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Par Saint Georges, partout des dragons

Dernière mise à jour : il y a 23 heures

Andy Warhol, "Paolo Uccello, St George and the Dragon" (1984)


C'est jour de Saint Georges (ou de Sant Jordi, en Catalogne). Pour conjurer, voire terrasser, toutes sortes de dragons, on convoque quelques fantômes, dont ceux de Cervantés et de Shakespeare, morts un même 23 avril, qui ressuscitent don Quichote et Hamlet afin de deviser sur Donald Trump. Le tout sans droits d'auteur, dont c'est aussi le jour.


 Ephémérides


Il était simple soldat dans l'armée romaine, ou officier de haut rang, selon les sources, à l’époque de l’empereur Dioclétien, ce qui ne nous rajeunit pas. Il serait né voilà 750 ans dans ce qui s’appelait encore la Cappadoce (dans le plateau anatolien, aujourd’hui en Turquie). Il n’a pas vécu bien vieux, décapité qu’il fut à 25 ans (ou moins) à Lydda (aujourd’hui Lod, au sud-est de Tel Avisen Israël). A une époque où les réseaux sociaux étaient encore balbutiants, exceptions faites du bouche à oreille et du téléphone arabe -qu’on appelait différemment, vu que le téléphone n’avait pas encore été inventé-, sa tombe est rapidement devenue un lieu de pèlerinage. Connu sous le nom de Georges de Lydda, converti au catholicisme, il avait refusé de renier sa foi lorsque Caius Aurelius Valerius Diocletianus Augustus (alias Dioclétien, l’empereur romain, né en Croatie), lança une vaste campagne de persécution contre les chrétiens dans l’Empire romain. Le pauvre Georges fut poursuivi, arrêté, supplicié et à la fin, donc, on lui trancha la tête. Ça vous forge une étoffe de martyr !


Georges de Lydda, dont la réputation s’était répandue comme une trainée de poudre dans tout l’Occident, mais aussi dans l’Empire byzantin, fut canonisé en l’an 494 par le pape Gélase Ier (d’origine berbère). Pour fortifier le culte, il manquait une légende. C’est ainsi que selon une fake news colportée au temps des croisades, avec le concours (littéraire) du chroniqueur et dominicain Jacques de Voragine, archevêque de Gênes (né en Ligurie italienne vers 1228), qui avait beaucoup d’imagination. Dans La Légende dorée (un véritable best-seller, au Moyen-Âge),


Giorgio de Chirico, "Saint Georges tuant le dragon"


Jacques de Voragine raconte comment Saint Georges aurait terrassé un méchant dragon, à Silène, en Lybie. Pour amadouer ce dragon pestilentiel qui leur empoisonnait la vie, les habitants de la cité devaient lui offrir en sacrifice des brebis puis, lorsque le cheptel fut éteint, des jeunes garçons et des jeunes filles. Insatiable, le dragon en vint à exiger de dévorer la propre fille du roi, dont la légende précise qu’elle était pucelle. Pour les beaux yeux de la princesse, Georges de Lydda, qui passait par là comme par enchantement, s’en fut d’un coup d’épée, d’un seul, zigouiller le dragon. Pour accomplir cette mission héroïque, il avait tout de même posé une condition : que toute la population de Silène se convertisse au catholicisme. On n’a rien sans rien.


Saint patron des chevaliers, soldats, scouts, archers, etc., invoqué contre la peste et les serpents venimeux, Georges est devenu le saint protecteur de villes, de l’Allemagne (Coblence) aux Bermudes (Saint George), en passant par Gênes et Venise, Barcelone, Londres, Piran (en Slovénie), Beyrouth (ou il est appelé Mar Gerios ou Khodr). En France, on a Villeneuve Saint-Georges, Nuits-Saint-Georges et Saint-Georges d’Oléron, parmi plus de 80 communes ou anciennes communes qui portent son nom.


Qui terrassera le dragon Poutine ?


En Russie, Saint-Georges est une icône nationale. Le monastère Saint-Georges de Iouriev, fondé selon la tradition en 1030 près de Novgorod par Iaroslav le Sage, prince de Novgorod et de Kiev, est considéré comme le plus ancien monastère de Russie. Sept siècles plus tard,  Catherine II en fit surtout un emblème patriotique et militaire : pour récompenser la bravoure exceptionnelle au combat des officiers et, par extension, des soldats et sous-officiers, « l’autocrate de toutes les Russies » (qui annexa notamment la Crimée) instaura en 1769 l’ordre impérial et militaire de Saint-Georges, plus haute distinction militaire de la Russie impériale. Lénine, qui n’avait pas que des défauts, supprima en 1918 ce symbole de l’autocratie tsariste. Boris Elstine, qui n’avait pas que des qualités, l’a rétabli en 1994, avec la volonté d’affirmer une nouvelle identité nationale post-soviétique, en valorisant les valeurs de bravoure, de service à la patrie et d’excellence militaire, tout en marquant une rupture claire avec l’héritage communiste et en réhabilitant des symboles forts de la Russie impériale.

 

Symbole de patriotisme, le « ruban de Saint-Georges » (orange à trois bandes noires) sera sur toutes les boutonnières officielles le 9 mai prochain lors des commémorations de la victoire sur le nazisme, dont la Russie de Poutine s’attribue la quasi-exclusivité. Mais au fait, qui terrassera le dragon Poutine ?


A Barcelone, la façade de la Casa Batlló, d'Antoni Gaudí, avec son toit qui évoque les écailles du dragon vaincu par Sant Jordi.


Sant Jordi en Catalogne : roses et livres


On préférera de loin la façon qu’ont les catalans de fêter Sant Jordi. Parce que leur Saint Georges n’est pas aussi guerrier que celui du Führer du Kremlin. Là aussi, il y a pourtant une histoire de dragon, mais sensiblement différente de la Légende dorée. La légende catalane raconte qu’un chevalier, Jordi, aurait sauvé une princesse (du doux nom de Cleodolinda) d’un dragon qui terrorisait la région de Montblanc, au sud de la Catalogne. Du sang du dragon naît un rosier, et le chevalier offre une rose à la princesse… L’héroïsme et la bravoure, donc, mais aussi l’amour. Avec son toit ondulé, recouvert de tuiles colorées, qui évoque le dos d’un dragon, sa tour coiffée d’une croix qui représente la lance (ou l’épée) de Saint Georges, le balcon fleuri qui symbolise l’endroit où la princesse Cleodolinda  aperçoit son sauveur arriver, la Casa Batlló, l'une des réalisations emblématiques d'Antoni Gaudi a Barcelone, est une allégorie de cette légende.

 

Ce 23 avril, à Barcelone et dans les rues des villes et villages catalans, la tradition veut qu’on s’offre des roses. Des roses, et des livres : Sant Jordi est aussi une grande fête de la littérature, en écho à la date anniversaire de la mort de Cervantès et de Shakespeare, avec des dédicaces d’auteurs, des lectures publiques, des concerts, des expositions…


Inca Garcilaso de la Vega, mort le 23 avril 1616, le même jour que Miguel de Cervantès et William Shakespeare.


Cervantès et Shakespeare réclament leurs droits d'auteur


Ils sont morts le même jour, voici 409 ans, le 23 avril 1616 : Miguel de Cervantès et William Shakespeare. Il conviendrait, en plus, de leur adjoindre un troisième marron : Inca Garcilaso de la Vega, écrivain, chroniqueur et intellectuel métis, né à Cuzco dans l’ancienne vice-royauté du Pérou, d’un père conquistador espagnol (Sebastián Garcilaso de la Vega y Vargas) et d’une mère princesse inca (Chimpu Ocllo), descendante de la lignée impériale des Incas : encore une histoire de princesse, mais sans dragon. Après la mort de son père en 1560, Inca Garcilaso de la Vega quitte définitivement le Pérou pour l’Espagne et s'installe en Andalousie. Surnommé le « Prince des écrivains du Nouveau Monde », il est considéré comme le premier grand écrivain péruvien et le premier auteur latino-américain à écrire sur l’Amérique depuis l’Europe. Son œuvre majeure, les Comentarios Reales de los Incas ("Commentaires royaux des Incas", 1609), retrace l’histoire, la société, la religion et les traditions de l’empire inca, puis la conquête espagnole du Pérou. Ce texte, nourri de ses souvenirs, de témoignages familiaux et de sources orales et écrites, propose une vision originale et nuancée du monde andin, cherchant à réhabiliter la civilisation inca et à la présenter comme un modèle politique et moral.


A Rio de Janeiro, une des plus belles bibliothèques du monde : La Real Gabinete Português de Leitura,

construite entre 1880 et 1887 par l’architecte Rafael da Silva e Castro...


En leurs mémoires communes, le 23 avril a été promu par l'Unesco, en 1995, Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Chaque année, une ville est désignée "capitale mondiale du livre". Cette année, après Strasbourg l'an passé, c'est Rio de Janeiro.


Une Journée mondiale, où ça ? Comme d'habitude, en France, le ministère de la Culture et de la Communication n'est au courant de rien. Pas le moindre événement symbolique annoncé sur le site dudit ministère. Rachida Dati est sans doute trop occupée à lustrer ses bijoux pour avoir un quart de seconde à perdre à des sujets aussi superflus que livre et les droits d'auteur. Sur le site du ministère, on trouve en revanche l'annonce d'une saison France-Brésil 2025, dont quasiment personne n'a entendu parler : c'est ce qu'on appelle une communication performante ! Temps forts : des expositions, de la danse et du cabaret, vu que « le cabaret est un lieu de liberté sans égale, où résonnent les notions de différence, d’inclusion et de diversité » (dixit Rachid Dati). De littérature ? Nenni. Comme aurait dit Queneau, la littératuire brésilienne, a'xiste pas.


Pour notre part, nous avons demandé à Miguel de Cervantès et William Shakespeare, post mortem et sans promettre des droits d'auteur que nous serions bien en mal de verser, d'imaginer un dialogue entre don Quichote et Hamlet au sujet d'uin certain Donald Trump :


Don Quichotte (levant sa lance imaginaire, solennel) :

Seigneur Hamlet, prince des songes et des doutes,

entends-tu parler, en ces terres lointaines,

d’un certain chevalier nommé Donald de Trump,

qui, armé non d’épée mais de paroles tonnantes,

prétend redresser le monde selon sa volonté ?


Hamlet (d’un ton mélancolique, la tête penchée) :

Je l’ai ouï, noble Quichotte, et son nom résonne

Comme un tonnerre creux dans les salles du pouvoir.

Est-il roi, bouffon, ou simple spectre d’ambition ?

Voilà la question : diriger ou diviser ?


Don Quichotte (enthousiaste, les yeux brillants d’idéalisme) :

Il est, me semble-t-il, un enchanteur moderne,

Qui voit des géants là où d’autres voient des moulins.

Il brandit la bannière de la justice à sa façon,

Mais la justice, hélas, n’est pas toujours ce qu’elle paraît.


Hamlet (soupirant, d’une voix grave) :

La justice, dis-tu ? Ô mot trompeur et fuyant,

Sous son masque doré, combien d’ambitions vaines !

Ce Trump, dans son miroir, voit-il un roi ou un fou ?

Car souvent, l’homme qui crie le plus fort

Cache le vide de son propre royaume.


Don Quichotte (rêveur, s’adressant au ciel) :

Peut-être n’est-il qu’un autre chevalier perdu,

Errant dans le désert de ses propres illusions,

Cherchant Dulcinée dans les tours d’argent de Manhattan,

Et combattant des ennemis de vent et de verre.


Hamlet (souriant avec ironie, un brin de tristesse) :

Ou bien, cher Quichotte, sommes-nous tous,

À notre façon, des Trump, des Hamlet, des Quichotte,

À poursuivre des ombres, à douter, à croire,

Et à espérer qu’un jour, la vérité se dévoile.


Don Quichotte (s’inclinant avec noblesse) :

Alors, Prince du Danemark, montons ensemble,

Non pour vaincre, mais pour comprendre,

Car le vrai courage n’est pas de terrasser l’ennemi,

Mais de questionner le monde, et soi-même, sans fin.


 Le son du jour


Arno, le dernier concert 


Pour clore ce journal du jour, rendre hommage à Arno, mort voici trois ans, le 23 avril 2022. Et maintenant ? Comme il disait souvent, "c'est le bazar". On ne peut pas résumrer Arno. Donc à écouter ou réécouter en intégralité son dernier et bouleversant concert, fimé le 5 février 2022 à l'Ancienne Belgique à Bruxelles. Jusqu'au bout du bout des forces qu-a bien voulu lui laisser le crabe-dragon-cancer.



 

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