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Reconstruire Mayotte ?

Isabelle Favre

Dernière mise à jour : 17 févr.

Le 17 janvier 2025 : "Un mois après le passage de Chido / Retour à Mahabourini". Photo Cyrille Hanappe


Deux mois après le cyclone Chido, et cinquante ans d’une séparation impossible d'avec les Comores, la situation à Mayotte reste toujours aussi "problématique", notamment en termes d'accès à l'eau potable. Et le "chantier de reconstruction" s'enlise dans les méandres anti-immigration de la remise en cause du droit du sol. Pour coordonner ce chantier de reconstruction, l’État français a nommé un militaire, ancien commandant de l'opération Barkhane. Avec un minimum de "pensée politique", il serait pourtant tout à fait possible de faire autrement.

 

« L'ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine, la haine conduit à la violence... voilà l'équation ».

Averroes (Abu al-Walīd Muḥammad ibn Aḥmad Muḥammad ibn Rushd), Cordoue, 1126 – Marrakech, 1198

 

Le cyclone qui s’est abattu sur Mayotte à la mi-décembre 2024, avant de poursuivre sa course vers le Mozambique où il a aussi fait de nombreuses victimes (120 morts) et d'importantes destructions, a tristement permis d’attirer l’attention des Français de la métropole sur cette île de l’Océan Indien moins connue que la Réunion. Alors que l'actuel discours gouvernemental (et d'une bonne partie de la classe politique) associe les problèmes que rencontre Mayotte à des tensions migratoires (cf Le Monde du 24 avril 2023), auxquelles la suppression du droit du sol serait censée remédier, Les humanités avait déjà évoqué en mai 2023 ("De transhumance en migrations", lire ICI) le statut contesté par le droit international de cette île devenue département français.


Deux mois après le cyclone Chido, nous faisons retour à Mayotte pour tenter de comprendre (à l'écart des "informations" rabâchées à satiété, mais qui préparent l'opinion à exclure ce « département pauvre et isolé » (Les Échos, 13/02/2025) de certains principes fondateurs de la République) ce qui fait la vie à Mayotte. En premier lieu : les difficultés d'accès à l'eau potable.


Dans les bidonvilles de Mayotte, une vie sans eau courante. Photo Morgane Fache pour "Le Monde "du 5 mai 2023.


Une île et si peu d’eau


L’eau, indispensable à la vie, reste en effet la question la plus cruciale sur l’île de Mayotte : l’eau potable. Dans ce "101ème département français", ce minimum vital n’est pas garanti. Un ministre de passage a même déclaré à des élus locaux (1) que l’accès à l’eau de nos concitoyens mahorais, c’était leur affaire. Selon le code des collectivités territoriales, certes. Mais la sécheresse et la configuration de l’île (des îles plus exactement) posent des questions qui ne sont pas à leur échelle. D’ailleurs vient d’arriver sur l’île « un expert de haut niveau, chargé de l'animation locale du plan eau Mayotte 2024-2027 auprès du préfet de Mayotte [qui] a pris ses fonctions le 14 janvier 2025 et s'est entretenu avec François-Xavier Bieuville, préfet de Mayotte, afin d'échanger sur ses missions et les enjeux du territoire. » (2)

Face à une catastrophe prévisible, l’État n’a pas pris la main, tout en poussant sur le marché un acteur majeur, le groupe Vinci, qui n’a pas respecté son contrat.

Ce plan eau s’inscrit dans le PLAN EAU DOM « Pour une gestion durable de l’eau potable et de l’assainissement dans les Outre-mer ». Mayotte est citée dans la plaquette de présentation (ICI) avec une photo de la station d’épuration de Dembeni, la mention de la « station d’épuration de Koungou, deuxième commune la plus peuplée de Mayotte, en construction », pour illustrer « un dispositif prometteur » et encore largement absent. Une jolie plaquette alors que « face à une catastrophe prévisible, l’État n’a pas pris la main, tout en poussant sur le marché un acteur majeur, le groupe Vinci, qui n’a pas pu respecter son contrat ». (3). La Société mahoraise des eaux (SMAE) est en effet une filiale de Vinci. 

Cette jolie plaquette, qui présente l'état des lieux et projets sur les DROM (Départements et Régions d’Outremer, indique qu'en Guadeloupe, « 25 % de la population est soumise aux tours d’eau ». A Mayotte, les "tours d’eau" on connaît aussi. Ainsi, à l’automne 2023, comme l'indiquait une dépêche AFP reprise par L'info durable : « pour pallier le pire épisode de sécheresse enregistré sur l'île depuis 1997, l'eau courante n'est disponible qu'un jour sur trois et seulement 18 heures par jour, pour les populations raccordées au réseau ». Pour les autres, qui ne bénéficient pas d’un raccordement au réseau (ici) , c’est encore pire en ce temps de sécheresse : « "Avant, nous allions tous à la borne fontaine payante située au pied du quartier. Aujourd'hui, c'est devenu mission impossible, car trop de gens y font la queue. […] Il n'y a qu'une seule fontaine pour tout le quartier Bandrajou", lieu-dit de Kaweni, "mais elle n'est disponible que de 8 h à 16 h, six jours sur sept", déplore Doulfakir Mahamoud, président de l'association de quartier de Bandrajou Kaweni. […] Les files s'allongeant autour des bornes fontaines, certains n'hésitent pas à consommer de l'eau non potable, de l'eau de pluie ou celle de la rivière située sur les hauteurs du quartier, quitte à s'exposer à des risques sanitaires. »

 

La présence de ces bornes-fontaines date d’un précédent plan d’actions. Elles étaient préconisées dès 2015 dans un rapport de "fin de mission" conduite par le CGEDD (Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable, devenu, conformément à son rôle auprès du ministère, Inspection générale de l'environnement et du développement durable en 2022) : rapport intitulé "Propositions pour un plan d’action pour l’eau dans les départements et régions d’outre-mer et à Saint-Martin" (ICI).


Mayotte vue du ciel. Données Copernicus Sentinel / Sentinel Hub


Pour trouver une autre ressource en eau, le rapport ne mentionnait pas les usines de dessalement. L’une a été construite récemment, l’autre est en projet. Or l’eau de mer à Mayotte, c’est un lagon, fermé au large du littoral par un récif corallien, une des barrières de corail parmi les plus grandes au monde, un trésor de biodiversité marine : mangroves, herbiers, récifs coralliens et bancs récifaux, îlots et plages qui entourent une biodiversité terrestre exceptionnelle (4). Le lagon couvre 1.300 km² incluant une double barrière, phénomène très rare puisqu'il n'en existe que dix au monde.


Avec l’impact de la construction et le fonctionnement ultérieur (rejet de saumure), le dessalement est-il une bonne solution ? Qu'en penser lorsqu’on est loin des rapports et des projets, des considérations environnementales alors qu’on est soumis à des conditions indignes de vie quotidienne avec cette pénurie d’eau. (5)

 

Des fractures jamais réduites qui ne font pas disparaître une culture de la diversité


Cette pénurie a deux causes : la sécheresse et la croissance de la population. Et une troisième sur laquelle on aimerait avoir des démentis : la gestion d’une crise prévisible, l’ignorance de ses effets sur la vie des Mahorais dans les discours officiels, par des professionnels dotés de moyens techniques et financiers. S’il faut désigner un étranger en surnombre, d’où vient-il ? De l’Union des Comores voisines (qui embrasse dans sa constitution tout l’archipel des quatre îles principales, y compris Mayotte) ou de Paris ? Avec son sens de la diplomatie, le Président de la République française ironise : en juin 2017, à peine élu, il avait dégainé l’une des formules méprisantes dont il a le secret : « Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien », faisant référence à ces frêles embarcations de l’océan Indien grâce auxquelles certains habitants des Comores tentent de rejoindre Mayotte. Mépris, ignorance, violence, peur, et fractures qui déchirent la société. Dans un récent reportage pour Le Monde, Florence Aubenas en a pris la mesure en suivant la tournée quotidienne d’une infirmière libérale : « En métropole, vous êtes au courant de ce qu’on vit vraiment à Mayotte ? » (ICI)

 

« La population de Mayotte, officiellement estimée à 290.000 habitants, compte 50 % d’étrangers en provenance, pour 95 % d’entre eux, des Comores voisines, dont près de 30 % de clandestins », peut-on y lire. Sous le nom d’insécurité, la violence ambiante et toutes les difficultés pour (sur)vivre qui l’alimentent, trouvent un bouc émissaire : la lutte contre l’immigration illégale est présentée comme "la" solution. Pour Marie-Christine Vergiat, ancienne vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme, « la façon dont sont traités les Comoriens sans papiers est indigne d’un pays comme la France ». En 2024, l’opération Wuambushu ("reprise en mains", en mahorais) visait l’expulsion des "étrangers" vers les Comores, principalement (6) et la destruction de leurs lieux de vie, les "bidonvilles". Une solution qui n’apporte aucune amélioration mais alimente la haine qui se cristallise dans des "collectifs Wahumbushu" poursuivant ce "travail d’expulsion", bloquant l’accès aux lieux de soin, défiant les humanitaires.

 

50 % d’étrangers, dont un tiers d’entre eux sont nés sur les îles de Mayotte. D’où une nouvelle solution (en réalité déjà engagée) : la restriction du droit du sol. Mayotte territoire français ? 50% d’étrangers, cela devrait mettre la puce à l’oreille Ces étrangers, ce sont des voisins, des parents habitant sur les trois îles voisines (7). Ils partagent, à quelques détails près, la même culture, la même histoire., celles d’une infinie diversité que raconte l’écrivain-journaliste-poète Nassuf Djailani :


« Il y a une passion, je dirais presque une passion française, de vouloir inventer le Mahorais nouveau, débarrasser de toutes les identités qui le composent. Mais né à Mayotte, je suis né dans un village malgachophone, donc ma première langue, c'est le malgache, qu'on appelle le kiboush localement. Mais dès que j'ai été au collège, j'ai été confronté à mes camarades venant de villages mahorophones qui parlent le shimaoré. Donc il a fallu apprendre une deuxième langue. Et puis l'enseignement se fait en français, l'enseignement se fait en anglais, l'enseignement se fait en arabe. Je suis riche de tout ça. Qu'est-ce qu'être mahorais aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'être français aujourd'hui ? C'est être riche de tout cela. On arrive dans la relation riche de tout ce qui nous compose et non pas ratatiné dans une identité étriquée qui nous assèche. » (8)


Cette richesse, intériorisée, est invisibilisée par l’image d’abondance matérielle que projette la France. De l’Union des Comores, on peut imaginer que les conditions de vie d’un Mahorais sont bien meilleures même si, par exemple, le montant du RSA (auquel il peut avoir droit depuis l'acquisition du statut de département), est de 317,86 euros par mois pour une personne seule alors qu’en métropole il est de 635,71 euros (pour 2024).

 

Les autorités françaises, qui ne peuvent ou veulent imaginer que l’habitat informel, les bidonvilles ("la" bidonville, comme "la ville", dit-on à Mayotte), soit une solution très précaire mais vivable (9) ont imaginé interdire leur "reconstruction" après leur destruction par le cyclone Chido. La "loi d’urgence pour la reconstruction de Mayotte" s’accompagne de dispositions telle que l’interdiction de la vente de certains matériaux. Pourtant, l’habitat en dur attendra, les bidonvilles se reconstituent, étonnamment vite pour certains observateurs (mais les mobiliers et équipements domestiques sont perdus).


Mayotte, janvier 2025. Photos Cyrille Hanappe.


Habitat indigne suivant des normes qui oublient qu’il s’agit en quelque sorte d’auto-construction, impliquant et renforçant des relations de voisinage. La dignité par la solidarité est au cœur des cultures que Mayotte partage avec les trois autres îles de l’Union des Comores (10) dont la devise est "Unité, Solidarité, Développement" : culture de l’archipel par sa nature et culture de l’ubuntu - « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous »- par ses échanges avec le monde bantou dès son premier peuplement venu d’Afrique, puis son appartenance aux cultures swahilies ouvertes au cultures d’Asie du Sud-Est.


Les Comores en lisière d’un monde afro-asiatique : réseau du commerce maritime et diffusion des langues "austronésiennes"

Source : Réseau du commerce maritime préhistorique et historique des peuples austronésiens dans l’Océan indien

in "La navigation austronésienne dans l'océan Indien : Des bateaux à balancier aux navires de commerce",

Palgrave MacMillan, "Early Exchange Between Africa and the Wider Indian Ocean World. Cham", Suisse, 2016


« L’archipel implique une conception dynamique de l’identité qui n’existe que par la mise en contact des différences, lesquelles ne cessent d’échanger et de se métamorphoser », écrit Édouard Glissant qui a inspiré Faire pays, accompagnant un appel des présidents des collectivités principales de Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, La Réunion, Saint-Martin, repris par un de ses initiateurs, l'écrivain Patrick Chamoiseau (11). Lire ci-dessous en PDF.



Le 8 février 1976, les habitants de Mayotte décidaient à 99,42% des suffrages exprimés de « demeurer au sein de la République française » en refusant de « faire partie de l'État comorien » avec ses trois îles. Ce référendum était prévu dans une loi du 31 décembre 1975 « relative aux conséquences de l'autodétermination des îles des Comores » (ICI) qui stipulait déjà dans son article 8 que les îles de la Grande-Comore, Anjouan et Mohéli « cessent, à compter de la promulgation de la présente loi, de faire partie de la République française ». Les raisons de ces choix ? Circonstancielles, ou inscrites dans l’histoire ? (12). Questions qui se posent encore cinquante ans après le référendum. (13)


Solidarité, ou passage en force ?


Aujourd'hui à Mayotte, la vie « pour 40% de la population vivant en bidonville est comparable à celle des pays les moins avancés, [...] ces mêmes bidonvilles présentent des conditions de vie parmi les pires du monde et [...] les solutions engagées actuellement par les gouvernants sont à l’opposé de toutes les politiques mises en place par les organisations humanitaires internationales fondées sur l’aide inconditionnelle pour tous et la mise en place de solutions individualisées et efficaces », déclarent dans une tribune parue en décembre 2024 quatre architectes (14) qui s’interrogent sur les dispositions prises par l’État français « en y confrontant leur expérience du territoire mahorais et leur connaissance des politiques d’aménagement ». Des solutions individualisées que tout un chacun peut rechercher et singulièrement « les habitant·es des bidonvilles ­[…] inscrit·es dans un environnement économique et social qui leur assure une stabilité et des cadres de vie leur permettant d’associer vie familiale, activités économiques domestique (note) s et micro-agriculture (jardin potager et animaux de basse-cour ; un subtil équilibre qui leur permet de tenir un mode de vie qu’ils peuvent tenter d’améliorer de jour en jour. »


Dans ses dernières dispositions, l’État français n’entend plus seulement lutter contre les bidonvilles par des opérations de "décasage", mais les interdire. Manifester sa force, montrant son incapacité à agir dans "des contextes d’"économies faibles", aussi bien par pragmatisme et réalisme, alors que ces politiques sont les seules à être soutenables sur le long terme. "Fondées sur des petits gestes, toujours en réglages et en ajustements, elles ont au moins l’avantage de ne pas proposer que le désespoir de destructions à venir aux citoyens".


La France à l’Ouest de l’océan indien. Des chercheurs de l’Institut Français de  Recherche Internationale (https://www.ifri.org/fr/lifri-en-bref) cartographient l’état des lieux de la présence de la France (qui se rattache aux TAAF : Terres Australes et Antarctiques françaises) :

espaces de « souveraineté » (ZEE : « Zones d’Economie Exclusive »), et de tensions.

Souce : Tristan COLOMA, Quentin René François YGORRA, "Le canal du Mozambique : un espace de compétition crisogène", 2022, IFRI.


La présence de la France à Mayotte est motivée pour certains par un vrai désir de solidarité (voir ainsi "Connaître, comprendre et aimer Mayotte au-delà du cyclone" (ICI), soirée organisée par la Cité de l’histoire de l’immigration à Paris le 31 janvier 2025, avec Bouclier bleu, ONG œuvrant pour la sauvegarde du patrimoine culturel menacé par les guerres et les catastrophes naturelles). Mais la détermination dominante est stratégique : militaire (avec une base navale), et économique. Mayotte, dans l’archipel des Comores, se situe à l’entrée du canal du Mozambique, un des principaux axes du commerce mondial, « un espace de compétition » empreint des crises internationales. L'île permet de définir une des Zones d’Économie Exclusive en tension avec ses voisines, un des points de la présence de la France sur six des sept continents et sur les trois plus grands océans de la planète, dont fait partie l'océan Indien. Dont acte. Mais cette supposée "grandeur de la France" suppose-t-elle le dénuement de populations entières, considérées comme citoyens de seconde ou troisième zone, et dans le mépris de leur histoire et de leur culture ? C'est à cette question, et à nulle autre, que le désastre du cyclone Chido est venu sommer l’État français de répondre.


Isabelle Favre

 

NOTES 

(1). "La compétence de l’eau n’est pas exercée par l’État. Elle est exercée par les collectivités locales et les élus locaux", déclaration du ministre délégué aux outre-mer, Philippe Vigier en septembre 2023.

(2). Communiqué de presse, Services de l’État à Mayotte, 21/01/25 (ICI).

(3). "Crise de l’eau à Mayotte : les lourdes responsabilités de l’État", enquête de Nathalie Guibert et Jérôme Talpin pour Le Monde du 20 octobre 2023 (ICI).

(4). Voir "Le Parc naturel marin de Mayotte", Office français de la biodiversité (ICI). Et "Alerte environnementale après Chido : les experts se mobilisent pour la biodiversité de Mayotte", article de Martine Hangard pour le Journal de Mayotte, 14 février 2025 (ICI).

(5). "Avec la pénurie d’eau, Mayotte s’enfonce dans une crise "hors norme : « Ce n’est plus vivable, les nerfs vont lâcher »", article de Jérôme Talpin pour Le Monde du 30 septembre 2023 (ICI).

(6). Le 10 avril 2023, la présidence des Comores disait dans un communiqué : « Les promesses électorales faites à Mayotte d’une "action spectaculaire" de destruction de bidonvilles et d’expulsion de leurs habitants, jugés en situation irrégulière, ne doivent pas aller dans le sens de la déstabilisation de toute une région […] dans un monde confronté à de nombreux défis sanitaire, économique, écologique et sécuritaire. » (ICI)

(7). « A Mayotte, les Comoriens ne sont pas des étrangers ». "L’ethnologue Sophie Blanchy rappelle les liens intimes entre Mayotte et les Comores au moment où Paris lance une vaste opération d’expulsion de migrants clandestins", Le Monde, 25 avril 2023 (ICI).

(8). Nassuf Djailani dirige les éditions project’îles https://www.editions-projectiles.com/%C3%A0-propos. A écouter : "Mayotte, raconter le chaos et les inégalités avec le poète Nassuf Djailani", France Culture, 21 décembre 2024 (ICI). Et aussi : Naître ici (2019), aux éditions Bruno Doucey (ICI).

(9). L'architecte Patrick Bouchain appelle à « réemployer toute l'invention sociale des gens qui ont inventé un mode de vie social qu'on a appelé le bidonville. C'est devenu un bidonville parce que n'y avait ni l'eau ni l'assainissement, mais ça n'était pas un bidonville au sens d'une "ville bidon", c'était un bidonville parce que ça devenait un cloaque. » (entretien publié par les humanités le 13 février 2025 : https://www.leshumanites-media.com/post/entretien-avec-patrick-bouchain-01-ensemble

(10). Voir "« Racisme » et « souveraineté » à Mayotte : après le cyclone Chido, les plaies à vif entre les Comores et la France", article de Morgane Le Cam, Le Monde, 28 Décembre 2024 (ICI).

(11). Patrick Chamoiseau, FAIRE-PAYS - Éloge de la responsabilisation, Éditions Le Teneur, 2023. Lire aussi, de Patrick Chamoiseau, sur les humanités : "Pour faire front poétique", publié le 28 juin 2024 (ICI).

(12). Voir "Les Comores, une histoire mouvementée", publié le 21 mars 2019 sur le site de RFI (ICI).

(13). "Mayotte vue des Comores, 50 ans après le référendum", publié le 22 décembre 2024 sur le site de RFI (ICI).

(14). Tribune publiée par Architecture d’aujourd’hui (ICI), signée par Cyrille Hanappe, architecte-ingénieur, directeur scientifique du DSA « Architecture et risques majeurs » à l’École nationale supérieure d’architecture Paris-Belleville et associé de l’agence d’architecture AIR, Dominique Tessier, architecte et directeur du CAUE de Mayotte, Nathalie de Loriol, ex-DGA de la Ville de Mamoudzou et secrétaire générale de l’association Art.Terre, Ludovic Jonard, architecte et directeur exécutif d’Architecture & Développement, Association des Architectes des Risques Majeurs.

 

Un plan pour Mayotte, avec Mayotte

éditorial, par Jean-Marc Adolphe


Au fond, ce n'est pas si compliqué. Vouloir, c'est pouvoir ("quand on veut, on peut") et pouvoir, c'est vouloir.

Dès le lendemain du dévastateur cyclone Chido, les habitants de Mayotte étaient à pied d'oeuvre pour reconstruire ce qui fut détruit. Abris précaires, mais abris quand même. Or, cette énergie créatrice, cette inventivité bâtisseuse, l’État français a tout fait pour l'entraver, interdisant la vente de certains matériaux "de fortune", menaçant de détruire (dans la continuité de "l'opération Wahumbushu" menée il n'y a pas si longtemps par le hussard Darmanain) les "bidonvilles" restaurés à la hâte. Pour humilier une population qui a déjà tant souffert, on ne saurait mieux faire.


C'est toujours la faute des pauvres. Certains gouvernementaux et politiques désormais lepénisés n'ont-ils pas, au lendemain même de Chido, incriminé les "immigrés clandestins", naturellement responsables du désastre plus sûrement que le réchauffement climatique. Ces mêmes irresponsables (les Retailleau, Valls et autres), pour dissimuler leur impuissance crasse (non exempte de post-colonialimsme coriace), poursuivent dans cette voie tellement commode du bouc émissaire. Pour régler les problèmes de Mayotte, il suffirait donc d'y supprimer le droit du sol : nul doute qu'une telle mesure radicale garantira l'accès à l'eau potable pour les Mahorais, dont parle Isabelle Favre dans l'article ci-dessus !


Le droit du sol fait pourtant partie de notre Constitution, mais Mayotte, qui est si loin, souffrira bien l'exception... avant que l'exception ne devienne ici-même la règle, comme le demande à corps et à cris le Rassemblement national.


Loin d'être un "non-lieu", Mayotte est un Lieu de ce monde, que les aléas de l'Histoire ont rattaché à la France. « Le "Lieu" n'est pas ce "territoire" géographique que consitue une terre natale », écrit Patrick Chamoiseau dans Faire pays, ci-dessus mentionné. « Plus vaste et bien plus complexe qu'elle, composé d'autant d'assises topographiques que de substances sensibles, le "Lieu" enveloppe la terre natale, la dépasse par la vie de l'esprit, et constitue ainsi le seuil inaugural à partir duquel le monde nous appelle, nous concerne pour ainsi dire, et s'ouvre aux aventures de notre vie ». Or, ajoute Patrick Chamoiseau, « sans pensée politique, aucun Lieu n'atteint à sa maturité. »


Quelle "pensée politique" permettra à Mayotte d'atteindre sa "maturité", en se reconstruisant ? Là encore, ce n'est pas très compliqué. Dans l'esprit d'une architecture à "Haute Qualité Humaine" que défend Patrick Bouchain (lire ICI), et comme l'écrivent les membres de l'Association des Architectes des Risques Majeurs, qui prennent exemple sur la façon dont plusieurs villes d'Amérique du Sud ont réussi à résorber des bidonvilles, cela passe « par l’accompagnement individualisé des habitants vers l’amélioration progressive de leurs logements, par le confortement des quartiers, des cheminements et des espaces publics, par la mise en place de réseaux d’eau, d’électricité et d’assainissement, et par la sécurisation foncière ».


On entend bien que la tentation gouvernementale pourrait être, par exemple, de confier le chantier de reconstruction de Mayotte au groupe Bouygues, comme cela fut fait auparavant, pour le réseau d'eau, au groupe Vinci, qui a empoché l'argent sans respecter le contrat (et à qui, rêvons un peu, pourraient être demandés des dommages et intérêts).


Le général Pascal Facon, ex-commandant de l'opération Barkhane,

chargé de coordonner la "reconstruction" de Mayotte. Photo Ministère des Armées.


Sur place, à Mayotte, écrit Les Échos, « l'ampleur de la tâche [de reconstruction], fait s'interroger sur la capacité du tissu des entreprises mahoraises à y répondre. Dans la construction, les acteurs sont surtout des PME en phase de structuration ». Les travaux, qui pourraient dépasser un milliard d'euros, selon Manuel Valls, ont été placés sous l'autorité d'un général 4 étoiles, le général Pascal Facon, qui n'y connaît strictement rien en BTP, mais a été le commandant en chef de l'opération Barkhane au Sahel. Une telle nomination en dit long sur les intention des l’État français à Mayotte !


Au lieu de cela : le taux de chômage est, à Mayotte, de 37%, et dépasse même 50% chez les 15-29 ans. Selon les estimations, sur une population de 290.000 habitants, il y aurait actuellement 50% "d'étrangers" (originaires à 95% des Comores), et parmi eux, 43.000 "clandestins" : bien loin de la "submersion migratoire" que dénonce François Bayrou. Il s'agit là d'une potentielle "main d'oeuvre" locale qui, moyennant contrats de travail en bonne et due forme (et formation si nécessaire), pourrait être le ferment d'une "reconstruction" de Mayotte, via des chantiers élaborés en concertation avec les habitants, sous l'autorité, pourquoi pas, d'une instance collégiale où pourraient notamment siéger certaines des personnes (les architectes de l'Association des Architectes des Risques Majeurs, qui œuvrent déjà sur le terrain, le poète Nassuf Djailani, la vice-présidente de la Ligue des Droits de l'Homme, etc.) que cite l'article d'Isabelle Favre. Pour reconstruire en commun, et en dignité.


Jean-Marc Adolphe

 

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