Aux dires des Britanniques, l’archipel de Chagos, dans l’Océan Indien, était inhabité. Il s’agissait en fait de faire place nette pour une base militaire américaine. A partir du milieu des années 1960, environ 1.500 personnes ont été déportées, principalement sur l’île Maurice. Human Rights Watch accuse aujourd’hui le Royaume Uni de crimes contre l’humanité et exige que les Chagossiens puissent revenir sur leurs terres.
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Pour la première fois depuis le début de la guerre en Ukraine, les États-Unis ont (par la voix de la vice-présidente Kamela Harris, le 18 février lors de la Conférence de Munich) explicitement accusé la Russie de crimes contre l’humanité. Poutine n’a hélas pas l’exclusivité d’une telle mise en cause. Sur le banc des accusés, on trouve désormais… le Royaume Uni.
Mercredi 15 février, à Maurice, Human Rights Watch a en effet dévoilé un rapport de 116 pages sur le sort réservé à la population de l’archipel des Chagos, expulsée de 1965 à 1973 à Maurice et aux Seychelles. Ces déportations avaient pour but de répondre à la demande américaine d’installation d’une base à Diego Garcia, la principale île de cet archipel, constitué de 55 îles, qui reste une colonie britannique. Sa localisation, au cœur de l’océan Indien, à presque équidistance entre l’Afrique et l’Indonésie, en faisait un site hautement stratégique d’un point de vue militaire. Alors que le gouvernement de l’Ile Maurice revendique depuis longtemps ce territoire, le Royaume-Uni a prolongé en 2016, jusqu’en 2036 un contrat relatif à l’utilisation de la base militaire avec les États-Unis, laquelle a notamment joué un rôle stratégique lors de la guerre froide, puis dans les années 2000 lors des conflits en Irak et en Afghanistan.
« Il y a près de 60 ans, le gouvernement britannique a secrètement planifié, avec les États-Unis, de forcer tout un peuple autochtone à quitter son foyer. Les gouvernements états-unien et britannique se sont entendus pour construire une base militaire sur Diego Garcia, la plus grande et plus peuplée des îles de l’archipel des Chagos de Maurice, créant ainsi une nouvelle colonie en Afrique sous le nom de Territoire britannique de l’océan Indien », indique le rapport de Human Rights Watch, qui documente l’expulsion d’une population de 1 500 habitants de l’archipel, tous d’anciens esclaves africains et malgaches qui travaillaient dans les plantations de noix coco de la colonie française puis anglaise. L’ONG soutient que trois crimes contre l’humanité ont été commis par les autorités britanniques : « déportation ou transfert forcé de population », « d’autres actes inhumains qui peuvent inclure l’interdiction faite à la population de rentrer chez elle » et « la persécution pour des motifs d’ordre racial, ethnique ou autre. »
Au siège du Chagos Refugees Group, Olivier Bancoult montre les panneaux sur les déportations, les militaires, les tombes écrasées, les pèlerinages chaque année. Sur les murs s’étale la lute des 40 dernières années. Photo Morgan Fache / ITEM
A l’époque, le Royaume-Uni aurait menti aux Nations unies en déclarant que les îles étaient inhabitées. « La réalité est qu’une communauté vivait dans les Chagos depuis des siècles », insiste Human Rights Watch. Pour Olivier Bancoult, le leader du Groupe Réfugiés Chagos, le rapport de l’ONG constitue « une nouvelle motivation pour nous dans notre lutte pour faire valoir notre droit de retour sur nos terres. »
Né en 1955 à Chagos, dont il a été expulsé alors qu’il avait 12 ans ; Roger Alexis est l’un de ceux, à 68 ans, qui nourrit l’espoir de pouvoir rentrer chez lui : « Je suis né à Diego Garcia et je veux y retourner à Diego Garcia. Il y a de la place pour notre relogement. Pourquoi ailleurs les habitants et les militaires peuvent cohabiter ? Pourquoi d’autres nationalités peuvent cohabiter avec les Américains ? Mais pas les Chagossiens sur leur terre ».
Human Rights Watch appelle les gouvernements britannique et américain à réparer les torts causés au peuple chagossien. Il plaide d’abord le retour immédiat et permanent des Chagossiens sur leur territoire, et insiste ensuite pour une réparation financière et le plein soutien du Royaume-Uni et des États-Unis en vue de réhabiliter les îles et permettre aux Chagossiens de revenir et de travailler dans l’archipel. « Jusqu’à ce jour, le Royaume-Uni et les États-Unis privent les Chagossiens de ce droit dont a besoin tout être humain. Nous demandons à ces deux gouvernements de permettre leur retour immédiat, qu’il y ait une compensation financière, qu’il y ait une restitution des îles, et qu’il y ait aussi des assurances de non-répétition de ces crimes », commente Bruno Stagno, chef de plaidoyer mondial de Human Rights Watch.
Désiré Mambo
Photo en tête d’article : Née à Pero Banhos, une île des Chagos, Rosemary a été déportée, comme les autres Chagossiens, puis s’est mariée à un Maricien, mort depuis. Elle vit aujourd’hui de sa maigre pension, à Port-Louis, sur l’île Maurice. Photo Morgan Fache / ITEM.
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Compléments d’information
"Archipel des injustices : le retour des Chagos", compte-rendu d’un ouvrage de Philip Sans, La Dernière colonie (Albin Michel, 2022), sur le grandcontinent.eu : https://legrandcontinent.eu/fr/2023/02/01/archipel-des-injustices-le-retour-des-chagos/
VIDEO (archive INA) : Chagos, le combat d’un peuple pour retrouver ses terres
VIDEO (reportage MBC, chaîne publique mauricienne) : L’Archipel des Chagos (2019)
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