Une gazelle Chinkara se rafraîchit dans le plumage d'un paon dans un centre de secours pour animaux par une chaude journée d'été
à Bikaner, au Rajasthan, en Inde, le jeudi 23 mai 2024. Photo/Dinesh Gupta / AP
Il pleut et il fait gris, et alors ? Attendons la saint-Médard, ou la saint-Barnabé, pour voir ce que l'avenir nous réserve. Cette question, on ne se la pose plus en Inde, avec plus de 50° Celcius ces derniers jours, où sur l'île de Gardi Subdug, dans la mer Caraïbe, d'où ont été évacués tous ses habitants, premiers déplacés climatiques d'Amérique centrale. Aux États-Unis, le Vermont est le premier État à avoir voté une loi pour faire payer les pollueurs, et en Alaska huit jeunes activistes attaquent en justice un projet d'exportation gazière. Pendant ce temps bien calés dans leurs canoës, les habitants de Belen, en Amazonie péruvienne, ont assisté à un festival de cinéma flottant, voulu comme "un hommage aux jungles du monde, à leurs habitants et aux communautés indigènes". Juste un tout petit peu moins médiatisé que le festival de Cannes, qui se tenait aux mêmes dates.
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AVERTISSEMENT. Faute de moyens, nous ne sommes plus en mesure, pour l'heure, de produire un "autre journal du dimanche" au format d'un magazine numérique. Faute de moyens, mais pas seulement : si les deux premiers numéros avaient attiré la curiosité d'environ 500 lecteurs-internautes, notre dernier numéro a réuni moins de 75 lecteurs. C'est donc un constat d'échec : nous n'avons pas réussi à faire partager notre désir d'un journalisme différent. C'était beaucoup de temps, et d'engagement bénévole (hors réalisation graphique). Mais contre un tel verdict, on ne peut rien : visiblement, nous étions à côté de la plaque. La chronique qui suit est ce qui reste, en pièces détachées (et incomplètes) de ce que nous avions commencé à faire mijoter. La rédaction des humanités / journal-lucioles.
Les carolomacériens ont le moral en berne. C’est une information dont personne ne parle, à la part le quotidien régional L’Union (édition du 1er juin 2024). Pour qui l’ignorerait, les carolomacériens habitent Charleville-Mézières, dans les Ardennes françaises. Et à Charleville-Mézières, depuis le début de l’année, on a enregistré 427,6 heures de soleil en 150 jours soit environ 2 h 51 de soleil par jour. Et le moral baisse en même temps que les températures ambiantes, les pensées du jour se mettent au diapason de la grisaille nuageuse, etc. Pour qualifier les "troubles dépressifs" qu’une telle "météosensibilité" peut engendrer, des psychologues américains ont même inventé un nouveau bazar : le Seasonal Affective Discorder (DAS), en français le "désordre affectif saisonnier". Et ça se soigne, docteur ? Oui : il faut prendre son mal en patience et attendre le retour du soleil.
Saint-Médard contre Saint-Barnabé
Sur ce que l’avenir nous réserve, il faut attendre quelques jours, le 8 juin. Ce jour-là, s’il pleut, c’est mal barré, parce que le 8 juin, c’est jour de Saint-Médard, et s’il pleut à la Saint-Médard, c’est parti pour 40 jours de pluie, jusqu’au 14 juillet. Attention, il y a quand même un joker, qui s’appelle Saint-Barnabé. S’il fait très beau ce jour-là, qui tombe le 11 juin, alors la tendance s’inverse, et c’est grand beau temps jusqu’à la mi-juillet. Autant dire que les prochains jours vont être décisifs !
Ceci dit, les dictons liés à la sainte météo sont-ils encore d’actualité ? Même s’il ne faut pas confondre météo et climat, on pourrait dire que globalement, ça part en quenouille. On ne le dira pas, de crainte d’être taxé de machisme déplacé : la quenouille, dont on ne parle plus guère que dans les contes de fées, était une tige jadis utilisée pour filer la laine, symbole par excellence du travail féminin. L’expression tomber en quenouille est alors venue à désigner des biens qui passaient par succession entre les mains d’une femme. Et c’est ainsi que les juristes du Moyen Age, qui étaient loin d’être des féministes, ont modifié les règles de succession au trône de France afin de s’assurer que le royaume ne puisse jamais "tomber en quenouille"… c’est-à-dire que jamais une femme ne puisse monter sur le trône.
Pendant la canicule, des tireurs de pousse-pousse dorment à l'ombre d'une ligne de métro aérienne à Lucknow,
en Inde, le lundi 27 mai 2024. Photo Rajesh Kumar Singh / AP
Quenouille ou pas, le climat file un mauvais coton. Pour s’en rendre compte, il ne suffit pas de voir midi à sa porte, mais d’aller regarder sur le palier d’à-côté. En Inde, par exemple, où ces derniers jours, le thermomètre a allègrement dépassé les 50° ceclcius, laisant de mombreuses victimes...
Et les îliens, ils vont où ? Parce que la montée des eaux, ce n’est déjà plus de la fiction. En Inde, toujours, Yaad Ali, Monuwara Begum et leur fils, Musikur Alam, vivent à Sandahkhaiti, un village insulaire sur le fleuve Brahmapoutre, dans l'État d'Assam, considéré comme l'une des régions du monde les plus vulnérables au changement climatique.
A gauche : des piments sèchent sur le sur le toit de la maison de Yaad Ali et Monuwara Begum, à Sandahkhaiti,
un village insulaire flottant sur le fleuve Brahmapoutre dans le district de Morigaon, dans l’Etat d’Assam, en Inde, le jeudi 25 avril 2024.
A droite : la même maison, le 29 août 2023. Photos Anupam Nat / AP
Leur île, comme deux mille autres sur le fleuve, est inondée avec une férocité et une imprévisibilité croissantes. La famille déménage à chaque inondation et revient dans sa maison à chaque saison sèche. Pendant la saison sèche, Ali et sa famille cultivent des piments rouges, du maïs et quelques autres légumes dans leur petite ferme de l'île. De quoi subsister. Comme la plupart des habitants de l'île, l'agriculture est leur gagne-pain. On estime à 240.000 le nombre de personnes vivant dans le district de Morigaon, où se trouvent certaines des îles fluviales, appelées Chars, qui dépendent de la pêche et de la vente de produits tels que le riz, le jute et les légumes provenant de leurs petites exploitations.
Lorsqu'il pleut, la famille reste aussi longtemps qu'elle le peut, vivant dans l'eau jusqu'aux genoux à l'intérieur de leur petite hutte, parfois pendant des jours. Ils cuisinent, mangent et dorment, même si l'eau de la rivière monte. Mais parfois, l'eau engloutit leur maison, les obligeant à fuir avec leurs biens. « Nous laissons tout et essayons de trouver un terrain plus élevé ou de nous rendre dans le camp de secours le plus proche », dit Monuwara Begum, la femme d'Ali. Mais « les camps de secours ne sont pas hygiéniques et il n'y a jamais assez d'espace ou de nourriture », ajoute Ali : « parfois nous ne recevons que du riz et du sel pendant des jours ».
Yaad Ali, son fils Musikur Alam et sa femme Monuwara Begum se reposent à Sandahkhaiti, un village insulaire flottant
sur le fleuve Brahmapoutre, en Inde, le 25 avril 2024. Photo Anupam Nath / AP
Comme de nombreuses familles des Chars, Ali et les siens n'ont pas les moyens de s'installer de façon permanente et se résignent à faire des allers-retours entre le "camp de secours" et leur village. Un terrain permanent dans une région plus sûre de l'État pourrait être la solution à leurs problèmes, poursuit Ali. Mais bien que les gouvernements locaux en aient parlé, seuls quelques habitants des îles fluviales se sont vus offrir des droits fonciers. « Personne ne se préoccupe de nos problèmes », conclut Ali. « Tous les partis politiques promettent de résoudre les problèmes liés aux inondations, mais après les élections, plus personne ne s'en préoccupe. » La probable rélection du Premier Ministre Narendra Modi, 73 ans, à l'issue de six semaines d'élections générales, ne devrait donc rien changer...
En mer Caraïbe, les premiers déplacés climatiques
Au large des côtes panaméennes, en mer Caraïbe, la petite île de Gardi Subdug (photos ci-dessus) hébergeait jusqu'à présent 300 familles indigènes de l'ethnie Guna. C'est terminé. Le risque de submersion devenant de plus en plus pressant, 1.351 personnes ont été déplacées et relogées à l'intérieur des terres, dans un petit village forestier sur le continent, à Nuevo Carti, au Panama. Il s'agit du premier déplacement humain dû au changement climatique dans toute l'Amérique latine.
Les Gunas (ou Kunas) de l'archipel San Blas sont une vingtaine de milliers, disposant de la citoyenneté panaméenne. Lors de la sécession du Panama en 1903, ils ont réussi à créer une confédération constitutionnelle, reconnue comme territoire à autonomie interne avec statut spécial par les lois panaméennes. La pêche et un peu de tourisme responsable étaient leurs principales ressources. Et maintenant ?
Dans l’Océan Pacifique, l’île de Nauru est considérée comme la plus petite république du monde. Les 10.000 habitants de cette île de 21 km2 se sont enrichis dans les années 1970 grâce à l’exploitation et l’exportation du phosphate. 20 ans plus tard, l’épuisement des réserves plonge l’île dans une faillite sans précédent. Après avoir gaspillé sa richesse et sa matière première, l'île de Nauru cherche à se reconstituer aujourd’hui une manne financière en hébergeant les migrants clandestins refoulés par l'Australie. Mais quel pays pourra accueillir à son tour les Nauruans le jour où ils devront fuir leur île dévastée ? A voir ci-dessous, "Nauru, l'île perdue", un film écrit et réalisé par Laurent Cibien et Pascal Carcanade.
Aux États-Unis, pendant le week-end précédent le Memorial Day (25 et 26 mai), les orages générateurs de tornades qui ont balayé les Plaines du Sud et les Monts Ozark ont tué au moins 21 personnes dans quatre États américains et détruit des centaines de bâtiments. Le bilan fait état d'au moins huit morts dans l'Arkansas, sept au Texas, quatre dans le Kentucky et deux dans l'Oklahoma.
Dans l'Iowa, des tornades ont littéralement couché des éoliennes géantes. "Les dégâts sont inhabituels, selon les experts, car les éoliennes sont construites pour résister à des conditions météorologiques extrêmes", commente The New York Times. A Phoenix, en Arizona, la ville la plus chaude des Etats-Unis, le nombre de décès dus à la chaleur a augmenté de... 1 000 % en dix ans, et les températures continuent de grimper. Selon des recherches récentes diffusées par The Washington Post, plusieurs régions de Californie, d'Arizona, du Nevada et du Texas vont subir ces prochaines années de fréquentes et longues pannes d'électricité causées par la surchauffe des équipements électriques...
Ce n'est qu'un début... Selon l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique, la prochaine saison des ouragans 2024 devrait être anormalement active, avec une conjonction de circonstances qui ne s'est jamais produite depuis le milieu du XIXe siècle : des températures record de l'eau dans l'Atlantique (l'océan est alors prêt à fournir du carburant supplémentaire à toute tempête qui se forme) et la formation potentielle d'un phénomène météorologique de type La Niña.
En Alaska, Summer Sagoonick, 22 ans, activiste de la nation Iñupiaq,
mène le combat contre un méga-projet d'exportation gazière. Photo DR
Aux États-Unis toujours, plus précisément en Alaska, huit jeunes plaignants, âgés de 11 à 22 ans, poursuive en justice l'Etat, qui a accordé une concession à la société Alaska Gasline Development Corporation pour un projet d'exportation de gaz de 38,7 milliards de dollars qui triplerait les émissions de gaz à effet de serre de l'État pendant des décennies. Ce projet Alaska LNG impliquerait la construction d'une usine de traitement du gaz sur le versant nord de l'État, d'un gazoduc de 800 miles et d'une usine de liquéfaction sur la péninsule de Kenai, qui préparerait le gaz pour l'exportation vers l'Asie. « L'accélération du changement climatique qu'entraînera ce projet affectera ce que la terre fournit et apporte à ma culture », déclare Summer Sagoonick, 22 ans, principale plaignante dans l'affaire et membre de la nation Iñupiaq. L'action en justice est portée par Our Children's Trust, un cabinet d'avocats à but non lucratif qui a remporté l'an dernier une victoire révolutionnaire en matière de climat au nom de jeunes Montanais. (voir ICI)
Our Children's Trust a également engagé des poursuites judiciaires à Hawaï - qui seront jugées en juin - ainsi qu'en Floride, dans l'Utah et en Virginie. Lundi dernier, elle a également déposé une plainte contre le gouvernement fédéral au nom des jeunes Californiens.
Traditionnellement ancré à gauche, l'État du Vermont a pour sa part adopté une loi obligeant les compagnies pétrolières à payer une partie des dommages causés par le changement climatique, après les inondations estivales catastrophiques et les dégâts dus à d'autres conditions météorologiques extrêmes qui ont frappé le Vermont l'an passé. C'est le premier État des États-unis à s'engager sur une telle voie (lire ICI).
Pas encore suffisant pour faire plier les multinationales pétrolières. Le président et le directeur principal d'Exxon Mobil viennent d'obtenir le soutien des investisseurs pour leur réélection malgré l'opposition d'actionnaires activistes préoccupés par le changement climatique. Même scénario en France : pour certains des actionnaires présents à la dernière assemblée générale de TotalÉnergies, le 24 mai dernier, qui a approuvé un "plan climat" qui poursuit les projets d’expansion pétrogazière de la multinationale les écologistes sont « des abrutis ». Le ministre de l’Intérieur, Gérard Darmanin, n’en pense sans toute pas moins. Après avoir qualifié "d’éco-terroristes" les militants des Soulèvements de la Terre opposés aux méga-bassines, il n’a pas cru bon de faire la moindre remontrance aux agriculteurs de la Coordination rurale du Gers qui s’en sont pris, en toute impunité, pendant une heure, dans la nuit du 25 au 26 mai, aux locaux d’un établissement public, l’Office français de la biodiversité (si Darmanin a laissé faire, cette action a toutefois été condamnée, pour la forme, par le ministre de la transition écologique)...
En Amazonie péruvienne, un festival de cinéma flottant
Des enfants se reflètent dans le miroir du vendeur Manolo Apagueno alors qu'il passe dans le quartier de Belen à Iquitos,
au Pérou, le samedi 25 mai 2024. Photo Rodrigo Abd / AP
Une histoire pour finir. Pendant le festival de Cannes, avait lieu au Pérou un autre festival de cinéma, un tout petit peu moins médiatisé. Au Pérou, et plus particulièrement à Belén, surnommée la "Venise de la jungle", au cœur de l'Amazonie péruvienne. Le festival du film flottant de Muyuna se veut « un hommage aux jungles du monde et à leurs habitants, aux communautés indigènes, dans lesquelles nous pensons que se trouve la réponse aux défis et à la destruction des forêts, à l'heure où tout le monde parle du changement climatique », selon son co-directeur, Daniel Martínez-Quintanilla.
A Belén, il n'y a pas de cinéma : les organisateurs du festival Muyuna (en langue quechua, muyuna signifie "un tourbillon formé par les rivières puissantes") ont installé l'écran sur une structure en bois de 10 mètres de haut, permettant aux habitants de regarder les films depuis des canoës. La vie dans la communauté de Belén tourne autour de l'eau. Les maisons et les commerces sont construits sur pilotis car les pluies provoquent régulièrement des inondations qui durent des mois. Les familles possèdent des canoës pour se déplacer, mais les enfants qui n'en ont pas utilisent parfois de grands récipients en plastique.
Projection pendant le festival du film flottant Muyuna, au Pérou, le dimanche 26 mai 2024. Photo Rodrigo Abd / AP
Une grande partie de la population de Belén vient des zones rurales de l'Amazonie péruvienne et fait partie de divers groupes indigènes, dont les Kukama, les Yagua et les Bora, qui ont émigré à la recherche de meilleures opportunités économiques, éducatives et sanitaires. Les défis sont nombreux. Les autorités sanitaires ont signalé que la malnutrition et la diarrhée sont courantes en raison du manque d'eau potable...
Projection pendant le festival du film flottant Muyuna, au Pérou, le dimanche 26 mai 2024. Photo Rodrigo Abd / AP
De nombreux spectateurs de ce festival qui a duré dix jours, du 15 au 26 mai, n'avaient encore jamais vu de film sur grand écran. Le festival Muyuna comprenait des films de Thaïlande, du Brésil, de Taïwan, du Panama et d'autres pays possédant des forêts tropicales, ainsi que d'autres films réalisés par de jeunes Péruviens. Parmi les œuvres projetées figurait le court métrage d'animation péruvien "Le moteur et la mélodie", qui raconte l'histoire d'une fourmi qui abat les arbres d'Amazonie et d'une cigale qui parvient à régénérer la forêt en jouant d'une flûte prodigieuse - jusqu'à ce que tout bascule lors d'un incendie de forêt...
Site du festival Muyuna : https://muyunafest.org/
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