A Marioupol, pendant 80 jours, dans une aciérie tentaculaire, l’implacable assaut russe a rencontré une résistance ukrainienne inflexible. Mais pourquoi combattants et civils se sont-ils retrouvés piégés dans les souterrains et bunkers d’Azovstal, jusqu’à l’évacuation finale ? Une grande enquête du New York Times (qui vient de décider d’ouvrir un bureau permanent à Kiev) brosse un récit complet de ce qui s’est passé à Azovstal.
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Les deux hélicoptères Mi-8 ont traversé le territoire ennemi tôt le matin du 21 mars, surprenant les soldats russes en dessous. À bord se trouvaient des combattants des forces spéciales ukrainiennes transportant des caisses de missiles Stinger et Javelin, ainsi qu'un système Internet par satellite. Ils volaient à peine à 6 mètres au-dessus du sol dans la zone de combat la plus chaude de la guerre.
Le commandement ukrainien avait conçu ces vols comme une mission audacieuse, peut-être vouée à l'échec. Des soldats ukrainiens, à court de munitions et pratiquement dépourvue de moyens de communication, s'était retranchés dans une vaste usine sidérurgique de la ville assiégée de Marioupol. Au bord de l'anéantissement, les soldats étaient encerclés par une les troupes.
Le plan prévoyait que les Mi-8 atterrissent à l'usine, échangent leur cargaison contre des soldats blessés, puis retournent en Ukraine centrale. La plupart des gens avaient compris que la ville et ses défenseurs étaient perdus. Mais les armes permettraient aux soldats de repousser les forces russes quelques semaines de plus, atténuant ainsi les assauts essuyés par les troupes ukrainiennes sur les fronts sud et est, et leur donnant le temps de se préparer à une nouvelle offensive russe.
« Il était si important pour les gars, qui étaient complètement encerclés, de savoir que nous ne les avions pas abandonnés, que nous volions vers eux, au risque de notre vie, pour prendre leurs blessés et leur apporter des munitions et des médicaments », confie un officier du renseignement militaire portant le nom de code "Flint", qui était sur le premier vol. « C'était notre objectif principal ».
Alors que les deux Mi-8 se rapprochent, ils s'inclinent fortement au-dessus de la mer d'Azov, volant juste au-dessus de la surface de l'eau pour éviter les radars russes. Dans une vidéo du vol, Azovstal apparaît comme une forteresse industrielle assiégée, baignée par la lumière du soleil matinal.
Au-delà se trouve Marioupol, une ville réduite en moins de quatre semaines à l'état de ruine fumante. Les cadavres jonchent les rues, tandis que les vivants, ceux qui sont restés, sont pour la plupart sous terre, affamés et effrayés, émergeant des sous-sols uniquement pour chercher de l'eau et de la nourriture. « C'était un triste spectacle », déclare Flint, qui était à bord de l'hélicoptère de tête.
L'usine sidérurgique Azovstal, un complexe industriel géant au cœur d'une ville portuaire. Images de drone enregistrées
par un journaliste du New York Times le 20 janvier 2022, un mois avant l'invasion russe.
Pour le Kremlin, Marioupol était une proie
À peine le président russe Vladimir Poutine avait-il donné l'ordre d'envahir l'Ukraine, le 24 février, que les soldats russes ont commencé à franchir la frontière à bord de chars et de véhicules blindés, se dirigeant vers Marioupol, un port stratégique sur la mer d'Azov. Des missiles ont transpercé l'obscurité de l'aube, percutant des immeubles d'habitation et blessant les premiers civils de la guerre.
Ce matin-là, le directeur général d'Azovstal, un mastodonte industriel comptant plus de 11 000 travailleurs, réunit son conseil d'administration. Enver Tskitishvili décide d'éteindre les hauts fourneaux et de cesser les activités de l’usine, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale. Le conseil d’administration prend dans la foulée une décision qui allait façonner la bataille pour l'est de l'Ukraine.
Dans les profondeurs de l'aciérie se trouvaient 36 abris anti-bombes, héritage de la guerre froide. Ces abris, dont certains se trouvaient à plus de six mètres sous terre, contenaient suffisamment de nourriture pour nourrir des milliers de personnes pendant plusieurs semaines. Croyant que les combats ne dureraient pas longtemps, Enver Tskitishvili et les cadres d’Azovstal ont considéré l'usine comme un sanctuaire et ont invité les employés à y venir avec leurs familles.
Les images satellite de Planet Labs montrent l'ampleur des dégâts subis par l'aciérie qui servait de dernier refuge
aux combattants ukrainiens à Marioupol. Les cercles rouges indiquent les abris.
Ce qu’ignorait M. Tskitishvili, c'est que l'armée ukrainienne arrivait également à Azovstal. Pour les soldats ukrainiens, l'usine était une forteresse, entourée d'eau sur trois côtés, ceinturée de hauts murs, apparemment aussi imprenable qu'un donjon médiéval : l'endroit idéal pour une ultime résistance.
« Les militaires ne nous l'ont jamais dit, et nous n'avons jamais supposé qu'ils se déploieraient avec nous », indique Enver Tskitishvili. « Notre plan ne concernait que la population civile, et seulement comme refuge contre les attaques. Nous ne nous considérions pas comme des participants à la guerre. »
Pendant les 80 jours suivants, Azovstal allait être un point focal de la guerre, la brutalité russe se heurtant à la résistance ukrainienne. Ce qui avait commencé fortuitement - des civils et des soldats retranchés ensemble à l'intérieur d'un immense complexe industriel - s'est transformé en un siège sanglant où environ 3.000 combattants ukrainiens ont contenu une force russe beaucoup plus importante enlisée dans un bourbier qui a apporté la misère et la mort des deux côtés.
Marioupol faisait obstacle à l'un des principaux objectifs de M. Poutine : la création d'un pont terrestre reliant le territoire russe à la Crimée, péninsule stratégique du sud de l'Ukraine que la Russie a annexée en 2014. Mais le combat s'inscrit également dans le cadre du récit de guerre du Kremlin. Bien que plusieurs groupes militaires se trouvaient à Azovstal, nombre de ses défenseurs étaient membres du régiment Azov, un groupe de combattants fortement nationalistes dont la renommée en Ukraine et les liens précoces avec des personnalités politiques d'extrême droite ont été utilisés par le Kremlin pour dépeindre faussement le pays tout entier comme fasciste. Leur destruction était au cœur de l'objectif souvent répété du Kremlin de "dénazifier" l'Ukraine.
Marioupol en 2018. Pour le Kremlin, la ville était un maillon essentiel d'un pont terrestre entre des territoires
dont il s'était emparé des années auparavant. Photo Brendan Hoffman / New York Times.
En Ukraine, la bataille pour Azovstal est déjà entrée dans la légende, bien qu'un récit complet du siège et de la lutte pour la survie des troupes et des civils à l'intérieur ait été lent à émerger. Des dizaines d'entretiens menés par le New York Times avec des combattants et des civils qui se trouvaient à Azovstal, y compris des soldats capturés puis libérés par la Russie, ainsi que de hauts responsables militaires et des intermédiaires internationaux chargés de négocier les évacuations, dressent le tableau d'un siège apocalyptique qui est devenu la version ukrainienne d'Alamo.
Dans une guerre largement menée par des soldats anonymes, loin des caméras, les commandants et les combattants réguliers d'Azovstal ont parlé aux journalistes et diffusé des témoignages vidéo au monde entier sur Telegram. Le capitaine Svyatoslav Palamar, commandant adjoint du régiment Azov à l'usine, a passé ses jours et ses nuits à combattre en surface, puis a diffusé ses impressions dans des messages vidéo lorsqu'il s'est rentrait dans les bunkers situés sous Azovstal.
Des troupes pro-russes tirant depuis un char lors de combats près de l'aciérie d'Azovstal. Photo Alexander Ermochenko/Reuters
« Nous avons combattu avec un groupe qui est beaucoup plus puissant que nous et nous les avons fixés et ne les avons pas laissés aller plus loin en territoire ukrainien », déclarait le capitaine Palamar dans une interview téléphonique depuis Azovstal fin avril. « Mais en même temps, la situation est difficile, voire critique », ajoutait-il.
En fin de compte, Azovstal est devenu un piège. La présence de civils a entravé la capacité des soldats à se défendre. Et d’autre part, la présence des soldats signifiait que les civils devaient endurer un siège vicieux alors que la nourriture et l'eau potable venaient à manquer.
Natalya Babeush, qui travaillait comme opératrice de chaudière haute pression à l'usine avant de se réfugier dans l'un des abris, a décrit une faim si pernicieuse que les enfants ont commencé à dessiner des images de pizzas et de gâteaux. Cuisinière bénévole pour son bunker, elle se rendait chaque jour à la surface pour préparer des repas composés de soupe fine et de pâte frite sur un fourneau de fortune fait de briques et de caillebotis métalliques, tandis que des avions à réaction passaient au-dessus d'elle en lâchant des bombes.
Par deux fois, sa cuisine a été soufflée par des roquettes russes. « Tu entendais un bruit d’avion, tu prenais ta poêle à frire et tu courais te cacher, en comptant combien de bombes l'avion larguait », dit-elle. « Quand il vole au-dessus de ta tête et que tout autour il y a des explosions, tu comprends que ta vie ne vaut tout simplement rie
Natalya Babeush, à gauche, qui a travaillé comme opératrice de chaudière à haute pression à l'usine avant de trouver refuge
dans l'un des abris, décrit une faim si pernicieuse que les enfants ont commencé à dessiner des images de pizza et de gâteau.
Photo Gleb Garanich/Reuters
Pour Natalya Babeush et beaucoup d'autres, Azovstal était synonyme de famille. Son frère y travaillait. Son mari aussi. Des générations de familles de Marioupol ont travaillé à l'usine depuis son ouverture en 1933, lorsque l'Ukraine faisait partie de l'Union soviétique de Staline. Plus tard, lorsque la Seconde Guerre mondiale a laissé l'usine en ruines, les citoyens de Marioupol ont fait des dons pour aider à la reconstruire.
« Pour les gens, surtout après la guerre, l'usine était une bouée de sauvetage en termes de travail, en termes de stabilité », confie Natalya Babeush. « Même avant cette guerre, il n'y avait pas vraiment d'autre type de travail que le travail dans les usines ».
Contrairement à d'autres vestiges industriels de cette époque, Azovstal a prospéré longtemps après l'effondrement de l'Union soviétique. Le métal de ses fours a été utilisé pour la construction du sarcophage de protection autour de la centrale nucléaire endommagée de Tchernobyl, ainsi que pour des projets plus récents tels que Hudson Yards à New York, le Shard à Londres et le siège d'Apple en Californie.
Mais Azovstal était situé le long de l'une des lignes de faille géostratégiques les plus sanglantes du monde. En 2014, lorsque la Russie a annexé la Crimée, les troupes russes et les séparatistes locaux se sont emparés du territoire environnant dans la région orientale du Donbass. Les séparatistes ont occupé Marioupol pendant des semaines avant que les forces pro-ukrainiennes, dont les combattants d'Azov, ne les repoussent.
Pendant plusieurs années, alors que la guerre dans le Donbass couvait, les dirigeants d'Azovstal ont ordonné aux employés de rénover les abris anti-bombes en ruine et de les approvisionner en nourriture et en eau. Marioupol n'était qu'à quelques kilomètres de la "ligne de contact" qui délimitait le territoire contrôlé par les séparatistes.
L’hôpital-maternité de Marioupol, touché par les bombardements, le 9 mars. Natalya Babeush a d'abord refusé de quitter sa maison,
alors que les roquettes commençaient à frapper les immeubles d'habitation voisins. Photo Evgeniy Maloletka/Associated Press
« Pendant huit ans, nous nous étions habitués à Marioupol à des explosions de temps en temps », déclare Enver Tskitishvili, directeur général de l'usine. « Nous entendions souvent des obus exploser - nous entendions les combats et nous nous y sommes donc habitués. »
Mais tout a changé le 24 février, lorsque les forces russes ont envahi tout le pays.
Le sergent-chef Sergei Medyanyk, un soldat du régiment Azov, se trouvait dans sa caserne à l'extérieur de Marioupol. Sa femme, Yulia Polyakova, soldat de la Garde nationale ukrainienne, se trouvait à leur domicile dans la ville. Tous deux ont été réveillés à 4 heures du matin et ont reçu l'ordre de se préparer à la guerre. « Nous ne comprenions pas vraiment ce qui se passait », confie le sergent Medyanyk. « Nous avons pensé que c'était peut-être un exercice d'entraînement ».
Anna Zaitseva et son mari, Kirill, qui travaillait à Azovstal, ont emmené leur fils en bas âge et se sont précipités pour s'abriter dans l'usine. Elle avait été tellement stressée pendant le renforcement militaire russe avant la guerre, dit-elle, qu'elle avait cessé d'allaiter. « Nous sommes arrivés à l'abri », se souvient-elle, « et nous n'avons pris avec nous que le nécessaire, comme de très grandes couvertures, un peu de nourriture, de l'eau, des documents et du lait maternisé. »
Natalya Babeush a d'abord refusé de quitter sa maison, même si les roquettes ont commencé à frapper les immeubles d'habitation voisins et que les voitures brûlaient dans les rues. Le 2 mars, la ville n'avait plus d'électricité, d'eau ou de téléphone portable en état de marche. Avec son mari, elle a finalement fui à pied vers Azovstal pour se mettre à l'abri des tirs qui résonnaient toutes les minutes. Elle s'est installée dans un bunker situé sous l'atelier de fabrication de rails et de poutres où travaillait son mari, se fabriquant un lit avec des planches, des feuilles de caoutchouc et des chiffons. « Cette nuit-là, c'était la première fois depuis longtemps que j’arrivais à dormir », dit-elle. « Honnêtement, je pensais que j'étais en sécurité ».
L'armée russe a frappé si fort et si vite que les défenses ukrainiennes le long du périmètre de Marioupol ont fondu en quelques jours.
Photo Evgeniy Maloletka/Associated Press
Le sergent Medyanyk était aux commandes d'un véhicule de l'ère soviétique armé d'une mitrailleuse de petit calibre lorsqu'une énorme colonne de chars russes, escortée par des avions de chasse, s'est abattue sur sa position. « Ce fut mon baptême de guerre », dit-il. « Nous n'avions rien à utiliser contre l'aviation, et donc pour éviter les pertes, nous avons fait ce que nous pouvions et nous nous sommes repliés. »
Presque personne n’aurait misé sur les chances de l'Ukraine face à l’armée russe. Mais dans de nombreuses villes, l'armée ukrainienne a combattu les envahisseurs jusqu'à l'immobilisation, gâchant les plans du Kremlin de s'emparer rapidement de la capitale, Kiev, et stoppant une avancée le long de la côte sud de la mer Noire de l'Ukraine vers Odessa.
Le cas de Marioupol était différent. Les troupes russes se sont élancées de deux directions, fermant la ville en étau, mettant en déroute les soldats ukrainiens au cours des premières semaines, et les repoussant vers la mer et vers Azovstal. Des soldats de différentes unités sont arrivés à l'usine, et le capitaine Palamar et d'autres officiers d'Azov ont mis en place un centre de commandement.
« Nous nous sommes déplacés et déplacés et déplacés vers le territoire de l'usine parce que c'était le seul endroit qui restait », confie le capitaine Palamar.
Évaluation des dommages dans Marioupol. Une analyse des données satellitaires recueillies avant et pendant la guerre par
le New York Times révèle que de nombreux bâtiments ont très probablement été détruits ou considérablement endommagés cette année.
La ville elle-même a été un dommage collatéral. La neige a disparu des cours alors que les gens la ramassaient pour avoir de l'eau potable. Les habitants cuisinaient à l'extérieur sur des poêles à bois et se réfugiaient dans les sous-sols lorsque les avions russes les survolaient.
« Après un impact direct de ces obus, il ne reste rien », dit Elina Tsybulchenko, qui a fui à pied vers Azovstal avec sa famille et ses deux chiens. « Tout ce qui est à l'intérieur brûle et explose en petits morceaux, volant dans toutes les directions, et se désintègre comme s'il n'y avait jamais rien eu là, ni les gens, ni les meubles, ni les appareils électroménagers, ni les murs, ni la plomberie. Tout disparaît tout simplement ».
Bientôt, Azovstal a commencé à se remplir de civils qui ne savaient pas qu'ailleurs sur le vaste terrain, des soldats arrivaient aussi. « Si j'avais su qu'il y aurait des soldats, nous aurions peut-être cherché un autre endroit pour nous cacher », dit Elina Tsybulchenko. Mais début mars, plusieurs milliers de soldats ukrainiens avaient convergé vers Azovstal, et soldats et civils ont réalisé qu'ils partageaient le même refuge. Les communications avec le monde extérieur ont été coupées alors que les forces russes prenaient progressivement possession de la ville, à l'exception de quelques poches. « L'encerclement était si dense qu'il n'y avait aucune possibilité de les atteindre », déclare Flint, l'officier des renseignements militaires ukrainiens, « que ce soit par voie terrestre ou par la mer d'Azov, entièrement contrôlée par la marine russe. »
La ville elle-même a été un dommage collatéral. La neige a disparu des cours alors que les gens la ramassaient pour avoir de l'eau potable. Les habitants cuisinent à l'extérieur sur des poêles à bois et se réfugient dans les sous-sols lorsque les avions russes les survolent.
Photo Evgeniy Maloletka/Associated Press
Les combattants ukrainiens continuaient malgré tout à se glisser dans Marioupol. Bohdan Tsymbal, un sergent junior d'Azov, a organisé des raids éclair avec son unité d'artillerie pour affronter les combattants russes et rassembler des fournitures pour les civils à l'intérieur de l'usine. Lui et son frère aîné, Anton, avaient rejoint Azov dès la sortie de l'école. Ils étaient garçons lorsque leur village voisin a été occupé par les séparatistes en 2014, et ce sont les troupes d'Azov qui les ont libérés. « Ces gars ont sacrifié leur vie et leur santé pour libérer mon village de ces crapules », déclare le sergent Tsymbal, 20 ans. « C'est pourquoi j'ai choisi cette voie ».
Lors de l'un des raids, l'unité du sergent Tsymbal s'est glissée hors d'Azovstal et a essuyé un feu nourri. Il a été touché à plusieurs reprises. Pendant près de 90 minutes, il est resté étendu en sang dans les décombres, non loin de l'usine, avant d'être secouru et emmené à l'hôpital de campagne improvisé à l'intérieur de l’usine. Les médecins l'ont opéré dans la lumière tamisée d'un bunker.
Azovstal était en train de devenir un spectacle d'horreur. Les civils et les soldats manquaieent de nourriture, d'armes et de médicaments pour soigner des dizaines de soldats blessés. Les soldats mouraient même de blessures mineures.
Il n'y avait pas d'issue.
Le 21 mars, des militaires ukrainiens à bord d'un hélicoptère Mi-8 ont livré des munitions et du matériel Internet Starlink aux combattants assiégés dans l'usine Azovstal. Des soldats blessés ont ensuite été rapatriés. Ces images ont été fournies au New York Times avec des visages déjà floutés par un officier du renseignement militaire qui était à bord du vol.
Les deux hélicoptères Mi-8 ont traversé les grues de chargement du port de Marioupol et sont descendus dans le complexe Azovstal. Flint, l'officier de renseignement, a sauté avec l'équipe des forces spéciales et a rapidement commencé à décharger les caisses vertes d'armes et de munitions.
Pendant ce temps, des soldats enveloppés dans des couvertures et des sacs de couchage, certains sans bras ni jambes, étaient hissés dans les hélicoptères, dont les rotors ne cessaient de tourner. Les hélicoptères ont décollé avec huit ou neuf combattants blessés ce jour-là, selon M. Flint, dont certains étaient suffisamment conscients pour montrer des vidéos prises avec leur téléphone portable sur les combats intenses qu'ils avaient subis.
La mission du 21 mars, capturée sur des vidéos fournies par Flint, n'a duré que 20 minutes au sol. « Il y avait juste un sentiment de bonheur, de satisfaction émotionnelle d'avoir pu faire sortir ces gars »,
Au total, l'opération "Air Corridor", comme l'appelaient les participants, a réussi à faire atterrir des hélicoptères à Azovstal sept fois au cours des deux semaines suivantes et à secourir 85 soldats gravement blessés, selon M. Flint. Le sergent Tsymbal, lourdement blessé, faisait partie des personnes évacuées.
Mais les hélicoptères ont également ramené d'autres soldats, pour la plupart volontaires, dont le soldat Nikita Zherdev du régiment Azov. Son père était mort dans le bombardement de Marioupol quelques semaines auparavant, et il a écrit à sa sœur avant de partir en lui disant d'apprendre à prendre soin d'elle-même. Il ne lui a pas dit ce qu'il pensait : qu'il ne s'attendait pas à rentrer vivant.
« Dès que nous avons atterri à Azovstal, j'ai compris que, wow, il se passe vraiment des choses ici », dit-il. « Tout était couvert de fumée. Tout était sous le feu. Les gens qui nous ont accueillis, criaient : 'Plus vite, plus vite, plus vite - il y a des frappes aériennes toutes les cinq minutes, les avions arrivent.' »
Originaire de Marioupol, le soldat Zherdev connaissait déjà les troupes d'Azovstal, mais les hommes qu'il a trouvés étaient des spectres flétris de ces soldats, affamés et épuisés, couverts de sang et d'huile de fusil après des semaines de combats incessants. Ils étaient choqués de le voir.
« Tu vois ce qui se passe », se souvient-il d'un soldat qui lui a dit : « Pourquoi veux-tu mourir ici avec nous ? »
Photo fournie par le Régiment d'Azov montrant des soldats ukrainiens s'abritant à l'intérieur de l'usine sidérurgique.
Photo Dmytro Kozatsky/Azov Regiment, via Associated Press
La ville que beaucoup d'entre eux voient maintenant est une horreur incompréhensible. Plusieurs combattants ont décrit des rues jonchées de cadavres dévorés par des chats et des chiens affamés.
« J'aime les chats », déclare Ruslan, un combattant arrivé en hélicoptère en avril. « Je ne savais pas qu'un chat, quand il a faim, pouvait manger une personne ».
Les pertes sont lourdes. Le soldat Zherdev a déclaré que son commandant supérieur et un autre officier ont été tués par les tirs russes le deuxième jour. Lui-même a été aspergé d'éclats d'une grenade propulsée par fusée, et un gros morceau s'est logé dans sa nuque, menaçant de le paralyser ou de le tuer s'il bougeait.
Ce qui l'a sauvé, ce sont les hélicoptères. Alors que son hélicoptère de secours décolle, le soldat Zherdev se souvient d'un bruit sec et d'une explosion, alors qu'une fusée russe s'écrase sur son fuselage. Il a réussi à rester en l'air, mais un deuxième hélicoptère a été éjecté du ciel, ainsi que les soldats blessés à bord, a-t-il dit. Lorsqu'il a atterri en territoire ukrainien, le soldat Zherdev a réussi à enregistrer une vidéo de son hélicoptère, dont le fuselage était déchiqueté et noirci par l'explosion. Il était revenu avec un seul moteur.
Un autre hélicoptère est sorti le 7 avril et a été touché par des munitions russes à quelques kilomètres seulement du territoire ukrainien, a déclaré le général Kyrylo Budanov, commandant du service de renseignement militaire ukrainien, qui a supervisé l'opération héliportée. Un hélicoptère de sauvetage envoyé à la recherche de survivants a également été abattu, et les quatre soldats des forces spéciales qui se trouvaient à bord ont été tués ainsi que son équipage, a-t-il ajouté.
Après cela, l'opération Air Corridor a pris fin, déclare le général Budanov. Mais elle a aidé les forces d'Azovstal à résister à l'assaut russe pendant un mois de plus. « Isolés et encerclés, ils se sont battus », déclare-t-il. « Nous leur avons apporté tout ce que nous pouvions, mais pas autant que nécessaire ».
Ce qui a également changé la bataille, c'est le système internet Starlink que l'équipe de Flint avait livré lors de cette première mission. Avant, les civils et les combattants à l'intérieur d'Azovstal étaient presque complètement coupés du monde extérieur.
A partir de là, un siège semblant sortir de la Seconde Guerre mondiale allait devenir un événement en ligne. Des vidéos de l'intérieur de l'usine ont commencé à apparaître sur les chaînes Telegram. Les soldats ont soudainement été en contact avec leurs épouses, qui implorent les dirigeants mondiaux de mettre fin aux combats. Le capitaine Palamar a commencé à communiquer avec les journalistes, envoyant des vidéos et décrivant des bunkers remplis de centaines de soldats trop gravement blessés pour combattre.
Le monde pouvait maintenant regarder à l'intérieur d'Azovstal. Et ce qu’il voyait était apocalyptique.
Photos non datées fournies par des épouses de combattants du régiment Azov, blessés, à l’intérieur de l’usine. Via Associated Press
À l'intérieur de l'hôpital de campagne d'Azovstal, les soldats blessés sont pâles et ont l'air mort. Entassés dans un bunker sombre et poussiéreux, la plupart sont allongés sur le sol en béton. Leurs blessures fuyaient et étaient ensanglantées, et là où la gangrène s'était installée, la chair semblait verte et pourrie.
Le capitaine Palamar a envoyé à un journaliste une vidéo et des photos de l'hôpital de campagne fin avril, dans l'espoir d'attirer la sympathie du monde entier sur la souffrance de ses troupes. Une moisissure noirâtre recouvrait maintenant la nourriture, la vieille literie en lambeaux et même les armes. Les médicaments étaient si rares que les chirurgiens pratiquaient des amputations sans anesthésie suffisante.
Nuit et jour, les navires et les unités d'artillerie russes pilonnaient l'usine, tandis que les avions russes tiraient des roquettes et des munitions anti-bunker qui commencent à dégrader les abris anti-bombes.
Le commandant adjoint des troupes d'Azov à l'aciérie, le capitaine Svyatoslav Palamar, a publié une déclaration vidéo depuis le compte Telegram du groupe en avril, décrivant un puissant assaut sur l'usine depuis la terre, l'air et la mer. Quelques jours après que le capitaine Palamar ait envoyé sa vidéo, l'hôpital a été directement touché, provoquant l'effondrement du plafond et ensevelissant un nombre inconnu de combattants blessés et de leurs soignants. Alors même que les troupes tentaient de sortir leurs camarades des décombres, les combats se poursuivaient.
« C'était à la limite de la folie », déclare Dmytro Kozatsky, un soldat d'Azov, dans un message vidéo utilisé dans un court documentaire ukrainien, rappelant les attaques constantes. « Tu réalises que tes amis sont morts, ils sont couchés ici à côté de toi. Et d'un autre côté, tu marches et tu te sens heureux d’avoir survécu. »
« Je me souviendrai longtemps de cette odeur », ajoute-t-il. « C'était l'odeur du sang ».
Les dernières unités ukrainiennes qui combattaient à l'extérieur de l'usine s'étaient repliées derrière ses murs. Dehors, les combattants russes encerclaient la périphérie de l'usine, tandis que les correspondants de la télévision d'État russe et les blogueurs de guerre russes couvraient l'assaut. À plusieurs reprises, l'infanterie russe a tenté de percer le périmètre d'Azovstal, mais à chaque fois, elle a été repoussée.
Nuit et jour, les navires et les unités d'artillerie russes ont pilonné l'usine, tandis que les avions russes ont tiré des roquettes et des munitions anti-bunker qui ont commencé à dégrader les abris anti-bombes. Photo Alexander Ermochenko/Reuters
Fin avril, Aleksandr Sladkov, correspondant de guerre pour la télévision d'État russe, a publié une vidéo montrant des troupes russes portant des brassards blancs et un assortiment d'armes légères, se préparant à prendre d'assaut Azovstal. Le terrain autour d'eux était transformé en un terrain vague tordu, jonché d'épaves, et devant eux se trouvait l'imposante usine.
A l'intérieur, les soldats ukrainiens cherchaient de la nourriture et de l'eau, risquant de mourir sous les bombardements constants.
Auparavant, les messages envoyés par le capitaine Palamar et d'autres personnes à l'usine étaient pleins de bravade militaire. Les troupes étaient prêtes à mourir les armes à la main et à devenir des martyrs à la gloire de l'Ukraine, disaient-ils. Mais à mesure que le siège se prolongeait, que la nourriture et l'eau se faisaient rares, nombre d'entre eux ont commencé à espérer une fin négociée de la bataille. « Nous sommes prêts à quitter la ville car il n'y a plus rien à défendre », a déclaré le capitaine Palamar fin avril. « Nous considérons que nous avons rempli notre mission. Mais nous continuerons à la défendre jusqu'à ce qu'il y ait un ordre de retraite de la part de nos chefs militaires. Et si nous devons partir, nous le ferons avec nos armes ».
Anna Zaitseva et son fils de 6 mois, Svyatoslav, avec un ami après avoir évacués. Son mari a rejoint les troupes d'Azov.
Photo Lynsey Addario /The New York Times
À la fin du mois d'avril, Natalya Babeush et les autres adultes de son bunker étaient rationnés à un seul repas par jour, principalement un gruau de viande en conserve mélangé à de l'eau. Les 14 enfants avaient deux repas par jour, s'ils avaient de la chance, à commencer par un petit-déjeuner composé de flocons d'avoine qu'elle mélangeait avec un peu de farine et d'eau et faisait frire comme une crêpe. Elle se souvient s'être réveillée un matin pour découvrir qu'un enfant avait placé le dessin d'une pizza sur son lit. « Ils étaient affamés et ne recevaient pas de vitamines », dit-elle. « Une femme était si faible qu'elle trébuchait sans cesse, perdait l'équilibre et manquait de s'évanouir ».
Anna Zaitseva, qui avait fui vers Azovstal avec son mari et son fils en bas âge au deuxième jour de la guerre, a souffert d'une commotion cérébrale. Sa mère s'est cassé le bras lorsqu'une bombe est tombée à proximité alors qu'ils faisaient chauffer du lait maternisé. Son mari a rejoint les troupes d'Azovstal et s'est installé dans un autre bunker. Il rendait visite à sa famille pour livrer de la nourriture et des bonbons avec d'autres soldats, apportant un livre de contes de fées pour leur fils, Svyatoslav, ainsi qu'un exemplaire de "Robinson Crusoé" pour sa femme. « Je lui ai promis qu'à son retour, nous aurions une petite fille, parce que c'était toujours son rêve d'avoir une fille », raconte-t-elle. C'est la dernière fois qu'il est venu.
Le désespoir s'est installé. Les gens dans les bunkers ont passé des semaines sans voir la lumière naturelle ou respirer de l'air pur. Les gens sont devenus irritables et cruels, se battant parfois, raconte Anna Krylova, qui s'est réfugiée avec sa fille, alors âgée de 14 ans. Certains cherchaient si désespérément à s'échapper qu'ils se sont mis à boire dans les flacons de désinfectant pour les mains infusé d'alcool installés pendant la pandémie de Covid : « C'était insupportable ».
Cette vidéo, publiée sur Telegram le 1er mai par un membre du régiment Azov et vérifiée ultérieurement par des personnes évacuées, montre l'opération de sauvetage visant à évacuer les civils d'un abri anti-bombes d'Azovstal. Pour de nombreux civils piégés dans les 36 abris souterrains de la centrale, c'était la première fois depuis des semaines qu'ils voyaient la lumière du soleil.
Fin avril, les forces russes n'avaient toujours pas franchi le périmètre. Jusqu'à 12.000 soldats russes se sont enlisés dans le combat. Des milliers de munitions ont été utilisées.
Depuis les bunkers, les soldats d'Azov ont commencé à partager des vidéos d'enfants portant des couches fabriquées à partir de sacs en plastique ou portant des uniformes de travail trop grands. Les enfants et leurs mères implorent de rentrer chez eux, de revoir le soleil. « On ne peut pas sortir d'ici », dit une femme en larmes dans l'une des vidéos. « Les enfants n'ont pas vu le soleil depuis un mois et demi ».
À l'extérieur de Marioupol, un groupe de femmes, pour la plupart des épouses de soldats pris au piège, a lancé une campagne pour sauver leurs maris, faisant appel aux dirigeants du monde entier et obtenant même une audience avec le pape François au Vatican. « Vous êtes notre dernier espoir », a déclaré au pape Kateryna Prokopenko, l'épouse du commandant du régiment Azov. « J'espère que vous pourrez sauver leurs vies. S'il vous plaît, ne les laissez pas mourir. »
Osnat Lubrani, la principale représentante des Nations unies en Ukraine, a décrit le choc de son arrivée à Mariupol.
« Le nom de "Dresde" m'est venu à l'esprit », a-t-elle déclaré. Photo Pavel Klimov/Reuters
Le 26 avril, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, s'est envolé pour Moscou avec une proposition d'ouverture d'un corridor humanitaire pour les civils à l'intérieur d'Azovstal. M. Poutine, selon un compte-rendu de la réunion établi par les Nations Unies, a accepté la proposition "en principe".
Quatre jours plus tard, au coucher du soleil, Anna Krylova et sa fille se sont frayé un chemin hors du bunker souterrain et ont émergé dans la lumière tombante. On les fait monter dans un bus et on les conduit hors du complexe industriel où les attendent des représentants des Nations unies et de la Croix-Rouge. « Au-dessus, le ciel était si bleu, si bleu. Magnifique. Le calme régnait », dit-elle. « Et l'usine en ruines, une vision d'apocalypse ».
Osnat Lubrani, la principale représentante des Nations unies en Ukraine, a décrit le choc de son arrivée à Marioupol pour aider à coordonner les évacuations en passant devant des tombes improvisées sur le bord de la route. « Le nom de "Dresde" m'est venu à l'esprit », a-t-elle déclaré lors d'une interview, en référence à la ville allemande rasée par les bombardements alliés de la Seconde Guerre mondiale.
Les évacuations ont été éprouvantes. Les bombardements des jours précédents étaient si intenses que les civils ont d'abord refusé de sortir d'Azovstal, dit-elle. Le simple fait de se trouver dans l'usine, dit-elle, était extrêmement dangereux, car des tirs éclataient. Pourtant, au cours des jours suivants, tous les civils ont été évacués d'Azovstal.
Les évacuations ont été éprouvantes. Les bombardements des jours précédents ont été si intenses que les civils ont d'abord refusé
de sortir d'Azovstal. Photo Lynsey Addario / New York Times
Chacun d'entre eux a été escorté par les Nations Unies et la Croix-Rouge jusqu'à un poste de contrôle dans une ville côtière ukrainienne qui était sous contrôle russe. Ils ont été fouillés à nu et interrogés sur leur connaissance des forces ukrainiennes à l'usine, tandis que les autorités russes ont fait descendre des bus une poignée de personnes jugées suspectes. Certaines personnes ont choisi de retourner dans les quartiers bombardés de Marioupol à la recherche de proches. Mais la majorité d'entre elles se trouve désormais dans la sécurité relative de l'Ukraine occidentale.
Lorsqu'elle a enfin obtenu un nouveau téléphone portable, Natalya Babeush a découvert que ses parents, restés à Marioupol, avaient survécu. Ils l'avaient cherchée fin mars et avaient trouvé le chat de la famille, Liza, qui était à moitié mort de faim. « Ils pensaient que nous étions morts », dit Natalya. « Dieu merci, tout le monde a survécu. Même le chat. »
Cette vidéo publiée par le ministère russe de la Défense le 18 mai montre des combattants ukrainiens d'Azovstal,
dont beaucoup sont blessés et transportés sur des civières, se rendant aux forces russes.
Pour les soldats d'Azovstal, il n'y a pas eu de répit. Avant même que les derniers civils ne soient partis, les bombardements ont repris et se sont poursuivis intensément pendant environ deux semaines, alors que les forces russes effectuaient leur dernière poussée et que les Ukrainiens continuaient à les repousser. Le sergent Tsymbal raconte qu'il a envoyé un SMS à son frère, Anton, qui se trouvait toujours dans l'usine. « Ils attendaient de l'aide, qu'un miracle se produise », déclare-t-il. Le dernier échange entre les deux frères remonte au 14 mai. Anton a été tué dans une attaque au mortier plus tard dans la journée.
Deux jours plus tard, Ruslan, l'un des combattants d'Azov, a perdu sa jambe.
Ruslan, l'un des combattants d'Azov, a été parmi les premiers à être évacués. Il a perdu sa jambe. Photo Daniel Berehulak / New York Times
« Je peux voir voler vers moi cette chose étincelante et sifflante et soudain, elle traverse ma jambe comme une saucisse », se souvient-il. « Je crie : "Je fais une hémorragie, je fais une hémorragie. Donnez-moi un garrot ». Et un type court vers moi et me dit : 'Pas aujourd'hui.' »
Ruslan - qui n'a donné que son prénom afin de réduire les risques pour son frère, un soldat combattant les Russes à l'est - a été transporté d'urgence à l'hôpital de campagne dans le bunker, où les médecins ont pratiqué une opération rapide et l'ont gavé de morphine. Lorsqu'il est revenu à lui plusieurs heures plus tard, il a reçu un choc. Il était sur une civière, entouré de soldats russes, le visage couvert de balaklavas. Il a dit qu'un commandant russe lui a dit de "tenir bon".
Alors que Ruslan était inconscient, les commandants ukrainiens à Kiev avaient fait un choix difficile. Pour épargner la vie des combattants restants, ils ont ordonné aux défenseurs d'Azovstal de se rendre comme prisonniers de guerre.
Pour épargner la vie des combattants restants, les commandants ukrainiens à Kiev ont ordonné aux défenseurs d'Azovstal
de se rendre comme prisonniers de guerre. Photo Associated Press
Ruslan a été parmi les premiers à être évacués, tout comme le sergent Medyanyk, qui était indemne et avait reçu l'ordre d'aider à porter les blessés hors de l'usine. « Il y avait un peu de déception », dit-il, « mais au fond de mon âme, il y avait la joie de savoir que nous resterions en vie. »
D'autres étaient moins enthousiastes. Ruslan a déclaré qu'il ne se serait jamais rendu s'il avait eu le choix : « Nous aurions combattu jusqu'à la fin ».
Quelque 2.500 combattants ont été emmenés dans un camp de prisonniers sur le territoire contrôlé par la Russie dans la région de Donetsk. Ils ont été interrogés, enfermés dans des cellules exiguës et nourris juste assez pour ne pas mourir de faim. Chaque jour, on les réveille à 6 h du matin par une musique diffusée par haut-parleur : l'hymne national russe.
Après d'intenses négociations, les Ukrainiens et les Russes se sont mis d'accord sur un échange de prisonniers qui a vu 144 Ukrainiens échangés, la plupart d'entre eux étant des combattants d'Azovstal. Crédit : Services de renseignements ukrainiens, via EPA
Le 29 juin, à 1 heure du matin, un garde a sorti le sergent Medyanyk de sa cellule et lui a dit qu'il était emmené pour un nouvel interrogatoire. Il a été mis dans un bus avec d'autres prisonniers, dont beaucoup étaient gravement blessés. Ruslan, le moignon de sa jambe maintenant bandé, était parmi eux.
Ils ont roulé pendant des heures. Ce n'est que lorsque le sergent Medyanyk a vu des soldats ukrainiens qu'il a compris qu'il faisait partie d'un échange. Après d'intenses négociations, les Ukrainiens et les Russes s'étaient mis d'accord sur un échange de prisonniers qui a vu 144 Ukrainiens échangés ce jour-là, la plupart d'entre eux étant des combattants d'Azovstal.
Le sergent Medyanyk est descendu du bus en clignant des yeux sous le soleil d'été. Soudain, il a vu sa femme, Yulia Polyakova, soldat de la Garde nationale ukrainienne. Ils ne s'étaient pas parlé depuis le 1er mars, et il craignait qu'elle ne soit morte : « Nous nous sommes regardés… Il y avait un bonheur incroyable ».
Avec les autres femmes de son unité, Yulia Polyakova avait reçu l'ordre de se retirer le troisième jour de la guerre, alors que les bombardements sur Marioupol s'intensifiaient. Elle s'est cachée dans le sous-sol de l'immeuble du couple jusqu'à ce qu'il soit touché par un obus et réduit en cendres.
Puis elle a fui la ville à pied. Elle est arrivée jusqu'à la périphérie lorsqu'elle a été arrêtée à un poste de contrôle tenu par les forces russes. Ils ont fouillé son téléphone, découvert qu'elle était la femme d'un soldat d'Azov et l'ont mise en détention. Ils l'ont traitée de fasciste et lui ont fait chanter l'hymne national russe. Ils lui ont dit que son mari était très probablement mort. « Les combattants d'Azov ne sont pas faits prisonniers », lui ont-ils dit. « Ils sont abattus à vue. »
Elle a été la seule, dans son camp de prisonniers, à être sélectionnée dans le cadre du même échange où a été libéré son mari. Les responsables ukrainiens avaient fait pression pour leur libération pour le bien de leurs enfants, qui avaient été laissés aux soins d'une grand-mère malade. « Quand je l'ai vu, j'ai tout simplement pleuré - je pleure même maintenant », dit-elle.
Aujourd'hui, les autres soldats survivants d'Azovstal sont détenus dans un camp de prisonniers dans une partie de l'Ukraine orientale contrôlée par la Russie. Les commandants, dont le capitaine Palamar, ont été transférés en Russie et sont détenus dans la prison de Lefortovo à Moscou, un lieu de torture pendant les purges de Staline.
Les dirigeants ukrainiens ont juré de les ramener vivants, mais les responsables russes menacent d'accuser certains d'entre eux de crimes de guerre. Parmi les morts, jusqu'à présent, les corps de plus de 400 soldats ont été ramenés dans le territoire tenu par les Ukrainiens pour y être enterrés.
Un nombre inconnu reste enterré dans les ruines d'Azovstal.
L'usine Azovstal surveillée par un soldat russe en juin, sur une photo prise lors d'une visite à Marioupol organisée par l'armée russe.
Photo Sergei Ilnitsky/EPA, via Shutterstock
Article traduit du New York Times.
Auteur : Michael Schwirtz,
avec des reportages de Valerie Hopkins, Maria Varenikova, Carlotta Gall, Andrew E. Kramer, Marc Santora et Ivan Nechepurenko.
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