Mais qu’est donc allé faire le président français au Kremlin ? « Sauver la paix » ? Parler de l’Ukraine ? Tzotzil Trema, « agitateur clandestin », dévoile ici les dessous moins avouables de cette rencontre au sommet.
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LE DESSOUS DES CARTES La communication, comme chacun sait, est souvent synonyme de bluff. Et comme l’écrit mon ami Éric Vuillard, « le monde cède au bluff. Même le monde le plus sérieux, le plus rigide, même le vieil ordre, s'il ne cède jamais à l'exigence de justice, s'il ne plie jamais devant le peuple qui s'insurge, plie devant le bluff. »
En se rendant à Moscou, ce lundi 7 février, y rencontrer Vladimir Poutine, le président français a apparemment réussi un formidable coup de communication. Quelle audace ! Quelle stature d’homme d’État ! Quel négociateur hors-pair ! Etc. Les gazettes imprimées, radiophoniques ou téléportées, ont repris en chœur, avec plus ou moins d’emphase, le refrain cocardier. En effet, avec la gastronomie et la pétanque, la diplomatie n’est-elle pas art typiquement français ?
Dans la mission qu’il s’est impartie, M. Macron passe donc pour celui va tenter la désescalade du conflit russo-ukrainien par la face Grand Nord, et contribuer à « faire baisser la tension », bien que sur ce point, certains Amish d’un autre âge eussent préféré le voir monter au front du réchauffement climatique.
La farce est plaisante. Mais c’est une farce. Emmanuel Macron n’obtiendra évidemment rien de Vladimir Poutine. Que saurait d’ailleurs exiger le Petit Poucet français, pour Jupiter qu’il se prenasse, du tsar Vladimir-de-toutes les Russies. Il faut être bigrement naïf pour prendre au sérieux de telles calembredaines.
Enfin, si. Emmanuel Macron a bien l’intention d’obtenir quelque chose de Vladimir Poutine, mais pas sur le terrain que l’on croit.
Pour quoi sait lire, un indice est donné dans le complaisant article paru dimanche dernier dans le Journal du dimanche, propriété de Monsieur Bolloré, qui vient d’y nommer à la direction générale Jérôme Béglé, chroniqueur de l’ultra-droitière et zemmourienne CNews. L’article en question est signé François Clémenceau, un journaliste qui semble n’avoir a priori aucun lien de descendance avec feu Georges Clémenceau, le « Père la Victoire » qu’Emmanuel Macron tant vénère. « Ce que Macron va dire à Poutine » : tel est le titre de cet article. Mais si tout ce que va être dit doit ainsi être mis sur la place publique, à quoi bon exiger avec le leader du Kremlin un entretien en tête-à-tête et à huis clos ? Cet article, à vrai dire, est en partie crypté et s’adresse davantage au pouvoir russe qu’aux lecteurs français. Rassurez-vous, tout cela est fort bien enrobé, mais l’opposition ukrainienne, elle, n’est pas dupe. Que promet donc, à mots couverts, Emmanuel Macron à Vladimir Poutine ? Que la France, au sein de l’OTAN, fasse valoir la position du Kremlin, vu « qu’il est légitime que la Russie pose la question de sa propre sécurité ». Et si la Russie doit occuper la Crimée, ou d’autres provinces d’Ukraine, pour « assurer sa sécurité », ma foi, ça la regarde. D’autant qu’il faut « comprendre les propres traumatismes contemporains de ce grand peuple et de cette grande nation », et que cela mérite « respect », dussent les droits de l’homme y passer aux pertes et profits, comme on l’a vu récemment avec l’interdiction de l’ONG Memorial jadis fondée par Andreï Sakharov.
Tout cela a été préparé en coulisse par un diplomate chevronné, Pierre Vimont, que Nicolas Sarkozy avait nommé ambassadeur de France aux-États-Unis. Il est membre de la Fondation américaine Carnegie Endowment for International Peace, qui finance depuis 1991, sur fonds états-uniens, des groupes politiques pro-européens en Ukraine (à hauteur de plus de 5 milliards de dollars entre 199, date de l'indépendance de l'Ukraine, et 2013). Autant dire que ce Pierre Vimont connaît bien le terrain, et qu’un bon diplomate doit avoir des qualités avérées d’avalage de couleuvres.
Mais si Emmanuel Macron est allé montrer patte blanche au Kremlin, et faire allégeance à Poutine, quel est le but recherché ? Quelle est la contrepartie qui doit être négociée dans le secret du tête-à-tête ?
Il n’y a pas une seule contrepartie, il y en a deux.
La première s’appelle Mali. Devant le fiasco de l’opération Barkhane et les putsches qui se multiplient dans cette partie de l’Afrique, le retrait militaire français ne fait plus guère de doute. Mais comment l’organiser, sans donner une impression de Bérézina ? Comment, maintenant que les Russes maîtrisent le terrain, quels gages Poutine peut-il donner pour que la Russie et ses amis paramilitaires du Groupe Wagner permettent à Emmanuel Macron de ne pas faire retrait la queue basse, ce qui ferait mauvais genre à quelques semaines de l’élection présidentielle française.
La deuxième contrepartie s’appelle précisément élection présidentielle. Emmanuel Macron veut obtenir de Vladimir Poutine des gages que les services russes ne comploteront pas en faveur de Marine Le Pen ou d’Éric Zemmour, où s’ils doivent vraiment comploter, qu’ils le fassent en sa faveur à lui.
Voilà ce qu’on appelle « diplomatie » : un énorme coup de bluff. Un jeu de « je te tiens par la barbichette ». Mais tel est le véritable enjeu de la visite d’Emmanuel Macron au Kremlin. L’Ukraine ? Ce n’est qu’un prétexte. Mais tout de monde semble feindre d’y croire.
Tzotzil Trema, agitateur clandestin.
(Note de la rédaction des humanités : « Tzotzil Trema » est le pseudonyme d’une personnalité bien placée pour en savoir beaucoup)
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