Sofia Lvova-Belova "accueille" à Penza des personnes handicapées déportées de la région de Kherson, en novembre 2023. Photo DR
Premier média à avoir révélé et documenté les déportations d'enfants ukrainiens, les humanités poursuivent l'enquête sur les "œuvres de bienfaisance" de la commissaire présidentielle russe aux droits de l'enfant (sic), Maria Lvova-Belova. A la tête d'une fondation qui gère un centre pour handicapés béni par le patriarche Kirill en personne, elle détourne leurs pensions (en plus d'énormes subventions d’État) pour améliorer son train de vie. Le tout en famille : avec sa sœur cadette, Sofia Lvova-Belova, elle a désormais entrepris de déporter des personnes handicapées depuis Kherson et d'autres régions occupées en Ukraine. Pourquoi ? Parce que ça rapporte...
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Voilà un nouveau crime de guerre à mettre à l’actif de Maria Lvova-Belova, la commissaire russe aux droits de l’enfant (sic), qui faire d’ores et déjà l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour le rôle central qui a été le sien dans les déportations d’enfants ukrainiens en Russie. Ce nouveau crime de guerre tient, de surcroit, du trafic d’êtres humains.
De quoi s’agit-il ? L'agence d'investigation russe indépendante iStories, en collaboration avec l'ONG Ukrainian Reckoning Project, a pu établir que Maria Lvova-Belova déporte désormais, depuis la région occupée de Kherson et d'autres territoires que le Kremlin qualifie de "nouvelles régions" russes, des personnes en situation de handicap, notamment de handicap mental.
Ces personnes handicapées sont toutes "relocalisées" dans le village de Bogoslovka, en banlieue de Penza, la ville de Lvova-Belova (à 540 kilomètres au sud-est de Moscou), au sein d’un complexe résidentiel pour personnes handicapées construit sur mesure, baptisé "Novye Berega" ("Nouveaux rivages").
"Novye Berega", le complexe résidentiel pour personnes handicapées dans la banlieue de Penza. Photo DR
C’est là qu’en juin 2022, Maria Lvova-Belova avait reçu le patriarche Kirill, venu bénir en personne une si noble initiative, naturellement "caritative" et "inclusive", que les médias locaux qualifient de « projet unique en Russie et dans le monde ».
Le patriarche Kirill, avec Maria Lvova-Belova, au complexe "Novye Berega", en juin 2022. Photos DR
Dès le départ, en 2018, le projet de "Nouveaux rivages" a été soutenu par le Premier ministre de l'époque, Dmitri Medvedev, la présidente du Conseil de la Fédération de Russie, Valentina Matviyenko, et le gouverneur de Penza, Oleg Melnichenko. En 2022, Lvova-Belova présente le projet à Vladimir Poutine, qui promet de "charger le gouvernement de soutenir l'initiative aussi largement que possible". Six immeubles résidentiels, une église, un hôtel, un café, un atelier de poterie et un salon de beauté ont été construits sur le site.
La construction de "Novye Berega" a coûté plus de 208 millions de roubles (2 millions d’euros), avec des fonds provenant de l'État, d'oligarques et d'entreprises locales. Selon iStories, les donateurs comprenaient l'ancien propriétaire du club de football de Chelsea, Roman Abramovitch, le magnat milliardaire du nickel Vladimir Potanin, l'oligarque ultra-nationaliste Konstantin Malofeev et l’homme d’affaires Gennadi Timchenko, proche ami de Poutine. L’information est intéressante ; elle montre qu’avant même de rejoindre le parti Russie Unie (en 2019) et de devenir commissaire présidentielle aux droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova disposait déjà de puissants soutiens au sein de la nomenklatura russe.
Le navire-amiral de Maria Lvova-Belova, c’est le "Quartier de Louis" un centre qu’elle a fondé en 2014 "pour l'adaptation sociale des personnes handicapées". Les projets gérés par ce "Quartier de Louis", dont "Novye Berega", ont reçu au total près de 160 millions de roubles (1,6 million de d’euros) des fonds présidentiels de "protection sociale" depuis 2017.
Cet "organisme de bienfaisance" est une affaire de famille. Y ont successivement travaillé le propre père de Maria Lvova-Belova (qui s’amusait à collectionner sur son ordinateur des vidéos et photos pédo-pornographiques, lire ICI), son mari, Pavel Kogelman (devenu prêtre orthodoxe en 2019), deux de ses frères, et sa sœur cadette, Sofia, dont on va reparler.
Photo ci-contre : Sasha Seliverstova, décédée dans d'étranges conditions, en octobre 2022, au sein de l'institution gérée par Maria Lvova-Belova.
Comme les humanités l'ont déjà relaté (en novembre 2022, lire ICI) le "Quartier de Louis" a été très tôt suspecté de mauvais traitements envers les handicapés qui y sont "accueillis". Des journalistes qui avaient enquêté sur la mort d’un jeune homme décédé à l'hôpital clinique de Penza après avoir manqué deux dialyses successives, s’étaient aperçus qu’il n’avait pu payer le taxi pour se rendre à l’hôpital, sa pension étant intégralement affectée au remboursement d’un prêt que Maria Lvova-Belova l’avait obligé à contracter pour payer… ses frais de séjour. L’enquête a été étouffée, mais ce cas, apparemment pas isolé, a ressurgi en octobre 2022 avec le décès d’une jeune fille handicapée, Sasha Seliverstova, sans doute morte de carence alimentaire alors même que Lvova-Belova s’était servie de son image pour lancer une campagne de collecte de fonds naturellement "humanitaire" (Lire ICI).
Il faut savoir qu’en Russie, l'organisation qui héberge une personne handicapée est automatiquement considérée comme son tuteur légal, et reçoit 75 % de la pension du pupille en paiement de sa résidence. Une affaire juteuse, en quelque sorte. On comprend mieux pourquoi, depuis novembre 2023, des personnes handicapées ont été déportées de certaines régions occupées d’Ukraine vers « Novye Berega », le nouveau QG des « œuvres de bienfaisance » de Maria Lvova-Belova. En tant que commissaire présidentielle, elle ne peut plus gérer directement le « business ». Elle confié la direction de sa « fondation » à sa sœur cadette, Sofia Lvova-Belova, qui n’a, soit-dit en passant, aucun diplôme ni compétence pour gérer un tel établissement d’accueil. Mais pour détourner l’argent, oui, sans doute.
C’est sans doute de famille : Sofia Lvova-Belova jure ses grands dieux que les personnes handicapées déportées de Kherson ont été "évacuées" de leur plein gré, afin de les "protéger" : « Nous les avons déjà acceptés dans notre grande famille. J'ai tout de suite compris qu'ils resteraient ». Selon elle, les pensionnaires des territoires occupés font même la queue pour avoir la "chance" de séjourner à Penza.
Une gentille fable démentie par le témoignage d’Oleksandr Danylchuk, 27 ans, qui raconte avoir reçu un passeport russe alors qu’il était encore dans la ville occupée de Kherson : « En délivrant ces documents, ils pensent que nous leur appartenons . (..) Le 15 [novembre 2023], je ne savais pas encore que nous partions [en Russie]. Mais le 16, on nous a prévenus, ils sont venus dans ma chambre et m'ont dit de faire mes valises. Mais personne n'a dit où nous allions ». Avant la guerre, Oleksandr Danylchuk était hébergé à la Maison de Stephen, un centre d'aide à la vie autonome pour adultes ayant des besoins particuliers, créé en 2019 dans le village de Daryivka, dans la région de Kherson, avec le soutien de l'église évangélique baptiste locale et du programme TruPROMISE, une initiative de la fondation américaine New International.
Maria Lvova-Belova dans la région de Kherson, en septembre 2023. Photo DR
« Tous ses biens étaient ici, ses amis, il considérait que c'était sa maison », explique le responsable du centre d'accueil, Vyacheslav Shchirsky, qui devait devenir le tuteur légal d'Oleksandr. Celui-ci, pour des raisons administratives, devait retourner de temps à autre à l'internat d'Oleshky, dont il restait officiellement le pensionnaire et où vivaient, au début de la guerre, un peu plus d'une centaine de personnes. En octobre 2022, avant que l'Ukraine ne reprenne le contrôle de l'oblast de Kherson, l'évacuation de l'établissement a commencé. Certains ont été transférés dans des institutions en Crimée et dans le Kraï de Krasnodar. Les adultes ont été envoyés dans le village de Strilkove, dans le district de Henichesk (également sous contrôle russe), où l'internat psychoneurologique basé à Dnipro a été transféré. C'est là que plusieurs handicapés ont été choisis pour être déportés à Penza.
Gleb Bogush, expert en droit international et chercheur à l'université de Copenhague, rappelle que « le droit international interdit généralement le déplacement des populations civiles des territoires occupés, qu'il s'agisse d'enfants ou de personnes handicapées. (…) le déplacement forcé de civils sans motif valable peut constituer un crime de guerre et, sous certaines conditions, pourrait également être considéré comme un crime contre l'humanité. »
Quant à l'internat d'Oleshky, il a changé au point d'être méconnaissable. « Les murs sont nus, ils ont tout pris, l'équipement médical coûteux, nous avions une nouvelle cuisine, tout a été enlevé. Et puis il y a eu aussi les inondations dues à l'explosion du barrage. Notre école n'existe plus », affirment d'anciens employés de l'établissement qui ont assisté à l'enlèvement des internes et à la spoliation des biens de l'établissement.
Jean-Marc Adolphe,
d’après une enquête de iStories et The Reckoning Project (ICI)
Et aussi :
𝗠𝗮𝗿𝗶𝗮 𝗟𝘃𝗼𝘃𝗮-𝗕𝗲𝗹𝗼𝘃𝗮, 𝘁𝗼𝘂𝗷𝗼𝘂𝗿𝘀 𝗽𝗹𝘂𝘀 𝗹𝗼𝗶𝗻 𝗱𝗮𝗻𝘀 𝗹’𝗶𝗴𝗻𝗼𝗺𝗶𝗻𝗶𝗲. 𝗟𝗲 "𝗷𝗼𝘂𝗿 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝘃𝗶𝗰𝘁𝗼𝗶𝗿𝗲" 𝗲𝘁 𝗹𝗲𝘀 "𝗻𝗮𝘇𝗶𝘀 𝗽𝗮𝘀𝘀𝗶𝗳𝘀"
Maria Lvova-Belova, l’exécutrice en chef des déportations d’enfants ukrainiens en Russie ne manque pas d’air. Ça, on savait déjà. Mais avec des criminels de cette engeance, on n’est jamais à l’abri de surprises : toujours plus fort dans l’ignominie.
Aujourd’hui, 9 mai, la Russie "célèbre" la victoire de l’Union soviétique (et d’elle seule ; des alliés, où ça ?) contre le nazisme. Voilà ce que Lvova-Belova déclare à cette occasion, dans une vidéo postée sur son compte Telegram ( https://t.me/malvovabelova/3278 ) : « Mes chers, du fond du cœur, je vous félicite pour le Jour de la Victoire ! C'est notre fête commune. La plus importante pour des millions de familles russes dont les proches ont héroïquement défendu leur patrie et sauvé le monde du nazisme. Nous n'oublierons jamais cet exploit. (…) Aujourd'hui, mon cœur déborde d'un sentiment de gratitude envers mes ancêtres, qui ont survécu aux conditions inhumaines de la guerre, sauvant le monde au prix de leur vie. Nous rencontrons des exemples de cette abnégation même aujourd'hui, sur les fronts de l’opération militaire spéciale [comprendre la guerre en Ukraine]. (…) Joyeux jour de la Victoire, mes chers amis ! »
Vous avez bien lu : Lvova-Belova compare les soldats soviétiques qui ont combattu le nazisme à ceux que Poutine envoie comme chair à canon dévaster l’Ukraine. Il est vrai que pour l’un des maîtres à penser de Lvova-Belova, l’idéologue Timofeï Sergueitsev qui a "théorisé" la « dénazification de l’Ukraine », tout Ukrainien qui ne baiserait pas les babouches de l’agresseur russe doit être considéré comme un « nazi passif » et, à ce titre, exterminé. Il est vrai qu’un autre maître à penser de Lvova-Belova, le patriarche Kirill, bénit les missiles russes qui vont frapper l’Ukraine et fauchent des vies civiles, y compris femmes et enfants.
Cette obsession à « combattre le nazisme » est tout de même curieuse lorsqu’on sait qu’au sein de la « fondation caritative » qu’elle dirige (en plus de son mandat de "commissaire présidentielle"), son bras droit est… un jeune militant néo-nazi, et que le principal mécène de cette même fondation est le milliardaire ultra-nationaliste Konstantin Malofeev, qui a financé à peu près toute la fachosphère européenne, et les plus extrémistes des mouvements pro-Trump aux États-Unis.
(Publié sur Facebook, le 9 mai 2024)
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