Portrait d’homme barbu du Fayoum (0,40 x 0,28 m), Égypte, IIIe siècle après J.-C.
© Musée des Beaux-Arts de Dijon. Photo : François Jay.
Le musée des Beaux-Arts de Dijon possède onze portraits funéraires dits « du Fayoum »
(peints à l’encaustique sur une planchette de bois, et destinés à protéger la tête des momies) ;
ce sont les plus anciens témoignages de l’art du portrait peint.
Qu'est-ce qui nous regarde dans ce que nous voyons ? La troisième séquence de notre "atelier du regard" est proposée par Sophie Delizée, abonnée aux humanités depuis avril 2024, avec un "Portrait du Fayoum" : « ces peintures m’émeuvent et me questionnent chaque fois que je les regarde... »
« Notre visage est notre identité, il est ce par quoi les autres vous connaissent ou reconnaissent, il est absolument unique. Il est aussi la partie la plus nue de notre corps, la seule que nous n’habillions pas, une nudité qui le rend fragile, offert constamment aux regards des autres, paysage sur lequel se lit notre vie, notre vécu, nos émotions, nos fragilités et nos forces aussi parfois. A des degrés différents selon chacun, selon les âges, selon notre culture.
Regarder les "portraits du Fayoum" c’est plonger au fond des âges et pourtant ces hommes et ces femmes nous ressemblent, ils sont d’une modernité folle et si en les observant nous apprenons quelque chose d’eux, eux qui à leur tour nous regardent, semblent nous questionner : Qui êtes-vous ? »
Sophie Delizée
Sur les "portraits du Fayoum"
Les célèbres portraits de momies du Fayoum, qui représentent des personnes ayant vécu en Égypte à l'époque gréco-romaine, renferment de nombreux secrets et étaient très importants pour les défunts qui y étaient enterrés. Ces magnifiques portraits étaient préparés pour aider les gens dans leur vie après la mort.
L'expression « portraits de momies du Fayoum » est un nom moderne donné aux portraits réalistes datant de la période copte ou de la période gréco-romaine de l'Égypte, plus précisément entre le 1er siècle avant J.-C. et le 1er siècle après J.-C.. De nombreux exemples de ces peintures proviennent de la région du bassin du Fayoum, Hawara.
Le style des peintures est lié à l'iconographie copte locale, qui s'est poursuivie à l'époque byzantine. Les portraits ont été réalisés sur des planches de bois ou des cartons à l'aide de peintures à la détrempe ou à l'encaustique. Les chercheurs affirment que les peintures étaient généralement réalisées avant la mort de la personne, bien que dans certains cas elles aient dû être faites à la hâte avec un modèle mort.
La plupart des premières peintures connues ont été découvertes en 1887 par un célèbre chercheur britannique, William Flinders Petrie. Petrie cherchait l'entrée de la pyramide du pharaon Amenemhat III (vers 1855 - 1808 av. J.-C.). Au lieu de la structure, il a trouvé un immense cimetière romain.
Lorsque l'archéologue a commencé à nettoyer les momies, il a découvert les portraits de personnes décédées plusieurs siècles auparavant. Bouleversé, Petrie raconte : « L'un d'eux était une tête de jeune fille magnifiquement dessinée, dans des teintes grises et douces, d'un style et d'une manière tout à fait classiques. Une autre représentait une jeune femme mariée d'environ 25 ans, à l'expression douce mais digne, avec de beaux traits et un teint fin. Elle porte des boucles d'oreilles en perles et un collier en or ».
Le nombre de momies retrouvées avec ces portraits détaillés est impressionnant. À ce jour, environ 900 momies bien conservées, portant de magnifiques peintures de très haute qualité à leur effigie, ont été découvertes. Elles font partie des collections de musées du monde entier. L'analyse des portraits et des momies qui les recouvrent a permis aux chercheurs de reconstituer plusieurs histoires sur des personnes ayant vécu il y a plusieurs siècles.
Au cours de l'histoire de l'Égypte ancienne, les méthodes et les pratiques de momification ont changé à plusieurs reprises. En raison de l'évolution des styles artistiques et des préférences de la société, les méthodes de préparation des personnes à leur vie éternelle ont également changé. Au cours de la dernière période de l'Égypte ancienne, de nombreuses personnes n'utilisaient plus les objets funéraires traditionnels. À la place des cercueils, qui se ressemblaient tous, ils ont commencé à créer des peintures. Le processus de momification lui-même n'était plus parfait, mais les sables du désert préservaient la nécropole en relativement bon état.
La plupart des personnes qui ont posé pour ces portraits voulaient un "look glamour" pour leur vie après la mort. Elles faisaient généralement partie de la classe supérieure de la société. Les détails montrés par les peintres ont permis aux chercheurs de découvrir beaucoup de choses sur la mode vestimentaire, les coiffures et les bijoux de l'époque. En outre, les chercheurs supposent que les traditions funéraires de cette société étaient un mélange des visions égyptiennes de la vie après la mort avec des croyances plus tardives. Il semble que ce type d'enterrement ait pris fin avec l'avènement du christianisme.
De nombreux visages figurant sur les portraits du Fayoum ressembleraient davantage à des Grecs qu'à des Égyptiens. On sait que la population du Fayoum a explosé pendant la période ptolémaïque (332-30 av. J.-C.) grâce à l'installation de nombreux vétérans grecs. Cependant, cette information provient des Romains, qui classaient les natifs d'Égypte dans la catégorie des « Égyptiens » et les autres dans celle des « Grecs ».
Les portraits de la nécropole du Fayoum continuent de fasciner les chercheurs. Ainsi, un projet scientifique mené par O. Appenzeller, J. M. Stevens, R. Kruszynski et S. Walker a prouvé que les portraits peuvent apporter beaucoup plus d'informations. Ils ont examiné 200 portraits de momies en couleur. Les chercheurs ont utilisé la paléoneurologie clinique, une méthode très rarement utilisée dans les recherches liées à l'archéologie médico-légale ancienne. Grâce à cette méthode, ils ont pu déterminer quelles personnes momifiées souffraient de maladies neurologiques.
Les artistes de l'Antiquité étaient si talentueux qu'ils étaient capables de montrer les maladies à l'aide de peinture blanche dans les yeux des personnes qu'ils représentaient. La reconnaissance des maladies neurologiques a été rendue possible par l'examen minutieux des portraits des momies du Fayoum. Les chercheurs ont mesuré trente-deux crânes excavés à Hawara dont les portraits suggéraient la possibilité d'une maladie neurologique. En analysant la manière spécifique dont la peinture blanche était appliquée sur les yeux des portraits, ils ont découvert que certaines personnes souffraient probablement d'épilepsie focale, de migraine hémiplégique et d'un dysfonctionnement du système nerveux autonome. L'examen des momies a confirmé que deux personnes souffraient d'hémiatrophie faciale progressive (syndrome de Parry-Romberg), trois avaient des déviations des axes visuels (tropia) et une avait des pupilles ovales (corectopia).
Les visages d'hommes, de femmes et d'enfants continuent de regarder les gens du monde entier avec leurs yeux peints. Certains d'entre eux semblent vouloir partager quelque chose avec les sociétés modernes. On dirait presque qu'ils sont des messagers des temps anciens. Certains d'entre eux tiennent dans leurs mains des objets préférés ou présentent des colliers coûteux autour de leur cou. Certains de ces objets ont d'ailleurs été découverts parmi les bandages.
Les portraits du Fayoum étaient les dernières peintures de momies qui servaient de billet d'entrée dans l'au-delà pour les anciens Égyptiens. Ces personnes croyaient qu'elles auraient les visages de leurs portraits dans leur vie éternelle, mais les peintures sont également devenues une source impressionnante pour les chercheurs modernes sur la vie et la mort des anciens.
(Natalia Klimczak, sur https://www.ancient-origins.net/, traduit par la rédaction des humanités)
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