Masha Moskalev a 11 ans. Elle n’aime pas trop la guerre. Ça semble plutôt normal, pour un enfant de son âge. Sauf en Russie… Pour un simple dessin réalisé en classe, Masha a été dénoncée à la police par la directrice d’école, puis soumise à un interrogatoire du FSB. Son père risque aujourd’hui 3 ans de prison pour avoir "discrédité" l’armée, ce qui conduirait directement Masha en orphelinat ! Pas de quoi verser une larme : elle fait partie de la "racaille" fustigée hier par Poutine devant une assemblée du FSB.
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La « racaille », comme dit Poutine, n’a qu’à bien se tenir. Hier, 28 février, le Führer du Kremlin s’est fendu d’un discours d’ouverture d’une assemblée du FSB, les services de renseignement qui ont succédé au KGB.
C’était le corps d’origine de Poutine : il a dû renouer avec ses frissons de jeunesse en fustigeant les « traîtres nationaux » (ladite « racaille ») qui « tentent de diviser la société russe », au premier rang desquels les « espions, terroristes, partisans, séparatistes, nationalistes, néonazis et xénophobes » ; bref « toute cette saloperie qui traîne en Russie », que Poutine a appelé à « réprimer vigoureusement ». Et le virus de la racaille, ça commence au berceau ou quasiment : dès l’école primaire.
Le 17 février dernier, nous avions narré l’histoire de Varya, une jeune collégienne russe de 10 ans, sanctionnée pour avoir refusé d’assister à l’un des "cours de patriotisme" désormais dispensés dans les écoles russes, et aussi, crime inqualifiable s’il en est, avoir publié une image pro-ukrainienne comme avatar d’un compte sur un réseau social. Des agents de la "lutte contre l’extrémisme" avaient débarqué dans son école et confisqué son téléphone portable, avant de la conduire au poste de police, où elle était restée près de 5 heures. Sa mère avait été menacée de représailles en cas de récidive (Lire ICI).
Dans la série, voici l’histoire, encore plus terrible, de Masha Moskalev. Masha a 11 ans, elle est scolarisée à Efremov, dans la région de Toula. Son crime à elle ? Avoir réalisé un dessin contre la guerre. C’était en avril dernier. Dans son école, la professeure avait demandé aux enfants de faire des dessins en soutien aux troupes russes en Ukraine. Masha a dessiné un drapeau russe et un drapeau ukrainien ; le drapeau russe indiquait "Non à la guerre" et le drapeau ukrainien "Gloire à l'Ukraine" ; le dessin comprenait également une femme et un enfant avec des missiles volant depuis la Russie. Horrifiée, l’enseignante s’est précipitée dans le bureau de la directrice de l’école, lequel a aussitôt… appelé la police !
Boum, la police arrive, ils ne doivent pas avoir le droit d’entrer dans les classes, alors ils trient les enfants à la sortie de l’école : la "filtration", les Russes connaissent bien. Du haut de ses 11 ans, Masha flaire le piège. Elle donne un faux nom, et hop, arrive tout essoufflée chez elle et raconte à son père (qui l’élève seul) : « Papa, j’ai fait un dessin, la police a failli m'attraper ».
Masha et son dessin
Le lendemain, « ma fille était effrayée, j'ai promis de venir l'attendre à la fin des cours », raconte Alexei, le père de Masha. Mais la directrice d’école le voit et, à nouveau, appelle la police. Les pandores débarquent à nouveau, avec les services de "protection de l’enfance", et embarquent Alexei au poste pour un interrogatoire. Il est aussitôt accusé d’avoir "discrédité" l'armée russe. Son procès a eu lieu le jour même : condamné à une amende de 32.000 roubles pour un commentaire publié sur un réseau social. Mais après son interrogatoire, il se veut confiant. Le soir même, il rassure sa fille : « tout ira bien ».
Tout ira bien, pas tant que ça. Car le lendemain, ce sont les agents du FSB (les services de renseignement) qui viennent cueillir la petite Masha dans son école. Elle va y être interrogée pendant plus de 3 heures, avant que son père ne soit à nouveau convoqué. Masha a été exclue de son école. Et l’histoire ne s’arrête pas là : au matin du 30 décembre dernier, des agents du FSB, lourdement armés, débarquent au domicile d’Alexei, pour une perquisition musclée : ils vident les armoires, piétinent les vêtements, arrachent des tableaux accrochés aux murs, renversent les meubles, s’emparent des économies qu’ils trouvent sur place, ainsi que d’un ordinateur et… du fameux dessin de Masha.
Alexei est à nouveau emmené pour un interrogatoire. Il dit avoir été battu « la tête contre le mur et contre le sol » : « ils m'ont enfermé dans le bureau pendant deux heures et demie, ont mis l'hymne russe à plein volume et sont partis. Les murs tremblaient. Après cela, mon cœur a lâché. Ils avaient peur que je meure là-dedans, alors ils ont appelé une ambulance. Les médecins ont pris ma tension artérielle, m'ont donné deux comprimés, m'ont fait une injection et sont partis. »
Alexei Moskalev est dans l’attente d’un procès qui pourrait décider de son incarcération (il risque jusque 3 ans de prison). Et Masha serait alors envoyée dans un orphelinat.
Mais quel est ce pays où un simple dessin d’enfant menace à ce point les fondements de l’Empire ?
"Journée de la police 2022" à l'école n° 9 d'Efremov. Photo du site Web de l'école
Le 13 décembre dernier, à l’école n°9 d’Efremov, ou était scolarisée Masha, un "événement solennel de soutien à l'opération militaire spéciale" intitulé "Pour la paix, pour la Russie, pour le président" y a été organisé. Le chef de la police de la ville, Aksenov Andrei Nikolaevich, y était l'invité d'honneur…
Jean-Marc Adolphe
(source : OVD-info, https://ovdinfo.org/articles/2023/02/27/govorili-ee-u-menya-otnimut-menya-posadyat-na-otca-shkolnicy-zaveli-ugolovnoe OVD-Info est un média indépendant de défense des droits de l'homme, qui vise l'extinction définitive des persécutions politiques en Russie).
Illustration en tête d’article : Anastasia Kraynyuk. Anastasia Kraynuk est une illustratrice free-lance russe, aujourd’hui exilée à Tbilissi, en Géorgie. Sur Instagram : https://www.instagram.com/anastasia.kraynyuk/
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