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Maria Lvova-Belova, la poutinasse rafleuse d’enfants



Avis de recherche : où est Sophia, 11 ans, raflée par l’armée russe à Balakliya, en Ukraine ? Comme elle, des milliers d’enfants ukrainiens, orphelins ou séparés de leur famille, ont été enlevés et déportés en Russie. Nouvelles révélation sur la «conseillère aux droits de l’enfant» de la Fédération de Russie et protégée de Poutine, organisatrice en chef de ce trafic d’enfants à grande échelle. Voler les enfants dans les orphelinats, ça ne suffit plus : dans la région de Kharkiv, un millier d’enfants ont été enlevés à leurs parents sous une vague de promesse de "vacances". Promis à la "russification" et à l’adoption, ils se retrouvent entre temps dans des "centres de réhabilitation", voire même dans un "camp sanitaire" en Biélorussie !


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La Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (qui interdit le transfert d'enfants du territoire des hostilités vers le territoire d'un État agresseur), Bibiche, elle ne connaît pas. Je ne sais pas comment on dit "Bibiche " en russe, et j’ignore si son Pavel de mari, prêtre orthodoxe de son état, l’appelle dans l’intimité "Bibiche", ou peut-être "Sainte Maria" / Святая Мария.

Parce qu’entre nous, "Bibiche", alias Maria Lvova-Belova, c’est une sainte ou tout comme. Vouée et dévouée corps et âme aux sorts des enfants de la Sainte Russie (voire plus), elle est au four et au moulin. Elle s’occupe en personne d’aller enlever des enfants des orphelinats en Ukraine, pour les soustraire au danger "nazi" qui les menace, et les placer dans des familles d’adoption en Russie. C’est totalement interdit par la Convention de Genève… Et alors ? Cette convention, Dieu ne l’a pas signée. Et Poutine, non plus.


Maria Lvova-Belova, ce n’est pas n’importe qui, c’est la poutinasse du Kremlin en charge des "droits des enfants", nommée à ce poste par Vladimir Poutine lui-même en novembre dernier. Depuis les révélations des humanités, le 9 septembre dernier, sur son implication personnelle dans les déportations d’enfants ukrainiens en Ukraine (ICI), son nom est cité un peu partout (sauf dans la presse française). A vrai dire, cela avait commencé un peu avant. Dès le 16 juin, elle était dans le collimateur des autorités britanniques qui l’avait inclus dans une liste de sanctions contre des personnalités russes, précisément pour son rôle actif dans la "capture" d’enfants (Lire sur The Guardian).


Mais là, c’est l’avalanche de publications. Même le secrétaire d’État américain, Antoni Blinken, a récemment cité le nom de Maria Lvova-Belova, lui octroyant une notoriété qu’elle n’était sans doute pas prête à assumer. Lors d’une allocution devant des journalistes en marge de la récente réunion de l'Organisation de coopération de Shanghai à Samarcande, en Ouzbékistan, Vladimir Poutine a volé au secours de sa protégée, expliquant qu’elle avait « risqué sa santé et sa vie pour sauver des enfants des champs de bataille » (Lire ICI). Et Maria Lvova-Belova elle-même s’est indignée des sanctions prises à son encontre, et surtout qu’un média américain (donc, forcément sataniste) ait pu écorcher son nom de famille. Comme déjà dit, cette Maria Lvova-Bvelova, c’est une sainte, et une sainte, on n’y touche pas, quand bien même ce serait une Sainte Nitouche…

« Cette femme fragile fait à elle seule plus pour les enfants et la paix que ces Américains honteux qui griffonnent des listes de sanctions », a encore commenté Poutine. L’intéressée, elle, s’offusque : « Il est très triste qu'un pays [les États-Unis] qui se considère comme un bastion de la démocratie, des droits de l'homme et de la liberté, considère les enfants du Donbass comme indignes de ces principes. Par conséquent, nous défendrons ces positions. Le droit à la vie, à un ciel paisible et au bonheur. »


Et elle s’active. Après tout ce que nous avons déjà raconté, elle a organisé en août un « camp d’été pour la réhabilitation sociale et psychologique des enfants qui ont survécu aux hostilités » (en clair, un camp de russification accélérée pour permettre aux enfants volés du Donbass de "s’adapter").

Le 5 septembre, un millier d’enfants de 6 à 15 ans du Donbass ont été envoyés en Biélorussie dans le camp sanitaire de "Dubrava" (Дубрава) afin de « se reposer et récupérer » (lire sur le site biélorusse Belta). « J'espère que l'amour pour notre pays restera à jamais dans leur cœur », a déclaré Dmitry Shvayba, président du syndicat régional de Minsk des travailleurs de l'industrie chimique, minière et pétrolière (affilié au régime de Loukachenko), l’organisateur biélorusse de ce transfert d’enfants.

Un millier d’enfants du Donbass ont été envoyés « se reposer » dans un camp en Biélorussie.

Le 5 septembre, dernier, à leur arrivée en gare de Minsk. Photos Maksim Huchek / Belta


Une vidéo de propagande a même été tournée à cette occasion :


Tout cela a été soigneusement préparé et planifié de longue date, avec l’aval direct de Vladimir Poutine.

Le site du Kremlin rend compte d’une rencontre, dès le 9 mars, entre le président russe et la Commissaire aux droits de l'enfant (ICI).

Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova, au Kremlin, le 9 mars 2022


Le Président de la Russie Vladimir Poutine : Madame Lvova-Belova, je sais que vous avez rédigé des propositions sur la manière de dynamiser davantage votre travail. Il va sans dire que votre travail est l'une des activités les plus importantes car vous vous occupez de questions telles que les droits de l'enfant.


Commissaire aux droits de l'enfant Maria Lvova-Belova : Aujourd'hui, je voudrais aborder trois sujets. Premièrement, je voudrais parler de l'ordre du jour concernant les familles et les enfants qui ont été évacués du Donbass. Deuxièmement, je voudrais m'attarder brièvement sur nos réalisations au cours des quatre derniers mois et coordonner les aspects stratégiques de notre travail avec vous, mon supérieur immédiat. Je sais que nous disposons de très peu de temps, et je m'en tiendrai donc à l'essentiel. Monsieur le Président, n'hésitez pas à me demander si vous avez besoin de détails. Je serai ravi de parler de tout.

Vladimir Poutine : Très bien.


Maria Lvova-Belova : En ce qui concerne les résidents évacués et les familles avec enfants, les commissaires compétents se sont joints à l'effort. J'ai demandé au ministère des Situations d'urgence qu'ils fassent partie du siège régional. Ils participent désormais activement à l'accueil de ces personnes, surveillent la situation et s'efforcent de répondre aux demandes individuelles.

Vladimir Poutine : Vous parlez des commissaires régionaux ?

Maria Lvova-Belova : Les commissaires régionaux. J'organise régulièrement des vidéoconférences, auxquelles participent des collègues depuis différents endroits, y compris des gares et des abris.

J'ai une question dont je voulais discuter avec vous, Monsieur le Président. Nous avons 1090 orphelins de diverses structures d'accueil qui sont arrivés. Bien sûr, les Russes ont un grand cœur et font déjà la queue pour s'occuper de ces enfants. Que pensez-vous...

Vladimir Poutine : Très bien.


Maria Lvova-Belova : Si vous me le permettez, j'aimerais poursuivre dans cette voie. Nous avons déjà établi un registre pour ceux qui ont des documents. Certains pourraient être mis dans des logements temporaires, tandis que ceux qui ont la nationalité russe pourraient s'installer définitivement.

Vladimir Poutine : Pourquoi seulement ceux qui ont la nationalité russe ? Cela doit s'appliquer quelle que soit leur citoyenneté.

Maria Lvova-Belova : Il y a des réserves juridiques à prendre en compte.

Vladimir Poutine : Dites-moi simplement ce qu'ils sont, et nous travaillerons à supprimer ces obstacles.


Le 12 mai, un tweet du ministère des Affaires étrangères, citant Maria Lvova-Belova, affirmait que 190.000 enfants étaient déjà arrivés en Russie depuis le Donbass dont 1.200 extraits d’orphelinats des "républiques populaires de Donetsk et de Lougansk". Faisant l’impasse sur les enfants qui ont été littéralement volés lors du siège de Marioupol, pour la poutinasse aux "droits de l’enfant", les orphelins du Donbass sont, de facto, déjà russes. Elle ne voit donc pas le mal qu’il y a à aller les rafler pour la ramener dans le giron de la Mère-Patrie. Après les convois ferroviaires de déportation déjà signalés, elle vient de passer la vitesse supérieure. Les "évacuations" se font désormais en avion. Et face caméra, elle s’en vante même.


Le 16 septembre dernier, avec l’aide logistique du ministère russe de la Défense, un avion sans doute parti de l’aéroport de Donetsk atterrit à Moscou avec 125 "orphelins" à bord dont Maria Lvova-Belova précise qu’ils iront rejoindre des familles d’adoption « dans 13 régions du pays : outre Moscou, Astrakhan, Voronej, Koursk, Mourmansk, Nijni Novgorod, Omsk, Penza, Rostov, Riazan, Samara, Tcheliabinsk ». Avant cela, indique-t-elle, ces enfants devront passer quelque temps dans un "centre de réhabilitation" (où, naturellement, la Croix-Rouge et l’UNICEF ne sauraient avoir l’accès qu’elles demandent). "Centre de réhabilitation" : Il y a des mots qui font froid dans le dos…

D’autant que, parcimonieusement, de premiers témoignages arrivent. Jeudi dernier, lors de la réunion du Conseil permanent de l'OSCE à Vienne, le chef de la mission ukrainienne auprès de l'OSCE Yevhenii Tsymbaliuk a cité le message envoyé par un enfant ukrainien déporté en Russie : « Tante Ira, je suis en Russie, j'ai été emmené ici par l'armée russe. Je t'écris en secret, j'ai réussi à avoir un téléphone pendant quelques minutes. Ma mère n'est plus en vie, elle a été tuée sous les tirs. Ils disent que je suis un orphelin. Mais je ne suis pas orphelin, je vous ai, j'ai des grands-parents. Il y a tellement d'enfants comme moi ici. Ils disent qu'ils veulent nous laisser en Russie. Et je ne veux pas rester en Russie ! Tante Ira, fais-moi sortir d'ici. Je veux rentrer chez moi, en Ukraine. »

Sophia, la fille de 11 ans d'Alla Zinchynko, a été emmenée en Russie pour des "vacances à la mer". Photo Richard Spencer / The Times


Plus effrayant encore, le quotidien britannique The Times a récemment recueilli le témoignage d’une mère de famille, Alla Zinchynko, 42 ans, dont la petite fille de 11 ans, Sophia, a été enlevée par les Russes à Balakliya, une ville située entre Izioum et Kharkiv. Alors que les combats faisaient rage, le mois dernier, les soldats russes ont offert aux enfants des « vacances à la mer ». « Nous étions terrifiés », dit Alla Zinchynko en pleurant. « Les obus sifflaient de partout. Ils promettaient d'emmener les enfants au bord de la mer, pour les sauver des combats. Mais nous avons été stupides d’accepter. »

Depuis, Alla n’a pas revu sa fille. Elle a pu échanger avec elle quelques SMS. Elle sait que sa fille se trouve à Kabardinka, une ville située à l'est de Novorossiysk, sur la côte russe de la mer Noire. La petite Sophia a été informée, voici peu, que ses "vacances" seraient prolongées d'au moins plusieurs semaines. « Je veux juste qu'elle revienne », déclare Alla Zinchynko. « Je ferais n'importe quoi pour la revoir. Tout ce que je veux, c'est la serrer dans mes bras. »

Selon elle, plusieurs centaines de parents sont dans la même situation. Dans la seule ville de Balakliya, 25 familles ont accepté l'offre des soldats russes. Au total, dans la région de Kharkiv, il y aurait eu 300 enfants ainsi raflés (il n’y a pas d’autre mot), notamment dans les villes d’Izioum et de Kupiansk, aujourd’hui reprises par les forces ukrainiennes.

Promettre des « vacances » aux enfants pour mieux les enlever à leurs familles : cela ressemble fort au violeur qui offre des bonbons à ses proies à la sortie des écoles. Mais Maria Lvova-Belova, drapée dans ses charitables et poutinesques intentions, ne comprend toujours pas ce qu’on peut bien lui reprocher. Devant un tribunal international à La Haye, elle comprendra peut-être mieux, et elle aura tout le temps d’y méditer pendant les longues années de prison qui lui seront réservées.


Jean-Marc Adolphe


Illustration en tête d’article : capture d’écran de la plateforme Children of war, qui recense et documente les cas d’enfants ukrainiens déportés en Russie : https://childrenofwar.gov.ua/en/

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