Pendant un demi-siècle, Total et Elf ont dissimulé puis dénigré les alertes sur le réchauffement climatique. Et aujourd’hui, rien ne change, enfin si, ça empire. A quelques jours de la COP26, ça pue encore l’industrie fossile. En Équateur, face à un gouvernement qui veut doubler la production de pétrole, des communautés indigènes mènent le combat.
Sidérant. Total savait, depuis un demi-siècle. Dès le début des années 1950, plusieurs acteurs de l’industrie pétrolière avaient reçu des alertes sur le fait qu’une utilisation accrue des combustibles fossiles contribuerait à un réchauffement climatique lourd de conséquences pour les populations du monde. C’est ce que montre une étude réalisée par trois chercheurs (Christophe Bonneuil, Pierre-Louis Choquet et Benjamin Franta), dans la revue Global Environmental Change, qui vient d’être reprise par Reporterre et Le Monde (notamment). Total et sa comparse Elf savaient et, pendant des décennies, ont non seulement dissimulé ces alertes, mais sont de plus entrées dans un état de « cécité volontaire », et n’ont eu de cesse d’instiller le doute sur la véracité des données scientifiques puis retarder toute politique de lutte ambitieuse.
Aujourd’hui encore, Total, rebaptisé pour donner le change TotalEnergies, continue « de s’enferrer dans les énergies fossiles et d’en augmenter sa production de 15 % d’ici à 2030 » souligne Reporterre. « Et pour y parvenir, il s’implique, partout dans le monde, dans une kyrielle de projets aussi massifs que destructeurs de l’environnement. Exemple ? En Ouganda, la firme développe un projet pétrolier titanesque incluant l’oléoduc chauffé le plus long du monde : celui-ci traversera le pays sur 1 445 kilomètres et entraîne des déplacements massifs de population. »
Alain Deneault, auteur de "De quoi Total est-elle la somme ?" (éditions Rue de l'échiquier Ecosociété),
à la librairie Mollat, le 13 novembre 2017 à Bordeaux.
Ce n’est pas tout. A quelques jours de l’ouverture de la COP26, un rapport tout juste publié par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) montre que les gouvernements prévoient de produire en 2030 une quantité de combustibles fossiles plus de deux fois supérieure à celle compatible avec une limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C. Cinq ans après l’Accord de Paris, « les gouvernements sont dangereusement en porte-à-faux avec leurs objectifs climatiques », insiste Michael Lazarus, chercheur au Stockholm Environment Institute (SEI).
La Russie est l’un des plus gros producteurs d’hydrocarbures au monde. Ce mercredi 20 octobre, Vladimir Poutine a fait savoir qu’il ne prendrait même pas la peine de se rendre à la COP26. Sans rire, le porte-parole de son gouvernement a déclaré que la problématique du changement climatique était « néanmoins une des plus grandes priorités de notre politique étrangère », et que la Russie visait la neutralité carbone… d’ici 2060. Ce qui laisse grandement le temps de continuer à saccager Arctique et Sibérie. A lui seul, le projet Arctic LNG 2, dans la péninsule de Gydan, a de quoi faire frémir. Au cœur d’une région qui se réchauffe trois fois plus vite que le reste de la planète, ce projet produira à terme l’équivalent de 27 fois la consommation française annuelle de gaz et « profitera » de la fonte des glaces pour exporter sa production en Europe et en Asie par la route maritime du Nord. Ce méga-projet, soutenu par des dizaines de banques, est porté par le géant russe Novatek, en partenariat avec trois autres sociétés partenaires, la chinoise Cnooc, la japonaise Mitsui et… TotalEnergies, à qui l’État français prévoyait de verser une garantie à l’export de 700 millions d’euros ! (TotalEnergies, d’autre part, est impliqué dans 31 projets différents dans l’Arctique).
(A lire dans Le Monde : « Arctique : comment les acteurs financiers soutiennent l’expansion pétrolière et gazière et alimentent la crise climatique », article du 21 septembre 2021).
Marche de protestation des communautés indigènes, à Quito (Équateur), 18 octobre 2021.
Eux n’ont plus n’iront pas à la COP26. Il faut dire qu’ils n’y sont pas invités. Ils sont pourtant aux premières loges du changement climatique, et parmi les premiers à s’opposer aux ravages des industries fossiles. En Équateur, plusieurs communautés indigènes amazoniennes (Huaorani, Cofan, Secoya et Kichwa) viennent de saisir la Cour constitutionnelle pour empêcher le gouvernement d’accorder de nouvelles autorisations d’extractions pétrolières et minières. Le président Guillermo Lasso, ex-banquier récemment mis en cause dans les Pandora Papers, prévoit de doubler la production de pétrole d’ici 2025, ce qui ne l’empêche pas de pérorer sur la transition écologie avec des responsables nord-américains ou européens.
L’Organisation des Nations Unies, dans sa Convention sur les Droits des Peuples Indigènes, reconnaît à ceux-ci le droit d’être consultés préalablement à tout projet qui pourrait affecter leurs territoires. Et c’est sur cette base que les communautés équatoriennes contestent aujourd’hui les projets gouvernementaux. En juillet 2019, la justice équatorienne avait déjà donné raison aux autochtones Waorani qui s'opposaient aux activités pétrolières sur leur territoire.
Nemonte Nenquimo. Photo AmazonFrontlines.org
Nemonte Nenquimo, activiste Waorani et présidente du CONCONAWEP (Conseil de Coordination de la Nation Waorani d’Equateur-Pastaza), désignée par le magazine TIME comme l'une des 100 personnes les plus influentes au monde pour sa défense de la forêt amazonienne, est l’une de ces femmes indigènes qui représente l’avenir (Lire ICI) : « Nous exigeons que le gouvernement équatorien respecte notre décision de garder nos territoires libres de pétrole et de mines. Notre territoire est notre décision, et nous ne laisserons jamais des compagnies pétrolières ou minières venir détruire notre foyer et tuer notre culture. »
Au moins, c’est clair.
Photo en tête d’article : L’artiste britannique Kennard Phillipps a créé une nouvelle version du tableau du peintre américain Andrew Wyeth, Christina’s World. Il représente une jeune fille dans un paysage souillé par le pétrole. (campagne Greenpeace, 2016)
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