Ce 2 novembre à la COP26, une centaine de pays se sont engagés à interrompre la déforestation d’ici 2030. Vraie bonne nouvelle ou effet d’annonce ? Par ailleurs, cinq pays et plusieurs fonds de dotation se sont engagés à verser près d’1,5 milliard d'euros pour soutenir les peuples autochtones dans leur rôle de protecteurs de la terre et d'alliés dans la lutte contre le changement climatique. Ce qui est nouveau, c'est que cet argent ira directement aux organisations représentatives des peuples autochtones.
Au nom des humanités, je suis fier que nous ayons, ces dernières semaines, fait écho au combat des communautés indigènes pour préserver leurs territoires de la déforestation, et donc des activités extractives et de l’élevage intensif qui en sont largement responsables.
Fiers d’avoir souligné, dès le 7 juin, l’importance des mingas indigènes dans le vaste mouvement social qu’a connu la Colombie lors du printemps dernier (ICI), et d’avoir dénoncé sans relâche les assassinats, déplacements forcés et persécutions dont les communautés indigènes sont victimes dans ce pays.
Fiers d’avoir parlé de Sonia Guajarara, de Teresita Andazú, de Berenice Sarataya et de la part déterminante prise par les femmes dans les mouvements indigènes en Amazonie (Lire ICI et ICI).
Fiers d’avoir célébré l’élection à la présidence de l’Assemblée constituante, au Chili, d’Elisa Loncon, universitaire Mapuche (ICI)
Fiers d’avoir informé sur le droit d’exister des « peuples disparus » en Argentine, au Chili et en Uruguay (ICI), sur le peuple Embera en Colombie (ICI), sur le combat des Wampis au Pérou contre un projet d’extraction pétrolière (ICI), sur la lutte de tisserandes indigènes au Mexique pour ne pas âtre spoliées de leurs traditions (ICI), etc.
Fiers d’avoir fait écho à une tribune de l’écologiste américain Peter Seligman : « Les peuples autochtones, gardiens de la Terre » (ICI).
Fiers d’avoir relevé la motion historique votée le 10 septembre 2021 par le congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature pour préserver l’écosystème amazonien et reconnaître les droits des communautés qui y vivent, en relayant la voix de José Gregorio Diaz Mirabal, délégué général de la Coordination des Organisations Indigènes du Bassin Amazonien (ICI).
L’Amazonie, en proie à la déforestation. Photo Ueselei Marcelino / Reuters.
Un accord pour stopper la déforestation
Ce mardi 2 novembre 2021, lors de la COP26 à Glasgow, plus de 100 dirigeants mondiaux, représentant plus de 85 % des forêts de la planète, se sont engagés à interrompre et inverser la déforestation et la dégradation des terres d'ici à 2030. Parmi ces pays : le Canada, la Russie, le Brésil, l'Indonésie ou encore la République démocratique du Congo. Et douze pays, dont la France, se sont engagés à mobiliser conjointement 12 milliards de dollars de fonds publics d’ici 2025, auxquels devraient s’ajouter plus de 7 milliards de dollars d'investissements privés.
C’est une victoire, et la lutte constante des peuples autochtones n’y est pas pour rien.
Attention, toutefois, à ne pas s’emballer trop vite. Pour Carolina Pasquali, directrice exécutive de Greenpeace Brésil, « Il y a une très bonne raison pour que Bolsonaro se soit senti à l'aise en signant ce nouvel accord. Il n'est pas contraignant et permet une autre décennie de destruction des forêts. Pendant ce temps, l'Amazonie est déjà au bord du gouffre et ne peut pas survivre à des années de déforestation supplémentaires. Les peuples indigènes demandent que 80% de l'Amazonie soit protégée d'ici 2025, et ils ont raison, c'est ce qu'il faut. »
« Tant que nous ne mettrons pas un terme à l'expansion de l'agriculture industrielle, que nous ne commencerons pas à adopter des régimes alimentaires à base de plantes et que nous ne réduirons pas la quantité de viande et de produits laitiers industriels que nous consommons, les droits des peuples autochtones continueront d'être menacés et la nature continuera d'être détruite », poursuit Ana Jones, autre activiste de Greenpeace.
Rien ne garantit d’autre part que les fonds annoncés soient utilisés à bon escient, et non sous forme de compensation d’atteintes à la nature. En République Démocratique du Congo, un moratoire sur les nouvelles concessions forestières a été levé par le gouvernement en juillet, et les militants craignent que l'offre d'argent frais ne soit pas subordonnée au rétablissement de l'interdiction. « Tout nouvel argent ne devrait être offert au gouvernement de la RDC que si l'interdiction de nouvelles concessions forestières est rétablie », prévient un militant de Greenpeace Afrique.
Jeune indien Yawalapiti au Brésil. Photo Ueselei Marcelino / Reuters.
Les peuples autochtones, gardiens des forêts
Même si c’est loin d’être suffisant, une autre annonce faite ce jour à Glasgow replace les peuples autochtones au centre des discussions et relance leur rôle de gardiens des forêts. Le Royaume-Uni, la Norvège, l'Allemagne, les États-Unis, les Pays-Bas et 17 donateurs américains se sont en effet engagés à verser 1,47 milliard d'euros pour soutenir les peuples autochtones d'ici à 2025 dans leur rôle de protecteurs de la terre et d'alliés dans la lutte contre le changement climatique. Ce qui est nouveau, voire « historique » disent certains, est que cet argent ira directement aux peuples et communautés autochtones qui composent l'Alliance mondiale des communautés territoriales (GATC), une coalition d'organisations d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie, qui représente 35 millions de personnes de 24 pays. Cet argent aidera les peuples indigènes et les communautés locales à consolider les activités sur leurs territoires, à renforcer leurs structures, à acquérir la technologie nécessaire pour cartographier leurs terres, à enregistrer et à acheter des biens, et à protéger leurs membres des menaces en tant que défenseurs de la nature.
« L'essentiel est que ce financement n'aille pas aux grandes fondations de conservation, qui sont celles qui accumulent généralement les principaux dons, mais qu'il atteindra les petites communautés », explique Tauli-Corpuz, activiste autochtone de l'ethnie Igorot aux Philippines, qui fut présidente de 2005 à 2010 de l’Instance permanente de l’ONU sur les questions autochtones : « C'est la première fois que nous voyons une réponse mondiale à nos demandes. (…) Il n'y a pas de solution aux problèmes de la nature sans les populations autochtones au centre. »
Les peuples indigènes et les communautés locales gèrent la moitié des terres et prennent soin de 80% de la biodiversité de la planète. Malgré cela, une étude récente a montré qu'ils reçoivent moins de 1 % des fonds consacrés au niveau mondial à la réduction de la déforestation. L’annonce faite aujourd’hui à Glasgow reste d’une portée limitée, face à l’étendue du problème, mais elle crée un précédent qui, loin de calmer les revendications des peuples autochtones, ne peut que les encourager à poursuivre, dans une détermination active, celle du vivant. Et nous, à les soutenir.
Jean-Marc Adolphe
Photo en tête d’article : Une pirogue en Amazonie équatorienne. Photo Caroline Bennett/Amazon Watch.
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