Emmanuel Macron salue des badauds après avoir voté au Touquet, le 9 juin 2024. Photo Hannah McKay / AP
ÉDITORIAL Puisqu'il y a le feu au lac, autant continuer à alimenter le brasier. A peine connu le résultat de l'élection européenne, qui a confirmé presque partout en Europe mais surtout en France une poussée des extrême-droites, Emmanuel Macron, qui avait promis d'être le rempart face à ladite extrême droite mais n'a cessé de lui donner du grain à moudre, s'est empressé sans consulter qui que ce soit, d'annoncer la dissolution de l'Assemblée nationale, avec un premier tour d'élections législatives dans vingt jours ! Caprice d'enfant virant à l'irresponsabilité ou stratégie délibérée pour faciliter l'accession au pouvoir du Rassemblement national ?
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Premier constat : nous autres Français sommes seuls au monde. Quiconque aura suivi la soirée électorale, hier soir sur France 2, aura ainsi totalement ignoré que l’on votait aussi en Espagne et en Finlande, en Roumanie et aux Pays-Bas, à Chypre et en Irlande, en Lituanie et au Portugal, etc. On aura ainsi été tenu dans l’ignorance de ce que dans les pays nordiques (Suède, Finlande, Danemark), la nette de progression des partis de gauche et écologistes ait entraîné le repli des partis d’extrême droite ; extrême droite qui a fait quasiment chou blanc à Malte, en Slovénie, en Croatie, en Bulgarie et au Portugal. Évidemment, ces pays ne sont parmi ceux qui envoient le plus de députés au Parlement européen, mais jusqu’à preuve du contraire, ils font quand même partie de l’Union européenne.
Certes, le bon résultat de ces mouvements progressistes n’inverse pas la tendance générale : la droite conservatrice et / ou libérale conforte sa majorité au Parlement européen, et le vote écologiste est en net recul. L’extrême droite, enfin, réalise une percée spectaculaire, passant de 115 à 178 sièges. Et c’est en France que ce résultat est le plus criant, avec 35 sièges sur 81 : à elle seule, près de la moitié des sièges de l’extrême droite au futur Parlement européen.
Est-ce une surprise ? Depuis la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, en 2002, il ne s’est pas passé un scrutin qui n’ait vu l’ex-Front national, devenu Rassemblement national, progresser. Et à chaque fois, on a entendu les responsables politiques au pouvoir dire : cette fois-ci, on a compris, on va répondre aux attentes des Français, patati patata, si je mens je vais en enfer : à force de mentir, l’enfer se rapproche... Dernière trahison en date : le 24 avril 2022, au soir du second tour de l’élection présidentielle qu’il remporta face à Marine Le Pen avec 58,4 % des suffrages, grâce aux voix de la droite, du centre, de la gauche et des écologistes, Emmanuel Macron déclarait : « Je sais que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi non pour soutenir les idées que je porte mais pour faire barrage à celles de l'extrême droite. Je veux ici les remercier et leur dire que j'ai conscience que ce vote m'oblige pour les années à venir. Je suis dépositaire de leur sens du devoir, de leur attachement à la République et du respect des différences qui se sont exprimées ces dernières semaines. (…) Dès à présent, je ne suis plus le candidat d'un camp, mais le Président de toutes et tous. Je sais aussi que pour nombre de nos compatriotes, qui ont choisi aujourd'hui l'extrême droite, la colère et les désaccords qui les ont conduits à voter pour ce projet, doivent trouver une réponse. Ce sera ma responsabilité et celle de ceux qui m'entourent. Car le vote de ce jour nous impose de considérer toutes les difficultés des vies vécues et de répondre avec efficacité aux colères qui se sont exprimées. » En conséquence de quoi l’urgence fut, par exemple, de faire passer à la hussarde, au mépris du Parlement et de l’opinion publique, la réforme des retraites.
Le président de la déglingue
Que la peur du présent et de l’avenir engendre repli sur soi et adhésion à des valeurs ultra-conservatrices, se traduisant par un vote nationaliste et/ou souverainiste, c’est là un fait qui n’est pas exclusif à la France et dont l’élection européenne qui vient de se dérouler porte le message. On est bien loin du manifeste pour une autre Europe, signé en novembre 1991 par 25 écrivains de renom, que nous avions publié il y a un mois (ICI). Cependant, nulle part ailleurs qu’en France, cette vague extrême-droitière n’atteint un tel sommet. Il s’agit là d’un échec personnel d’Emmanuel Macron, président de la déglingue (lire ICI) qui n’a cessé de jeter de l’huile sur la braise des mécontentements.
Qu’il y ait le feu au lac, c’est certain. Ce feu a été nourri par tant d’abandons… On laisse à de plus émérites sociologues le soin de faire des rapprochements entre scores de l’extrême-droite et situations territoriales. Qu’il suffise ici de prendre l’exemple de l’Aisne, l’un des départements les plus paupérisés de France, avec un taux de chômage qui atteint 17% (plus de 35% pour les 15-24 ans) et un taux de pauvreté qui atteint 18,8% (contre 14,5% en France métropolitaine), et où le budget du Conseil départemental, en berne, oblige à réduire ou supprimer des subventions à des associations culturelles, sportives, citoyennes, etc., qui particip(ai)ent à la "cohésion sociale". Dans ce département, l’extrême droite obtient plus de 56% des suffrages exprimés, et serait sans doute adoubée dès le premier tour d’une élection législative.
C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Macron a annoncé, dès hier soir, la dissolution de l’Assemblée nationale, avec un premier tour d’élections législatives fixé au 30 juin, dans 20 jours ! A nouveau, Jupiter a pris sa décision tout-seul-c’est-moi-qui-décide, sans consulter qui que ce soit (selon Le Monde, même la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, en aurait été "estomaquée"). Une fois de plus, Emmanuel Macron montre son mépris des institutions, et aussi de son "proche entourage". Quand bien même il eut fallu une dissolution, rien n’obligeait à une décision si précipitée, avec un timing si rapide.
La décision présidentielle ressemble à un caprice d’enfant. On ne peut que répéter que ce que l’on écrivait ici le 28 mai dernier : « On ne saurait taxer le Président la République d'insincérité lorsqu'il exprime son refus de l'extrême droite. Pour autant, dans un recoin de son inconscient, ne la désire-t-il pas ? Quoiqu'il tâche de s'en convaincre, sa volonté de transformer la République française en "start-up nation" ne marche pas, ou alors, très marginalement. On peut imaginer qu'il en conçoive courroux, déception, ressentiment, vis-à-vis des Français pas assez intelligents pour adhérer à son audace réformatrice. Il ne serait alors pas impensable qu'il veuille les "punir" de tant d'ingratitude. Et Jupiter est tellement d'infatué de lui-même qu'il pourrait être tenté de penser, en son for intérieur : "après-moi, le déluge". Et ce déluge, de le préparer. »
Nous y sommes. En ce sens, la dissolution précipitée de l’Assemblée nationale, pour funeste qu’elle soit (elle offre un boulevard au fascisme qui vient), n’est peut-être pas une grave erreur de conduite, mais un choix délibéré d’Emmanuel Macron : après la "stratégie de l’ultimatum" dont il a usé et abusé ces derniers mois, voici celle du chaos.
Qui pour s’y opposer ? Une droite en lambeaux n’y peut mais. Quant à la gauche… L’appel au rassemblement, lancé hier par le communiste Fabien Roussel et par les écologistes, a aussitôt été douché par la France insoumise, pour qui il ne saurait y avoir de "rassemblement" qu’à la condition d’adhérer à la seule ligne édictée par Jean-Luc Mélenchon, qui déclarait hier soir « ne pas craindre le peuple ». En refusant in fine toute alliance ou compromis, c’est là une autre stratégie du chaos que vise Jean-Luc Mélenchon, comme il l’avait exprimé dans un débat avec la "philosophe" post-marxiste Chantal Mouffe : l’espoir "révolutionnaire" de créer les conditions d’une insurrection populaire qui amènerait, plus sûrement qu’une élection, ses idées au pouvoir…
Une dernière pour la route. L’information est tombée ce matin. Alors que les cours du gaz oscillent à des niveaux dix fois inférieurs au pic de la crise énergétique de l’été 2022, des millions de Français sont sur le point de voir leur facture exploser : au 1er juillet prochain (dans l’entre-deux tours de l’élection législative), le prix moyen de la facture de gaz va augmenter de 11,7 % en juillet. Encore un joli petit coup de pouce pour le Rassemblement national, qui n’en demandait pas tant.
Jean-Marc Adolphe
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