Les océans couvrent 70% de la planète, et il y a du souci à se faire à leur sujet. Le One Ocean Summit débute à Brest, ce 9 février. Enjeux et analyses. Et en prime : portrait d’un ostréiculteur bio : « sans qualité de l’eau, je ne peux pas faire mon métier »
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A peu près comme dans le corps humain (qui en contient 65%), l’eau est partout. Celle des océans occupe 70% de la surface de la Terre -assez mal nommée, en l’occurrence, il faudrait systématiquement dire « planète », qui ne vient pas comme on pourrait le croire du latin plattus (large, étendu) qui a donné le mot « plat », mais du grec planêtès, qui veut dire « errant ». Bref, on s’y perd. Les océans aussi s’y perdent. En tout cas, ils ne vont pas très bien, comme le reste des écosystèmes.
Ce mercredi 9 février commence à Brest le One Ocean Summit, prélude à d’autres rendez-vous internationaux au cours de l’année 2022 :
-en mars, sous l’égide de l’ONU, doit être discuté au Kenya le futur accord mondial de lutte contre la pollution plastique des océans.
-La conférence intergouvernementale pour un possible traité consacré à la préservation de la biodiversité en haute mer se réunit à New York. Les Nations unies se sont engagées à négocier un traité international, qui doit être finalisé lors d’une conférence organisée du 27 juin au 1er juillet.
Lors du One Ocean Summit qui débute à Brest, scientifiques, acteurs économiques et régionaux se réunissent pour empêcher la « destruction de la biodiversité », selon les mots d’Emmanuel Macron, qui est pourtant le premier à vouloir mettre l’accélérateur sur l’exploitation des ressources minérales sous-marines, au grand dam de Greenpeace et d’autres ONG. C’est un invariant du « en même temps » cher à Jupiter : je vous vais croire que tel ou tel sujet me préoccupe vraiment, et en même temps je fais tout le contraire de ce que je dis. Et c’est toujours cap au pire.
Pour comprendre les enjeux de ce One Ocean Summit, quelques lectures conseillées :
- Sur le site de francetv.info : « pourquoi l'océan est au cœur du climat depuis toujours ».
- Sur Géo : « Maud Fontenoy, ambassadrice au One Ocean Summit : "Quand on détruit la mer, on détruit des solutions pour la survie de l'Homme" »
- Sur Reporterre : « Les six enjeux (et oublis) du One Ocean Summit »
Charles Braine, de l'association Pleine Mer. Photo Didier Deniel.
Parallèlement au One Ocean Summit, se tient à Brest un « contre-sommet » organisé par Les Soulèvements de la mer. L’association Pleine Mer, fondée par Charles Braine, y participe.
Pourquoi, au nom de votre association Pleine Mer, rejoignez-vous, ce week-end «Les Soulèvements de la mer» ?
Charles Braine : « On en a assez des beaux discours, ras le bol de ces États qui nous rabâchent qu’ils protègent leur environnement et qu’ils ont compris les enjeux. Il va présider ce sommet international mais qu’a fait Emmanuel Macron pendant ses cinq ans de mandat ? La France fait partie des plus mauvais élèves en matière d’application des grands engagements de Paris ou d’ailleurs.
Il y a vraiment tout à jeter de ce sommet officiel ?
Il y aura d’excellents ateliers préparatoires, des intervenants de qualité et de très beaux discours mais au final, qu’en ressortira-t-il ? Si, probablement une intensification de l’exploitation industrielle de sites jusqu’alors inexploités. On connaît le double discours de Macron en la matière. On a vu. Les États sont à l’affût de nouvelles opportunités de croissance et le maritime fait partie des espaces à exploiter.
Un sommet à double détente, selon vous ?
Non seulement, on peut craindre une absence de protection ou de sanctuarisation de certains espaces maritimes mais surtout une intensification de l’exploitation des océans par les grands groupes. On l’a assez vu pour la pêche avec le pillage des quotas par les plus gros armements.
Pourquoi un tel décalage, selon vous ?
Ils ont besoin de rassurer l’opinion publique, d’expliquer qu’ils sont conscients des enjeux écologiques mais pour faire quoi au final ? C’est une logique qu’on observe depuis des années, avec toujours des opportunités économiques qui l’emportent.
La conquête des régions maritimes extrêmes vous inquiète-t-elle ?
Le nouvel Eldorado, c’est l’Arctique, un espace maritime sensible qu’il faut, au contraire, préserver. Toutes les grandes puissances maritimes veulent y être. Alors qu’on ignore tout des conséquences qu’une surexploitation des océans peut engendrer.
Vous avez été patron pêcheur pendant quatre ans. Pourquoi vous engagez, aujourd’hui, au sein de votre association Pleine mer et qu’attendez-vous, en parallèle, de votre engagement politique ?
Je connais bien l’univers de la pêche et ses mécanismes. Je veux favoriser l’économie locale, l’emploi sur le littoral, les circuits courts et tenter de faire bouger les choses pour sortir des vieux schémas que plus personne ne veut. L’association Pleine mer, grâce à son permanent Thibault Josse, agit concrètement sur le terrain, au-delà des grands discours. À côté de cela, sur le plan politique, je m’efforce de rassembler les forces de gauche pour m’opposer à Richard Ferrand et porter la voix de la petite pêche à l’Assemblée nationale ».
Propos recueillis par Stéphane Jézéquel, Le Télégramme du 4 février 2022.
Des histoires parallèles
Parallèlement au One Ocean Summit, les humanités publieront, du 10 au 12 février, plusieurs histoires maritimes. Pour commencer :
Samuel Loire, un ostréiculteur qui soigne son environnement
(article de Céline Le Strat, paru dans Le Télégramme du 3 février 2022)
Samuel Loire, ostréiculteur à Locoal-Mendon (56), est aussi attentif à ses huîtres que l’eau dans laquelle elles grandissent (Le Télégramme/Céline Le Strat)
« On dit souvent que l’on est les sentinelles de la qualité de l’eau et c’est vrai, on en est les garants ». Samuel Loire, 31 ans, cogérant des Huîtres Papytaine à Locoal-Mendon (56), passe ses journées pieds et mains dans la ria à observer, guetter l’eau. Animateur environnement, garde du littoral, accompagnateur de montagne à son CV, cet amoureux de la nature s’est associé en 2018 à son père, Jérôme, ostréiculteur depuis 1993 et militant pour la préservation de son milieu.
Il a fait partie des précurseurs en mettant sur la table le thème de la qualité de l’eau à une époque « où on n’était pas nombreux à prendre du temps pour ces problématiques. Aujourd’hui, il y a une plus grande prise de conscience », assure le créateur de l’exploitation. À commencer par son fils, « imprégné par son milieu » et l’absolue nécessité de le préserver, la vie de ses huîtres et donc la stabilité de son entreprise en dépendent, « sans qualité de l’eau, je ne peux pas faire mon métier ».
Les Huîtres Papytaine ont obtenu le label bio en 2017. Une démarche commerciale mais aussi politique. « Ce label, c’est un symbole. L’eau devrait être systématiquement bio, complètement saine, comestible à 100 %, mais ce n’est pas le cas. Elle est polluée par des microplastiques, des résidus pharmaceutiques », analyse Samuel Loire. Il n’a pas de prise directe sur son milieu, alors il utilise ses seules armes : la pédagogie et le dialogue.
Il évolue au sein du syndicat ostréicole de la ria d’Étel, « parmi les plus actifs de France », ou encore à la fédération indépendante de conchyliculture, créée cet été et dont il est secrétaire. « Avec les agriculteurs de la ria d’Etel, il y a de belles avancées. Mais il peut toujours y avoir des pollutions agricoles, des actes isolés volontaires ou pas ». Le trentenaire intervient dans les écoles, fait venir les enfants sur l’exploitation pour les sensibiliser.
Samuel Loire exerce selon lui un métier du monde d’après, « car notre impact est principalement vertueux, il n’y a pas d’intrant, les parcs créent même de nouvelles niches pour l’écosystème ». Mais des défaillances du réseau d’assainissement, par exemple, peuvent entraîner des contaminations comme le norovirus. Alors, Samuel Loire plaide pour la généralisation des toilettes sèches afin de préserver voire améliorer la qualité de l’eau. « Nous faisons de la matière organique et de l’eau une source de problème, alors que cela devrait être une source de richesse. La matière récupérée des toilettes sèches pourrait être utilisée comme engrais, on en manque en plus ».
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