« Nous utilisons de moins en moins de biodiversité dans notre alimentation, et ceci est le résultat des défis auxquels nous avons été confrontés en termes de production alimentaire au rythme de la croissance de la population mondiale ». Comment inverser une telle tendance, promue sur tous les continents par les lobbies de l'industrie agro-alimentaire ? C'est ce qu'explique, dans un passionnant entretien pour le quotidien colombien El Espectador, le franco-colombien Juan Lucas Restrepo, quasiment inconnu du grand public, qui dirige depuis 2018 Bioversity International, un organisme international de recherche pour le développement. A ce titre, il est l'un des meilleurs connaisseurs de l'état de planète en termes de ressources agricoles et alimentaires, un sujet évidemment abordé lors de la COP 16 Biodiversité.
On lui a souvent fait remarquer, sur le ton de la critique, qu’il était « trop optimiste ». « Je vois une société avec d’énormes problèmes, des guerres, des famines, des catastrophes climatiques… Mais je me concentre sur le progrès et je pousse le chariot des solutions », confiait-il l’an passé à l’édition latino-américaine du quotidien espagnol El País.
Franco-colombien, Juan Lucas Restrepo est quasiment inconnu du grand public. Pourtant, il est sans doute l’un des meilleurs connaisseurs de l’état de la planète en termes de ressources agricoles et alimentaires. A ce titre, il joue un rôle prépondérant lors de la COP 16 Biodiversité qui tient jusqu’au 1er novembre à Cali, notamment au chapitre des « superficies consacrées à l’agriculture, à l’aquaculture, à la pêche et à la sylviculture » (cible 10 de l’accord Kumming-Montréal, qui cite expressément l’agroécologie comme « pratique respectueuse de la biodiversité »).
Après des études d’ingénieur civil à l’Université des Andes, en Colombie, Juan Lucas Restrepo a poursuivi son cursus aux États-Unis, obtenant une maîtrise à l’Université de Cornell en politiques publiques agricoles et alimentaires. A son retour en Colombie, en 1997, il est nommé directeur de service au ministère de l’Agriculture sous la présidence du social-démocrate Ernesto Samper (bête noire des paramilitaires et des narcotraficants) avant de devenir brièvement vice-ministre de l’Agriculture : il crée alors une loi qui instaure un système national d'innovation agricole, et participe en tant qu'ambassadeur plénipotentiaire à la dernière étape des dialogues de La Havane avec la guérilla des FARC, où il parvient à conclure un accord sur les terres et la souveraineté alimentaire. Il a en outre été directeur commercial de la puissante Fédération nationale des producteurs de café, et directeur d'Agrosavia, le principal organisme de recherche agricole de Colombie.
Membre du comité consultatif du Centre latino-américain pour le développement rural, du comité des ressources génétiques du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR) et président du conseil d'administration du Forum mondial pour la recherche agricole (GFAR), il a été élu en 2018, à l'issue d'un concours international, directeur général de Bioversity International (un organisme international de recherche pour le développement créé en 1974 par le groupe consultatif pour la recherche internationale en agriculture) et de son alliance avec le Centre international d'agriculture tropicale (CIAT). Avec plus de 2.000 employés et 15 centres de recherche et banques de semences, cette entité est « dédiée à la production de biens publics internationaux pour les systèmes d'innovation nationaux dans les pays du Sud ».
Juan Lucas Restrepo estime que le plus grand défi mondial consiste à combler l'énorme fossé qui existe « entre les solutions, qui sont relativement claires, et le statu quo », qui, selon lui, « privilégie des formes de production, de consommation et de revenus qui ont de bien meilleures alternatives, en termes d'avantages sociaux et environnementaux ». Il revendique volontiers l’héritage d’un agronome "visionnaire", le Péruvien Gustavo González, pionnier du développement agricole en Amérique latine. En France, les ingénieurs agronomes n’ont pas toujours eu bonne presse : au motif de devoir « nourrir la planète », certaines tendances en agronomie ont en effet eu tendance à "pousser au rendement" avec des solutions technicistes qui ont pu, dans la durée, produire pas mal de dégâts. Ainsi, pour le mouvement Via Campesina, « la crise de la biodiversité que nous vivons aujourd’hui a commencé lorsque toutes ces soi-disant solutions, telles que la révolution verte et l’agriculture intelligente face au climat, ont été mises en œuvre dans la production alimentaire. »
Juan Lucas Restrepo n’approuve certainement pas à 100 % le constat dressé par Via Campesina, mais il est intéressant de noter, dans un entretien qu’il vient d’accorder au quotidien colombien El Espectador, que cet ardent défenseur du séquençage génétique des fruits et légumes prône également la revalorisation de cultures oubliées ou sous-utilisées, la reconnaissance des semences paysannes que l’industrie agro-alimentaire vise à supprimer, tout autant qu’il dénonce la nocivité, pour résoudre les crises agricoles, de subventions qui consistent à réduire le coût des engrais et autres intrants.
J-M. A
ENTRETIEN AVEC JUAN LUCAS RESTREPO
Juan Lucas Restrepo. Photo Centre international d'agronomie tropicale (CIAT)
Comment expliquer à quelqu'un que ce qu'il mange a un lien avec la perte de biodiversité ?
Juan Lucas Restrepo - A l’époque de Neandertal, nous étions une petite espèce non dominante dans un environnement naturel. Nous commencions tout juste à comprendre qu'il y avait des choses qui pouvaient être cultivées et notre régime alimentaire était un régime de chasseurs-cueilleurs totalement nomades. Nous chassions ce qui était disponible, ce qui était saisonnier. Nous avions l'habitude de manger une grande diversité d'aliments et nous avions une relation permanente avec la nature. Des millions d'années plus tard, nous nous trouvons dans une société où l'homo sapiens domine, modifie la relation avec la nature et a un rapport très différent à l'alimentation. Aujourd'hui, 12 espèces végétales et 5 espèces animales représentent 75 % de ce que nous consommons en moyenne chaque jour. En d'autres termes, nous utilisons de moins en moins de biodiversité dans notre alimentation, et ceci est le résultat des défis auxquels nous avons été confrontés en termes de production alimentaire au rythme de la croissance de la population mondiale.
"Aujourd'hui, 12 espèces végétales et 5 espèces animales représentent 75 % de ce que nous consommons en moyenne chaque jour"
L'accord de Kunming-Montréal a offert la possibilité de faire des systèmes alimentaires l'une des cibles des objectifs des pays signataires (1). Cela signifie que lorsque nous pensons à la biodiversité, nous ne devrions pas seulement penser aux forêts primaires, qui sont extrêmement importantes, mais nous devrions également penser à la biodiversité au sein des systèmes où l'agriculture et l'élevage se sont développés. Réfléchissons donc à la manière dont nous pouvons viser une plus grande biodiversité dans ces territoires, et donc une plus grande diversité dans ce qui se retrouve dans nos assiettes, avec des régimes alimentaires plus équilibrés et davantage en harmonie avec la nature.
Quels sont les autres facteurs qui expliquent une telle réduction de la nourriture sur nos tables ?
Juan Lucas Restrepo - Il y a dix ans, nous appelions cultures oubliées et cultures sous-utilisées celles qui n'avaient tout simplement pas assez de place dans les investissements des pays pour promouvoir leur consommation. Il y a eu un sous-investissement dans un grand nombre d'aliments. Les pays n'ont pas vu de retour sur investissement dans ces cultures. Nous devons à nouveau nous diversifier, accroître la biodiversité dans les campagnes.
Lire également, sur les humanités, "Systèmes alimentaires: hold-up à l'ONU ?" (23/09/2021)
Vous parliez des cultures oubliées. Certains scientifiques, par exemple en Colombie, pensent qu'il existe des écosystèmes négligés qui sont affectés par les systèmes alimentaires, comme les savanes inondées de l'Orénoque (2) avec la progression de la culture du riz, alors que d'autres, comme l'Amazonie, font l'objet d'une plus grande attention.
Juan Lucas Restrepo - L'Amazonie représente un problème et un défi énormes pour la Colombie, mais aussi pour l'humanité. Il est donc logique qu'un biome (3) de cette taille, qui joue un rôle dans les cycles de l'eau dont l'impact dépasse la région, reçoive une attention prioritaire au niveau mondial. Mais je suis aussi préoccupé par ce qui se passe dans les écosystèmes des plaines inondables, ou encore dans les páramos (4). Vous parlez du riz, mais le plus souvent, c'est le bétail qui est en cause. Et nous accusons la vache, comme si c'était elle qui décidait où elle allait paître. Il s'agit d'un problème de précarité foncière, d'une histoire où la déforestation, combinée à l'illégalité et à la corruption, peut avoir de formidables retombées en termes de création de domaines et où les vaches permettent simplement de donner une valeur foncière aux zones qui sont drainées ou déboisées.
Pour la Colombie, l'élevage représente un énorme avantage comparatif. Il y a des pays dont la consommation de viande doit être réduite, mais il y en a beaucoup d'autres, en particulier les plus pauvres, où les protéines animales restent un vecteur extrêmement efficace de protéines, de micronutriments essentiels, etc. Le bétail a donc sa place, mais examinons comment nous pouvons intensifier sa production de façon durable et responsable. L'Alliance de Bioversity International et du Centre international d'agriculture tropicale travaille d'arrache-pied sur ce sujet. Nous devons être très stricts, avec des modèles de traçabilité qui nous permettent de nous opposer à tout type d'élevage extensif. C'est une question de décision politique. Il n'est pas difficile de réglementer l'élevage pour qu'il cède des millions d'hectares à d'autres usages, tels que la restauration des écosystèmes (beaucoup doivent l’être), l'agriculture durable, l'agroécologie, etc.
Au Brésil, la constitution d'une banque de données pour identifier tous les légumes et les fruits produits localement. Photo Embrapa.
Parlons également de cas de réussite qui permettent de voir la transformation de ces systèmes alimentaires dans le monde.
Juan Lucas Restrepo - Il y a un très bel exemple, que nous voulons utiliser comme l'un de nos étendards à la COP. Il s'agit d'un programme de biodiversité pour la nutrition que nous avons développé il y a quelques années au Brésil, avec Embrapa, le partenaire local dans le Nordeste, qui est la partie la plus pauvre du pays (5). Nous avons travaillé pour identifier tous les légumes et les fruits qui étaient produits localement, qui étaient importants dans les régimes alimentaires, et qui étaient en train de disparaître. Nous avons effectué une analyse très complète de leur diversité, mais aussi de leur valeur nutritionnelle, de ce qu'ils peuvent apporter, par exemple, à un enfant en pleine croissance. Cette base de données, qui est publique, a été utilisée par le gouvernement brésilien pour modifier les formules d'alimentation scolaire dans cette partie du pays, pour mettre en place des circuits courts afin de commencer à promouvoir ce type d'aliments culturellement appropriés, nutritionnellement efficaces et générateurs d'opportunités économiques locales, de sorte que la nourriture des enfants n'ait pas à être importée d'une autre partie du pays.
Il y a un autre cas magnifique en Colombie que nous reproduisons ailleurs. Parfois, il ne s'agit pas seulement de biodiversité en termes de nombre d'espèces impliquées dans un plat, mais de diversité au sein d'une même espèce. Nous avons ainsi 36.000 haricots différents recensés dans le programme « Semences du futur » (6), ce qui nous a permis de générer des connaissances sur ce qu'ils contiennent. Nous avons trouvé de belles variétés qui contiennent du zinc, du fer, qui sont tolérantes aux changements de températures, etc. Nous avons contribué à les incorporer aux variétés traditionnellement cultivées par les paysans, par exemple dans les régions du Cesar et de La Guajira, et elles ont été très bien acceptées. Il s'agit de sélection naturelle, il n'y a pas de modification transgénique ou quoi que ce soit de ce genre. On peut faire de belles choses en utilisant la biodiversité au sein d'une même espèce.
Un troisième exemple concerne les forêts. Dans tous les pays, les ministères de l'environnement déclarent qu'ils vont restaurer ou soutenir le reboisement à l'aide d'espèces originelles. Bravo, les espèces originelles, c'est fantastique. Mais il ne s'agit pas seulement de chercher des graines, de faire un lit de semences et de planter, il faut le faire avec une connaissance spécifique de la biodiversité forestière. Il faut donc comprendre la biodiversité d'une espèce dans la forêt, sa diversité génétique, les individus de cette diversité génétique qui devraient fournir leurs graines à ces lits de semences et comment, à partir de là, on commence à accompagner l'utilisation de ces arbres, en fonction des services écosystémiques qu'il peut fournir, que ce soit en termes de protection des sols, d'eau, de carbone, d'alimentation animale anticyclique, de bois de chauffage ou de mille autres choses. L'Alliance Bioversity International / Centre international d'agriculture tropicale a réalisé là-dessus un travail scientifique considérable.
"j'ai eu beaucoup de mal à comprendre que chaque fois que surgissait une crise, il n’y avait pas de moyen de la résoudre autrement que par des subventions sur le prix des engrais."
L'un des défis que posent ces réussites est de savoir comment faire passer ces processus à une échelle supérieure ?
Juan Lucas Restrepo - Je donnerai deux éléments de réponse. L'un d'entre eux provient de ma frustration en tant que Colombien : en 2017, après des années de travail, de préparation et d'efforts, nous avons réussi à faire passer une loi qui a créé un Système national d'innovation agricole. C'est un système qui aurait pu être un modèle au niveau mondial, parce qu'il permet de relier la science, l'éducation, la formation technique et technologique, et un service public de vulgarisation agricole.
Structurellement, il y a beaucoup de choses à faire. Par exemple, la Colombie, qui est un pays à revenu moyen, comme les pays à revenu élevé et les pays à faible revenu, a un soutien au secteur productif qui crée beaucoup de distorsions. J'ai été vice-ministre de l'agriculture il y a de cela de nombreuses années et j'ai eu beaucoup de mal à comprendre que chaque fois que surgissait une crise, il n’y avait pas de moyen de la résoudre autrement que par des subventions sur le prix des engrais.
Je participe souvent à des discussions sur les sols et les engrais en Afrique et le problème est exactement le même. Nous épuisons les sols, nous distribuons des engrais qui ne sont guère utiles au producteur, parce qu'en fin de compte, ces subventions ne font qu’enrichir des sociétés commerciales, et ce qu'elles génèrent en termes de bien-être est très faible. Nous gaspillons donc beaucoup d'argent dans des subventions qui ne sont pas efficaces, qui faussent et modifient les signaux du marché, au lieu d’aider les producteurs à adopter des pratiques régénératrices pour protéger les sols et augmenter leur production à l'avenir tout en réduisant leur besoin d'engrais. C'est là que le bât blesse, et nous continuons à faire face à des lobbies agricoles et à des sociétés commerciales, qui cherchent avant tout à conforter leurs intérêts.
La semaine dernière, les ministres de l'agriculture du G7 se sont réunis à Syracuse, en Italie, avec 11 ministres de l'agriculture africains. J'ai été ravi d'entendre le ministre kényan de l'agriculture parler des semences. L'OCDE parlait de l'importance des semences certifiées, des systèmes d'information et de leur disponibilité. Le Kenya a adhéré à cette plate-forme de semences certifiées, mais a ajouté le ministre kényan, "nous avons aussi des normes pour les semences paysannes et les semences communautaires sui generis, parce que nous pensons que les deux systèmes de semences doivent coexister". Et parfois, en Colombie comme dans d'autres pays, les lobbies conduisent à ce qu'il n'y ait qu'une seule solution, la solution de l'amélioration et de la commercialisation, alors que nous avons des cas magnifiques, partout dans le monde, de communautés qui parviennent, avec leurs propres connaissances et techniques, à fournir 30 % de leurs besoins en semences avec leur propre approvisionnement. C'est à ces méthodes complexes que nous devons réfléchir pour avoir un impact et ne pas nous contenter d'introduire davantage de subventions pour les intrants !
Il y a une question qui est souvent négligée, qui est celle des modes de consommation des pays du Nord. Voyez-vous des progrès dans ce domaine ?
Juan Lucas Restrepo - Il s'agit d'une question très générationnelle. Dans les pays "plus éduqués", les jeunes générations commencent à changer leurs habitudes de consommation. Mais il y a encore un manque d'engagement de la part des pays. Et il existe de grandes différences entre l'Europe et l'Amérique du Nord. Certains avancent plus vite que d'autres. Et les COP sont essentielles pour accélérer ce processus. Les choses changent, mais trop lentement, ce qui ne sert ni l'humanité ni la planète.
Qu'attendez-vous des Plans d'Action Nationaux pour la Biodiversité (en anglais, NBSAP) ? Plus précisément en ce qui concerne l'objectif 10, qui porte sur les systèmes alimentaires ?
Juan Lucas Restrepo - Le protocole de Kunming-Montréal a créé un espace de négociation pour les zones protégées et l'alimentation. Le fait que les pays puissent désormais s'engager à déployer des efforts en faveur de la biodiversité dans les systèmes concernés me semble être un énorme pas en avant et modifie la prise de conscience et la dynamique politique. Ce que l'on espère, c'est que les engagements de la COP 16 en matière de biodiversité soient bien alignés et harmonisés avec les engagements pris. Les pays parviennent déjà à une coordination entre leurs ministères de l'environnement, de l'énergie et de l'agriculture, de sorte que ces plans représentent effectivement l'État et pas seulement tel ou tel ministère. La direction prise est la bonne. Nous allons enfin commencer à voir des engagements spécifiques dans ces domaines qui n'étaient pas si évidents dans les COP précédentes.
"La question est de savoir comment traiter l'accès et le partage des bénéfices des informations provenant des séquences numériques des génomes des espèces et de la biodiversité"
Qu'attendez-vous de la négociation du protocole de Nagoya (7) et des accords qui pourraient être conclus ?
BioVersity est un programme de la FAO créé il y a 50 ans pour protéger les ressources génétiques pour l'alimentation et l'agriculture. Il y a 20 ans, la Colombie a joué un rôle important dans la négociation d'un traité qui compte déjà plus de 100 pays, à savoir le traité de la FAO sur les ressources génétiques, qui prévoit un mécanisme d'accès aux ressources génétiques agricoles et de partage des avantages qui en découlent. Nous y apportons une grande contribution technique en termes d'accès et de partage des avantages. Par ailleurs le président colombien, Gustavo Petro, vient de signer l'adhésion de la Colombie au traité de la FAO sur les ressources génétiques. Il s'agit du traité concernant ce petit morceau de la grande biodiversité qu'est l'agrobiodiversité.
La question est de savoir comment traiter l'accès et le partage des bénéfices des informations provenant des séquences numériques des génomes des espèces et de la biodiversité. Aujourd'hui, cette science et ces nouvelles technologies qui permettent de mieux comprendre la diversité génétique suscitent des craintes considérables, en particulier dans les pays possédant une grande diversité, qui redoutent que l'accès aux espèces ou aux ressources génétiques elles-mêmes, qu'ils ont commencé à mettre en place, ne soit entravé ou détourné. La crainte est de se retrouver "sans pain ni fromage".
Ce que nous avons promu, par le biais de publications scientifiques fournies au secrétariat de la convention, c'est la création d'un système multilatéral d'accès et d'avantages lorsqu'il s'agit de séquences d'informations numériques, en s'inspirant du traité sur les ressources génétiques de la FAO. Si cette COP parvient à négocier cela, ce sera un grand succès, car cela permettra de résoudre de nombreux obstacles liés à l'accès aux ressources génétiques et au partage des avantages. Cette question est devenue un point d'achoppement, mais au moins des options sont présentées aux négociateurs.
Outre les recommandations formulées sur ces questions (diversification des régimes alimentaires et consommation de produits locaux), quelles sont les autres mesures que les consommateurs peuvent prendre ?
Il y en a une qui me semble spectaculaire. Dans différentes régions de Colombie, différentes espèces sont produites selon des schémas saisonniers différents. A tel ou tel endroit, et à un moment donné de l'année, vous trouverez des caisses de goyaves, pleines à ras-bord. Et deux semaines plus tard, il n'y a plus de goyaves. Il existe donc une énorme opportunité de comprendre comment ces produits saisonniers, qui sont diversifiés, nutritifs et bon marché parce qu'ils sont au sommet de leur production, peuvent être intégrés de manière plus adéquate dans les régimes alimentaires. Dans certains pays, nous avons établi des calendriers saisonniers qui indiquent : en janvier, cherchez ceci, en février, ceci, en mars, vous pouvez trouver ceci à tel endroit, et rien qu'en suivant ces différents produits, vous pouvez modifier votre régime alimentaire, le rendre plus riche, plus nutritif, tout en aidant les producteurs. C'est une situation gagnant-gagnant qui permet même aux classes à faible revenu d'avoir accès à tout cela.
Propos recueillis pour El Espectador par César Giraldo Zuluaga
(traduction par la rédaction des humanités)
NOTES
(1) - Avec l’accord de Kunming-Montréal, présenté en 2022 lors de la COP 15 Biodiversité, 200 pays s'engageaient à éviter une extinction massive d'espèces végétales et animales, notamment en protégeant au moins 30 % des terres et des mers d'ici à 2030. Voir notre publication précédente.
(2) - L’Orénoque (du nom du fleuve qui la traverse) est une vaste région de savane et de zones humides située à l’est de la Colombie. S’étendant sur 25 millions d’hectares et abritant près de 1,5 million d’habitants, cette région a connu une conversion massive de ses terres au cours des dernières décennies. Entre 1990 et 2015, plus d’un million d’hectares de forêts ont été défrichés pour créer des pâturages, principalement dans le département de Meta. A Casanare, dans cette même région, la culture du riz a pour sa part augmenté de 222% ces dix dernières années.
(3) - Un biome, appelé aussi macroécosystème ou aire biotique, est un ensemble d'écosystèmes caractéristique d'une aire biogéographique et nommé à partir de la végétation et des espèces animales qui y prédominent et y sont adaptées (Wikipédia).
(4) - Le páramo (de l'espagnol páramo : plateau, lande) est un biotope néotropical d'altitude, qu'on trouve dans la cordillère des Andes, entre la limite des forêts et les neiges éternelles.
(5) - Embrapa, Empresa Brasileira de Pesquisa Agropecuária (Entreprise Brésilienne de Recherche Agricole), est une entreprise d’État brésilienne fondée en 1973 et spécialisée dans l’agronomie. Elle est largement à l’origine de la transformation du Brésil en grande puissance agricole en ayant notamment adapté les variétés les plus courantes (blé, maïs, soja) au climat sub-tropical d’une grande partie du Brésil, notamment du Sertão et du Cerrado. Embrapa relève du Ministère brésilien de l’agriculture, de l’élevage et de l’approvisionnement alimentaire).
(6) - en espagnol, ‘Semillas del futuro’, en anglais ‘Seeds of the Future’, c’est un centre d'innovation mondial, situé sur le campus de Palmira en Colombie. Il s’agit, grâce à la génomique, au phénotypage numérique et aux technologies de l'information, de construire une "banque de connaissances", permettant le déploiement de la diversité des cultures.
(7) - Le Protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation à la Convention sur la diversité biologique, est un accord international sur la biodiversité. Il a été adopté par la dixième réunion de la Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique des Nations unies, le 29 octobre 2010 à Nagoya, au Japon, et est entré en vigueur le 12 octobre 2014. Cet accord vise un partage juste et équitable des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques de « plantes, animaux, bactéries ou d'autres organismes, dans un but commercial, de recherche ou pour d’autres objectifs ». Un de ses objectifs est de fournir des outils pour combattre la « Biopiraterie » (l'appropriation illégitime des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles autochtones).
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