Dessin Elena Ospina (Colombie) / Cartooning for peace
CHRONIQUE. MICHEL STRULOVICI C'est bien beau, la paix, mais à quel prix ? En baissant la garde face aux velléités agressives de Poutine, comme y invitent certains "pacifistes", on ne fait qu'encourager ses visées expansionnistes, en bradant au passage un droit essentiel, celui des peuples à disposer d'eux-mêmes.
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« Lorsqu'on livre une guerre, c'est toujours pour être en meilleure position pour livrer une autre guerre. »
George Orwell, 1984
Pourquoi doit-on lire avec attention les écrits des dictateurs de tout calibre ? Tout d'abord pour les payer de leur peine de nous rendre claire l'idéologie qui les anime. Ainsi nous comprenons un peu mieux ce qu'ils veulent nous dire du monde tel qu'ils le pensent, tel qu'ils souhaitent influer sur son cours. Ensuite parce qu'au-delà de leur plaidoyer pro domo, ils dévoilent leur estimation du rapport de forces. Enfin parce que, tels des pythies d'aujourd'hui, ils prédisent notre avenir.
Deux photos de Joseph Epstein, alias colonel Gilles dans la Résistance.
Dans notre histoire, se mêlent aveuglement et prémonition des élites face à l'adversité. Confrontés au danger d'une agression, certains éprouvent « un lâche soulagement et une honte », comme Léon Blum lors de la signature des Accords de Munich de septembre 1938 entre Hitler, Mussolini et les dirigeants occidentaux (1). Ces accords qui, au nom de la paix, sacrifiait la Tchécoslovaquie et permettaient aux dictateurs européens de pouvoir plus aisément encore se mettre en appétit.
D'autres comprennent, avant tant et tant, quelle tragédie va se jouer. Je n'évoquerai ici qu'un seul de ces clairvoyants qui anticipèrent l'Europe à feu et à sang en prenant au sérieux les propos et les éructations d'Adolf Hitler dès la parution de son Mein Kampf.
Je veux raconter ici l'histoire et le martyr de Joseph Epstein dont le nom et l'action furent honorés récemment lors de l'entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian. Comme un hommage de la République, son fils Georges Duffau-Espstein, accompagnait le Président lors de cette montée vers ce temple de la mémoire de la République.
Joseph Epstein (colonel Gilles dans la résistance) était le chef interrégional communiste des FTP d’Île de France (les Francs- tireurs et Partisans). Il fut arrêté le 16 novembre 1943, par le commissaire Barrachin de la section 2 des Brigades spéciales de la Préfecture de police, à la suite d'une longue filature. C'est lors d'un de ses rendez-vous avec Missak Manouchian à Evry-Petit-Bourg, qu'ils furent l'un et l'autre capturés. Torturé, massacré, « il a eu le visage déformé d'avoir été enserré dans un masque de torture ». Il ne craqua pas sous les coups et refusa même de donner son nom aux tortionnaires.
Les policiers des brigades spéciales ne purent ainsi découvrir son importance dans l’organigramme de la FTPF. C'est en tant que Joseph Andrej, le patronyme figurant sur son passeport, qu'il sera condamné à mort et fusillé. (2)
Joseph Epstein jouera un rôle clé dans la stratégie et la tactique des FTPF, pendant la Résistance. Il sera l'inventeur des groupes de 15 qui permirent de mener des actions contre l'ennemi d'une ampleur inconnue jusque-là. Joseph Epstein avait compris parmi les premiers, dès son adolescence en Pologne, comme communiste et juif, que les démocrates et les progressistes en viendraient un jour ou l'autre à prendre les armes contre l'Allemagne d'Hitler. Traqué par les sbires du maréchal -dictateur Pisudski, il est contraint à l'exil. Il choisit la France, patrie des Droits de l'Homme et de la Révolution. Joseph Epstein, au cours de ses études de Droit à Bordeaux, au milieu des années trente, stupéfiait ses amis et ses camarades du PCF. D'une manière quasi-obsessionnelle, il étudiait tous les livres de stratégie militaire qui lui tombaient sous la main. A tous ceux qui s'étonnaient de cette étrange passion, il répondait : très bientôt nous allons combattre Hitler les armes à la main. Lui, avait lu et cru les annonces du chancelier du Reich, avant même son arrivée au pouvoir.
Le "crime" de Lénine
Aussi nous aurions dû lire, avec une intensité semblable à celle de Joseph Epstein, le discours que prononça Vladimir Poutine le 21 février 2022, trois jours avant son invasion de l'Ukraine. Ses propos et son ton revanchard auraient dû nous alerter. (3)
L'un des passages de cette analyse poutinienne se veut une réponse à la politique menée par l'Occident dont « l’objectif est le même : étouffer le développement de la Russie. Et ils le feront, comme ils l’ont fait auparavant, même sans le moindre prétexte formel, simplement parce que nous sommes et ne serons jamais amenés à compromettre notre souveraineté, nos intérêts nationaux et nos valeurs. » Cet "auparavant" fait implicitement référence à l'agression nazie contre l'URSS. Et cette argumentation qui assimile l'Occident aux agresseurs hitlériens est devenue un classique de la propagande du Kremlin. Si riposte il y a, affirme matois le dictateur qui prépare ses plans de guerre depuis des années, elle se fera au nom des "valeurs" poutiniennes. Les humanités ont largement dénoncé la nature de ces « valeurs » qui justifient jusqu'au crime de guerre, au viol comme arme de guerre et au vol des enfants. Notons, en passant, l'outrecuidance (est-ce une private joke ?) du dictateur quand il s'indigne que « les lois donnant aux forces de l’ordre ukrainiennes des prétextes pour réprimer durement la liberté d’expression et de dissidence, de persécuter l’opposition, se multiplient. »
Vladimir Poutine. Dessin de Pismestrovic (Autriche), Cartooning for peace
Mais, c'est la conception même du refus d'une indépendance quelconque à l'Ukraine qui inspire le discours, Et son début annonce la couleur pour ce pays comme pour d'autres du monde ex-soviétique :
« Permettez-moi donc de commencer par le fait que l’Ukraine moderne a été entièrement créée par la Russie, ou plus précisément, par la Russie bolchevique et communiste. Le processus a commencé presque immédiatement après la révolution de 1917, et Lénine et ses compagnons d’armes l’ont fait d’une manière très brutale pour la Russie elle-même – par la sécession, en arrachant des parties des territoires historiques de la Russie. Personne, bien sûr, n’a demandé quoi que ce soit aux millions de personnes qui y vivaient. »
Le propos est intéressant tant il dévoile la volonté du dictateur jusqu’au-boutiste de faire revenir la Russie en arrière, à l'époque de l'empereur Nicolas 1er, dont le buste trône dans son bureau du Kremlin, à l'exclusion de toute autre référence historique. Dans un article très documenté, la, Marlène Laruelle, spécialiste de la Russie, remarque que « le poutinisme est un régime thermidorien. Ce qui était une stratégie conservatrice (…) est devenu graduellement après plus de vingt années d'exercice du pouvoir par Vladimir Poutine, réactionnaire. (...) L’anti-occidentalisme est donc central dans la construction idéologique russe. » (4)
Cette détestation du léninisme (et de l'Occident), qui devrait interpeller toutes les gauches européennes, s'exerce sur le point le plus émancipateur du créateur du bolchevisme, celui du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Cette idée Poutine la pourfend ainsi : « Ce sont les idées de Lénine sur une structure étatique essentiellement confédérative et sur le droit des nations à l’autodétermination jusqu’à la sécession qui ont constitué le fondement de l’État soviétique : d’abord en 1922, elles ont été consacrées dans la Déclaration sur l’Union des républiques socialistes soviétiques, puis, après la mort de Lénine, dans la Constitution de l’URSS de 1924. »
Rousseau l’explorateur
Cette idée du droit des peuples continue donc de tarauder le continent et au-delà. Elle est redevenue une idée neuve en Europe, comme le notait Saint-Just pour le bonheur. Les peuples en lutte pour leur émancipation et pour la création de leur propre État s'en sont saisis. Ce concept d'autodétermination qui empêche de dormir les empereurs et chiffonnent les neurones des tyrans a repris une vigueur nouvelle au rythme de la construction des nations et des opinions publiques qui souhaitent se mêler de ce qui les concerne quoi qu'en disent les auto-proclamés pères des peuples, guides suprêmes et autres caudillos.
Il nous apparaît que ce droit est consubstantiellement lié à la notion de démocratie. Car sans expression de leur volonté comment les peuples pourraient-ils discerner le chemin qu'ils souhaitent prendre.
L'histoire de ce principe, souvent bafoué, a fait irruption il y a quelques siècles dans la vie des nations, jusqu’alors vivant sous le spectre d'or des rois et empereurs de droit divin.
Il est un philosophe, Jean Jacques Rousseau, dont on ne reconnaîtra jamais assez l'importance dans la naissance de la modernité. Cet explorateur de l'avenir, amoureux des longues déambulations solitaires en forêt, a su imaginer, le premier, les nécessités présidant à la création d'une nouvelle réalité politique et sociale. Et voici comment le concept de souveraineté populaire, ainsi que ceux qui lui sont liés, de liberté et d'égalité constituent le cœur de son Contrat social. Ce texte fondamental dans l'histoire moderne écrit en 1762, irrigue depuis la vie politique des peuples et des nations. (5)
Cet impressionnant coup de cymbales dans la morne continuité répétitive de la transmission du pouvoir, résonne toujours. Il a accompagné la Révolution française et sa Constitution, la révolution nord-américaine et la révolution bolivarienne.
Dans l'histoire des hommes il y a un avant et un après Jean Jacques Rousseau. Le philosophe a créé une rupture épistémologique dans le savoir social et politique. Bien sûr, nous n'ignorons pas que ses idées sont elles- mêmes le produit des théories et de pratiques théoriques précédentes, mais, quel penseur, quel innovateur, tout de même !
Jean Jacques Rousseau est le premier auteur cité par Marx, dès les premières lignes de son Introduction générale à la Critique de l’Économie politique. Et c'est pour lui rendre hommage. « Ce Contrat social, écrit-il, est « une anticipation de la « société civile » qui se préparait depuis le XVIème siècle et qui, au XVIIIème, marchait à pas de géants vers sa maturité. » Évoquer aujourd'hui ce droit, nous amène inévitablement à quelques situations d'oppression actuelles vécues par certains peuples. Je pense aux Kurdes qui vivent toujours écartelés en quatre États différents, Turquie, Iran, Irak et Syrie et à qui des promesses de vie commune furent tenues et jamais réalisées au Traité de Sèvres de 1920 ! (6) Je pense aux Karens persécutés en Thaïlande et en Birmanie et qui se battent depuis 1948 pour obtenir leur autonomie. Je pense aux Tibétains sous le joug de Pékin qui occupe leur pays et y mène un véritable "nettoyage" ethnique depuis octobre 1950, les chassant des terres fertiles pour les remplacer par des Hans. Je pense aux Ouighours qui combattent l’État chinois depuis les années 90, au moins, pour retrouver leur liberté de choix et dont on sait que plus d'un million d'entre eux sont emprisonnés dans des camps d'internement et de travail. Je pense aux Palestiniens qui, conseillés par le néo-nazi Mohammed Amin al- Husseini, Grand Mufti de Jérusalem, refusèrent, les armes à la main, la partition de la Palestine votée à l'ONU en 1948. Aujourd'hui, plus que jamais, il est nécessaire qu'ils obtiennent enfin leur État pour tenter de faire cesser cette guerre interminable.
Je pense également, et tout particulièrement ici, aux Ukrainiens.
Un homme recouvre les fenêtres d’un bâtiment qui a été endommagé à la suite d’un récent bombardement, dans la ville de Mykolaïvka,
dans la région de Donetsk, le 30 mars 2024. Photo Roman Pilipey / AFP
J'ai écouté avec attention les discours des uns et des autres au cours du débat parlementaire qui suivit le discours du Président Macron sur la nature de l'aide à apporter à la résistance de Kiev face à l'occupation russe.
Les arguments échangés ont pour certains d'entre eux des sous-textes étranges et des attendus contradictoires. Par exemple, certains expliquent qu'il ne faut pas monter les enchères, ne pas provoquer l'occupant poutinien pour pouvoir négocier un jour ou l'autre avec le dictateur de Moscou. Et parmi ces enchères, figurent en priorité l'interdiction d'une entrée de Kiev dans l'UE et dans l'OTAN. C'est à dire de décider, en lieu et place des Ukrainiens, de la manière dont ils envisagent leur avenir, leurs alliances.
Poutine explique que « les choix en matière de sécurité ne doivent pas menacer d’autres États, et l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN constitue une menace directe pour la sécurité de la Russie. » Rendons « neutre » le pays pour qu'il serve en quelque sorte de zone tampon, affirment certains, à la suite du dictateur russe. Il y a des précédents dans l'histoire expliquent-ils, l'Autriche d'après-guerre, par exemple.
Cet argument fait fi de l'essentiel : si l'Autriche se reconstitua comme État après la deuxième guerre mondiale sur un mode neutre, c'est qu'elle était devenue par l'Anschluss hitlérien, partie prenante du Reich agresseur des peuples. Si l'Ukraine devenait neutre, elle subirait ainsi une double peine, agressée, martyrisée et détruite en partie et interdite de paroles dans le concert des nations, son peuple devenu le muet du sérail !
La huitième condition
Pourtant les adeptes du "il ne faut pas en faire trop" se proclament souvent partisans du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Certains, dans leur histoire (je pense ici aux communistes) ont fait pourtant de ce principe une exigence de tous les instants. Ainsi parmi les vingt et une conditions dont l'acceptation fut nécessaire pour adhérer à la IIIéme Internationale, en 1920, la huitième est explicite. Elle stipule que « les partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies ou opprime des nations doivent avoir, sur la question des colonies et des nationalités opprimées, une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout Parti voulant appartenir à la IIIe Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de « ses » impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles, mais en fait, tout mouvement d’émancipation aux colonies, d’exiger que soient expulsés des colonies les impérialistes de la métropole, d’inculquer aux travailleurs de son pays des sentiments véritablement fraternels à l’égard de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimées et de mener dans l’armée une agitation systématique contre toute oppression des peuples coloniaux. »
Le PCF qui signa, avec sa naissance, cet impératif catégorique explicite, l'appliqua tout au long de son action quels qu’en furent les risques d'incompréhension parmi la population française. Cette condition fut vécue comme existentielle par les futurs dirigeants des mouvements de libération nationale comme Ho Chi Minh. Celui-ci, membre de la SFIO et délégué au congrès fondateur de Tours en 1921, choisit alors le communisme. Il avait trouvé là la clef lui permettant de lutter pour un Vietnam uni et indépendant. Plus tard, d'autres comme Leopold Sedar Senghor, Felix Houphouet-Boigny, Modibo Keita ou Aimé Césaire se retrouvèrent proches de ce parti pas comme les autres et favorable à la fin du colonialisme français.
Je sais, pour en avoir été un militant, combien la lutte pour l'indépendance de l'Algérie fut incomprise longtemps parmi les habitants de mon quartier populaire. Je me souviens des insultes qui, accompagnaient mes distributions de tracts, dès 1956, aux sorties du métro, appelant à des négociations avec le FLN.
Cette huitième condition, Lénine non seulement l'exige des adhérents de cette troisième Internationale communiste en formation, mais il fait du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes une obligation pour les peuples de cette URSS naissante. Ainsi veut-il mettre à bas la Russie tsariste qu'il définit comme une « prison des peuples ». Le 15 juin 1917, dans La Pravda Lénine reprend une idée qu'il a déjà explorée en 1914 : « Le tsarisme maudit faisait des Grands-Russes les bourreaux du peuple ukrainien, entretenant systématiquement chez ce dernier la haine de ceux qui allaient jusqu’à empêcher les enfants ukrainiens de parler leur langue maternelle et de faire leurs études dans cette langue. La démocratie révolutionnaire de la Russie doit, si elle veut être vraiment révolutionnaire, si elle veut être une vraie démocratie, rompre avec ce passé, reconquérir pour elle-même et pour les ouvriers et les paysans de Russie la confiance fraternelle des ouvriers et des paysans d’Ukraine. On ne peut pas y arriver sans reconnaître dans leur intégrité les droits de l’Ukraine, y compris le droit de libre séparation. »
Staline, dès sa prise de pouvoir, se pressa de jeter aux oubliettes une telle injonction.
Nous comprenons mieux la bienveillance et la fascination de Poutine à l'égard de Staline qu'il considère comme le continuateur de Nicolas 1er dont il se veut, lui aussi, l'héritier. Cette estime est à la mesure de la haine que le maître actuel du Kremlin porte à Lénine et secondairement à Gorbatchev, celui qu'il considère comme l'auteur « de la plus grande catastrophe géopolitique du siècle dernier ».
Aussi quand j'entends des dirigeants politiques « pacifistes » affirmer que les Ukrainiens ne doivent pas entrer dans l'UE et l'Otan pour ne pas froisser et inquiéter le pouvoir russe, c'est qu'ils avouent accepter de facto qu'une ligne rouge soit imposée aux peuples voisinant la Russie dont l'Ukraine. Mettre un frein à un droit c'est annihiler ce droit. Ni plus ni moins.
Sergueï Karaganov. Photo DR
Pour tous ceux qui assimilent les discours du dictateur et de son entourage à de la gesticulation, il serait utile de se souvenir de l'histoire de nos aveuglements, de la lucidité de Joseph Epstein et d'analyser avec sérieux les propos de Sergueï Karaganov, l'un des idéologues du Kremlin (7). Dès 2021, Karaganov, qui dirige le Conseil de politique étrangère et de défense de la Fédération de Russie,prédisait la victoire de la Russie à l’issue de ce qu’il appelle une « troisième guerre froide », dénonçait une « érosion des valeurs humaines fondamentales » dans « le LGBTisme, la multisexualité, l’ultraféminisme, la négation de l’Histoire, des racines et de la foi, le soutien au racisme noir, y compris l’antichristianisme et l’antisémitisme » ainsi que « l’utilisation de la démocratie comme religion, et pas seulement comme mode de gouvernement. »
En juin dernier, il expliquait ainsi la stratégie russe : « l'utilisation d’armes nucléaires peut sauver l’humanité d’une catastrophe mondiale (...) Lorsque Dieu a constaté avec horreur que son peuple avait déclenché deux guerres mondiales en une seule génération, il a fourni à l’humanité une arme pour lui rappeler que l’enfer existe. (...) C’est la peur des armes nucléaires qui a assuré la paix au cours des trois quarts de siècle passés Mais cette peur a aujourd’hui disparu et doit être ravivée. Sinon, l’humanité est condamnée. Nous devons rendre la dissuasion nucléaire à nouveau convaincante en abaissant le seuil d’utilisation. Nous devons rapidement gravir l’échelle de l’escalade et faire comprendre à l’ennemi que nous sommes prêts à lancer une attaque préventive. » (7)
Après la guerre d'agression et l'invasion de l'Ukraine, voici venu le temps de la guerre nucléaire préventive. Dans le même temps, les « pacifistes » français citent Jaurès à tout bout de champ, s'appropriant l'auteur de « L'armée nouvelle ». Sur tous les réseaux sociaux, voici le fondateur de L'Humanité embrigadé pour défendre le refus de la gauche de voter en faveur des accords de sécurité entre Macron et Zelenski… Que n'ont-ils lu Jaurès dans le texte ! Dans son livre majeur, « L'Armée nouvelle », le tribun socialiste écrit notamment : « La nationalité et la démocratie ont toujours été inséparables. Il n'y a jamais eu de démocratie si pacifique soit-elle qui ait pu se fonder et durer si elle ne garantissait pas l'indépendance nationale. » (8)
En abandonnant le rêve de « réaliser l'unité humaine par la subordination de toutes les patries à une seule » car « ce serait un césarisme monstrueux, un impérialisme effroyable et oppresseur dont le rêve même ne peut effleurer l'esprit moderne (…) ce n'est que par la libre fédération de nations autonomes répudiant les entreprises de la force et se soumettant à des règles de droit que peut être réalisée l'unité humaine. Mais alors ce n'est pas la suppression des patries, c'en est l'embellissement .» (9) Qui dans ce conflit respecte les règles du droit international et qui les bafoue ? Qui fait preuve d'un césarisme monstrueux et qui souhaite une fédération de nations autonomes ? Qui défend la liberté et la démocratie et qui oppresse ? Poser ces questions n'est-ce pas y répondre, mesdames et messieurs les "pacifistes" ?
Michel Strulovici
NOTES
(1). Seuls les communistes votent alors contre la ratification des accords à la Chambre, ce qui provoque la fin officielle du Front populaire, bien qu'il ait déjà cessé dans les faits.
(2). Voir Stéphane Courtois, Denis Peschanski, Adam Raisky, Le sang de l'Etranger, éditions Fayard, 1994, pages 335 et suivantes. Voir également mes Évanouissements. Chroniques des continents engloutis, éditions du Croquant, pp. 22-23.
(3). Ce discours de Poutine est à lire sur le site Jacques Fath international.
(4). Grand Continent, 17 février 2024. Marlène Laruelle, spécialiste du monde russe est chercheur à l'IFRI.
(5). La pensée de Jean-Jacques Rousseau mature au contact de la vie sociale et politique de la République de Venise où il résida entre 1743 et 1744, comme secrétaire à l'Ambassade de France. Le concept de droit des peuples à disposer d'eux-mêmes deviendra au fil du temps, le bien commun des peuples monde entier. Le président américain Woodrow Wilson, dans le contexte de l'après-Première Guerre mondiale, le fit sien en insistant sur le nécessaire choix des peuples à la nature de leur propre forme de gouvernement. Puis au XXème siècle il sera de tous les combats des luttes de libération.
(6). Les prémisses d'un véritable État kurde existe dans la province irakienne du nord-est du pays, où la province qui dispose de son propre parlement élu démocratiquement gère nombre d'activités dévolus à un État. Cette création est due à l'intervention américaine en Irak qui stoppa l'anéantissement du peuple kurde par Saddam Hussein. Quand, au début des années 2000, j'ai été donné des cours à la naissante TV kurde, Zarzos, je fus stupéfait de voir dans mon arrivée à Erbil le drapeau rouge avec la faucille et le marteau flotter sur un des bâtiments proche de mon hôtel. Le guide que j'interrogeais sur cette curiosité, me répondit : « Mais, c'est le siège du parti communiste kurde. Ils ont des députés à l'Assemblée, savez -vous ». Paradoxe de l'intervention américaine que de donner la liberté aux communistes de s'exprimer.
(7). Les humanités, 23 juin 2023, "De Kharkiv à Da nang. Chronique des temps qui changent".
(8). Jean Jaurès, L 'Armée nouvelle, Tome 2 , page 471. Acteur de l'Histoire, éditions de l'imprimerie nationale. Cité par Jean Noel Jeanneney dans sa préface. (9) L'Armée nouvelle, page 486.
Depuis le 24 février 2022, le soutien des humanités à l'Ukraine ne s'est jamais démenti. Et nous avons été les premiers à révéler et documenter le crime de déportation des enfants ukrainiens en Russie. Pour autant, le commission paritaire des publications et agences de presse a estimé que tout ce travail d'information ne contribue pas à "éclairer le jugement des citoyens", privant ainsi les humanités d'aides publiques auxquelles nous pourrions prétendre. La poursuite de ce travail éditorial ne dépend donc que de vous. Abonnements de soutien (5 € par mois ou 60 € par an), ou dons : ICI
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