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Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

Macron et l’opération Chicxulub

Dernière mise à jour : 22 sept.


Emmanuel Macron en mai 2018 lors du sommet Tech for Good, organisé par le cabinet McKinsey. Photo DR

 

72,8 millions d’euros ! C’est le pactole engrangé par le cabinet McKinsey lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, correspondant à des rapports plus ou moins fantaisistes commandés par l’État. En mai 2023, une enquête des humanités avait éclairé sur ces rapports troubles, et sur le soupçon de financement illégal de campagne électorale. Hier sur France 2, Cash Investigation a produit de nouveaux témoignages et pièces à conviction.

 

Les cabinets de conseil, pardon, de consulting, font preuve d’une imagination débordante.


Jusqu’à hier, j’ignorais l’existence du Chicxulub. D’un diamètre de 180 kilomètres, au nord de la péninsule mexicaine du Yucatan, ce méga-cratère se serait formé il y a environ 66 millions d’années après la chute d’un astéroïde. La pagaille provoquée par le choc, équivalent à 5 milliards de fois la puissance de la bombe larguée sur Hiroshima, entraîna la crise biologique de la fin du Crétacé. C’est ainsi qu’auraient pu disparaître les dinosaures, peu habitués à bouffer de la poussière et ne trouvant d’autre pitance pour se rassasier la panse.

 

En 2015, donc bien après l’extinction des dinosaures, Karim Tadjeddine est responsable du secteur public pour McKinsey France en 2015. Et le Chicxulub, ça lui parle. A force d’enregistrer et de comparer des données, pardon, de benchmarker, notre homme a une culture encyclopédique, qu’il traduit le plus souvent en graphiques, statistiques et pourcentages, qu’il distribue à la volée, comme Rafael Nadal sur le court de Roland Garros.

 

En octobre 2015, Karim Tadjeddine monte au filet : une première "réunion de travail" rassemble, autour d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, des patrons, des membres du cabinet du ministre, mais aussi plusieurs salariés de McKinsey. Il s’agit ni plus ni moins de travailler à « l’avenir » d’Emmanuel Macron. Karim Tadjeddine trouve le nom de code de cette opération confidentielle, pour ne pas dire secrète : ce sera donc le Chicxulub, puisqu’il s’agit de faire advenir un "nouveau monde", en précipitant l’extinction de certains dinosaures politiques, dont François Hollande.

 

Prolongeant de premières révélations divulguées par Mediapart et Le Monde, une enquête décapante de Cash Investigation, diffusée hier soir sur France 2, est venue, preuves et témoignages à l’appui, apporter de nouvelles informations capitales sur les relations entre Emmanuel Macron et « la Firme », comme se surnomme en toute modestie la cabinet McKinsey.

 

"La faillite de la start-up nation", une enquête des humanités à relire...


En mai 2023, j’avais publié une enquête en quatre volets sur "la faillite de la start-up nation". La dernière séquence de cette enquête, que j’invite à relire (ICI) portait sur le financement de la campagne électorale du candidat Emmanuel Macron en 2017, avec un long développement sur le rôle du cabinet McKinsey. En apportant de nouveaux éléments, Cash Investigation confirme ce que j’écrivais alors. Primo, il y a bien eu une véritable "prestation", non déclarée et non facturée, du cabinet de conseil, ce qui est totalement illégal. Secundo, McKinsey France est une coquille vide, entièrement contrôlée par la maison mère, McKinsey and Company Inc, domiciliée aux États-Unis. Tous les bénéfices enregistrés en France sont transférés aux États-Unis, plus précisément dans l’État du Delaware, dont la mansuétude fiscale est bien connue.

 

Ce principe de vases communicants ne permet guère de cerner précisément le chiffre d’affaires réalisé en France par McKinsey. En mai 2023, j’avais tout de même pu mettre à jour un élément intéressant : « En 2016, avant l’élection d’Emmanuel Macron, le bilan de la SAS McKinsey & Company fait apparaître un actif net de 1,8 millions d’euros. En 2017, postérieurement à l’élection de Macron, ce même actif net passe à 8,6 millions d’euros, avant de bondir en 2018 à… 22 millions d’euros ! »

 

Je poursuivais : « inutile de chercher plus loin le coût de la prestation de service de McKinsey à la campagne d’Emmanuel Macron. Cela s’apparente à un véritable pacte de corruption. » Les prestations "gratuites" de McKinsey pendant la campagne électorale ont été largement récompensées par la suite. Joli « retour sur investissement ». Et encore, j’étais loin du compte. Cash Investigation a pu actualiser les chiffres que je donnais en 2023. Sur le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, le cabinet américain a reçu la bagatelle de… 72,8 millions d’euros de différents services de l’État français.

 

Et tout ça pourquoi ? Non sans mal, alors qu’il s’agit normalement de documents publics, l’équipe de Cash Investigation a pu mettre la main sur certains des rapports produits par McKinsey, appelés dans le jargon des cabinets de conseil, des « livrables ». Exemple : un rapport sur l’évaluation des services administratifs qui recommande, en anglais, de suivre le modèle… malaisien. Bref, des « rapports qui font pschitt ». En d’autres termes, du bullshit (cher payé, le bullshit).

 

Le débat qui a suivi la diffusion de l’enquête de Cash Investigation a porté, au-delà de McKinsey, sur l’importance donnée par l’État aux cabinets de conseil, après avoir déshabillé la fonction publique de certains de ses moyens, compétences et prérogatives. Comme il a été dit hier, cela relève d’une « idéologie » qui a commencé son travail de sape bien avant l’élection d’Emmanuel Macron, mais où le principe même de "start-up nation" est en parfaite symbiose. Au point d’ignorer certaines règles élémentaires, dont celle qui interdit à des entreprises, a fortiori étrangères, de financer un parti politique ou une campagne électorale. En 2016, Karim Tadjeddine est parfaitement conscient de cette "ligne rouge", comme en témoigne un mail, dévoilé par Cash Investigation, qu’il adresse alors personnellement à "EM". A force de vouloir « libérer les énergies », le futur Président de la République passe outre, en toute connaissance de cause. Raison pour laquelle j’écrivais, en mai 2023, qu’Emmanuel Macron devrait être « destitué ». J’avais sans doute un peu d’avance sur le calendrier judiciaire. En octobre 2022, le Parquet national financier a ouvert une information judiciaire pour "tenue non-conforme de comptes de campagne" et "minoration d’éléments comptables" concernant les campagnes présidentielles d’Emmanuel Macron de 2017 et 2022. Une autre information judiciaire a été ouverte pour "favoritisme" et "recel de favoritisme" pour déterminer si McKinsey a obtenu, en échange de ces prestations, des contrats publics, une fois Emmanuel Macron au pouvoir. Des perquisitions ont eu lieu en mars 2023. Depuis, l’enquête suit son cours, comme il est coutume de dire. L’actuel locataire de l’Élysée sera-t-il poursuivi avant la fin de son second mandat ? Rien n’est moins sûr. Dommage : on aurait bien aimé voir la "start-up nation" et son chef de troupe rejoindre le cimetière des dinosaures…

 

Jean-Marc Adolphe

 

Pour voir en replay Cash Investigation du 17/09/2024 :


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