
Des Israéliens participent à un rassemblement contre la décision du Premier ministre Benjamin Netanyahu de limoger
le chef du Shin Bet, Ronen Bar, sur la place Habima à Tel Aviv, le 18 mars 2025. Photo Tomer Neuberg/Flash90
Alors que Netanyahou vient de décider de reprendre les bombardements meurtriers sur Gaza, il est indirectement visé par une enquête sur l'un de ses plus proches conseillers, soupçonné d'accointances avec le Qatar, réputé proche du Hamas et des Frères Musulmans. En guise de défense, le Premier ministre israélien reprend le vocabulaire de Trump et dénonce "l’État profond". Par Didier Epelbaum
C’est un point commun entre Trump et Netanyahou : selon le Premier ministre israélien, un « État profond » israélien existe dans son pays, doté de « tentacules » qui s’étendent aux pays étrangers. « Il n’y a pas de démocratie ici, mais un régime de bureaucrates et de juristes. Bien que je sois réélu, le pays est contrôlé par un ‘’Deep State’’ qui rêve de m’envoyer en prison » (1). Il y aurait ainsi une hiérarchie parallèle exerçant le vrai pouvoir indépendamment du vote des citoyens et souvent en contradiction avec les choix de la majorité. Le « Deep State » a son idéologie, opposée à ceux des représentants élus, surtout quand ils sont de droite, ses chefs clandestins, ses bureaucrates et ses fonctionnaires qui manipulent la politique gouvernementale et tentent de faire tomber son chef quand il ne lui convient pas.
Les deux cibles favorites de Netanyahou sont actuellement la « conseillère juridique du gouvernement », qui fait office de contrôleur de la conformité des décisions politiques avec le droit, Gali Baharav-Miara, et le chef de la Sécurité intérieure (en hébreu : Shin Bet) Ronen Bar. C’est pour protester contre le licenciement annoncé de ce dernier que des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue à Tel Aviv et à Jérusalem. Le motif invoqué par Netanyahou : « un manque total de confiance ». Bar avait déjà été écarté de l’équipe des négociateurs des accords de libération d’otages israéliens du Hamas à Gaza. Pourtant, tout semblait aller bien entre les deux hommes depuis le début de la guerre. Il était entendu que Bar devait assumer ses responsabilités dans l’échec scandaleux du 7 octobre 2023, son incapacité à prévoir l’ampleur de l’attaque et à prévenir la direction politique, ce qu’il a reconnu publiquement, mais il ne pouvait pas partir dans le feu du combat.
La mobilisation contestataire pour un personnage qui incarne plutôt la violence d’État (mais aussi sa protection) est moins bizarre qu’il n’y paraît. Tout a basculé en novembre 2024 avec l’ouverture d’une enquête du "Shin Bet" sur un proche conseiller et ancien porte-parole de Netanyahou, Eli Feldstein. Il est soupçonné d’avoir gravement porté atteinte à la sécurité de l'État pour s’être procuré illégalement des documents classés secret défense et d’avoir divulgué des informations militaires sensibles à des médias étrangers dans le but de fourbir l’image de son patron. Il a été arrêté plus libéré sous contrôle judiciaire. Deux autres collaborateurs du Premier ministre sont soupçonnés dans la même affaire.
Et ce n’est pas tout. L’enquête est une véritable boite de Pandore. Selon la dernière fuite, Feldstein aurait reçu de l’argent d’un homme d’affaires israélien lié à un lobbyiste qatari. Il aurait été rémunéré pour services vendus au gouvernement du Qatar qui cherche désespérément à redorer son blason international grâce à son rôle de médiateur, information vigoureusement démentie par les avocats du prévenu : « Feldstein n’a jamais travaillé pour le Qatar, n’a jamais transmis d’informations au Qatar et n’a jamais reçu d’argent du Qatar. Feldstein travaillait pour le cabinet du Premier ministre et toutes ses activités sur les questions politiques et de sécurité étaient menées uniquement au nom et pour le compte du Premier ministre. »
L’enquête est supervisée par Ronen Bar et les flammes des fuites aux médias commencent à lécher les murs de la maison Netanyahou. Pourquoi est-elle du ressort de la Sécurité intérieure et non de la police ? Parce que les délits ou crimes en question touchent à la sécurité nationale et au Qatar, un pays réputé proche des ennemis jurés d’Israël, le Hamas et les Frères Musulmans.
De nombreux Israéliens sont convaincus que leur premier ministre ne cherche qu’à étouffer une enquête extrêmement gênante et qu’il attente directement au fonctionnement de ce qui reste de démocratie dans le pays. L’un des slogans des manifestations est « La démocratie en danger ».
A la suite de l’arrestation du conseiller, deux députés de la majorité droite/extrême droite ont présenté un projet de loi visant à légaliser le transfert non autorisé de documents classés défense au bureau du Premier ministre. La conseillère juridique Gali Baharav-Miara s’est prononcée contre ce texte qui pourrait être considéré comme une « ingérence politique indue dans une procédure pénale concernant des proches du Premier ministre ». Le lancement par Netanyahou de la procédure de son licenciement n’est qu’une question de jours.
Le Premier ministre s’est déjà débarrassé de son ministre de la Défense Yohav Galant et du Chef d’état-major Herzi Halevi pour placer des hommes de confiance. Ce qui se profile en Israël, c’est un pouvoir de plus en plus autoritaire et une lutte sans merci contre les chiens de garde de la démocratie. Les meilleurs commentateurs de la politique intérieurs sont convaincus que la motivation première de Netanyahou, et peut-être la seule, est sa survie politique aux dépends des intérêts de l’État et de sa population, y compris au prix du sacrifice des otages encore enfermés dans les tunnels de Gaza, 59 dont 24 présumés vivants.
La politique de purge de Netanyahou aura eu au moins un résultat : relancer la contestation populaire dans la rue. On n’avait pas vu autant de manifestants depuis l’automne 2023.
Didier Epelbaum
NOTES
(1). Susan Hattis Rolef, “Do Israelis believe in an anti-Netanyahu deep state conspiracy?” Jerusalem Post, 28 août 2023.
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