
La journaliste ukrainienne Victoria Roshchyna. Photo Slidstvo.info
En ce 8 mars 2025, Victoria Roshchyna aurait certainement aimé célébrer la Journée des droits des femmes chez elle, en Ukraine. Elle ne le pourra pas. Capturée par les forces russes en août 2023 dans la ville ukrainienne d’Enerhodar, alors qu'elle faisait son travail de journaliste, elle n'est jamais réapparue. Le 2 octobre 2024, le père de Victoria Roshchyna a reçu une lettre du ministère russe de la Défense faisant état de son décès. Son corps n'a jamais été rendu. Un documentaire, réalisé par des journalistes indépendants avec le concours de Reporters sans frontières, révèle les tortures subies par la jeune journaliste avant sa mort en captivité en Russie.
Viktoria Roshchyna est morte alors qu’elle n’avait que 27 ans. Reporter free lance et collaboratrice du média indépendant en ligne Ukrayinska Pravda et Radio Free Europe, elle avait déjà travaillé sur la vie dans les territoires occupés, notamment en Crimée et dans la ville assiégée de Marioupol. Elle avait aussi déjà été arrêtée à deux reprises, en 2022, par les autorités russes. La première fois elle s'était échappée en se cachant dans un sous-sol, la deuxième elle avait été libérée par les autorités russes après avoir été contrainte de tourner une vidéo dans laquelle elle déclarait que l'armée russe lui avait sauvé la vie (ICI). Cette expérience lui avait valu le "prix du courage dans le journalisme" par l’International Women Medias Foundation la même année. C’est grâce à ce prix qu’elle avait pu en partie financer la poursuite de ses enquêtes dans la région de Zaporijjia, sa ville natale. Sa disparition, le 3 août 2023, avait été dénoncée, entre autres, par Reporters Sans Frontières, qui n’a jamais cessé depuis d’œuvrer pour découvrir la vérité à son sujet. Viktoria a fait partie des environs 30 journalistes ukrainiens dont le sort en captivité russe reste encore inconnu.
Selon le ministère russe de la défense, la journaliste ukrainienne Victoria Roshchyna (en ukrainien : Вікторія Рощина) est morte en captivité en Russie il y a plus de cinq mois. Mais la Russie n'a toujours pas rendu son corps à l'Ukraine. Un nouveau documentaire vient de révéler les tortures brutales et les conditions inhumaines que Victoria Roshchyna a endurées au cours de ses derniers mois. Le film, intitulé Vika's Last Assignment, a été présenté en avant-première à Kyiv cette semaine. Il a été réalisé par des journalistes des médias ukrainiens Slidstvo.Info, Graty et Suspilne, ainsi que par des membres de Reporters sans frontières (RSF). L'enquête a révélé de nouveaux détails sur la capture de Victoria Roshchyna dans la région de Zaporijjia, occupée par les Russes, et sur les mauvais traitements qu'elle a subis dans un centre de détention de la ville russe de Taganrog, où elle a été détenue jusqu'à sa mort présumée. Les circonstances de la mort de Victoria Roshchyna restent si floues que les enquêteurs ukrainiens n'excluent pas la possibilité qu'elle soit encore en vie.
Viktoria Roshchyna a été capturée par les forces russes en août 2023 dans la ville ukrainienne d’Enerhodar, dont Moscou s’est emparée au début de son invasion à grande échelle. Elle s’était rendue dans la région occupée de Zaporijjia en tant que journaliste indépendante pour Ukrainska Pravda. D’après les personnes à qui elle a parlé avant sa capture, elle prévoyait de faire un reportage sur les prisonniers de la centrale nucléaire de Zaporijjia (1), sur les simulacres d’"élections" russes dans les territoires occupés (2) et sur les conséquences de la destruction du barrage de Kakhovka (3).
Pour atteindre les zones occupées, Roshchyna a d’abord voyagé de l’Ukraine vers l’Europe. Les enquêteurs ukrainiens ont indiqué que, le 25 juillet 2023, elle a franchi la frontière polonaise, puis a continué vers la Lettonie, avant d’entrer en Russie le 26 juillet. Début août, selon Graty, Roshchyna a appelé sa sœur, en lui disant qu’elle était en Russie, qu’elle avait passé plusieurs jours à subir les contrôles de sécurité russes et qu’elle ne se sentait pas en sécurité.
D’un poste de police à un "garage"
La date exacte de la détention n’est toujours pas connue. L’International Women’s Media Foundation a indiqué que Victoria Roshchyna avait disparu en territoire occupé le 3 août, et que les forces de l’ordre ukrainiennes avaient été informées de sa disparition le 12 août. Cependant, l’un des contacts de Victoria Roshchyna a déclaré à Graty qu’il l’avait rencontrée à Berdyansk le 22 août. Il a indiqué qu’elle prévoyait de se rendre à Melitopol, mais qu’elle avait l’intention de revenir et de le rencontrer de nouveau. Le 27 août, elle lui a envoyé un message pour annuler leur rencontre - et c’est la dernière fois qu’il a entendu parler d’elle.
Après son arrestation, Victoria Roshchyna aurait été détenue dans un poste de police dans le nord d’Enerhodar, près de la sortie de la centrale nucléaire de Zaporijjia, selon Slidstvo.Info. Reporters sans frontières, citant un témoin oculaire, a écrit que Victoria Roshchyna avait été « vue par un drone » (ICI). Les autorités russes n’ont jamais divulgué les charges retenues contre elle.
D’Enerhodar, Victoria Roshchyna a été transférée à Melitopol, où elle a été détenue pendant plusieurs mois. Selon Iryna Didenko, qui dirige l’équipe chargée de l’affaire au sein du bureau du procureur général ukrainien, la journaliste a été « détenue dans ce que l’on appelle les garages ». Auparavant, RIA Melitopol avait rapporté que les forces russes détenaient des prisonniers ukrainiens dans des garages situés sur le terrain de divers bâtiments administratifs de la ville.
Faim et mauvais traitements
En décembre 2023, Victoria Roshchyna a été transférée des "garages" de Melitopol vers un centre de détention provisoire dans la ville russe de Taganrog. Une Ukrainienne qui a partagé la cellule avec Victoria Roshchyna a déclaré à Slidstvo.Info que la journaliste avait été enfermée dans un sous-sol à Melitopol et torturée pendant les interrogatoires. « J’ai vu plusieurs cicatrices sur son corps, notamment sur son bras et sa jambe », s’est-elle souvenue. « Elle avait une blessure au couteau, une cicatrice récente. Elle se trouvait entre le poignet et le coude et mesurait environ trois centimètres. »
La femme a également déclaré que Victoria Roshchyna avait été torturée à l’aide de décharges électriques. « Je sais que cela s’est produit plus d’une fois. Elle n’a pas dit combien de fois exactement, mais elle m’a dit qu’elle était couverte d’ecchymoses », a-t-elle déclaré, ajoutant que les fils avaient été attachés aux oreilles de Victoria Roshchyna. « Ce traitement a été absolument brutal pour elle, il l’a achevée. Les premiers jours, elle s’est battue - cela se voyait. Elle n’a cessé d’exiger de voir les enquêteurs, le personnel et les autorités pénitentiaires. Elle voulait expliquer qu’il n’y avait aucun motif légal pour justifier sa détention. Elle voulait désespérément les joindre, pour savoir pourquoi elle avait été amenée là », a déclaré l’ancienne compagne de cellule de Victoria Roshchyna.
Lors d’une inspection de la prison de Taganrog effectuée par des représentants de la commissaire russe aux droits de l’Homme, Tatyana Moskalkova, en mars 2024, des gardiens de prison ont retiré Victoria Roshchyna de sa cellule et l’ont cachée dans une pièce fermée à clé située à un autre étage.
L’état de santé de Victoria Roshchyna se détériorant, elle a commencé à avoir de fréquentes crises de panique et s’est vu refuser l’accès aux médicaments, selon Reporters sans frontières. Au fil du temps, elle a cessé de s’alimenter. Les gardiens de prison l’auraient alors menacée et auraient même tenté de la nourrir de force. Sa codétenue s’est souvenue que le directeur de la prison s’était rendu dans leur cellule pour parler à la journaliste, qui n’avait cesse de demander à être libérée, échangée ou expulsée. « Elle n’arrêtait pas de demander de l’aide. Au début, elle s’est plainte de problèmes d’estomac, de l’absence de ses règles pendant toute cette période et d’une fièvre persistante. Puis les femmes ont remarqué qu’elle perdait beaucoup de poids. Vika ne pesait plus que 30 kilos. Je l’ai aidée à se lever, car elle était si faible qu’elle ne pouvait même pas lever la tête de l’oreiller. Je lui soulevais d’abord la tête, puis elle attrapait la poignée du lit pour se hisser », a déclaré sa codétenue.
Selon sa compagne de cellule, Victoria Roshchyna a été hospitalisée à la fin du mois de juin. « Lorsqu’ils l’ont emmenée, ils l’ont transportée sur une civière car elle ne pouvait pas marcher seule », a-t-elle déclaré. Une autre personne interrogée par Reporters sans frontières a déclaré que les prisonniers croyaient que Victoria Roshchyna était morte à ce moment-là. Cependant, deux ou trois semaines plus tard, Victoria Roshchyna a été ramenée au centre de détention et placée dans une cellule séparée. Elle semblait s’être quelque peu rétablie, puisqu’elle était capable de marcher sans aide et de répondre aux paroles des gardiens.
Disparition
Fin août, Victoria Roshchyna a été autorisée à appeler son père, Volodymyr Roshchyn, selon Slidstvo.Info. « Au cours de cet appel, Victoria et ses parents ont confirmé qu’il y avait eu des discussions au sujet d’un éventuel échange de prisonniers. Cependant, personne ne savait quand cela se produirait - ni Victoria ni ses parents n’avaient d’informations sur la date ou l’heure », a déclaré Yevhenia Kapalkina, l’avocate représentant le père de Victoria.
La dernière fois que les autres femmes ukrainiennes de la prison de Taganrog ont vu Victoria Roshchyna, c’était le 8 septembre, lorsqu’elle a été emmenée de sa cellule vers un lieu inconnu. Sevgil Musayeva, rédactrice en chef de l’Ukrainska Pravda, a rapporté que ses sources avaient indiqué que Victoria Roshchyna pourrait être renvoyée en Ukraine le 13 ou le 14 septembre. Des échanges de prisonniers entre la Russie et l’Ukraine ont eu lieu ces deux jours-là, mais Victoria Roshchyna n’a pas été renvoyée.
Le 2 octobre 2024, le père de Victoria Roshchyna a reçu une lettre du ministère russe de la Défense signée par "V. Kokh", qui faisait probablement référence au général de division Vitaly Kokh, chef adjoint de la Direction principale de la police militaire du ministère. La lettre indique que Victoria Roshchyna est décédée le 19 septembre 2024, sans fournir de preuve, et que son corps « sera remis à la partie ukrainienne dans le cadre d’un échange de détenus décédés ». En mars 2025, la Russie n’a toujours pas remis le corps de Victoria Roshchyna à l’Ukraine.
Iryna Didenko, qui dirige l’équipe d’enquêteurs chargée de l’affaire Roshchyna, a déclaré qu’il n’était toujours pas clair si la lettre du ministère russe de la Défense représentait la position officielle de Moscou, étant donné que Kyiv a suspendu ses relations diplomatiques avec la Russie. « L’enquête envisage à la fois la possibilité que Viktoria soit toujours en vie et la possibilité qu’elle soit décédée », déclare Iryna Didenko : « Nous examinons tous les scénarios possibles, y compris la torture, les mauvais traitements, le refus de soins médicaux, les pressions psychologiques, la mort due à de mauvaises conditions de détention, etc. »
Bohdan Okhrimenko, chef du quartier général de coordination pour le traitement des prisonniers de guerre en Ukraine, a déclaré que la Russie avait ignoré à plusieurs reprises les demandes de restitution du corps de Victoria Roshchyna en vue de son inhumation. « Nous poursuivons nos efforts pour ramener le corps de Victoria. Nous essayons de persuader l’autre partie de nous le remettre. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous pourrons parler avec certitude - pour l’instant, nous ne pouvons que spéculer », a déclaré Okhrimenko.
Le bureau du commissaire ukrainien aux droits de l’Homme a également demandé à la commissaire russe aux droits de l’Homme, Tatyana Moskalkova, de confirmer ou d’infirmer les informations relatives à la mort de Victoria Roshchyna, mais celle-ci n’a pas répondu.
Volodymyr Roshchyn a déclaré qu’il avait contacté plusieurs autorités russes, mais qu’il s’était heurté à des refus répétés. En décembre 2024, il a reçu une réponse du chef du centre de détention de Taganrog, Alexander Shtoda, affirmant que les registres officiels de la prison indiquent que Viktoria Roshchyna n’y a jamais été détenue.
Cet article est paru initialement sur le site de Meduza, le 5 mars 2025. Titre original : ‘She couldn’t walk on her own’ Documentary reveals torture Ukrainian journalist Victoria Roshchyna suffered before her death in Russian captivity (ICI)
Traduction pour les humanités : Caterina Zomer
Pour visionner le documentaire Vika’s Last Assignement : ICI
NOTES
(1). La centrale nucléaire de Zaporijjia, l’une des plus grandes en Europe, a été prise par les forces armées russe au tout début de l’invasion de l’Ukraine, en mars 2022. Elle a été transformée depuis dans un centre de détention, où les prisonniers ukrainiens sont soumis à tortures et mauvais traitements. Le 23 septembre 2023, l’ONG ukrainienne Truth Hound dénonçait la première, dans un rapport accablant, cette sinistre transformation « de la plus grande centrale nucléaire d’Europe » par les forces d’occupation russes (ICI).
(2). Du 23 au 27 septembre 2022, les autorités russes dans les territoires occupés de l’ouest de l’Ukraine, avec l’appui des séparatistes russophones, ont organisé des "referendums d’annexion", censés légitimer l’invasion que la propagande russe décrivait déjà comme une réaction à des prétendues mesures génocidaires prises par le gouvernement ukrainien contre les populations de la région. Cela va sans dire, la communauté internationale a rejeté en bloc ces referendums et leurs résultats, manifestement contraires à la Charte des Nations Unis et au droit international.
(3). Le barrage a été détruit le 16 juin 2023, au cours d’une violente offensive russe le long du Dniepr. Les dégâts ont été immenses dans les villes et villages inondés en aval du barrage. Un récent rapport de l’UNESCO estime à 485 milliards de dollars le coût de la réhabilitation du secteur au cours de la décennie (ICI).
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