Au moment où Vladimir Poutine vient d’annexer à la hussarde quatre régions d’Ukraine, Pierre Rimbert, éditorialiste du Monde Diplomatique, choisit de dénoncer une autre annexion : « l’annexion volontaire » de l’Ukraine aux diktats de l’Union européenne et, partant, de la mondialisation. Avec un décryptage du dernier discours de Vladimir Poutine.
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Avertissement : ce n’est pas la première fois que je m’en prends au Monde Diplomatique (Lire ICI). Le mensuel altermondialiste est aujourd’hui devenu l’un des principaux relais de la propagande du Kremlin en France.
J’en connais un qui a dû applaudir des quatre mains en écoutant hier le discours de Vladimir Poutine, devant les chefs des "républiques populaires" de Donetsk et de Louhansk, et des régions de Zaporojjia et de Kherson, lors de la cérémonie d’annexion de 15% du territoire ukrainien.
Un discours-fleuve, où Poutine a déversé, une fois de plus, sa haine de "l’Occident collectif" : « L’Occident est prêt à tout pour préserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller en substance le monde au prix de la puissance du dollar et du diktat technologique, de percevoir un véritable tribut de l’humanité, d’extraire la principale source de richesse non-méritée, la rente hégémonique. (…) Je tiens à le souligner une fois de plus : c’est la cupidité, l’intention de maintenir leur pouvoir sans entrave, qui est la véritable raison de la guerre hybride que l'”Occident collectif” mène contre la Russie. »
C’est, en substance, ce qu’écrit Pierre Rimbert en Une du dernier numéro du Monde Diplomatique (octobre 2022), dans un éditorial intitulé « L’Ukraine et ses faux amis », et surtitré « Derrière la guerre, les affaires ». Pas une fois dans cet article n’est condamnée l’agression russe en Ukraine, pas une fois ne sont mentionnés les crimes de guerre qui s’accumulent depuis le 24 février. Non. En totale symbiose avec "l’argumentaire" de Poutine, la prose du Monde Diplomatique vise à faire porter la charge du conflit sur "l’Occident", et à délégitimer le gouvernement démocratiquement élu de Volodomyr Zelensky. Alors que la Russie vient d’annexer par la guerre, par la force et de pseudo "référendums", les régions de Donetsk, de Louhansk, de Zapoirijjia et de Kherson, Pierre Rimbert oppose une autre annexion : « l’annexion volontaire » à laquelle se serait soumise l’Ukraine en souhaitant intégrer l’Union européenne, "annexion" bien évidemment dictée par une poignée de "mondialistes" tout-puissants : Larry Fink, le patron du fonds d’investissement Black Rock, Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, etc., tous bien sûr aux ordres des États-Unis, le "Grand Satan".
Pierre Rimbert ne dit pas "Occident collectif", il dit « mondialisation », ce qui revient au même. A propos de la "révolution de Maidan", qui a chassé en 2014 le président pro-russe, Pierre Rimbert ne parle pas comme Poutine d’un « coup d’État néonazi », il y voit, ce qui revient au même, la main de l’Union européenne pour contraindre l’Ukraine à adopter ses "normes". Au passage : quel mépris des peuples et de leurs soulèvements !
Pierre Rimbert, sociologue, chercheur au Centre de sociologie européenne et au Centre d'études de l'emploi en 2004, est devenu rédacteur en chef adjoint du "Monde Diplomatique" en juin 2010. Il est également membre de l'association d'analyse et de critique des médias Acrimed ainsi que du journal Le Plan B, héritier du périodique Pour lire pas lu, dont il était l'un des fondateurs.
Il est co-scénariste du film Les Nouveaux Chiens de garde, d'après l'essai du même nom de Serge Halimi, portant sur la critique des médias.
A l’appui de sa démonstration, Pierre Rimbert est allé fouiller les 2.135 pages de "l’accord d’association" entre l’Union européenne et l’Ukraine, entré en vigueur le 1er septembre 2017. Et, là, bingo ! Il a trouvé le Graal, naturellement occulté par les médias dominants soumis aux puissances de la mondialisation (dans son discours d’hier, Poutine parlait de « famine informationnelle en Occident. La vérité a été noyée dans un océan de mythes, d’illusions et de faux, à l’aide d’une propagande prohibitive et agressive, en mentant comme Goebbels »).
C’est quoi, le Graal découvert par l’éditorialiste du Monde Diplomatique ? Accrochez-vous bien : afin d’instaurer des « relations fondées sur les principes de l’économie de marché libre, l’Ukraine met tout en œuvre (…) pour rapprocher progressivement ses politiques de celles de l’Union européenne, conformément aux principes directeurs de stabilité macro-économique, de situation saine des finances publiques et de la viabilité de la balance des paiements. » Waouh, le scoop ! Il n’en faut pas plus au futé Pierre Rimbert pour discerner là « l’intention géopolitique » du texte : la volonté de Bruxelles d’imposer une « délocalisation de voisinage à un grand pays situé à ses frontières, pourvu d’une main d’œuvre qualifiée et peu onéreuse, mais gangrené par la corruption et lesté d’une architecture juridique arriérée au regard des normes européennes : l’Ukraine ».
Se prenant pour le petit Goebbels de Poutine, le Monde Diplomatique prend une pleine page pour expliquer ça en long, en large et en travers. Omettant en passage de dire que les annexions forcées de Poutine ont aussi des visées économiques, comme l’écrit Grégoire Amir-Tahmasseb, éditorialiste du quotidien régional L’Union : « les régions ciblées ne sont pas le fruit du hasard. Les plus pauvres ne sont par exemple pas concernées par cette opération. Poutine sait être pragmatique quand il le faut. En annexant Donetsk et Louhansk dans l’est du pays, Kherson et Zaporijjia dans le sud, les Russes veulent ainsi prendre la main sur le gaz, le pétrole et les métaux rares. En bloquant les principaux ports et en les rendant russes, Poutine va récupérer les bénéfices de l'exportation de la production céréalière de l'Ukraine. Cette arme économique, quand on connaît le coût de la guerre, pourrait être beaucoup plus redoutable à moyen et long terme que l'offensive militaire en elle-même. »
L’économie de marché a certes ses limites (mais jusqu’à preuve du contraire, l’économie soviétique n’a guère été plus brillante), et je ne suis pas un apôtre du néolibéralisme à tout crin, loin s’en faut ! De même, né "occidental", mais me définissant davantage comme citoyen du monde, je ne suis pas dupe des ravages commis par "l’Occident" et ne me prive pas de dénoncer les nombreuses plaies qui, de ce ravage, reste aujourd’hui ouvertes. Pour autant, je ne suis pas mécontent de vivre dans un régime où je peux dire et écrire ce que je veux, sans prendre le risque d’être arrêté, tabassé et violé (une matraque dans l’anus) pour avoir déclamé dans l’espace public un poème de Maïakiovski, comme il vient d’arriver à Moscou au jeune poète et activiste Artem Kamardin.
Le poète et activiste russe Artem Kamardin, 31 ans, vient d'être condamné à 2 mois de détention provisoire pour avoir déclamé en public
un poème de Maïakowski contre la mobilisation en Russie. Selon Novaïa Gazeta Europe, lors de la perquisition à domicile,
dans la nuit du 26 au 27 septembre, Artem Kamardim a eu droit à un sérieux passage à tabac, avec mise à nu et viol
une matraque dans l’anus). Sa compagne, Alexandra Popova,
a elle aussi été victime de violences et menacée de viol collectif par les policiers venus arrêter Artem Kamardin.
Cette critique de l’Occident, auquel il oppose cette « grande puissance millénaire », ce « pays-civilisation » qu'est la Russie, Vladimir Poutine en fait son principal fonds de commerce : « L’Occident est prêt à tout pour préserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller en substance le monde au prix de la puissance du dollar et du diktat technologique, de percevoir un véritable tribut de l’humanité, d’extraire la principale source de richesse non-méritée, la rente hégémonique. (…) C’est la cupidité, l’intention de maintenir leur pouvoir sans entrave, qui est la véritable raison de la guerre hybride que l'”Occident collectif” mène contre la Russie. (…) Les élites occidentales ne nient pas seulement la souveraineté nationale et le droit international. Leur hégémonie est d’une nature nettement totalitaire, despotique et d’apartheid. (…) Et qu’est-ce que la russophobie, à part le racisme, qui se répand maintenant dans le monde entier ? Qu’est-ce que, sinon le racisme, la conviction inébranlable de l’Occident que sa civilisation, sa culture néolibérale, est le modèle incontestable pour le reste du monde ? (…) Les pays occidentaux affirment depuis des siècles qu’ils apportent la liberté et la démocratie aux autres nations. C’est exactement le contraire : au lieu de la démocratie, c’est la répression et l’exploitation ; au lieu de la liberté, c’est l’asservissement et la violence. L’ordre mondial unipolaire dans son ensemble est intrinsèquement anti-démocratique et non-libre, il est faux et hypocrite de bout en bout. »
Sa diatribe anti-occidentale peut bien confiner à la psycho-pathologie lorsqu’il déclare que les États-Unis « occupent en fait l’Allemagne, le Japon, la République de Corée et d’autres pays », qu’il ajoute que « le monde entier sait que les dirigeants de ces pays sont espionnés et que leurs dirigeants sont mis sur écoute non seulement dans leurs bureaux, mais aussi à leur domicile », plus encore lorsqu’il affirme que les responsables occidentaux « qualifient de noble recherche médicale le développement d’armes biologiques et les expériences sur des êtres humains vivants, y compris en Ukraine », cela laisse de marbre les Goebbels de salon altermondialiste du genre de Pierre Rimbert.
De même, lorsque Poutine s’en prend aux déviances morales de l’Occident, qu’il qualifie de « satanisme pur et simple » (« Voulons-nous avoir « parent numéro un », « numéro deux », « numéro trois » au lieu de « maman et papa » dans notre pays, en Russie – sommes-nous devenus complètement fous ? Voulons-nous que les enfants dans nos écoles, dès l’école primaire, soient exposés à des perversions qui conduisent à la dégradation et à l’extinction ? Voulons-nous qu’on leur apprenne qu’il existe d’autres genres que les hommes et les femmes et qu’on leur propose une opération de changement de sexe ? »), Pierre Rimbert, ça lui en touche une sans bouger l’autre. N’a-t-il pas fait tout un livre pour regretter l’époque mao-Jean-Paul Sartre du quotidien Libération, déplorant la dérive progressive qui aurait, selon lui, conduit Libé à délaisser la question sociale pour ne s'intéresser qu'aux questions sociétales (liberté sexuelle, anti-racisme etc.), le tout sous influence d’Édouard de Rothschild dont l’entrée dans le capital du quotidien aurait été « l'un des principaux responsables de la dérive économique et idéologique ». Il n’a même pas besoin de préciser que Rotschild est juif. Chez ces gens-là, qui se disent "de gauche", un fonds d’antisémitisme n’est jamais bien loin.
Passons sur les valeurs morales et la hantise de l’homosexualité qui animent Poutine et ses suppôts de la sainte Russie. Encore flatte-t-il, à travers ses allusions, les plus conservatrices des "opinions publiques", pas seulement en Russie (à nous, Manif pour tous...). Mais la corde sensible que Poutine cherche avant tout à toucher est celle de l’anti-colonialisme. Et ça marche : voir le putsch pro-russe actuellement en cours au Burkina Faso, où la milice Wagner a réussi, après la République centrafricaine, à s’assurer le concours d’affidés moyennant prébendes corruptrices, mais aussi grâce à l’abandon de toute politique de véritable coopération des pays "occidentaux", France en tête : « Il n’y a plus de politique africaine de la France ! », avait crânement proféré Emmanuel Macron le 28 novembre 2017à l’université de Ouagadougou. Aujourd’hui, on voit le résultat !
Alexandre Zakhartchenko, liquidé par les services de renseignement russes, le 31 août 2018 à Donetsk.
Pour finir, d’un mot, sur Poutine. Dans son discours d’hier, rendant un vibrant hommage aux pionniers de la "Novorussie", il a salué les valeureux « combattants du Donbass », au premier rang desquels « le vrai leader du peuple de Donetsk Alexandre Zakhartchenko ». L’histoire vaut son pesant de cacahuètes. Ledit Alexandre Zakhartchenko , qui était loin d’être un saint (il fut responsable de nombreux cas de disparitions forcées dans la région de Donetsk, a exproprié de nombreuses entreprises et contrôlé la contrebande de charbon et de métaux à des fins d'enrichissement personnel), il a été "liquidé" par les services de renseignement russes le 31 août 2018 dans un attentat à la bombe survenu dans un café au centre de Donetsk. Motif : il avait exprimé de la sympathie pour des militants d’une frange de l’extrême-droite ukrainienne qui avait passé à tabac des homosexuels à Kiev, et surtout, avait commencé à manifester des velléités d’indépendance vis-à-vis de Moscou. Après l’avoir éliminé, le Kremlin l’a promptement remplacé par Denis Pouchiline, un politicien véreux qui avait réuni à Donetsk 0,98 % des voix aux élections législatives de 2013, malgré une intense campagne financée par une obscure mafia financière liée à une coopérative d’importation informatique. Pouchiline est l’un de ceux qui ont signé, hier, le rattachement des territoires annexés à la Fédération de Russie. A la première incartade, lui aussi sera liquidé par Poutine, si Poutine est encore là. Ce qui est loin d’être gagné, malgré les fanfaronnades d’hier sur le Place Rouge. Rouge de sang, surtout.
Jean-Marc Adolphe
Photo en tête d'article : Vladimir Poutine, le 30 septembre 2022 sur la Place Rouge (capture d'écran)
Edifiant! Je pensais ce mensuel comme étant un socle de dialogue, de dialogue il n'est question... Depuis le début du conflit pour en comprendre les rouages "diplomatiques" étant béotienne en ce domaine, j'ai lu ce journal avec de plus en plus de perplexité. Son propos devenait partisan, pas à la hauteur de son image. Croiser ses sources est l'unique bonne chose, mais encore faut-il avoir le temps et de la pertinence dans le choix de ses médias
J'ai résilié mon abonnement au "Monde Diplo" après le 24 février. Je ne pouvais plus supporter sa couverture de la guerre en Ukraine.