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Présidentielle : les Bouzillons ajoutent leurs voix


Solange Barnier travaille dans les vignes depuis l’âge de 14 ans. Photo Stéphanie Jayet / L’Union


Les Bouzillons, ce sont les habitants de Bouzy, modeste commune de 867 habitants, dans la Marne, en Champagne, connue pour ses vignes de Pinot Noir. C’est un village qui, traditionnellement, vote à droite. Le quotidien L’Union est allé rendre visite aux Bouzillons, et c’est plutôt intéressant. Du journalisme de terrain, repris par les humanités dans le cadre de la série VU D’EN FRANCES, pour prendre le pouls de la France comment qu’elle va, avec bonheurs et déboires, depuis les territoires voire terroirs, avec le concours de la presse quotidienne régionale.


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VU D’EN FRANCES Reportage Catherine Frey pour L’Union Si les candidats à la présidentielle venaient à Bouzy pour un débat d’avant-premier tour, les habitants du village sauraient les accueillir, avec leurs spécialités locales et leurs préoccupations.

Un débat d’avant-premier tour organisé à Bouzy qui réunirait tous les candidats à la présidentielle aurait de l’allure. Il pourrait se tenir au Ballon Rond, le bistrot de ce village du vignoble champenois, histoire de montrer aux politiciens parisiens que c’est important de maintenir des lieux de vie dans les communes rurales.

Il est à parier qu’un nombre important d’habitants viendront débattre. Remi Brice et son employé Léon Elissalde apporteront une bouteille de Bouzy rouge, puisqu’ils savent le faire. L’un patron vigneron, l’autre vigneron tout court auront des choses à dire, mais pas les mêmes choses.

« Dans les vignes, quand on travaille, on écoute beaucoup les candidats. On installe des enceintes et tout le monde profite de leurs discours », raconte Remi. « Quand on les écoute en travaillant, ce n’est pas du tout pareil que quand on les écoute dans un studio d’enregistrement. Si Éric Zemmour lance qu’il va augmenter les petits salaires, j’ai mes gars qui me disent, ça, c’est à toi que ça s’adresse ! Tout cela pour dire qu’on est dans le concret, nous. »

Jean Sio, 70 ans, artisan retraité, Bouzillon depuis six générations.


Si Léon prend la parole face aux candidats, ce sera pour leur dire « d’arrêter de laisser les gens chez eux gagner autant d’argent que ceux qui vont travailler ». Il sera approuvé par une bonne partie de la salle de restaurant du Ballon Rond. Notamment par Jean Sio, 70 ans. Bouzillon depuis six générations, artisan retraité, Jean sera forcément là et ajoutera sa voix : « On donne des aides à des personnes qui n’ont rien fait pour la France et presque rien à nos personnes âgées. »Jean avait l’étiquette d’un « révolutionnaire » dans sa jeunesse. « Je me suis battu pour que les femmes d’artisans puissent avoir droit au congé maternité. J’étais à la chambre de métiers et au syndicat du bâtiment, la Capeb. » Quand il a pris sa retraite, il a eu du mal à transmettre son entreprise de peinture et décoration intérieure, alors il demande que la transmission des entreprises aux jeunes soit facilitée. Du moins à ceux qui ont envie de travailler, comme il dit. « Ils sont rares. On a pourtant un beau pays dans lequel on peut réussir en partant de rien quand on veut bien se donner un peu de mal. »

En parlant de jeunes, Pierre, responsable des achats pour une maison de champagne de Bouzy, et son collègue Guillaume, caviste, seront là pour dire un mot sur le pouvoir d’achat. Ils ont 28 ans tous les deux. « Il faudra faire un peu plus pour aider les jeunes à démarrer dans la vie, à se loger et augmenter les salaires des classes moyennes. On travaille, on gagne peu et on a droit à rien », déplore Guillaume, décidé à voter à gauche sans savoir encore pour qui.

Pierre ne manquera pas de donner en exemple son cas personnel : « Je gagne 1.700 euros net par mois. J’ai 600 euros de loyer et aucun droit aux APL. Quand je retire tout ce que je dois payer, il me reste 200 euros pour acheter à manger et presque rien pour m’accorder quelques plaisirs. » Lui aussi estime qu’il faut lutter contre l’assistanat : « Ceux qui sont au chômage ont le droit à tout. C’est trop intéressant de ne pas travailler en France. J’aimerais qu’on produise davantage dans notre pays et qu’ainsi tout le monde puisse avoir un emploi. » Pierre non plus ne sait pas à qui il donnera sa voix en avril : « Là tout de suite, non. Marine Le Pen dit des bonnes choses. Mais entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font quand ils arrivent au pouvoir… D’autres candidats disent des bonnes choses. Je me déciderai au dernier moment. »


Il n’y a pas que de riches propriétaires dans le vignoble champenois. Ce serait oublier les ouvriers qui travaillent toute l’année dans les galipes [En région Champagne, la galipe est une vigne employée dans la fabrication de certains vins, alors que dans le centre-ouest de la France, une galipe est un terrain mal cultivé, une terre pauvre - NdR]. « En ce moment, on taille la vigne puis on la lie pour qu’elle pousse correctement », décrit Solange Barnier, en faisant le geste de lier une branche.

Installée sur les hauteurs de Bouzy mais originaire du village voisin d’Ambonnay, Solange travaille dans les vignes depuis l’âge de 14 ans. « J’ai commencé par les vendanges puis, à 16 ans, j’ai appris le métier. » Jeudi 10 février, elle a rendez-vous pour calculer sa retraite, prévue pour juillet. « Je ne sais pas encore combien j’aurai. Elle sera sûrement petite. » La présidentielle n’y changera rien. « Je ne crois pas trop à tout ce qu’ils disent. Des fois ils rabâchent. Qu’ils pensent un peu à nos retraites alors j’irai voter. »

Gaëlle Point et Emilie Bonneti, employées à la boulangerie du village, défendent les classes moyennes

et dénoncent l’indifférence des candidats face au réchauffement climatique.


Après avoir testé le Bouzy rouge, « largement au niveau des vins de Bourgogne », vante Jean Sio, les candidats devront goûter un gâteau aux biscuits roses fait maison. C’est Émilie Bonneti et Gaëlle Point, toutes les deux employées à la boulangerie du village, qui l’auront apporté. Elles viendront aussi avec leurs préoccupations. « Ce serait bien qu’on arrête de prendre l’argent de la classe moyenne et qu’on dispatche correctement les choses. Il faudrait aussi une réforme convenable pour les retraités qui ont un salaire de misère », insiste Émilie. Si Yannick Jadot ou Anne Hidalgo sont présents, ils pourront finir leur gâteau à peu près sereinement, les autres se prendront un savon écologique de la part de Gaëlle : « C’est un sujet très important pour notre avenir et pourtant personne n’ouvre les yeux dessus. La politique continue comme si de rien n’était. Les glaciers fondent mais les politiciens s’intéressent au pétrole qu’il y a en dessous. Comme si le réchauffement du climat était anecdotique. »


Dans leur canapé respectif, quand la nuit est tombée à Bouzy, les deux boulangères regardent les joutes entre les candidats à la télévision, en l’occurrence celles entre Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon car les autres ne s’affrontent pas. Elles résument ces prestations à « du spectacle dans le but d’avoir une place ». « Quand on aura détraqué irrémédiablement le climat, il n’y aura plus de spectacle du tout », prévient Gaëlle.

Pour que les candidats quittent Bouzy avec un bon souvenir de la Champagne, Remi Brice leur offrira sans doute une bouteille de son vin à rapporter à Paris, en plus de quelques paroles de consolation. Toute relative la consolation : « Si on lit bien tous les programmes, on voit qu’il y a des bonnes idées dans chacun. La vérité, c’est qu’on attend un peu trop du Président. Ce n’est pas le général de Gaulle pour qui on vote ! »

Le Ballon Rond tire son rideau. Deux des candidats pourront revenir pour le débat d’entre-deux-tours s’ils le souhaitent. À bientôt Bouzy.


Pas touche à la loi Evin…

La loi Evin, qui encadre la publicité de l’alcool, est décriée par les vignerons. Le futur Président aura le pouvoir de la supprimer. « Surtout pas. On s’en plaint officiellement mais elle nous protège de toutes les demandes de sponsoring que nous aurions si elle disparaissait. Au moins, on peut dire non au Stade de Reims en disant que c’est à cause de la loi Evin. »

… ni à l’appellation

Le Président pourrait se mêler du périmètre de l’appellation champagne. « Il ne doit pas. Seul le président du syndicat des vignerons peut s’en mêler dans le but de préserver l’équilibre économique de la filière. S’il l’étend trop, il fait baisser le prix du raisin, si les rendements diminuent, il a le recours de l’étendre. »


Protéger les paysages

L’élection de Yannick Jadot serait un cauchemar dans le vignoble. « Ce serait dramatique pour beaucoup de viticulteurs. Ce qu’il imposerait conduirait à une baisse des rendements et donc de leurs revenus. On ne peut pas faire le bonheur des gens contre leur gré. » En revanche, la profession attend du Président qu’il protège les paysages : « La vigne est au viticulteur mais le paysage est à tout le monde. Il faut notamment empêcher son massacre par les éoliennes. »

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