A Vuheldar, dans la région de Donetsk, l’armée russe a connu une nouvelle débâcle, avec de nombreuses pertes, matérielles et humaines. La milice Wagner reste aux portes de Bakhmout, nonobstant la quantité de chair à canon qui est envoyée au casse-pipe. Evgueni Prigojine, qui ne peut plus recruter dans les prisons, fulmine contre la "bureaucratie militaire" russe, et laisse sur place les corps de ses combattants d’infortune, sans même prévenir leurs familles. Mais s’opposer à la guerre reste, en Russie, synonyme de trahison. Même des enfants ou adolescents sont condamnés et inquiétés, comme Varya, une collégienne de… 10 ans. Pendant ce temps, la déportation-adoption d’enfants ukrainiens en Russie continue. Un millier d’entre eux seront bientôt envoyés dans de nouveaux camps en Tchétchénie.
Pour grandir, ou simplement continuer, les humanités, média alter-actif et engageant, ont besoin de vous. Pour s'abonner : ICI.
Une ville en partie rasée, dont la périphérie est trouée de taches noires : des impacts d’obus d’artillerie. Rien ne prédestinait Vuhledar, (en ukrainien : Вугледар), modeste ville minière de 15.000 habitants (son nom signifie, littéralement, "don du charbon") dans la région de Donetsk, à entrer dans les livres d’Histoire. Fondée en 1964 pour exploiter une mine de charbon, Vuhledar a été prise pour cible de l’armée russe, dès le 24 février, premier jour de l’invasion de l’Ukraine, avec des bombes à sous-munitions, peut être des reliquats de vieux stocks soviétiques.
Photo : Vulhedar, fin janvier. Photo Libkos/Associated Press
L’accalmie n’a jamais été totale, mais à partir du 25 janvier dernier, de violents combats s’y sont déroulés, sans que l’armée de Poutine ait réussi à prendre ce bastion, à l'intersection du front oriental de la région de Donetsk et du front méridional de la région de Zaporijjia, utilisé par l'Ukraine comme base pour harceler une importante ligne ferroviaire qui approvisionne les forces. Et dans ses tentatives d’assaut infructueuses, la seconde armée du monde y a laissé plus que des plumes : peut-être une centaine de blindés, dont 36 chars lourds abandonnés dans la débâche. Et un nombre inconnu, mais conséquent, de soldats laissés sur le champ de bataille.
Une colonie de blindés russes détruits dans les environs de Vulhedar.
Une nouvelle débâcle pour Poutine. Comme l’écrit The New York Times, « La bataille pour la ville de Vuhledar, qui a été considérée comme la première étape d'une offensive russe attendue au printemps, se déroule depuis la dernière semaine de janvier, mais l'ampleur des pertes subies par Moscou commence seulement à être mise en évidence. Les récits de responsables ukrainiens et occidentaux, de soldats ukrainiens, de soldats russes capturés et de blogueurs militaires russes, ainsi que les images vidéo et satellite, dressent le tableau d'une campagne russe chancelante qui continue d'être affectée par des dysfonctionnements sur le champ de bataille. »
Plus au nord, après avoir brandi comme un trophée la prise de la bourgade de Soledar et de ses mines de sel, l’impétueux et sulfureux Evgueni Prigojine est contraint de ronger son frein aux abords de Bakhmout, dont il annonce désormais la prise « d’ici le mois de mars ». Ah !, s’il ne tenait qu’à lui… Hier, la patron de la milice Wagner a fustigé dans une vidéo « cette monstrueuse bureaucratie militaire (…) qui nous met des bâtons dans les roues tous les jours », étalant ainsi sur la place publique ses différends avec la hiérarchie militaire. Au nombre de ces "bâtons dans les roues" : la fin du recrutement dans les prisons russes. « À un moment donné, le nombre des unités va baisser et en conséquence le volume des tâches qu'on veut exécuter », a prévenu Prigojine.
Les cadavres de Wagner
Contre des gains territoriaux modestes, l’armée russe met pourtant le paquet en termes de chair à canon. Jusqu'à 80 % de certaines de ses unités d'assaut auraient été tuées depuis le début de "l’opération militaire spéciale". Comme stratégie pour pallier la crise démographique que connait la Russie, c’est pour le moins discutable…
Et sur le terrain, c’est peu dire que l’intendance a du mal à suivre. Selon le vice-ministre ukrainien de la défense, Hanna Maliar, « l'évacuation des personnes tuées et blessées, par les occupants, est limitée ou n'est pas effectuée du tout ». Au premier rang de ces cadavres laissés à l’abandon, il y a les prisonniers enrôlés par Wagner.
Des prisonniers russes enrôlés par Wagner, vraisemblablement enterrés à la hâte près de Louhansk.
Ainsi, selon BBC News Russian, 42 tombes fraîches viennent d’être découvertes dans un cimetière à l'extérieur de Louhansk. Vraisemblablement des prisonniers enrôlés par la milice Wagner : la plupart (37) des noms inscrits sur les croix fichées à même la terre ont été retrouvés dans des verdicts de tribunaux russes. Parmi ceux-ci : Miroslav Zinchuk, condamné pour vol et vol qualifié. En 2017, il a été condamné à une nouvelle peine pour vol, Timur Tibayev, originaire d'Oulianovsk, également condamné pour vol en 2022, ou encore . Maksadbek Khadzhiev, originaire d'Ouzbékistan, peintre en bâtiment, condamné pour tentative de trafic d'héroïne en 2021.
Des habitants proches du cimetière ont posté les photos de ces tombes à destination de groupes qui cherchent leurs enfants disparus. Neuf personnes ont d’ores et déjà répondu à ces messages. « Aucune d'entre elles ne savait que leurs proches avaient été tués. Ils les cherchaient, attendant des nouvelles d'eux ». Des journalistes russes de la BBC ont pu entrer en contact avec certaines familles. Dans trois cas, ces familles ont confirmé que leurs proches avaient été recrutés par Wagner alors qu'ils purgeaient une peine de prison. Ils ont quitté leur lieu d'incarcération fin août et ont cessé de répondre aux appels en octobre. Ni le Groupe Wagner ni aucune autre branche de l'armée russe n'ont depuis contacté leurs familles. « Ce qui me tue, c'est que personne ne nous a rien dit, et c'est toujours le silence », déclare la mère de l'un des défunts : « C'est terrible. Je veux que mon fils soit près de moi. S'ils ne veulent pas me le rendre vivant, qu'ils apportent au moins le corps. »
En Russie, la répression touche aussi des enfants et des adolescents
Des élèves d'un lycée de Moscou lors d'une cérémonie marquant le début de l'année scolaire. Le 1er septembre 2022. Photo Pavel Pavlov
Quand le peuple russe finira-t-il parse soulever pour se débarrasser de la clique mafieuse et criminelle qui prétend le gouverner ? On le savait déjà : toute velléité d’opposition et de contestation de la guerre en Ukraine est très sévèrement réprimée. Le magazine russe indépendant Verstka nous apprend que les enfants et adolescents ne sont pas épargnés par la frénésie policière du Kremlin. Le cas le plus connu est celui de Varya Joliker, une jeune collégienne de 10 ans. Son crime ? Avoir refusé d’assister à l’un des "cours de patriotisme" désormais dispensés dans les écoles russes. Circonstance aggravante : elle avait publié une image pro-ukrainienne comme avatar d’un compte sur un réseau social. En mai dernier, dans sa classe, la directrice d’école avait fait irruption pour annoncer une "bonne nouvelle" : l'armée russe venait de prendre l'usine Azovstal à Marioupol. Ça n’avait pas plu du tout à Varya qui, du haut de ses 10 ans, s’était mise à crier : « Non à la guerre ! Liberté pour l'Ukraine ! Poutine est le diable ! »
Dans son école, ce coup d’éclat n’est pas franchement passé comme une lettre à la poste : « tout le monde était en colère. Ils m'ont traitée de fasciste, de traître et de honte pour mon pays. » Dans la foulée sont arrivés des agents de la "lutte contre l’extrémisme". Ils ont confisqué son téléphone portable, l’ont conduite au poste de police. Elle y est restée près de 5 heures : « J'avais l'impression d'être une sorcière au Moyen Âge, ou un tueur en série. Ils ne m'ont pas battue. Ils m'ont dit que j'étais stupide et que je ne comprenais rien. Et ils ont aussi insulté les Ukrainiens ».
Varya, une collégienne de 10 ans, poursuivie pour avoir crié son refus de la guerre (capture d'écran).
Sa mère a finalement été convoquée au poste de police ; les deux ont dû enregistrer une déclaration vidéo où elles présentaient leurs excuses. En relâchant Varya, les policiers ont prévenue : en cas de nouvel "incident", elle ferait l’objet de poursuites criminelles et ils « ruineraient » toute sa famille.
Le cas de Varya n’est pas isolé : en 2022, au moins sept mineurs ont d’ores et déjà été poursuivis pour avoir fait des déclarations anti-guerre. L’un d’eux s’appelle Andrey. Il a 16 ans, est originaire de la région russe de Vladimir. Il ne cache pas être un "admirateur" de l’opposant Alexeï Navalny (aujourd’hui incarcéré dans une colonie pénitentiaire). Au début de la guerre, il a hésité à participer à des manifestations, de crainte de mettre ses parents dans l’embarras. Mais en septembre dernier, lorsque Poutine a annoncé la "mobilisation partielle", il n’a pas pu résister, et s’est rendu à Vladimir dans l’espoir de participer à une manifestation : « Il n’y avait pas grand-monde. Mais beaucoup de flics. Ils s'approchaient de personnes au hasard, même de personnes qui ne faisaient que passer ou se tenir à l'arrêt de bus. Personnellement, je n'ai vu personne scander ou brandir des pancartes. Mais ils arrêtaient quand même des gens ».
Lui-même a été arrêté avec un ami au moment où il s’apprêtait à filmer la scène avec son téléphone portable. Direction le commissariat. Andrey refuse de déverrouiller son portable, comme le lui demandent les policiers. Leur réaction ? « Tu crois qu'on ne va pas te casser la gueule juste parce que tu es mineur ? ». Ses parents sont finalement venus le récupérer au poste de police, mais quelques jours plus tard, les policiers sont revenus avec des images de vidéosurveillance. Il a ensuite été condamné à une amende de 20.000 roubles (270 dollars) pour "participation à une manifestation non autorisée". Et il doit désormais se présenter au poste de police une fois par semaine. Le jeune homme a préféré ne pas contester la sanction, de peur que ça n’aggrave encore les choses.
A Tcheliabinsk, c’est une lycéenne de 17 ans qui a été arrêtée par un agent du FSB, en octobre dernier, alors qu'elle tentait de poser une affiche anti-guerre près de son école. Elle a été condamnée à une amende de 30.000 roubles (environ 400 dollars). Lors de l’audience, le 27 décembre dernier, le président de la commission d’instruction a d’abord dit « qu'appeler à la paix était une stratégie politique bien connue », puis, à charge de preuve, raconte la jeune fille, « il a sorti des affiches nazies qu'il avait lui-même imprimées… »
Pour les enfants ukrainiens déportés en Russie,
bientôt de nouveaux camps "militaro-patriotiques" en Tchétchénie.
De telles situations laissent évidemment de marbre Maria Lvova-Belova, la commissaire présidentielle "aux droits de l’enfant" (sic). Elle a suffisamment à faire pour conduire le chantier de la « russification » des enfants ukrainiens déportés en Russie. Ce 16 février, elle s’est une nouvelle fois entretenue avec Vladimir Poutine au Kremlin. Les accusations de génocide, Poutine s’en contrefiche éperdument. A l'issue de cette réunion avec Lvova-Belova, il s'est au contraire réjoui d'une augmentation significative (12%) du « nombre de recours de nos citoyens concernant l'adoption d'enfants des républiques de Donetsk et de Louhansk, des régions de Kherson et de Zaporijjia ».
« Pendant huit ans d'agression flagrante dans le Donbass contre notre peuple, bien sûr, les enfants ont souffert », a ajouté Poutine, donnant blanc-seing à Maria Lvova-Belova pour poursuivre et amplifier les déportations d'enfants. Toute pimpante, Lvova-Belova a annoncé à cette occasion qu'un millier d'enfants supplémentaires seront prochainement envoyés dans les camps militaro-patriotiques de Kadyrov en Tchétchénie. Nom de code : "Pouvoir du Caucase".
Valdimir Poutine et Maria Lvova-Belova, lors d'une réunion au Kremlin le 16 février 2023.
La rencontre a été filmée et diffusée sur le compte Telegram de Maria Lvova-Belova. Cette mise en scène montre l'importance qu'accorde Poutine à la déportation-russification des enfants d'Ukraine.
Un dernier point : Lvova-Belova a assuré le Fuhrer du Kremlin qu'elle planifiait « des projets humanitaires pour aider les enfants dans les pays africains ». Genre : les envoyer dans les mines centrafricaines pour extraire l'or qui remplit les poches de la milice Wagner ?
Jean-Marc Adolphe
Photo en tête d’article : une colonie de blindés russes détruite près de Vuhledar. Photo Associated Press
Même gratuite, l'information a une valeur. Depuis bientôt un an, les humanités chroniquent de façon singulière et documentent la guerre en Ukraine. Nous avons tout particulièrement révélé et suivi le dossier des déportations d'enfants. Pour contribuer à ce travail éditorial et lui permettre de se poursuivre (à partir de 1 €) :
Comments