La réalisatrice cubaine Daniela Muñoz Barroso entreprend avec Mafifa, présenté au Festival Biarritz-Amérique latine, un voyage initiatique à Santiago de Cuba pour retrouver la mémoire d’une sonneuse de cloches, seule femme à avoir joué au sein de la Congo de los Hoyos. Mais le portrait impressionniste de Mafifa prend aussi la forme d’un autoportrait de l’auteure qui s’avère ou s’avoue être malentendante.
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C’est, disons, un portrait documentaire. Celui d’une légende la musique cubaine, Mafifa, alias Gladys Esther Linares, sonneuse de cloches, seule femme à avoir fait partie de l'ensemble des musiciens de la célèbre Conga de Los Hoyos, à Santiago de Cuba, l'une des expressions traditionnelles les plus reconnues de la tradition du carnaval à Cuba (lire ICI).
La Conga los Hoyos, filmée en août 2021 par Ricardo Manfredi
La réalisatrice Daniela Muñoz Barroso, auteure en 2017 d’un premier long-métrage documentaire, ¿Qué remedio ? La parranda, sur la fête des parrandas, au centre de Cuba, inscrite en 2013 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité (teaser ICI), est partie cette fois-ci sur les traces de Mafia. Son film, déjà remarqué en novembre 2021 au Festival international du film documentaire d'Amsterdam (IDFA), était projeté fin septembre dans le cadre du Festival Biarritz-Amérique latine.
« Daniela Muñoz Barroso n'est pas motivée par le mythe qui entoure Mafifa ; le véritable objectif de sa narration est d'explorer la sensibilité, la subjectivité, les émotions de la sonneuse de cloches », écrit Angèl Pérez sur l’excellent site Rialta.
« Gladys Esther Linares, femme peu commune, surnommée Mafifa ou plus simplement La Niña, est morte en 1985, à l’âge de quarante-quatre ans », précise de son côté Nicolas Villodre sur le site de la revue Mouvement. « Le seul amoureux qu’on lui ait connu, et encore par ouï dire, assez vite la délaissa. Elle voua le reste de sa vie à la musique. Certaines rumeurs malveillantes suggèrent que Mafifa était un homme travesti en femme ou une femme n’aimant pas les hommes… Et à son orchestre d’hommes sur lesquels elle exerça un ascendant. Elle sut se distinguer de tous par la parfaite maîtrise de tous les instruments de percussion, celle surtout de la cloche « majeure », sorte de plat en fonte, qui donne le « la » et le compás aux autres. Plat chauffé à blanc par l’instrumentiste ou par le soleil, les jours les plus festifs, en période de carnaval. »
A gauche : Daniela Muñoz Barroso. A droite : séquence du film "Mafifa"
« L’expédition entreprise en 2019 par Daniela Muñoz Barroso tient de la recherche ethnographique, voire ethnomusicologique. Mais le portrait impressionniste de Mafifa prend aussi la forme d’un autoportrait de l’auteure qui s’avère ou s’avoue être malentendante. En conséquence de quoi, étant dans l’incapacité de capter les fréquences les plus aiguës et, paradoxalement, celles de la cloche, elle et sa monteuse, Joanna Montero, alternent scènes et séquences accompagnées de sons perceptibles par un spectateur lambda (de 20 Hz pour les graves à 20.000 Hz pour les aigus) et plans accompagnés d’une bande audio telle qu’est censée la percevoir la cinéaste. Daniela Muñoz Barroso assume non seulement ses images "expérimentales" prises par elle, caméra au poing, avec des flous résultant des mouvements et des sautes ainsi que de gros plans quasiment macrophotographiques déréalisant tout contexte. Ces images sont celles d’une caméra qualifiée autrefois de "subjective". Le microphone l’est tout autant, dans le cas présent avec les passages de sons étouffés ou floutés. Se dégage du film une poésie rare née d’une quête impossible sinon improbable avec ses brefs moments de révélation, de traces ou preuves tangibles d’une existence qui paraît lointaine et ne l’est pas tant que cela. » (Nicolas Villodre)
Illustration en tête d’article : Photogramme de Mafifa (2021), film de Daniela Muñoz Barroso.
Daniela Muñoz Barroso présente son film "Mafifa" au Festival Biarritz-Amérique Latine, le 27 septembre 2022 (images Nicolas Villodre) :
Bande-annonce de Mafifa :
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