Parastoo Ahmadi, capture d'écran du concert filmé et posté sur YouTube le 12 décembre 2024
Suite à un concert (sans public) filmé et posté sur YouTube le 12 décembre, la chanteuse iranienne Parastoo Ahmadi a été arrêtée par le régime des mollahs. Inconscience de sa part ? Non : le courage d'une femme libre, et qui entend le rester, quel que soit le prix à payer.
Mise à jour (dimanche 15 décembre 2024 à 17 h 30). Seul le quotidien "réformateur" Shargh (شرق) l'affirme, en citant l'avocat de Parastoo Ahmadi : la chanteuse, ainsi que ses deux musiciens, auraient été libérés cette nuit vers 3 h du matin (5 h 30 en France, à peu près l'heure où le texte ci-dessous était en cours de publication).
Il n'y a aucune raison a priori de mettre en doute la parole de l'avocat. On peut toutefois rester prudent, tant que Parastoo Ahmadi n'a pas elle-même donné signe de vie, d'autant que son compte Instagram (@parastooahmady) reste désactivé. La police avait fait semblable annonce de sa "libération" hier après-midi, et c'était faux.
Secundo, même si elle a été effectivement libérée, elle fera sans doute l'objet de poursuites judiciaires, les sinistres Gardiens de la Révolution n'entendant pas laisser impuni un tel affront aux "normes culturelles" du régime des mollahs.
Tertio, on est toujours sans la moindre nouvelle de l'autre chanteuse (de rue) beaucoup moins médiatisée, Zara Esmaeili, qui a été arrêtée voici près de 6 mois, dont il est question dans l'article publié ce matin...
« Il faut traverser les tempêtes sans tenir compte de sa vie ». C'est en tout cas ce que dit une vieille chanson iranienne, que Parastoo Ahmadi a interprétée dans un concert sans public et sans voile, filmé dans un caravansérail en briques, à Ardakan, dans la province de Yazd (et non à Téhéran, comme certains médias l'ont trop rapidement rapporté), et diffusé sur YouTube le 11 décembre dernier. Voix magnifique, accompagnée de quatre musiciens formidables, Ehsan Bayraghdar, Soheil Faghih Nasiri, Amin Taheri et Amir Ali Pirnia.
Le caravansérail en briques d'Anjireh, à Ardakan, ou a été filmé le concert de Parastoo Ahmadi, est en cours de classement
au patrimoine mondial de l'Unesco, avec 53 autres sites. Les caravansérails étaient des relais routiers situés le long des anciennes routes commerciales et de pèlerinage qui offraient un abri, de la nourriture et de l’eau aux caravanes, aux pèlerins et autres voyageurs.
« Ici, dans cette partie de notre Iran bien-aimé, dans cette pièce où notre histoire et nos mythes sont entrelacés, entendez ma voix dans ce concert virtuel et imaginez, ce beau pays... », dit Parastoo Ahmadi en préambule de son concert. En trois jours, la vidéo a été vue par plus d'un million et demi de personnes ! Il n'en fallait pas plus pour titiller l'instinct répressif des mollahs. L'agence de presse officielle Mizan a dégainé en premier, en qualifiant l’action d'« illégale » et en annonçant le dépôt d’une plainte contre la chanteuse et ses musiciens. Dans la foulée, le magazine Iran-e-Javan ("L'Iran des jeunes"), réputé proche des Gardiens de la Révolution, a violemment attaqué le ministre de la Culture et de l’Orientation islamique, accusé d'avoir pu laisser se dérouler dans un lieu patrimonial, le concert de Parastoo Ahmadi (« à moitié nue » !), qualifié « d'incident puant » et qui appartient, selon ce journal ultra-conservateur réputé proche des Gardiens de la Révolution, « à une série d'actions coordonnées pour attaquer les normes culturelles du jihad ». Rappelons qu'en Iran, depuis la révolution islamique, les femmes n’ont pas le droit de chanter dans les rassemblements publics, sauf dans les lieux exclusivement féminins, et leurs voix sont interdites à la radio et à la télévision. En outre, les mollahs préparent une nouvelle vague de lois draconiennes sur le hijab avec des sanctions sévères, telles que de lourdes amendes, l’interdiction d’accéder à des services sociaux et de voyager (lire sur Libération).
Au lendemain de la diffusion de son concert sur YouTube, le domicile de Parastoo Ahmadi a été perquisitionné, en son absence, avant qu'elle ne soit été arrêtée ce samedi 14 décembre dans la province de Mazandaran, au nord de l'Iran (deux de ses musiciens, le guitariste Soheil Faghih-Nassiri et le pianiste Ehsan Beiraghdar, ont également été arrêtés). Le chef de la police locale prétend que la chanteuse a été libérée après son interrogatoire, mais son compte Instagram (337.000 abonnés) a été désactivé, et à l'heure où ces lignes sont écrites, son avocat, Milad Panahi-Pour, est sans nouvelles d'elle.
En Iran, certains n'ont pas hésité à comparer Parastoo Ahmadi à la légendaire Qamar-ol-Molouk Vaziri, appelée communément Qamar (mot arabe pour la lune), née en 1905 et morte en 1959, considérée comme la "reine" de la musique classique persane, qui fut dans les années 1920 la première chanteuse iranienne à oser abandonner le hijab pour se produire tête nue face à un public d'hommes (vidéo ci-dessous).
D'autres évoquent le courage de Vida Movahed, cette manifestante dont la photo avec son foulard suspendu au bout d'un bâton, en décembre, 2017 était devenue un symbole de la résistance en Iran. À la suite de son geste, Vida Movahed avait été arrêtée pour « avoir encouragé à la corruption et la prostitution en levant son voile », puis libérée après plusieurs semaines de manifestations mondiales.
Le geste de Vida Movahed, le 27 décembre 2017 à Téhéran.
« Je suis Parastoo [son prénom, en persan, signifie "hirondelle"], la fille qui ne peut garder le silence et refuse d'arrêter de chanter pour le pays qu'elle aime », chante t-elle. Mais au fait, qui est Parastoo Ahmadi ? Elle a 27 ans (née le 21 mars 1997). Diplômée en réalisation cinématographique de la prestigieuse université Soore à Téhéran, elle a parallèlement étudié, dès ses 14 ans, le solfège et le chant. Avec le concert qui vient d'être filmé et posté sur YouTube, Parastoo Ahmadi n'en est pas à son coup d'essai. En 2022, elle avait déjà été inquiétée par les autorités iraniennes pour avoir interprété et partagé sur son compte Insdtagram la chanson emblématique de la contestation Az Khoon e Javanan e Vatan ("Du sang de la jeunesse de la patrie"). Elle a récidivé en mai 2023, en interprétant Air of freedom, sur les paroles de la poétesse Fatemeh Dogoharani, à partir du célébrissime Livre des rois (Shahnameh) du poète persan Abu'l-Qâsem Ferdowsi Tusi (940 – 1019/1025), le plus célèbre des récits épiques de l'antique Perse (vidéo ci-dessous).
Bien qu'assez ras du kiki, et assez limités intellectuellement sous leur turban, les mollahs ont vite compris la portée subversive d'un tel message : la poésie, ils n'aiment pas trop, la liberté, encore moins... En 2023, pour outrages aux meurs islamiques, elle a été arrêtée une première fois : c'était un simple avertissement, dont elle a su ne pas tenir compte. En réalisant ce nouveau concert, elle savait qu'elle allait sans nul doute être à nouveau arrêtée (ainsi que deux de ses musiciens, Ehsan Beiraghdar et Soheil Faghih-Nassiri), mais cette fois-ci sans doute torturée, peut-être même violée par ses geôliers, pour qui, en "république islamique", c'est open bar.
Il n'y a pas de mots pour dire le courage exemplaire de Parastoo Ahmadi. Son sort, toutefois, ne doit pas éclipser d'autres cas tout aussi révoltants, bien que moins "médiatisés"'. En août dernier, le régime des mollahs a ainsi fait arrêter une "chanteuse de rue", Zara Esmaeili (vidéo ci-dessus), qui, elle aussi, s'affranchissait du voile. Elle n'a pas les moyens de s'offrir les services d'un avocat. Combien de fois a-t-elle été torturée et violée ? Depuis plus de cinq mois, on a strictement aucune nouvelle de Zara Esmaeili...
Jean-Marc Adolphe & Nadia Mével
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