Le patriarche Kirill, le très propagandiste chef de l’Église orthodoxe russe. Photo DR.
Près d’un an après que les humanités aient attiré l’attention sur l’Église orthodoxe russe de Paris, alias "la cathédrale de Poutine", une tribune parue ce 1er mars 2024 dans Le Monde s’indigne enfin de l’étrange mansuétude accordée à un "centre spirituel et cultuel" qui relaie en toute impunité la propagande du Kremlin, inféodé au patriarche Kirill, celui-là même qui, en février 2022, bénissait les missiles meurtriers qui allaient s’abattre sur l’Ukraine.
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Comme cul et chemise,
comme larrons en foire
J'ai vu se constituer tant d'associations
Mais il n'en reste qu'une au travers de l'histoire
Qui ait su nous donner toute satisfaction
Le sabre et le goupillon
(chanson de Jean Ferrat. Le sabre et le goupillon est une expression, attribuée à Georges Clémenceau, qui a vu le jour au début du XXe siècle. Le goupillon symbolisant ici l'église fait référence à un arrosoir dont les hommes d'Église se servaient pour répandre l'eau bénite).
Il était temps ! Voici près d’un an, dans un article publié le 16 avril 2023, les humanités attiraient l’attention sur l’étrange impunité dont bénéficie à Paris le fief de l’Église orthodoxe russe, la cathédrale de la Sainte Trinité, encore appelée Centre spirituel et culturel orthodoxe russe. Ou encore, plus couramment, "la cathédrale de Poutine".
« La cathédrale de la Sainte Trinité », écrivions-nous alors (lire ICI) « est le fief parisien de l’Église orthodoxe russe, complice active de la guerre d’agression russe en Ukraine, impliquée dans les déportations d’enfants. Au nom de "l’amour", le patriarche Kirill appelle les croyants à "s’armer" et à prier pour les combattants des "zones d’opérations militaires", en citant les "saintes écritures" : "la mort a été engloutie dans la victoire". Et tout cela est propagé en plein cœur de Paris, en toute impunité. (…) Les organes de propagande russe (tels RT et Spoutnik) ont été interdits mais l’Église orthodoxe russe de Paris peut, en toute impunité, relayer le discours de haine de Kirill qui, dès le 6 mars 2022, appelait à « lutter contre la globalisation et les valeurs libérales » et ne cesse de lancer des harangues contre « l’Occident dépravé ». (…) A la Cathédrale de la Sainte-Trinité, les apôtres du génocide ukrainien et des déportations d’enfants ont en quelque sorte "open bar", avec la bénédiction… de l’État français ».
Sur les déportations d’enfants, en effet, nous avions par ailleurs révélé, le 17 mars 2023, que des mouvements de jeunesse orthodoxe russes étaient impliqués dans les "camps de rééducation" où sont envoyés des adolescents ukrainiens déportés en Russie (Lire ICI). Ces différentes informations n’avaient alors pas fait grand bruit dans le Landerneau, et à l’exception de La Croix, aucun média français ne s’est semble-t-il intéressé à cette succursale du Kremlin en France.
Le couvercle de l’omerta finira-t-il par sauter ? Les signataires d’une tribune parue dans Le Monde ce 1er mars 2024 écrivent notamment :
« Comment accepter que le Centre spirituel et culturel orthodoxe russe, situé Quai Branly, qui constitue un rouage de la propagande russe sur notre territoire, conserve un statut d’exterritorialité diplomatique, obtenue sous la présidence de Nicolas Sarkozy avec l’aval de l’ancien Premier ministre François Fillon, et que son personnel jouisse de l’immunité qu’elle confère ? L’un de ses membres, en particulier, l’ancien ambassadeur russe en France, Alexandre Orlov, est connu pour ses activités dans le tissage de liens avec les propagandistes français du Kremlin. Il s’exprimait d’ailleurs encore publiquement le 31 janvier au Centre universitaire méditerranéen de Nice. Or 24 heures suffisent pour révoquer le statut diplomatique du Centre orthodoxe russe et déclarer ses membres personae non grata.
Enfin, au moment où le président de la République et les ministres des Armées et des Affaires étrangères dévoilent l’ampleur des opérations de désinformation visant la France, on ne peut plus différer les mesures les plus sévères prévues par la loi envers les ressortissants français qui, en raison de leurs relations rétribuées avec le Kremlin ou ses intermédiaires, continuent à servir de relais à sa propagande. »
A gauche : Alexandre Orlov, ambassadeur de Russie en France de 2008 à 2017 / Photo DR. A droite : manifestation à Nice,
le 31 janvier 2024, contre la conférence d'Alexandre Orlov. Photo Dylan Meiffret/ Nice Matin.
Alexandre Orlov, ambassadeur de Russie en France de 2008 à 2017, avait activement manigancé pour annexer abusivement au Patriarcat de Moscou la cathédrale orthodoxe Saint-Nicolas, à Nice, jusque-là gérée par une association indépendante. Organisatrice de la conférence du 31 janvier, la mairie de Nice avait refusé d’annuler l’événement, arguant que celui participait au dialogue "avec la société civile russe".
A Paris, l’Élysée entend visiblement ne pas toucher à la "cathédrale de Poutine", qui a ainsi toute latitude pour propager les appels haineux du patriarche Kirill contre "l'Occident décadent" ; contrairement à la Suède qui vient de supprimer ses subventions publiques à l’Église orthodoxe russe, soupçonnée de fournir des informations aux services de renseignement. « Selon les remarques des services de renseignement suédois, il semble que des représentants de la communauté religieuse aient eu des contacts avec des personnes travaillant pour les services de sécurité et de renseignement russes », indique dans un communiqué l’agence suédoise de soutien aux communautés religieuses, qui ajoute que l’Église orthodoxe russe ne cesse d’encourager « le soutien en faveur de l’invasion de l’Ukraine ».
Avec le soutien de ses ouailles parisiennes, c’est donc en toute sérénité que le patriarche Kirill pourra bénir depuis Moscou les missiles que Vladimir Poutine a menacé hier, dans son discours à la nation, de diriger sur les pays européens, comme il l’avait fait en 2022 pour les armes qui allaient tuer en Ukraine.
Jean-Marc Adolphe
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