Illustration : Adrià Fruitós, Identité d'exposition pour les Archives nationales de Londres, à l'occasion d'une exposition
sur l'histoire de la trahison depuis 1352. Réalisée avec Cosmo Jameson Creative Office.
Né à Barcelone en 1984, Adrià Fruitós est aujourd'hui basé à Marseille, en France, où il réalise des illustrations
pour la presse internationale. Son approche de divers sujets sociaux, politiques et économiques s'inspire de l'imaginaire collectif.
Ses illustrations sont chargées de symbolisme, mélangeant les éléments pour créer des images conceptuelles qui transmettent
un message puissant. Il a reçu le prix 2020 du Club de la Presse de Strasbourg.
Les néo-fascistes allemands de l'AfD sont l'un des points de ralliement entre Étron Musk et les fanatiques russes Douguine et Malofeïev, qui rêvent, au nom de la supériorité de la "race slave", d'établir "un grand bloc continental [sous influence russe] de Vladivostok à Dublin". Pour le richissime coucou survolté de Donald Trump, tout ce qui peut affaiblir les démocraties occidentales est bon à prendre. Comme pour Poutine. La "guerre froide" est bel et bien enterrée : États-Unis version Trump et Russie version Poutine inventent la nouvelle alliance d'une "guerre hybride" dont la désinformation et la propagande sont les armes principales... au même titre que les bombes qui s'abattent sur l'Ukraine.
18 mois de prison ferme. C’est la peine que vient de prononcer la justice britannique à l’encontre d’un activiste d’extrême-droite multi-récidiviste, Tommy Robinson, fondateur en 2009 de l'English Defence League (Ligue de défense anglaise), groupuscule issu de la mouvance hooligan, coupable d’avoir multiplié des propos haineux envers des réfugiés syriens, et d’avoir attisé, en fabriquant et diffusant des fake news, les violences anti-migrants de l’été dernier en Grande Bretagne.
Mais ce Tommy Robinson vient de trouver un avocat de poids en la personne d’Elon Musk qui a appelé, sur X, à sa libération immédiate : « Pourquoi Tommy Robinson est-il à l'isolement en prison ? Pour avoir dit la vérité ? ». Dans la foulée, Elon Musk s’en est pris avec virulence au Premier ministre travailliste, Keir Starmer, dont il souhaite à mots à peine voilés le renversement de son gouvernement, parlant même d’une « inévitable guerre civile ».
En Allemagne, on le sait, c’est son soutien aux néo-fascistes de l’AfD, à l’approche des prochaines élections législatives, qui fait débat. Pour Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l’université Paris Cité, spécialiste des questions numériques et du complotisme, interviewé par Public Sénat le 3 janvier 2025, Elon Musk « est en phase avec les évolutions de l’extrême droite. Il partage le même discours, d’une vision ultranationaliste du monde, d’une liberté d’expression qui serait en danger absolu dans nos démocraties occidentales. Il transmet aussi cette paranoïa d’un système qui chercherait à détruire les nations et affirme que les pays occidentaux doivent revenir à des valeurs traditionnelles contre une sorte de mixité induite par la migration. Il redynamise ces mouvements en leur donnant un outil et un dispositif de communication avec X, un outil extrêmement puissant pour ces radicalités en Europe. Ils obtiennent une courroie de transmission inespérée. Le personnage en lui-même crée une forme de synergie. Il a l’impression d’être à la tête d’une forme d’internationale de l’extrême droite. Finalement, il agit comme un accélérateur des influenceurs locaux d’extrême-droite. »
Cela ne saurait surprendre de la part d’Étron Musk (ce n’est pas un lapsus, c’est volontaire), nostalgique du régime d’apartheid avec lequel il a grandi en Afrique du Sud, et dont l’un des principaux inspirateurs, Curtis Yarvin, alias Mencius Moldbug, se demandait ce qu’il y avait « de si mauvais chez les nazis : la terreur nazie était légitime parce qu'elle fonctionnait » (Lire ICI). Mais le pouvoir d’influence, et désormais d’ingérence, que lui donne sa puissance médiatique et financière, décuplée par son rôle dans la future administration Trump, a évidemment de quoi inquiéter.
A l’orée d’une nouvelle "alliance" américano-russe
D’autant que la nébuleuse facho-conspirationniste semble à l’orée d’une nouvelle "alliance" américano-russe, bien loin de la guerre froide de jadis. Aux Etats-Unis, le Département du Trésor vient d’apporter, outre ce que l’on savait déjà, de nouvelles révélations sur les tentatives d’ingérence iranienne et surtout russe, lors de la dernière élection de Donald Trump. Outre ses services de renseignement, indique Bradley T. Smith, sous-secrétaire d'État par intérim au Trésor chargé du terrorisme et du renseignement financier, Moscou utilise des mandataires dirigés de facto par le gouvernement et des outils d'influence clandestins pour mener des campagnes secrètes d'influence étrangère malveillante. Ces dernières années, le Kremlin a adapté ses efforts pour dissimuler son implication en développant un vaste écosystème de sites web, de fausses personnalités en ligne et d'organisations de façade qui donnent l'impression d'être des sources d'information indépendantes sans lien avec l'État russe.
Cela, on le savait depuis les révélations sur les "usines à trolls" de feu Evguéni Prigojine, et plus récemment, sur "Doppelgänger", vaste programme de désinformation et de propagande qui a sévi dans plusieurs pays, dont la France (voir Le Monde du 13 juin 2023). Qui a monté cette infrastructure complexe – et coûteuse ? Même les services de renseignements occidentaux semblent avoir du mal à démêler l’écheveau.
Alexandre Douguine (photo de gauche) et Valeri Korovine (photo de droite)
Or, le Département du Trésor américain livre une information tout à fait nouvelle et intéressante, en incriminant Alexandre Douguine, le "théoricien" crypto-fasciste qui croit à la supériorité de la "race slave" et promeut, sous enseigne de "l’eurasisme", l'impérialisme russe et son expansionnisme militaire. Jusqu’en 2022, on avait tendance, ici, à considérer Douguine, souvent présenté comme "le Raspoutine de Poutine", comme un fêlé de la cafetière, dont l’influence ne dépassait pas certains cercles ultra-nationalistes, en Russie et pas seulement (en France, où il a été introduit par Alain de Benoist, il a noué des relations avec l’antisémite Alain Soral, ainsi qu’avec certaines personnalités du Front national -dont Jean-Marie Le Pen himself). Avec l’invasion de l’Ukraine, l’influence de Douguine a considérablement grandi auprès de Poutine et des stratèges du Kremlin.
Ce qu’apprend aujourd’hui le Département du Trésor américain, c’est qu’Alexandre Douguine est à la manœuvre désinformationnelle avec le "Centre d’expertise géopolitique" (Центр геополитических экспертиз) qu’il a créé et qu’il préside. Cette officine travaillerait main dans la main avec le service de renseignement militaire russe (GRU) pour déployer toute une série d’outils (dont de "faux" sites web, dans plusieurs langues), qui turbinent à partir de "contenus" réalisés par l’IA générative. Et le GRU « supervise les opérations de sabotage, d'ingérence politique et de cyberguerre visant l'Occident ».
Valeri Korovine, lors d'une manifestation ultra-nationaliste à Moscou.
Comme Douguine est à peu près aussi nul en informatique que nous le sommes en "eurasisme", le "Centre d’expertise géopolitique" peut s’appuyer sur les compétences de son directeur, Valeri Korovine, un autre fou furieux qui a publié en Russie, dès 2014, un ouvrage "de référence", La Troisième Guerre mondiale informatique. A l’époque, la visée était surtout défensive : il s’agissait d’empêcher que les réseaux sociaux ne puissent jouer en Russie le rôle qu’ils ont pu avoir dans les "révolutions de couleur" ou les "printemps arabes", qui sont, selon la doctrine du Kremlin, forcément phagocytés par la CIA et l’OTAN… (en 2009, Korovine avait déjà publié La Principale guerre secrète des États-Unis. Guerres de réseaux)
Pour Korovine, l’Ukraine elle-même est une pure invention de l’Occident et n'aurait jamais dû exister. Au déni de la langue et de la culture ukrainienne, il avait écrit, en cette même année 2014, La Fin du "projet Ukraine". En bref : si l’Ukraine, « sujet artificiel de l’Histoire », est si importante pour la "Grande Russie", c’est qu’elle doit « devenir le point d’ancrage d’un grand bloc continental de Vladivostok à Dublin ». Rien de moins.
Ce que ne dit pas le Département du Trésor américain, c’est d’où vient l’argent du "Centre d’expertise géopolitique" de monsieur Douguine. Si le budget fédéral russe y contribue certainement, dans des proportions qu’il est impossible de connaître à ce stade ; l’essentiel du financement vient d’un milliardaire, un peu moins riche qu’Étron Musk, mais assez pour financer les déportations d’enfants ukrainiens en Russie (en septembre dernier, il a épousé sa principale architecte, Maria Lvova-Belova) tout autant que plusieurs mouvements d’extrême-droite en Europe et aux États-Unis : Konstantin Malofeïev.
Vice président du Conseil mondial du peuple russe, propriétaire du fonds d'investissement Marshall Capital Partners, président d’un groupe de médias, il finance ainsi une "Ligue pour un internet sûr", qui a soutenu… un projet de loi sur la censure d'Internet en Russie». Ben voyons…
A notre connaissance, Étron Musk n’a encore jamais rencontré Alexandre Douguine et/ou Alexandre Malofeïev. Cela ne devrait point tarder : entre artificiers de la "guerre hybride", ils devraient s’entendre comme larrons en foire pour affaiblir par tous les moyens les démocraties occidentales et tenter de leur substituer un fascisme 2.0 qui, lui, n’a rien "d’hybride". En 2019, Douguine et Malofeev s’étaient déjà rapprochés de l’AfD en Allemagne, et avaient financé le voyage en Syrie de plusieurs de ses représentants, dont Ulrich Oehme, membre du Bundestag pour le Land de Saxe, afin qu’ils aillent baiser les babouches de Bachar al-Assad, ce grand démocrate. Peut-être Ulrich Oehme en a-t-il profité pour aller s’incliner sur la sépulture de l’ancien nazi Alois Brunner ?, on n’en sait rien. Ce que l’on sait, c’est que c’est ce même Ulrich Oehme, et ses comparses néo-fascistes, qu’Étron Musk souhaite aujourd’hui voir arriver au pouvoir en Allemagne.
Jean-Marc Adolphe
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Effectivement Konstantin Malofeeiv de part sa fortune a financé beaucoup de projets "sociaux" ou "hybrides", son mariage n'est pas blanc mais de raison, on pourrait dire! Pour l'instant Konstantin n'est sanctionné que par les USA https://www.opensanctions.org/entities/usgsa-s4mr4j598/#rel.sanctions