Claudia Sheinbaum, en meeting à Mexico, le 29 mai 2024. Photo Eduardo Verdugo / AP
Première femme élue au Mexique à la Présidence de la République, Claudia Sheinbaum a recueilli plus de 60% des voix. Si cette victoire est d'abord la sienne, elle doit aussi beaucoup au président sortant, Andres Manuel Lopez Obrador, qui a sorti des millions de Mexicains de la pauvreté ; à Ifigenia Martinez, 93 ans, pionnière de la gauche mexicaine ; et à un mouvement féministe particulièrement dynamique. Il n'en reste pas moins que, malgré la confortable majorité de gauche avec laquelle elle pourra gouverner, les défis que devra relever Claudia Sheinbaum, notamment ceux liés à la violence des cartels, ne sont pas minces.
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Pour une victoire, c'est une victoire. Avec 60 % des voix (résultat non encore définitif), renvoyant dans les cordes sa rivale de droite Xóchitl Gálvez (créditée de 28 % des voix), Claudia Sheinbaum devient la première femme à être élue Présidente de la République au Mexique, où les femmes n'ont obtenu le droit de vote qu'en 1953.
A 61 ans, Claudia Sheinbaum prend donc la tête d’un pays gangrené par le narcotrafic et la violence des gangs (au moins 25 candidats ont été assassinés pendant la campagne électorale, lire ICI en anglais), et où l’ONU décompte une dizaine de féminicides par jour.
« Je viens d’une famille juive et je suis fière de mes grands-parents et de mes parents », écrivait-elle le 12 janvier 2009 dans le journal La Jornada pour dire son « horreur des images des bombardements d’Israël à Gaza » lors d’une précédente opération militaire. Scientifique de formation, conseillère à l'Environnement à la marie de Mexico sous le mandat d'Andres Manuel Lopez Obrador (2000-2006), cette brillante universitaire a contribué aux travaux du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), avec comme thème d'expertise, l’atténuation du changement climatique. Élue maire du district de Tlalpan, dans le sud de Mexico, entre 2015 et 2017, puis maire de la capitale mexicaine de 2018 à 2023, Claudia Sheinbaum se félicite d’y avoir réduit l’insécurité « grâce à une stratégie intégrale de traitement des causes. »
Ifigenia Martínez y Hernández en 2021 lors de la remise de la médaille d'honneur "Belisario Domínguez" ,
une distinction décernée aux Mexicains qui se sont distingués en tant que serviteurs de leur pays ou de l'humanité. Photo DR
La victoire de Claudia Sheinbaum, qui a su résister à une intense campagne de dénigrement et calomnies sur le réseau X (ex-Twitter),est aussi celle, toute symbolique d'Ifigenia Martinez, 93 ans, économiste et pionnière de la gauche mexicaine (pour qui le nouvelle Présidente a confié avoir voté !). La victoire de Claudia Sheinbaum est aussi celle du président sortant, Andres Manuel Lopez Obrador, dont le niveau de popularité à survécu à six années d'exercice du pouvoir. Pendant son mandat, des millions de Mexicains sont sortis de la pauvreté et le salaire minimum a doublé.
Images de campagne : sur la place du Zocalo, pour l'ouverture de la campagne électorale, le 1er mars 2024. Photo Aurea del Rosario / AP
Lors du vote au Mexique, le 2 juin 2024. Photos AP, New York Times et infobae
A gauche : Claudia Sheinbaum en meeting à Mexico, le 16 mai 2024. (photos Mario Ugarte / AP).
Photo ci-contre : Manifestation lors de la Journée internationale des femmes, à Mexico, le 8 mars 2024. Photo Aurea del Rosario / AP
La victoire de Claudia Sheinbaum est aussi celle du mouvement féministe au Mexique, qui a su su "tenir le pavé" ces dernières années et a su faire entendre sa voix, à l'instar de la chanteuse Vivir Quintana dont la Canción sin miedo (Chanson sans peur) s'est répandue dans toute l'Amérique latine : "Que l’État, les cieux, les rues tremblent/ Que les juges et les enquêteurs tremblent/ Les femmes ont perdu patience".
Et maintenant, l'heure des défis
Même avec le confortable mandat que les électeurs lui ont accordé, Claudia Sheinbaum devra relever des défis importants lorsqu'elle prendra ses fonctions en octobre.
La violence des cartels, qui continue de sévir dans le pays, a entraîné le déplacement d'un grand nombre de personnes et a provoqué l'un des cycles électoraux les plus sanglants de l'histoire récente du Mexique. Au cours de son mandat de six ans, López Obrador a concentré l'attention du gouvernement sur les causes de la violence plutôt que de déclarer la guerre aux gangs criminels, une stratégie qu'il a appelée "abrazos, no balazos" (des câlins, pas des balles).
Claudia Sheinbaum a déclaré qu'elle continuerait à se concentrer sur les causes sociales de la violence, mais qu'elle s'efforcerait également de résoudre le problème de l'impunité et de renforcer la garde nationale.
Sur le plan économique, les opportunités sont claires : le Mexique est aujourd'hui le plus grand partenaire commercial des États-Unis et bénéficie de la récente prise de distance de la Chine en matière de fabrication. La monnaie est si forte qu'elle a été surnommée le "super peso". Mais il y a aussi des problèmes latents. Le déficit budgétaire a grimpé à environ 6 % cette année et Pemex, la compagnie pétrolière parapublique, fonctionne avec une montagne de dettes, ce qui pèse sur les finances publiques.
Un autre défi concerne les nouveaux pouvoirs accordés aux forces armées, qui ont été chargées de gérer les ports et les aéroports, de diriger une compagnie aérienne et de construire un chemin de fer à travers la jungle maya. Claudia Sheinbaum a affirmé qu'il n'y avait "pas de militarisation" dans le pays, tout en laissant entendre qu'elle était disposée à réévaluer la participation de l'armée dans les entreprises publiques.
Photo AP
Enfin, elle devra répondre aux familles de disparu : plus de 100.000 personnes, dont la disparition, souvent attribuée aux cartels, serait aussi le fait de l'Etat, sous couvert de guerre contre le narcotrafic. Dans certaines régions du Mexique, les électeurs ont choisi d'annuler leur vote en inscrivant sur leur bulletin le nom de certaines de ces personnes disparues. La campagne "Votez pour les disparus", lancée à l'échelle nationale par des proches de personnes disparues, aura forcément un certainimpact, mêmesi, pour l'heure, le décompte des votes "nuls" n'est pas encore connu.
Jean-Marc Adolphe,
avec Luz Vernis, correspondante des humanités au Mexique.
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