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Retour à Marioupol


Le photographe Evgeniy Maloletka d’Associated Press aide un ambulancier à transporter une femme blessée

lors d'un bombardement à Marioupol, le 2 mars 2022. Photo Mstyslav Chernov / AP.


Il ne restait plus qu’eux : Mstyslav Chernov et Evgeniy Maloletka, vidéaste et photographe pour l’agence de presse Associated Press, ont été les derniers journalistes internationaux à pouvoir informer sur la terrible réalité de Marioupol assiégée. Un documentaire diffusé le 25 février sur la Cinq restitue cette épopée. Et nous republions à cette occasion un article publié en mars 2022, avec le témoignage exceptionnel de Mstyslav Chernov.


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Marioupol, ville martyre. Son nom restera comme l’un des plus terribles emblèmes de l’agression russe en Ukraine, avec un siège qui a duré mois, de mars à mai 2022, et aura fait des dizaines de milliers de victimes. L’ONG Human Rights Watch et Truth Hounds, une importante organisation ukrainienne de défense des droits humains, viennent de publier un rapport de 224 pages, intitulé « “Our City Was Gone”: Russia’s Devastation of Mariupol, Ukraine ». « Malgré les défis que représente la conduite d’enquêtes sur les crimes de guerre dans des zones rendues inaccessibles par l’occupation russe, nos partenaires et nous-mêmes avons passé près de deux ans à découvrir la vérité sur les crimes horribles commis par les forces russes à Marioupol », déclare Roman Avramenko, Directeur général de Truth Hounds. « Cette enquête vise à garantir que ces crimes ne seront jamais oubliés et que leurs auteurs seront traduits en justice. » (résumé en français ci-dessous en PDF).



Dès le 1er mars 2022, bien avant d'autres médias, nous avions alerté sur le fait que Marioupol serait la prochaine cible de l'armée russe (ICI), sans imaginer l'ampleur et la cruauté de la tragédie qui allait suivre ; tragédie à laquelle nous avons fait écho par des témoignages directs (un "Journal de Marioupol" anonymement posté sur Instagram), et grâce aux reportages sur place de deux photojournalistes d'Associated Press, dont Evgueniy Malolekta, auteur d'une photo du bombardement de la maternité de Marioupol (avec une jeune femme transportée par une civière), dont nous avions justement pressenti qu'elle serait ultérieurement distinguée par plusieurs prix internationaux : en mai 2023, le prix Pulitzer a couronné Evgueniy Malolekta et son confrère vidéaste Mstyslav Chernov, les deux derniers journalistes internationaux à pouvoir témoigner de l'enfer de Marioupol.


France 5 diffuse, ce 25 février à 22 h 18 (ensuite disponible jusqu'au 3 mars 2027, à voir ICI) un documentaire d'1 h 30, 20 jours à Marioupol, qui restitue cette véritable épopée.



A cette occasion, nous republions un article publié sur les humanités le 21 mars 2022, "Marioupol : les derniers témoins de l'enfer", avec un témoignage exceptionnel de Mstyslav Chernov sur les conditions de reportage des deux journalistes, et les conditions rocambolesques dans lesquelles ils ont été exfiltrés de Marioupol, alors que les soldats russes étaient à leurs trousses.


Ils sont l’honneur du photojournalisme. Jusqu’à l’extrême limite du possible et du danger, Mstyslav Chernov et Evgeniy Maloletka sont restés à Marioupol, au milieu de la ville assiégée et bombardée, afin de témoigner, pour maintenant et pour l’Histoire, d’un monstrueux massacre qui vient déjà ajouter le nom de Marioupol à ceux de Guernica, de Grozny et d’Alep.

Mstyslav Chernov, vidéaste, et Evgeniy Maloletka, photographe, travaillent pour l’agence de presse Associated Press. Les humanités ont déjà parlé de l’extraordinaire travail d’Evgeniy Maloletka, auteur de la jeune femme enceinte (décédée depuis) portée sur un brancard devant la maternité bombardée de Marioupol (lire ICI).

Sans eau, sans électricité, sans gaz, sans communications, quasiment sans nourriture, les 455.000 habitants de Marioupol, au bord de la mer d’Azov, sont livrés à la vindicte exterminatrice de Vladimir Poutine. Les autorités de la ville estiment que près de 10 % de la population de la ville a pu fuir la semaine dernière, au péril de leur vie, dans des convois de voitures. D’autres ont été arrêtés par les soldats russes et déportés de force vers la Russie, au mépris de toutes les conventions internationales.


Désormais, il n’y aura plus de nouvelles de Marioupol. Contraints de fuir, sous la menace de plus en plus pressante des soldats russes qui les cherchaient, Mstyslav Chernov et Evgeniy Maloletka étaient les deux derniers journalistes à pouvoir témoigner des atrocités commises par l’armée russe. Dans un témoignage bouleversant (propos recueillis par sa collègue Lori Hinnant), Mstyslav Chernov raconte ce qu’ils ont vu et vécu à Marioupol, et les conditions périlleuses de leur « exfiltration ».


Témoignage de Mstyslav Chernov


Les Russes nous traquaient. Ils avaient une liste de noms, dont le nôtre, et ils se rapprochaient. Nous étions les seuls journalistes internationaux restés dans la ville ukrainienne, et nous documentions son siège par les troupes russes depuis plus de deux semaines. Nous étions en reportage à l'intérieur de l'hôpital lorsque des hommes armés ont commencé à traquer les couloirs. Les chirurgiens nous ont donné des blouses blanches comme camouflage.

Soudain, à l'aube, une douzaine de soldats ont fait irruption : "Où sont les journalistes, bordel ?" J'ai regardé leurs brassards, bleus pour l'Ukraine, et j'ai essayé de calculer les chances qu'ils soient des Russes déguisés. J'ai fait un pas en avant pour m'identifier. "Nous sommes ici pour vous faire sortir", ont-ils dit.

Les murs de la salle d’opération ont tremblé sous les tirs d'artillerie et de mitrailleuses à l'extérieur, et il semblait plus sûr de rester à l'intérieur. Mais les soldats ukrainiens avaient l'ordre de nous emmener avec eux.

Nous avons couru dans la rue, abandonnant les médecins qui nous avaient abrités, les femmes enceintes qui avaient été bombardées et les personnes qui dormaient dans les couloirs parce qu'elles n'avaient nulle part où aller. Je me sentais mal de les laisser tous derrière moi.

Neuf minutes, peut-être dix, une éternité à travers les routes et les immeubles d'habitation bombardés. Lorsque les obus s'écrasaient à proximité, nous nous laissions tomber au sol. Le temps était mesuré d'un obus à l'autre, nos corps étaient tendus et notre souffle retenu. Onde de choc après onde de choc, ma poitrine a été secouée, et mes mains sont devenues froides.

Nous avons atteint une entrée, et des voitures blindées nous ont emmenés dans un sous-sol sombre. Ce n'est qu'alors qu'un policier nous a appris pourquoi les Ukrainiens avaient risqué la vie de leurs soldats pour nous extraire de l'hôpital. "S'ils vous attrapent, ils vous feront dire que tout ce que vous avez filmé est un mensonge", a-t-il dit. "Tous vos efforts et tout ce que vous avez fait à Marioupol seront vains". L'officier, qui nous avait autrefois supplié de montrer au monde sa ville à l’agonie, nous suppliait maintenant d’en partir. Il nous a poussés vers les milliers de voitures cabossées qui se préparaient à quitter Marioupol. C'était le 15 mars. Nous n'avions aucune idée si nous allions nous en sortir vivants.


Adolescent, j'ai grandi en Ukraine dans la ville de Kharkiv, à seulement 30 km de la frontière russe, et j'ai appris à manier une arme à feu dans le cadre du programme scolaire. Cela semblait inutile. L'Ukraine, me disais-je, était entourée d'amis. Depuis, j'ai couvert les guerres en Irak, en Afghanistan et dans le Haut-Karabakh, en essayant de montrer au monde la dévastation au plus près. Mais lorsque les Américains, puis les Européens, ont évacué le personnel de leurs ambassades de la ville de Kiev cet hiver, et lorsque j'ai parcouru les cartes du renforcement des troupes russes juste en face de ma ville natale, ma seule pensée a été : "Mon pauvre pays".

Dans les premiers jours de la guerre, les Russes ont bombardé l'énorme place de la Liberté à Kharkiv, où j'avais traîné jusqu'à mes 20 ans.


Je savais que les forces russes considéreraient la ville portuaire orientale de Marioupol comme une prise stratégique en raison de sa situation sur la mer d'Azov. Le soir du 23 février, je m'y suis donc rendu avec mon collègue de longue date Evgeniy Maloletka, dans son van Volkswagen blanc. En chemin, nous avons commencé à nous préoccuper des pneus de rechange, et avons trouvé en ligne un homme à proximité prêt à nous en vendre au milieu de la nuit. Nous lui avons expliqué, ainsi qu'à un caissier de l'épicerie ouverte toute la nuit, que nous nous préparions à la guerre. Ils nous ont regardés comme si nous étions fous. Nous sommes entrés dans Marioupol à 3 h 30 du matin.


Des personnes se cachent dans un abri anti-bombes improvisé à Marioupol, le 12 mars 2022.

Photo Mstyslav Chernov / Associated Press.


Environ un quart des 430.000 habitants de Mariupol ont quitté les lieux les premiers jours, tant qu'ils le pouvaient encore. Mais peu de gens croyaient à l'imminence d'une guerre, et lorsque la plupart ont réalisé leur erreur, il était trop tard.

D’un bombardement à l’autre, les Russes ont coupé l'électricité, l'eau, les vivres et, finalement, les tours de téléphonie mobile, de radio et de télévision. Les quelques autres journalistes présents dans la ville ont pu s'échapper avant que les dernières connexions ne disparaissent et qu'un blocus complet ne s'installe.

L'absence d'information dans un blocus permet d'atteindre deux objectifs.

Le premier est le chaos. Les gens ne savent pas ce qui se passe, et ils paniquent. Au début, je ne pouvais pas comprendre pourquoi Marioupol s'est effondrée si rapidement. Maintenant je sais que c'était à cause du manque de communication.

L'impunité est le deuxième objectif. Sans informations en provenance d'une ville, sans images de bâtiments démolis et d'enfants mourants, les forces russes pouvaient faire ce qu'elles voulaient. Si nous n'étions pas là, rien n’aurait filtré à l’extérieur. C'est pourquoi nous avons pris de tels risques pour pouvoir envoyer au monde ce que nous avons vu, et c'est ce qui a mis la Russie suffisamment en colère pour nous traquer.

Jamais auparavant je n’ai eu l'impression que briser le silence était si important.


Les morts sont arrivées rapidement. Le 27 février, nous avons vu un médecin tenter de sauver une petite fille touchée par des éclats d'obus. Elle est morte. Un deuxième enfant est mort, puis un troisième. Les ambulances ont cessé de ramasser les blessés parce que les gens ne pouvaient pas les appeler, faute de réseau, et que les ambulances ne pouvaient pas circuler dans les rues bombardées. Les médecins nous ont suppliés de filmer les familles apportant leurs propres morts et blessés, et ils nous ont laissé utiliser le courant de leur générateur pour recharger les batteries de nos caméras.


Les bombardements ont touché l'hôpital et les maisons environnantes. Ils ont brisé les vitres de notre camionnette, fait un trou dans son aile et crevé un pneu. Parfois, nous sortions pour filmer une maison en feu, puis nous revenions en courant au milieu des explosions.

Il y avait encore un endroit dans la ville où l'on pouvait obtenir une connexion stable, à l'extérieur d'une épicerie pillée sur l'avenue Budivel'nykiv. Une fois par jour, nous nous y rendions et nous nous accroupissions sous les escaliers pour télécharger des photos et des vidéos. Les escaliers n'auraient guère pu nous protéger, mais nous nous sentions plus en sécurité qu'à l'air libre.

Le réseau a disparu le 3 mars. Nous avons essayé d'envoyer nos photos et vidéos depuis les fenêtres du 7e étage de l'hôpital. C'est de là que nous avons vu les derniers lambeaux de la ville s'effondrer. Le supermarché Port City était en train d'être pillé, et nous nous sommes dirigés dans cette direction à travers les tirs d'artillerie et de mitrailleuses. Des dizaines de personnes couraient et poussaient des caddies chargés d'appareils électroniques, de nourriture et de vêtements. Un obus a explosé sur le toit du magasin, me projetant au sol à l'extérieur. Je me suis crispé, attendant un deuxième impact, et me suis maudit cent fois parce que mon appareil photo n'était pas allumé pour enregistrer la scène.

Un adolescent est passé en roulant une chaise de bureau chargée d'appareils électroniques, des boîtes tombant sur les côtés. "Mes amis étaient là et l'obus est tombé à 10 mètres de nous", m'a-t-il dit. "Je n'ai aucune idée de ce qui leur est arrivé". Nous avons couru jusqu'à l'hôpital. En moins de 20 minutes, les blessés sont arrivés, certains étant entassés dans des chariots de supermarché.


Pendant plusieurs jours, le seul lien que nous avions avec le monde extérieur était un téléphone satellite. Et le seul endroit où ce téléphone fonctionnait était à l'air libre, juste à côté d'un cratère d'obus. Je m'asseyais, je me faisais tout petit et j'essayais de capter la connexion. Tout le monde demandait : s'il vous plaît, dites-nous quand la guerre sera terminée. Je n'avais pas de réponse. Chaque jour, il y avait une rumeur selon laquelle l'armée ukrainienne allait venir briser le siège. Mais personne ne venait.


Des cadavres sont placés dans une fosse commune à la périphérie de Marioupol, le 9 mars 2022.

Les gens ne peuvent pas enterrer leurs morts à cause des bombardements intensifs des forces russes.

Photo Mstyslav Chernov / Associated Press


À ce moment-là, j'avais été témoin de morts à l'hôpital, de cadavres dans les rues, de dizaines de corps poussés dans une fosse commune. J'avais vu tellement de morts que je filmais presque sans en avoir conscience.

Le 9 mars, deux frappes aériennes ont déchiré le plastique collé sur les fenêtres de notre van. J'ai vu la boule de feu. Juste un battement de cœur avant que la douleur ne transperce mon oreille interne, ma peau, mon visage.

Nous avons vu la fumée s'élever d'une maternité. À notre arrivée, les secouristes étaient encore en train de sortir des femmes enceintes ensanglantées des ruines. Nos batteries étaient presque à plat, et nous n'avions pas de connexion pour envoyer les images. Le couvre-feu était imminent. Un officier de police nous a entendus parler de la façon de diffuser la nouvelle de l'attentat à l'hôpital. "Cela va changer le cours de la guerre", a-t-il dit. Il nous a emmenés vers une source d'énergie et une connexion Internet.

Nous avions enregistré tant de morts et d'enfants morts. Je ne comprenais pas pourquoi il pensait qu'encore plus de morts pouvait changer quelque chose. J'avais tort.


Dans l'obscurité, nous avons envoyé les images en alignant trois téléphones portables, le fichier vidéo étant divisé en trois parties pour accélérer le processus. Cela a pris des heures, bien au-delà du couvre-feu. Les bombardements ont continué, mais les officiers chargés de nous escorter à travers la ville ont attendu patiemment. Puis notre lien avec le monde extérieur à Marioupol a de nouveau été rompu. Nous sommes retournés dans le sous-sol vide d'un hôtel, avec un aquarium désormais rempli de poissons rouges morts. Dans notre isolement, nous ne savions rien d'une campagne de désinformation russe croissante visant à discréditer notre travail.

L'ambassade de Russie à Londres a publié deux tweets qualifiant les photos d’Associated Press de fausses nouvelles, affirmant qu'une femme enceinte était une actrice. L'ambassadeur russe a brandi des copies des photos lors d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU et a répété des mensonges sur l'attaque de la maternité.

Pendant ce temps, à Marioupol, nous étions inondés de personnes nous demandant les dernières nouvelles de la guerre. De nombreuses personnes sont venues me voir et m'ont demandé de les filmer pour que leur famille, en dehors de la ville, sache qu’elles étaient encore en vie.


À cette époque, aucun signal de radio ou de télévision ukrainien ne fonctionnait à Marioupol. La seule radio que l'on pouvait capter diffusait des mensonges russes tordus – disant que les Ukrainiens tenaient Marioupol en otage, tiraient sur les bâtiments, développaient des armes chimiques. La propagande était si forte que certaines personnes à qui nous avons parlé y croyaient malgré l'évidence de ce qu’ils voyaient de leurs propres yeux. Le message était constamment répété, à la manière soviétique : Marioupol est encerclée. Rendez vos armes.


Le 11 mars, lors d'un bref appel, notre rédaction en chef nous a demandé si nous pouvions retrouver les femmes qui avaient survécu à la frappe aérienne de la maternité pour prouver leur existence. J'ai réalisé que les images avaient dû être suffisamment fortes pour provoquer une réaction du gouvernement russe.

Nous les avons trouvées dans un hôpital de la ligne de front, certaines avec des bébés et d'autres en train d’accoucher. Nous avons également appris qu'une femme avait perdu son bébé, puis sa propre vie.

Nous sommes montés au 7e étage pour envoyer la vidéo à partir de la faible liaison Internet. De là, j'ai vu les chars se succéder le long de l'enceinte de l'hôpital, chacun étant marqué de la lettre Z qui était devenue l'emblème russe de la guerre.


Nous étions encerclés : des dizaines de médecins, des centaines de patients, et nous.

Les soldats ukrainiens qui avaient protégé l'hôpital avaient disparu. Et le chemin menant à notre camionnette, avec notre nourriture, notre eau et notre équipement, était couvert par un sniper russe qui avait déjà abattu un médecin qui s’était aventuré à l'extérieur.

Des heures se sont écoulées dans l'obscurité, tandis que nous écoutions les explosions à l'extérieur. C'est alors que les soldats sont venus nous chercher, en criant en ukrainien. Cela ne ressemblait pas à un sauvetage. On avait l'impression d'être déplacés d'un danger à un autre. À ce moment-là, plus rien n'était sûr à Marioupol, et il n'y avait aucun répit. On pouvait mourir à tout moment.

Je me suis senti incroyablement reconnaissant envers les soldats, mais aussi engourdi. Et j'avais honte de partir.


Nous nous sommes entassés dans une Hyundai avec une famille de trois personnes et nous sommes sortis de la ville dans un embouteillage de cinq kilomètres. Environ 30.000 personnes ont quitté Marioupol ce jour-là, à tel point que les soldats russes n'ont pas eu le temps d'examiner de près les voitures dont les fenêtres étaient recouvertes de morceaux de plastique.

Les gens étaient nerveux. Ils se battaient, se criaient dessus. Chaque minute, il y avait un avion ou une frappe aérienne. Le sol tremblait. On a passé 15 postes de contrôle russes. Au fur et à mesure que nous les traversions - le troisième, le dixième, le quinzième, tous tenus par des soldats équipés d'armes lourdes - mes espoirs de voir survivre Marioupol s'évanouissaient. J'ai compris que pour atteindre la ville, l'armée ukrainienne devrait franchir une grande étendue. Et que cela n'allait pas se produire.

Au coucher du soleil, nous sommes arrivés à un pont détruit par les Ukrainiens pour arrêter l'avancée russe. Un convoi de la Croix-Rouge d'une vingtaine de voitures y était déjà bloqué. Nous avons tous quitté la route ensemble pour nous enfoncer dans les champs et les chemins.

Les gardes du poste de contrôle n° 15 parlaient russe avec l'accent rude du Caucase. Ils ont ordonné à tout le convoi de couper les phares pour dissimuler les armes et les équipements garés sur le bord de la route. Je pouvais à peine distinguer le Z blanc peint sur les véhicules.

En arrivant au seizième point de contrôle, nous avons entendu des voix. Des voix ukrainiennes. J'ai ressenti un immense soulagement. Nous étions sortis.

Nous étions les derniers journalistes à Marioupol. Maintenant, il n'y en a plus.


Nous sommes toujours inondés de messages de personnes qui veulent connaître le sort des êtres chers que nous avons photographiés et filmés. Ils nous écrivent désespérément et intimement, comme si nous n'étions pas des étrangers, comme si nous pouvions les aider.

Lorsqu'une frappe aérienne russe a touché un théâtre où des centaines de personnes s'étaient réfugiées à la fin de la semaine dernière, j'ai pu identifier exactement l'endroit où nous devions nous rendre pour en savoir plus sur les survivants, pour entendre de première main ce que c'était que d'être piégé pendant d'interminables heures sous des tas de décombres. Je connais ce bâtiment et les maisons détruites qui l'entourent. Je connais des gens qui sont piégés en dessous.

Et dimanche, les autorités ukrainiennes ont déclaré que la Russie avait bombardé une école d'art avec environ 400 personnes à Marioupol.

Mais nous ne pouvons plus nous y rendre.


Propos recueillis par Lori Hinnant, correspondante d’Associated Press à Paris.


VIDEO

Des habitants fuyant Marioupol sont arrivés à Lviv dimanche, soulagés et épuisés par leur fuite. Ils sont arrivés dans un train parti de Zaporijjia, à quelque 220 kilomètres de Mariupol.


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