en disant : "Maman est morte de diabète. Tenez, prenez des seringues d'insuline, peut-être que quelqu'un en aura besoin" », raconte Halyna.
Lorsqu'un immeuble situé en face du centre s'est effondré, Igor et Mark y ont couru pour secourir les habitants. Deux hommes âgés se sont retrouvés bloqués dans leur propre maison. « Leur véranda était effondrée, nous ne pouvions pas déblayer la maison rapidement. Nous les avons donc nourris par les fissures, et le lendemain, nous avons pu les libérer », raconte Igor.
Les habitants savaient qu'ils pouvaient demander de l'aide au centre. Un jour, un homme pâle est arrivé en courant : « Au secours, mon fils... a été tué ! »
En bas de la rue d'Halabuda, dans la cour d'une "Stalinka" sur l'avenue Quindzhi, des gens sont morts alors qu’ils faisaient cuire un peu de nourriture.
« Quatre adultes et deux enfants, âgés d'environ cinq ans », se souvient Mark. « On m'a demandé de porter le garçon couché sur la route, sous le mur, plus loin. Je l'ai porté, je l'ai couvert d'un drap. Et puis nous sommes allés dans l'embrasure de la porte. Il y avait un gars, son bras était juste suspendu à un morceau de muscle autour de son coude. La mâchoire d'une autre femme était déchirée en trois morceaux, celui du bas pendait, et elle le tenait avec sa main. Un autre type a eu les yeux, la lèvre et la langue tranchés - il a été aidé par un dentiste voisin. Nous lui avons fourni des médicaments et des bandages.»
Sur la photo : maison en feu devant le centre Halabuda.
Séquences précédentes du Journal de Marioupol :
(29 mai) : https://www.leshumanites.org/post/dragon-on-n-est-pas-%C3%A0-la-maison-journal-de-marioupol-03
(5 juin) : https://www.leshumanites.org/post/on-n-a-pas-le-droit-de-se-taire-journal-de-marioupol-04
(12 juin) : https://www.leshumanites.org/post/nous-ne-pardonnerons-jamais-cela-journal-de-marioupol-05
(19 juin) : https://www.leshumanites.org/post/les-corps-sont-empil%C3%A9s-dehors-sur-l-asphalte-journal-de-marioupol-06
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