Au centre de la photo : Susie Wiles, future cheffe de cabinet de Donald Trump. A sa droite, Steven Cheung,
directeur de la communication, que Donald Trump surnomme "Mon petit Sumo". Photo Doug Mills/The New York Times
SUITE AMÉRICAINE Aux États-Unis, le principe du lobbying fait partie des mœurs, avec toutefois certains garde-fous, plus ou moins respectés. Mélangeant intérêts privés et affaires publiques, Pam Bondi, que Donald Trump vient de nommer à la Justice pour remplacer le défectueux Matt Goetz, vient de ce milieu du lobbying, tout comme Susie Wiles, qui sera la future cheffe de cabinet de Donald Trump. Un lobbying qui est aussi passé, pour des entreprises comme Pernod-Ricard, par le financement des campagnes de plusieurs élus trumpistes.
Quelques heures après le renoncement obligé du zinzin et prédateur sexuel Matt Goetz pressenti pour la Justice, que nous avions taillé quelques croupières (ICI), Donald Trump a été chercher sur le banc des remplaçants une femme de 59 ans, Pam Bondi.
Ex-procureur général de Floride, celle-ci gravite depuis un certain temps dans la galaxie Trump. Membre de l’équipe de transition avant de premier mandat du Boss, elle a ensuite présidé l'America First Policy Institute, un groupe de réflexion créé par d'anciens membres de l'administration Trump pour préparer le terrain s'il remportait un second mandat.
Pam Bondi en juin 2024. Photo Derik Hamilton / AP
Sur le plan professionnel, Pam Bondi a travaillé comme lobbyiste pour Ballard Partners, la puissante société basée en Floride dont Susie Wiles, chef de campagne de Donald Trump et future chef de cabinet, était l'une des associées. Parmi ses clients américains figurent General Motors, Amazon, Uber, et un groupe chrétien de lutte contre la traite des êtres humains, "the U.S. Institute Against Human Trafficking", qui définit comme une « organisation confessionnelle ointe par Dieu ».
Mais elle a aussi travaillé pour le gouvernement du Qatar, afin de contrer les accusations de… traite des êtres humains liées à la Coupe du monde de football en 2022 (115.000 dollars par mois pour faire du lobbying auprès des représentants du gouvernement américain, des entreprises américaines et des ONG. Dans son "carnet de commandes" de lobbyiste, on trouve aussi une entreprise koweïtienne, KGL Investment Company KSCC, qui a versé 300.000 dollars au cabinet de Pam Bondi pour faire pression sur la Maison Blanche, le Conseil national de sécurité, le Département d'État et le Congrès en matière de politique d'immigration, de droits de l'homme et de sanctions économiques. Il s’agissait essentiellement d’obtenir la libération de deux cadres de l’entreprise inculpés au Koweït de détournements de fonds.
Rien de tout cela n’est illégal, mais cela pose tout de même quelques questions d’éthique quand on occupe simultanément des fonctions publiques. Il faut dire que l’éthique, Pam Bondi en a une vision toute relative. En 2013, alors qu’elle était procureur général de Floride, elle a ainsi reçu 25.000 dollars de la fondation Donald J. Trump. Ce "don" est intervenu au moment où le bureau de Pam Bondi envisageait de se joindre à d'autres procureurs de l'État pour poursuivre l'université Trump (parce que Trump avait aussi créé une université !), laquelle avait escroqué plus de 4.000 étudiants (35.000 dollars de droits d’inscription, pour un enseignement fantôme). Un mois après avoir reçu ce don (non déclaré) de 25.000 dollars, Pam Bondi a annoncé qu'elle ne se joindrait pas aux poursuites engagées contre l'université Trump (en janvier 2017, deux jours avant de prêter serment en tant que président, Trump a déboursé 25 millions de dollars pour mettre fin aux poursuites concernant cette escroquerie à l’Université).
Donald Trump et Susie Wiles. Photo "The Washington Post"
On suppose qu’en plus de ses bons et loyaux services à l’égard de Donald Trump, Pam Bondi doit sa nomination à l’entregent de son ancienne "patronne", Susie Wiles, qui sera la future cheffe de cabinet du président élu. Devenue il y a deux ans et dix mois, co-présidente « à temps plein » du cabinet Mercury Public Affairs (qui compte, entre autres très gros clients, Tesla, propriété d’Elon Musk, les laboratoires Pfizer, l’industrie du tabac avec Swisher, des gros groupes alimentaires céréaliers ou encore l’ambassade du Qatar), elle était auparavant associée du cabinet Ballard Partners, où elle a fait du lobbying pour une quarantaine de clients, y compris un parti politique au Nigéria et le groupe de médias Globovision, qui appartenait à un milliardaire vénézuélien inculpé pour des accusations liées au blanchiment d'argent.
Aux États-Unis, elle a aussi aidé le Pebble Partnership, un consortium qui était en conflit avec les régulateurs environnementaux depuis plus de dix ans, à obtenir des autorisations pour une mine de cuivre et d'or à ciel ouvert dans le sud-ouest de l'Alaska, à laquelle les groupes environnementaux et autochtones s'opposaient en raison de la menace qu'elle représentait pour les zones de reproduction des saumons dans la baie de Bristol. Ou encore : une société de gestion des déchets qui a résisté à l'enlèvement des déchets nucléaires d'une décharge radioactive, une société de tabac qui a cherché à bloquer les restrictions sanitaires fédérales sur ses cigares aromatisés, etc. Pour Jon Golinger, de l'ONG Public Citizen, « en confiant la direction de son administration à une lobbyiste d'entreprises dès son premier acte en tant que président élu, M. Trump accroche un panneau "À vendre" sur la porte d'entrée de la Maison-Blanche » (lire ICI).
Le whisky TX, acquis par Pernod-Ricard aux Etats-Unis, en 2019. Photo DR
En France, personne ne s’est encore vraiment intéressé à Ballard Partners, l’un des plus puissants groupes de lobbying aux États-Unis (avec un chiffre d’affaire de 31 millions de dollars en 2023), pour lequel travaillaient Susie Wiles et Pam Bondi. Parmi les principaux clients de ce cabinet, on trouve pas mal de noms liés à l’industrie pharmaceutique et à la santé, aux hydrocarbures, à l'industrie du tabac, etc. Le français Pernod-Ricard, qui réalise une part importante de son chiffre d'affaires aux Etats-Unis, et y a investi 2,5 millions de dollars en lobbying en 2024, selon Open Secrets, est l'un des clients de Ballard Partners.
Lors des dernières élections américaines, tout comme Sanofi, mais aussi des entreprises contrôlées par l’État français comme Airbus, Thales ou... EDF, Pernod Ricard a également financé (à hauteur de 64.000 dollars) la campagne plusieurs candidats trumpistes, qui pour la plupart avaient refusé de reconnaître le résultat des élections de 2020 (voir sur le site de l’Observatoire des multinationales). Lors de l'investiture de Donald Trump, le 20 janvier, on ne sait pas encore si Pernod-Ricard offrira quelques caisses de champagne de la maison Perrier-Jouët (l'une de ses marques), de préférence la cuvée "Belle Époque", baptisée "Fleur de Champagne" outre-Atlantique ; ou bien, plus country et trump-compatible, une floppée de bouteilles de whisky de Firestone & Robertson Distilling Co (dont Pernod-Ricard a fait l'acquisition en 2019), de péférence le TX Blended, vu que « la gamme TX dans son ensemble incarne l'élégance robuste de la marque : les bouchons des bouteilles sont fabriqués à la main à partir de cuir de botte, les embouts en toile sont un clin d'œil aux chariots bâchés des pionniers et la bande argentée autour de la base de chaque bouteille représente un symbole raffiné de la culture occidentale. » Damned !
Une suggestion pour finir : Pernod-Ricard pourrait changer pour l'occasion les étiquettes des bouteilles, en virant le "T" et en ne gardant que le "X" de qui vous savez. Précisons que, pour cette intense activité de lobbying, les humanités jurent mordicus n'avoir reçu aucun rouble d'Elon Musk.
Jean-Marc Adolphe
Parce que vous le valez bien, les humanités, ce n'est pas pareil. Notre site est gratuit, mais cette gratuité a quand même un coût. Pour encourager (entre autres) cette "suite américaine", dons et abonnements ICI
Comments