LE TOUR DU JOUR EN 80 MONDES Spécial culture (dans tous les sens du terme) : c'est un "festival" unique au monde. Au Mexique, à Oaxaca, où Zapotèques et les Mixtèques mènent encore la danse des racines et des métissages, la "Nuit des radis" prouve, chaque 23 décembre depuis plus de cent ans, que traditions et créativité, loin de s'opposer, fomentent de nouvelles alliances. Du grain à moudre pour la betterave picarde, le piment d'Espelette, et autres spécialités de nos contrées ?
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Comme à Cannes, il y a un Prix du Jury. Mais à près de 10.000 kilomètres de la croisette, c’est un tout autre festival qu’accueille la ville de Oaxaca de Juárez (ou plus simplement Oaxaca), au sud du Mexique. D’ailleurs, ce n’est pas vraiment un festival, au sens où on l’entend en Europe. Et il n’y a ni montée des marches, ni stars en goguette. Enfin si, il y a une star, une seule : le radis. Et plein d’artistes. Des artistes-paysans.
A la veille de Noël, chaque 23 décembre depuis plus de 100 ans, Oaxaca accueille la Nuit du radis. En espagnol : la Noche de Los Rábanos. Pourquoi et comment ?
De gauche à droite et de haut en bas : blason de la ville de Oaxaca (lire ci-dessous) ; peinture murale d'Alonso Chavez devant le temple
de sangre de Christo ; sculptures géantes en métal d'Alberto Aragon Reyes sur la place du Zocalo ; fresque murale. Photos DR.
Oaxaca, d’abord. Située dans une vallée de la Sierra Madre del Sur, dans une région montagneuse traversée par la route panaméricaine, à proximité du Chiapas, Oaxaca (260.000 habitants) est l’une des plus belles villes mexicaines. Loin de l’agitation un peu étouffante de la capitale, Mexico, et encore plus loin du narco-trafic qui gangrène le nord du pays, Oaxaca est aussi une ville qui compte d’importantes manifestations culturelles (dont un festival de cinéma, en novembre), avec un grand respect des traditions populaires.
Capitale d’une région dont la plupart des municipalités sont régies par un système d’autonomie locale, Oaxaca reflète encore aujourd’hui la richesse culturelle du Mexique pré-hispanique, avec une quinzaine de groupes ethniques dont les droits sont reconnus, au premier rang desquels figurent les Zapotèques et les Mixtèques. Le blason de la ville de Oaxaca (cf dans la galerie photos ci-dessus) témoigne de ce patrimoine : ce blason évoque l'histoire d'amour entre la princesse zapotèque Donají et le prince mixtèque Nucano. La légende de la princesse Donaji raconte qu'un berger qui s'occupait de ses animaux trouva un lys sauvage et, au lieu de le couper seulement par la tige, décida d’en arracher les racines. En creusant, il vit une oreille humaine, puis la tête complète, qui aurait été conservée intacte et aurait appartenu à la princesse Donají, reconnaissable à ses riches décorations.
Le nom même de Oaxaca vient du náhuatl Huāxyacac formé à partir du nom d’une plante, huāxin, commune dans la région (le guaje, sorte de mimosa sauvage). S’ils ont pas mal massacré, reconnaissons aux conquistadores espagnols quelques qualités : ils ont ainsi introduit au Mexique une autre plante, originaire d'Asie du Sud-Est, le radis : Raphanus sativus (du latin radix, radicis, « racine, raifort », et du grec ῥαπυς, ῥαπυος, « rave, navet »). Pas le petit radis riquiqui que l’on consomme ici, cru ou en salade. Il y a plus de 500 variétés différentes de radis. Au Mexique, c’est le "radis créole" qui a trouvé une place de choix dans l’alimentation, avec toutes sortes de préparations culinaires. A Oaxaca, le radis créole a acquis statut d’œuvre d’art.
La légende veut qu’à une période indéterminée, mais peu avant Noël, deux moines avaient découvert, en arrachant des radis oubliés de la récolte, qu'ils étaient surdimensionnés et de forme étrange. Ils apportèrent ces radis à la fête de Noël locale (qui se tenait le 23 décembre), où ces légumes difformes attirèrent une vive attention. Dans la région de Oaxaca, où existait une forte tradition de sculpture sur bois, des paysans ont entrepris de sculpter les radis pour attirer davantage de clients au marché de Noël. En 1897, le maire d’Oaxaca décida "d’institutionnaliser" cette curiosité en lançant le premier concours officiel de sculpture sur radis, qui se déroule chaque année le 23 décembre. Cette tradition a perduré jusqu’à aujourd’hui. Le "festival du radis" s’est même enrichi d’un "Off" : depuis quelques années, des artistes et étudiants de l’école d’art de Oaxaca ont lancé une "catégorie libre".
Photos et vidéos ci-dessous (le meilleur est à la fin, grâce à Sally Muñoz, dont la Chaine YouTube Doen Oaxaca regorge de trésors sur les arts et traditions de Oaxaca). A quand un festival de la betterave en Picardie, un festival de l’olive en Provence, un festival de l’algue en Bretagne, un festival du piment d’Espelette au Pays Basque ? Plutôt que de saccager les locaux de l’Office français de la biodiversité, la Coordination rurale pourrait y réfléchir, non ?
Jean-Marc Adolphe
(avec Luz Flores, au Mexique)
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