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Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

Milieu vivant, milieu humain, territoire et bien commun.

Dernière mise à jour : 23 oct. 2021


Andy Goldsworthy, Hawthorn Tree Shake, 2008.



EN COMPAGNIE D'AUGUSTIN BERQUE / 03. Les humanités font feuilleton de la pensée vive d’Augustin Berque. Géographe autant que philosophe et poète sur les bords, Augustin Berque est un penseur éclairant des temps désorientés que nous vivons. Mais cette pensée essentielle au présent se nourrit d’une érudition qui puise à l’étymologie (notamment japonaise) des mots qui nourrissent notre relation au monde.

Ce feuilleton se poursuit avec un texte inédit d'Augustin Berque, destiné aux Rencontres d'été Abraham Mazel, qui se sont tenues du 2 au 4 juillet derniers à Saint-Jean-du-Gard.

"On commence à dresser la carte de la lune ; mais que savons-nous de notre terre ? La révolution technique a fait de l'homme un migrant ou un touriste, qui perd le contact et la connaissance de l'environnement naturel." Du mont Horeb (dans la péninsule du Sinai) à Notre-Dame-des-Landes, Augustin Berque, notamment nourri de la pensée de Jakob von Uexhüll et Watsuji Tetsurô, nous invite à envisager le "devenir-territoire" où pourrait séjourner en harmonie "l'homme-habitant".



Résumé – Entre l’être humain et son milieu existe une corrélation (la médiance) d’ordre à la fois écologique, technique et symbolique, dont le sujet moderne a prétendu s’abstraire, mais qui est la condition fondamentale de l’habitabilité de la Terre, car elle en fait l’écoumène, la demeure « habitée » (oikoumenê) par notre être. L’abstraction moderne, niant notre médiance (Descartes : « Je n’ai besoin d’aucun lieu pour être »), a non seulement dévasté la biosphère au plan écologique, mais non moins l’écoumène, décomposant les paysages urbains, délocalisant les choses et désertifiant les campagnes. Nous devons recouvrer le bien commun que sont nos liens avec la Terre/avec une terre (un territoire). Au delà du paradigme déterrestrant de la modernité s’impose aujourd’hui un paradigme transmoderne, à la fois ontologique, logique et géographique. C’est ce que propose la mésologie.


Le rocher de Moïse, Wady-El-Leja, mont Horeb. Dessin David Roberts


§ 1. Le principe du mont Horeb : la déterrestration


En cette Maison Mazel, honneur soit rendu pour commencer à la mémoire des Camisards. Ces gens-là, bien mieux que nous, connaissaient leur Bible, et savaient donc tous où se trouve le mont Horeb (dans la péninsule du Sinai), comme ce qui s’y est passé (la révélation du nom divin à Moïse). Toutefois, ils n’avaient sans doute pas en tête ce que j’appelle ici « le principe du mont Horeb », et bien entendu, ils pouvaient encore moins prévoir quel sens un tel principe allait prendre au XXIème siècle. Quant à nous, gens dudit XXIème siècle, il n’est pas sûr que nous ayons tous en tête, même dans les Cévennes, le passage concerné dans la Bible (Exode 3, 12-14). Je vais donc le recopier ci-dessous, en vous priant d’excuser que mon ascendance papiste ait fait que je n’aie sous la main que la Bible de Jérusalem (Cerf/Desclée de Brouwer, 1979, p. 77) :


Moïse dit à Dieu : « Voici, je vais trouver les Israélites et je leur dis : ‘le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous’. Mais s’ils me disent : ‘Quel est son nom ?’, que leur dirai-je ? » Dieu dit à Moïse : « Je suis celui qui est. » Et il dit : « Voici ce que tu diras aux Israélites : ‘Je suis’ m’a envoyé vers vous. »


Dieu se manifeste donc là comme un absolu : l’être qui est du fait même qu’il est. C’est la première fois au monde qu’un langage humain rend compte d’une telle absoluité. Les historiens, par divers recoupements, situent l’événement au XIIIe siècle av. J.-C., mais il estiment aussi que le texte lui-même ne daterait que des VIe-Ve siècles; c'est-à-dire qu’il serait contemporain des Présocratiques (comme d’ailleurs, grosso modo, des autres fondateurs des grands systèmes de pensée, dans cette période exceptionnellement fertile de l’histoire humaine que Karl Jaspers qualifia d’Achsenzeit, « temps axial »).

Or historiquement, pour exprimer son être, l’Absolu n’a évidemment pas attendu la langue française. La Bible nous dit qu’il a employé l’hébreu, avec ce fameux ehyeh asher ehieh אֶהְיֶה אֲשֶׁר אֶהְיֶה qui a donné bien du fil à retordre aux traductions ultérieures en grec (egô eimi ho ôn ἐγώ εἰμι ὁ ὤν [je suis l’étant]), puis en latin (sum qui sum), puis en français (je suis celui qui suis / je suis celui qui est / je serai qui je serai / je suis qui je serai), a fortiori dans des langues plus étrangères encore. Que la même forme verbale ehyeh puisse être entendue au présent comme au futur pose en effet des problèmes vertigineux, aux plans aussi bien ontologique que théologique. Si le rendu traditionnel par « sum qui sum » ou par « je suis celui qui suis » absolutise incontestablement la substance de Dieu, en revanche, celui qu’adopte la TOB (Traduction œcuménique de la Bible, Société biblique française / Cerf, 2010), « Je suis qui je serai », anticipe la Trinité chrétienne en laissant entendre, d’une part, une historicité – ce qui du reste n’a rien que d’orthodoxe (c’est l’idée de Messie, de l’araméen meschîkhâ, « oint du Seigneur », que le grec rendra par Χριστός) –, mais d’autre part aussi une relationalité, ce qui ouvre une brèche dans l’absoluité divine : Dieu n’est plus seul et à part (ab-solus), il existe aussi en relation avec l’humanité. La TOB commente (p. 136) : « C’est par l’histoire du salut des hommes que Dieu manifestera peu à peu qui il est ».


Un pas de plus, et cette relationalité (entre Dieu et son reflet inessentiel : l’homme) verserait en une relativité pour le coup hérétique, puisque c’est la voie qui mènera en 1841 au renversement feuerbachien : ce n’est pas Dieu qui a créé l’homme à son image, c’est l’homme qui a inventé Dieu à la sienne. Allons plus loin : c’est l’homme qui a dit Dieu à son image, i.e. celle d’un barbu, la femme – Marie – se chargeant quant elle de le mettre au monde par l’opération du Saint-Esprit. Dire et mettre au monde, c’est symboliquement la même chose : faire exister l’être, i.e. le faire ek-sister : sortir (ek-) de la gangue de son identité à soi pour se tenir (sistere) dehors en tant qu’un certain étant – par exemple un certain nom –, relativement à d’autres étants ; non plus confit dans la virtualité de son en-soi, mais actualisé en relation concrète avec ces autres étants – par exemple les gens d’une certaine société, ou les mots d’une certaine langue.


Logiquement sinon mystiquement, c’est à ces liens justement que l’absolu ne se prête pas, et pour cela justement que notre langue l’a conçu comme seul (solus). D’où le mystère de la Trinité chrétienne : Dieu est l’être absolu qui subsume l’espace et le temps universels, mais aussi, par l’opération du Saint-Esprit, a existé en tant que Jésus, fils de Marie, qui vécut à un moment singulier de l’histoire et en un lieu singulier de la Terre (la Palestine)…


… mais refermons cette brève incursion en théologie pour n’en retenir que l’idée contenue dans le présent du sum qui sum : celle d’une substance absolue, à la fois sujet et prédicat d’elle-même. Un être absolu étant départi (ab-) et seul (solus), il sépare son être des autres étants ; il se déconcrétise, autrement dit s’abstrait de son croître-ensemble (cum-crescere), de sa concrescence et de son immanence avec les autres choses du monde sensible.


Telle fut la première étape de l’actualisation du Principe du mont Horeb, à savoir un processus de déterrestration.

La seconde étape s’est produite en Europe au XVIIème siècle ap. J.-C., quand Descartes, dans le Discours de la méthode, écrivit ce qui suit :


« Puis, examinant avec attention ce que j’étais, et voyant que je pouvais feindre que je n’avais aucun corps, et qu’il n’y avait aucun monde, ni aucun lieu où je fusse (…) je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend d’aucune chose matérielle ».


Comme l’a montré Panofsky, cette abstraction du sujet moderne hors du monde sensible, ici posée ontologiquement, l’art l’avait en fait exprimée déjà symboliquement deux siècles auparavant, avec l’invention de la perspective ; laquelle, dans sa construction géométrique, place l’œil de l’observateur en retrait du tableau, i.e. en dehors de la réalité représentée. C’étaient là les prémices de ce qui, au XVIIème siècle, allait devenir le dualisme cartésien.


Du cogito cartésien au cyborg.


À partir de cette prise de conscience du sujet moderne, le cogito, désormais seul détenteur d’une identité subjective – c’est-à-dire de la subjectité : le fait de ne pas être un simple objet –, il n’y avait plus qu’un pas jusqu’à Feuerbach (1804-1872) et, comme on l’a vu, jusqu’à l’idée que c’est l’homme qui a créé Dieu à sa propre image. Et cette image, c’est bien celle d’un être qui, à la différence de tous les autres, n’a besoin que de lui-même pour être ce qu’il est. Tout le reste (hormis ses propres semblables) n’est donc plus qu’une mécanique objectale, à ce titre essentiellement distincte du sujet lui-même.


Cette seconde étape de la déterrestration fut celle de la modernité. Elle nous a conduits à ravager l’environnement terrestre, exploité comme un objet sans rapport avec notre être : une simple ressource matérielle.

Or depuis quelques décennies, c’est une troisième étape que nous entamons : celle que nous sommes en train d’élaborer avec nos projets de transhumanisme, de géo-ingénierie, de terraformation de Mars, etc.. Désormais, il ne s’agit plus de théologie, ni même d’ontologie, mais bien de la possibilité technique de nous déterrestrer enfin concrètement, non plus seulement par abstraction.

Cette étape-là, on peut la faire commencer en 1960, lorsque Manfred Clynes (1925-2020), alors travaillant pour la NASA, inventa le mot cyborg (abréviation de cybernetic organism) pour un article qui parut cette année-là dans la revue Astronautics :


I thought it would be good to have a new concept, a concept of persons who can free themselves from the constraints of the environment to the extent that they wished. And I coined this word cyborg. (…) The main idea was to liberate man (…) to give him the bodily freedom to exist in other parts of the universe without the constraints that having evolved on earth made him subject to.

(Je pensai qu’il serait bon d’avoir un concept nouveau, le concept de personnes qui puissent s’affranchir à leur guise des contraintes de l’environnement. Je forgeai donc ce terme de cyborg. /…/ L’idée centrale, c’était de libérer l’homme /…/, de lui donner la liberté corporelle d’exister dans d’autres parties de l’univers sans les contraintes que lui imposait le fait d’avoir évolué sur la Terre.)


La boucle est donc bouclée : l’humain, 1. symboliquement, commence par abstraire un être absolu hors de la Terre (le monde sensible), puis 2. affirme qu’il s’agit là de son mode d’être propre, et enfin 3. se donne, techniquement, les moyens de se déterrestrer pour de bon. Adieu nos liens terrestres !


§ 2. Contre-principe : la médiance, moment structurel de l’existence humaine


Le dualisme dit cartésien a fondé ontologiquement le paradigme occidental moderne classique (ci-dessous abrégé en POMC). Il a établi une dichotomie entre sujet et objet, res cogitans et res extensa. Or c’est là sectionner à la racine la condition du devoir moral envers notre milieu, puisque celui-ci est réduit à la mécanique de l’extensio (l’étendue purement matérielle que toise le cogito). Devoir moral il ne peut en effet y avoir que dans la mesure où notre milieu implique notre être même, et participe donc de sa subjectité (son être-sujet, non pas objet). Autrement dit, dans la mesure où « milieu » signifie pour nous autre chose qu’« environnement » ; et, corrélativement, dans la mesure où les êtres qui composent un milieu, à la différence des objets d’un simple écosystème, sont eux aussi, mais à leur manière propre, doués de subjectité.

Jakob von Uexküll (1864-1944)


Le premier à avoir introduit clairement cette distinction, preuves expérimentales à l’appui, est le grand naturaliste germano-balte Jakob von Uexküll (1864-1944). Vers la fin de sa vie, en 1934, il résuma ses vues dans un petit livre d’accès facile, subtilement illustré par son collègue Georg Kriszat, et préfacé par Adolf Portmann : Streifzüge durch die Umwelten von Tieren und Menschen. Bedeutungslehre (Incursions en milieux animaux et humains. Théorie de la signification). Il en existe deux traductions en français : par Philippe Muller, Mondes animaux et monde humain, suivi de La théorie de la signification (Paris, Denoël, 1965) ; et, par Charles Martin-Freville, Milieu animal et milieu humain (Paris, Rivages, 2010). Cette seconde traduction, améliorée à divers égards, ne comporte malheureusement pas la Théorie de la signification, qui est essentielle au propos d’Uexküll.

Uexküll établit là une distinction fondatrice entre Umwelt (monde ambiant, milieu) et Umgebung (le donné environnemental brut). Le milieu se construit dans une relation particulière de « contre-assemblage » (Gegengefüge) entre un sujet (l’animal) et l’environnement. Le milieu est donc singulier, spécifique, propre à un certain sujet (individuel : le spécimen, ou collectif : l’espèce), tandis que l’environnement brut est universel. Corrélativement, « un animal ne peut entrer en relation avec un objet comme tel », parce que ce n’est pas avec les objets abstraits de l’Umgebung qu’il est en relation, mais avec les choses concrètes de sa propre Umwelt.

Les expériences d’Uexküll portaient sur des animaux – en particulier celles, célèbres, sur la tique –, mais il va de soi aujourd’hui que l’on peut étendre son propos à l’ensemble du monde vivant.

Watsuji Tetsurô (1889-1960)


Considérer le vivant comme un sujet, non comme un simple objet, et distinguer par suite le milieu de l’environnement : ce double principe de la mésologie uexküllienne (Umweltlehre) a été répété à propos des milieux humains par le philosophe japonais Watsuji Tetsurô (1889-1960). Celui-ci, au retour d’un séjour d’étude en Allemagne qu’il fit en 1927-1928, et où il se peut qu’il ait entendu parler des travaux d’Uexküll – ce n’est peut-être aussi qu’une coïncidence, dans un contexte où la phénoménologie prenait droit de cité –, publie une série de cinq articles qu’il reprend en 1935 dans un essai : Fûdo, ningengakuteki kôsatsu (Milieux, étude de l’entrelien humain). Celui-ci pose dès les premières lignes que le milieu humain (fûdo 風土) n’est pas l’environnement naturel (shizen kankyô 自然環境) ; car, supposant la subjectité (shutaisei 主体性) de l’être humain, ce ne peut pas être un simple objet.

Pourquoi, s’agissant de milieu (fûdo), ce sous-titre surprenant : « étude de l’entrelien humain » (ningengakuteki kôsatsu 人間学的考察) ? À première lecture, cela pourrait se comprendre comme « étude humanologique » ; mais Watsuji donne un sens particulier au mot ningen 人間, que l’on traduit ordinairement par « être humain, Mensch ». Ce sens particulier, il l’a mis en lumière l’année précédente (1934) dans un autre essai, Ningen no gaku toshite no rinrigaku (L’éthique comme étude de l’entrelien humain). Il y souligne que, dans le mot ningen人間, si le premier élément (人, lu hito lorsqu’il est seul) signifie simplement « quelqu’un, l’humain, l’espèce Homo sapiens », le second (間), lorsqu’il est seul, se lit entre autres aida et signifie alors l’intervalle corrélationnel entre deux ou plusieurs termes, ici entre les gens (les divers hito) ; ce que l’on pourra rendre par « entrelieu/entrelien », autrement dit par « mi-lieu/mi-lien ». Dans l’ordre lexical du japonais, nin déterminant gen, le mot ningen au sens que lui donne Watsuji se traduira donc par « entrelien humain ».


C’est dire que Watsuji comprend l’être humain comme l’intime association de deux « moitiés », dont l’une est le hito individuel et l’autre l’aida (ou plus concrètement l’aidagara 間柄) collectif, qui lie non seulement les humains entre eux, mais aussi, à travers ce collectif, avec les choses de leur milieu, qui ne sont donc pas de simples objets. M’inspirant du doublet anthropologique « corps animal/corps social » mis en lumière par Leroi-Gourhan une génération plus tard, je parle en mésologie du doublet « corps animal (individuel)/corps médial (collectif) », le corps médial étant le milieu éco-techno-symbolique nécessaire à tout être humain pour être humain, et pas seulement vivant (zôon ζῷον) ; notamment pour devenir ce « vivant possédant la parole » (zôon logon echôn ζῷον λόγον ἔχων), tel qu’Aristote a défini l’être humain.

Pour désigner le couplage entre ces deux « moitiés » de l’être, Watsuji a créé le concept de fûdosei 風土性, que j’ai rendu par médiance (du latin medietas, « moitié »), et qu’il définit à la première ligne de Fûdo comme « le moment structurel de l’existence humaine » (ningen sonzai no kôzô keiki 人間存在の構造契機). Kôzô keiki (« moment structurel ») est la traduction de l’allemand Strukturmoment, concept fréquemment utilisé dans la philosophie germanophone, où Moment – au neutre, non pas au masculin où il signifie un court laps de temps – doit s’entendre comme une puissance de mouvoir. Ici, ce « moment » est donc un couplage dynamique entre le sujet et son milieu. Quelques lignes plus loin, Watsuji écrit que la médiance est le « sol concret » (gutaiteki jiban 具体的地盤) de l’existence humaine.

Inutile de souligner que c’est là rejeter radicalement le dualisme du POMC. Toutefois si, chez Watsuji, la mésologie (fûdogaku 風土学 ou fûdoron 風土論), avec la médiance, apporte un concept essentiel à la recouvrance de notre condition terrestre après la déterrestration du cogito, elle ne dit pas ce qui établit ce « moment structurel de l’existence humaine ». Il lui manque, d’une part, un fondement dans les sciences de la nature, et d’autre part un fondement logique, ou plus exactement onto/logique – à la fois logique et ontologique –. C’est ce que nous allons éclairer maintenant.


§ 3. La trajection : cosmisation du corps, somatisation du monde

Du point de vue des sciences de la nature, il s’impose de rapprocher le concept de médiance de ce qu’Uexküll a nommé Gegengefüge, le « contre-assemblage » de l’animal – nous pouvons dire aujourd’hui : du vivant en général – et de son milieu ; relation qu’il appelle aussi « cercle fonctionnel » (Funktionskreis). Sans entrer dans les détails, contentons-nous ici de reproduire le schéma par lequel Uexküll a résumé cette relation :

Le cercle fonctionnel (Streifzüge…, 1956, p. 27).


Terminologie : Merkwelt (monde de perception), Merkorgan (organe sensible), Innenwelt des Subjektes (monde intérieur du sujet), Wirkorgan (organe actif), Wirkwelt (monde d’action), Effektor (effecteur), Wirkmalträger (porteur de caractères agibles, agent), Gegengefüge (contre-assemblage, appareillage), Bedeutungsträger als Objekt (porteur de signification comme objet), Merkmalträger (porteur de caractères sensibles, signifiant), Rezeptor (récepteur).


Attendu que, contrairement à ce que prétendit le cogito, et ne serait-ce que pour penser, nous avons besoin d’un corps, la médiance suppose le contre-assemblage de notre corps avec un milieu physiologiquement vivable. Toutefois, la médiance humaine ne se réduit pas à ce contre-assemblage, car elle n’est pas seulement d’ordre écologique ; elle est éco-techno-symbolique, et comprend donc en particulier le langage, lequel ne se réduit pas à de la biosémiotique (ce qui est coextensif au vivant). En effet, par leur double articulation (Martinet), les langues humaines transcendent l’espace-temps physique – et c’est là du reste ce qui a engendré l’infatuation du cogito –. Les systèmes biosémiotiques, en revanche, ne transcendent pas l’espace-temps physique. Même le chant des baleines ne porte sans doute pas à plus de 3000 km, et il ne peut pas non plus chanter la guerre de Troie (à supposer qu’il y ait eu, voici trois mille ans, quelque chose de comparable entre des baleines). Représentation distale il peut y avoir chez les animaux supérieurs, mais pas représentation indépendante de toute distance dans l’espace et dans le temps, comme c’est le cas dans toutes les langues humaines. Je pourrais par exemple, en français, dire ici un mot de la galaxie GN-z11, découverte en mars 2016, dont le décalage vers le rouge (redshift) est de 11,09, soit une distance de 13,4 milliards d’années lumière – et même de 32 milliards en distance comobile, compte tenu de l’expansion de l’univers –, autrement dit un âge de 400 millions d’années seulement après le Big Bang, et 40 millions d’années à peine après la formation des premières étoiles (le système solaire s’est formé près de 9 milliards d’années plus tard) ; propos qui serait immédiatement accessible à toute personne lisant le français. La lumière, soit dit en passant, met un centième de seconde à parcourir la distance qu’atteint le chant des baleines. Grâce au corps médial qui nous est commun, physiquement ici et maintenant, je peux trajectivement, éco-techno-symboliquement vous évoquer GN-z11 et le Big Bang, c’est-à-dire vous les faire ek-sister jusqu’ici et maintenant et les y rendre présents – les re-présenter en tant que quelque chose (des mots) ailleurs que là où ils sont ou étaient en leur temps ; et vous de même, puisque, comme moi, vous n’êtes pas un individu abstrait mais un être humain, éco-techno-symboliquement en prise avec notre milieu commun.

Ainsi, en vertu de la double articulation du langage humain, la demeure de notre être – l’« habitée », ἡ οἰκουμένη, l’écoumène, i. e. l’ensemble éco-techno-symbolique des milieux humains – dépasse la biosphère – l’ensemble des milieux vivants –, comme auparavant la biosphère, système écologique, avait dépassé le système physico-chimique de la planète Sol III. En revanche, l’écoumène suppose la biosphère, qui suppose la planète, alors que l’inverse n’est pas vrai. Pas d’écoumène sans biosphère, ni de biosphère sans planète. Chaque étage, pour exister, a besoin de son sol concret, qui en définitive est la Terre – à la fois celle de Galilée, che si muove (qui tourne), et celle de Husserl, die bewegt sich nicht (qui ne se meut pas).

Il y a donc un sens ontogénétique – l’évolution et l’histoire – qui va de la planète à la biosphère, et de la biosphère à l’écoumène, non l’inverse. Mais quel est donc ce sens ? Pour la mésologie, c’est le processus onto/logique de la trajection, dans lequel, d’une part, la technique cosmise notre corps (elle nous permet de percevoir et prendre en compte tout ce qui existe pour nous jusqu’aux confins de notre monde – par exemple GN-z11 –), et d’autre part somatise notre monde (elle fait que tout ce qui existe pour nous dans celui-ci – par exemple GN-z11 – est physiologiquement vivant dans nos connexions neuronales). C’est par cet effet de cosmosomatisation que, par exemple, peut s’expliquer l’hypothèse – la plus crédible à ce jour – que nous devons à Leroi-Gourhan sur l’origine de notre espèce, et que l’on peut réinterpréter en trois mots : par l’effet cosmisant de nos systèmes techniques, il y a eu anthropisation de l’environnement en écoumène ; par l’effet somatisant de nos systèmes symboliques, il y a eu humanisation de l’environnement en écoumène ; et par effet en retour (donc par cosmosomatisation), il y a eu hominisation du corps animal d’une certaine lignée de primates en corps d’Homo sapiens sapiens.

La réserve de biosphère de l'île de Porto Santo (Portugal). Photo : Pedro Menezes / UNESCO.


§ 4. Territoire empreinte, territoire matrice


Dire qu’il y a un sens qui va de la planète à la biosphère, et de la biosphère à l’écoumène, c’est dire deux choses. L’une, que l’existence humaine, qui est écouménale, ne peut s’abstraire de la biosphère, laquelle ne peut s’abstraire de la planète (autrement dit, l’écoumène suppose la biosphère, qui suppose la planète, mais pas l’inverse). L’autre, que l’écoumène (éco-techno-symbolique) est irréductible à la biosphère (seulement écologique), qui est irréductible à la planète (seulement physico-chimique). Or, dans la collusion du cogito et du POMC, la modernité a fait sur les deux plans exactement le contraire : elle a, d’une part, abstrait l’existence humaine de son milieu (autrement dit de la Terre, qui est à fois notre écoumène, notre biosphère et notre planète) ; et d’autre part, son réductionnisme scientiste a obstinément tendu à réduire l’humain au biologique (donc l’écoumène à la biosphère), le biologique au physico-chimique (donc la biosphère à la planète), et plus généralement le qualitatif au quantitatif ; c’est exemplairement le cas du capitalisme, qui fait ¥€$ de tout bois.

Certes, si ce processus a été enclenché, c’est qu’il avait sur divers plans d’incontestables côtés positifs ; c’est que l’on a appelé le progrès. Il ne s’agit donc pas de rejeter le progrès, il s’agit d’en changer le cours actuel, dont il est devenu évident qu’il nous mène à notre perte ; car réduisant l’humain au biologique, il est contraire à l’humain, et réduisant le biologique au physico-chimique, il est contraire à la vie. En somme, son simplisme ana-chronique met l’évolution à l’envers ; car l’évolution, au contraire, est allée du simple au complexe : de la matière à la vie, et de la vie à l’humanité. À force de nous abstraire ainsi de notre condition terrestre, nous finirons tout bonnement par nous supprimer de la surface de la Terre.

Ce qu’il nous faut donc concevoir et mettre en œuvre, c’est une forme de progrès qui au lieu de nous déterrestrer, se fonde sur notre médiance.


Or concevoir la médiance, la chose n’est pas si exotique ou révolutionnaire qu’il semble. Le père fondateur de notre philosophie, Platon, la pressentait déjà. Il la pressentait, oui, mais pour les raisons que l’on va voir, il a renoncé à la penser. Il s’agit du rapport de la chôra χώρα et de la genesis γένεσις dans le Timée. La genesis, c’est l’être relatif, en devenir dans le monde sensible, et qui n’est qu’un reflet de l’être véritable, ontôs on ὄντως ὄν, lequel est hors du temps et de l’espace. La chôra, au sens premier, c’est le territoire de la cité, ou plus exactement les campagnes nourricières qui entourent l’astu ἄστυ, la ville enclose dans ses remparts ; mais Platon transpose métaphoriquement le terme dans un sens ontologique, lequel en fait l’ancêtre de la notion de milieu. Ce dont il a génialement l’intuition, c’est que la chôra est à la fois l’empreinte et la matrice de la genesis : il la compare ici à une empreinte dans la cire (ekmageion ἐκμαγεῖον, 50 c 1), là à une mère (mêtêr μήτηρ, 50 d 2) ou une nourrice (tithênê τιθήνη, 52 d 4). Mais comment la chôra peut-elle être ainsi à la fois une chose (une empreinte) et son contraire (une matrice) ? Le rationalisme platonicien se refuse à le concevoir, car cette ambivalence contrevient frontalement au principe d’identité, qui règne sur la pensée grecque au moins depuis Parménide. La chôra n’ayant donc pas d’identité, l’on ne peut pas s’en faire idée. Platon reconnaît qu’une telle chose est « difficilement croyable » (mogis piston , 52 b 2), qu’elle relève d’un « raisonnement bâtard » (logismô tini nothô, 52 b 2), et qu’« en la voyant, on rêve » (oneiropoloumen blepontes, 52 b 3) ; mais il insiste sur l’existence de la chôra : dans la mise en ordre (la cosmisation) des êtres par le démiurge, il y a bien, dès le départ et à la fois, l’être véritable, sa projection en existants, et le milieu où cette projection s’accomplit concrètement en devenir (genesis), c’est-à-dire la chôra. Soit dans le texte platonicien : on te kai chôran te kai genesin einai, tria trichê, kai prin ouranon genesthai (52 d 2), « il y a et l’être, et le milieu et l’existant, tous trois triplement, et qui sont nés avant le ciel » (c’est-à-dire avant la mise en ordre du kosmos κόσμος, qui dans le Timée est identifié à l’ouranos οὐρανός).


Or ce rapport d’empreinte-matrice entre l’être et son milieu, c’est justement la médiance. Pour des raisons onto/logiques – à la fois ontologiques et logiques –, Platon n’a donc pas pensé la médiance, dont il a pourtant eu le pressentiment. Il a ainsi eu le pressentiment d’une mésologie, mais il a écarté la question ; et celle-ci va être forclose pour plus de deux millénaires par la logique aristotélicienne, qui repose sur le principe d’identité du sujet (A est A) et sur ses deux corrélats, le principe de contradiction (A n’est pas non-A) et le principe du tiers exclu (quelque chose ne peut pas être à la fois A et non-A, non plus que ni A ni non-A). Or le tiers exclu, ce bien nommé exluded middle de la langue anglaise, c’est justement le milieu ; c’est justement la chôra, dont Platon avait pressenti qu’elle relève d’un « troisième et autre genre », triton allo genos (48 e 3).


Il faudra donc attendre Uexküll et Watsuji pour que la notion de milieu soit redécouverte par la pensée – par cette pensée-là, du moins, qui aura engendré puis gouverné la modernité ; car par delà son empire – ce dispositif, dirait Foucault –, l’humanité ne s’est pas privée de penser métaphoriquement la médiance, le couplage dynamique, le moment structurel de l’être et de son territoire. Certes, non pas dans les termes d’une véritable mésologie, mais en vivant concrètement la chose, et en l’exprimant par diverses allégories. L’anthropologie nous en donne de multiples exemples. C’est ce dont rend compte, entre autres, une belle étude de Barbara Glowczewski, Réveiller les esprits de la terre, dont je reprends ci-dessous quelques lignes :


Ce livre part d’une multiplicité d’expériences et de savoirs : du chamanisme aux rites totémiques, des luttes pour des droits à la terre aux pratiques visant à devenir-territoire pour résister à l’accélération des politiques destructrices des milieux de vie.

La ZAD de Notre-Dame-des-Landes ou le "devenir-bocage" pour l'anthropologue Barbara Glowczewski.

Photo Franck Dubray/Ouest-France


Ce « devenir-territoire », Glowczewski ne l’observe pas seulement chez les Aborigènes d’Australie, dont elle est spécialiste, mais dans un vaste panorama qui, par les Amériques, la Polynésie etc., la mène jusque dans la France contemporaine, où elle parle par exemple de « devenir-bocage » à propos des zadistes de Notre-Dame-des-Landes.

Or ce « devenir-territoire », ce n’est autre que la réalité sensible de ce que la mésologie, onto/logiquement, saisit par le concept de trajection, dont résulte notre médiance. On en voit donc bien l’actualité. Insistons pour terminer sur le fait qu’il ne s’agit pas là seulement d’un refus du cours de la modernité, autrement dit d’un passéisme. Parler de devenir-territoire, de médiance et de trajection, ce n’est pas retourner en deçà de la modernité, c’est la dépasser ; et la dépasser, ce n’est pas en culbuter les principes onto/logiques, c’est les transcender, pour aller vraiment au-delà.


Culbuter les principes onto/logiques de la modernité, la chose a été tentée au Japon dans l’entre-deux-guerres, par l’école philosophique dite de Kyôto (Kyôto gakuha 京都学派), dont le maître à penser fut Nishida Kitarô (1870-1945). À la logique aristotélicienne, qui a gouverné la pensée européenne et qui est une logique de l’identité du sujet (S, ce dont il s’agit, i.e. la substance), celui-ci substitua une « logique du prédicat (P, ce qui est dit à propos de S) » (jutsugo no ronri 述語の論理), appelée aussi « logique du lieu » (basho no ronri 場所の論理), dont on pourrait dire qu’elle prend exactement le contrepied de l’affirmation du cogito, « je n’ai besoin d’aucun lieu pour être ». Ici, au contraire, c’est en effet le lieu qui engendre l’être. Et de même que le cogito s’est déterrestré, de même, mais inversement, l’être envisagé de la sorte s’est « englouti » (botsunyû 没入) dans son lieu; ce qui, concrètement et historiquement, et à l’inverse de l’universalisme abstrait du POMC, a conduit Nishida, et toute l’école de Kyôto, à sombrer dans un ethnocentrisme absolu, en phase avec l’ultranationalisme et le militarisme ambiants.


Pour nous aujourd’hui, il ne peut donc être question de culbuter ainsi les principes onto/logiques de la modernité. Ce que nous devons faire, c’est les dépasser vraiment, dans une sursomption (Aufhebung, dirait Hegel) à la fois de la logique du sujet (lgS) et de la logique du prédicat (lgP). C’est justement cela que représente la trajection, qui revient à combiner les deux dans la formule lgS/lgP. C’est dire en effet que la réalité sensible des milieux, en somme la réalité empirique, ce n’est ni seulement l’en-soi de l’objet pur (S, sachant que l’objet du physicien – ce que l’on observe –, c’est le sujet du logicien – ce dont il s’agit : S), ni seulement le fantasme d’un pur prédicat P dépourvu de S (une pure représentation), mais la saisie de S en tant que P par les sens et par l’action (cela concerne tout le vivant), par la pensée (cela concerne les animaux supérieurs) et par la parole (cela concerne les seuls humains, en vertu de la double articulation). Autrement dit, la réalité n’est ni purement objective (S), ni purement subjective (P), mais trajective (S/P, ce qui se lit : S en tant que P).


Cette trajectivité de la réalité sensible n’est autre, dans son principe, que ce que la physique a montré en parlant comme d’Espagnat de « réel voilé », ou en posant, comme Heisenberg, que « l’emploi de la méthode transforme son objet » . On a bien là transcendé, non pas ignoré le dualisme moderne ; et cela d’autant plus que, concrètement, il ne s’agit pas d’une binarité S-P, mais d’une ternarité S-I-P, où intervient nécessairement l’interprète I de S en tant que P.


Alors, qu’est-ce donc que cet « I » ? En physique quantique, c’est l’appareil de la mesure, laquelle va faire exister une même particule (S) soit en tant qu’onde (S/P), soit en tant que corpuscule (S/P’), d’où le principe d’incertitude de Heisenberg ; cela au plan de la matière, i.e. de la planète. Au plan de la vie, i.e. de la biosphère, le degré de contingence augmente : comme Uexküll l’a montré, une même touffe d’herbe (S) pourra exister en tant qu’aliment (Esston : S/P) pour une vache, en tant qu’obstacle (Hinderniston : S/P’) pour une fourmi, en tant qu’abri (Schutzton : S/P’’) pour un scarabée, etc.. Pour ce qui nous concerne aujourd’hui, l’humanité dans son écoumène, la contingence est maximale. Il s’agit de l’habitant, cet être lié à son territoire dans le rapport d’empreinte-matrice qu’est sa médiance, et qui ainsi, dans ce qui est à la fois une anthropopoïèse et une écopoïèse, va exister dans un couplage dynamique et toujours singulier avec son propre milieu – ce couplage toujours local que la modernité n’a eu de cesse qu’elle ne l’eût décomposé pour le soumettre aux certitudes d’une raison prétendument universelle (lgS), alors que, abstraite de lgP, elle était nécessairement bancale.


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Quelle morale tirer de cette radicale, de cette onto/logique remise en cause du POMC ? Cela tient en deux impératifs : respecter les réalités locales (S/P, S/P’, S/P’’, S/P’’’,..) ; donc respecter les habitants (I, I’, I’’, I’’’…), car respecter leur lien avec une terre, c’est respecter notre lien commun avec la Terre.


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C’est ainsi que je vois aujourd’hui les choses. Que n’ai-je pu comprendre la clairvoyance d’un grand géographe, Maurice Le Lannou (1906-1992), lorsque, jeune homme, j’ai lu de lui Le déménagement du territoire : rêveries d'un géographe (Seuil, 1967) ? Je l’avais à l’époque trouvé passéiste – et il l’était effectivement, car il n’ouvrait pas de piste possible –, mais je citerai pour terminer ce résumé trouvé sur Internet :


On commence à dresser la carte de la lune ; mais que savons-nous de notre terre ? La révolution technique a fait de l'homme un migrant ou un touriste, qui perd le contact et la connaissance de l'environnement naturel. L'«homme habitant» disparaît, et avec lui s'affaiblit l'homme citoyen, car la ville, coupée de la campagne, se déséquilibre. C'est ainsi qu'au moment où l'on parle d'aménager les régions, « se referme progressivement le grand livre instructif de la terre ». M. Le Lannou, en rassemblant ses chroniques du Monde et diverses études parues en revue, a voulu nous réapprendre à lire le paysage : ce que fut, ce qu'est, ce que pourrait être la vie des hommes s'ils comprenaient le rapport qu'ils entretiennent avec leur terre. « Géographie humaine » au plein sens du mot, où convergent l'histoire, la sociologie, l'économie, la politique, et souvent aussi la littérature. À travers la description pittoresque apparaissent des tendances, des genèses, une civilisation. Le Midi méditerranéen échappera-t-il à la colonisation touristique ? La Bretagne, à la fossilisation ? Le Massif central, au désert ? En suivant M. Le Lannou dans sa promenade, nous découvrons la France profonde, et nous voyons se dessiner les tenants et les aboutissants de ce plus grand pays, l'Europe, qui ne vivra que si elle reste fidèle à ses enracinements et aux équilibres complexes de ses sols et de ses mers.


Augustin Berque, 24 juin 2021.

(Texte destiné aux Rencontres d'été Abraham Mazel, qui se sont tenues du 2 au 4 juillet derniers à Saint-Jean-du-Gard.)


Augustin Berque, géographe et orientaliste, directeur d’études en retraite à l’École des hautes études en sciences sociales, membre de l’Académie européenne, a été en 2009 le premier Occidental à recevoir le Grand Prix de Fukuoka pour les cultures d’Asie, et en 2018 le récipiendaire du prix Cosmos international, institué après l’exposition d’Ôsaka 1990 pour promouvoir la recherche d’un rapport plus harmonieux entre l’humanité et la nature. https://ecoumene.blogspot.com/


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