Une constitution écologique au milieu de la crise environnementale et du réchauffement climatique, élaborée tout au long d’un débat entièrement transparent ? Une constitution qui inclue les droits de la nature, au même titre que les droits humains, les droits des peuples autochtones et les droits sociaux ? Une constitution « écocentrée » ? Le Chili est en train de prendre cette voie inédite.
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Dans la foulée du mouvement social contre les inégalités de fin 2019, le gouvernement conservateur-libéral du président Sebastián Piñera avait accepté le principe d’une réforme constitutionnelle. Les 155 membres de l’Assemblée constituante (dénommée au Chili Convention constitutionnelle, en espagnol : Convención Constitucional), chargé.e.s d’écrire cette nouvelle Constitution, qui doit remplacer le texte actuel hérité de la dictature de Pinochet, accusé de sanctuariser les bases libérales du pays, et qui sera soumise à un référendum courant 2022, ont été élu.e.s les 15 et 16 mai derniers. Le résultat de cette élection fut une première surprise : plus de la moitié des élu.e.s sont des personnalités de la « société civile », indépendantes des partis politiques. On a beaucoup commenté la parité absolue de cette Assemblée constituante, et la place qu’y occupent, avec 17 sièges, les représentants des peuples indigènes. L’élection de la linguiste Mapuche Elisa Loncon, en juillet dernier, à la présidence de l’Assemblée constituante, a été une autre surprise (Lire ICI entretien avec Elisa Loncon).
Au terme de six mois de mandat, Elisa Loncon doit aujourd’hui céder la présidence. Qui pour lui succéder, le mardi 4 janvier 2022 ? Sept candidat.e.s se sont déclaré.e.s. Comme déjà écrit (Lire ICI), Cristina Dorador pourrait bien être l’heureuse élue. A 42 ans, cette scientifique de renom, professeure associée du département de biotechnologie de la faculté de sciences de la mer et ressources naturelles de l'Université d'Antofagasta, avait notamment fait campagne pour « une constitution écologique, la décentralisation, la préservation des déserts de sel face à l'extractivisme, la protection de l'environnement. »
Son élection constituerait un signal fort d’une orientation écologique de la future constitution du Chili, où l’extractivisme minier, laissé à des entreprises privées peu soucieuses d’environnement (et des populations concernées), laisse des dommages parfois irréversibles (Lire par exemple l’article publié par les humanités sur l’exploitation du lithium dans l’Atacama : lire ICI). L’ONG Recuperemos el Cobre (Récupérons le Cuivre) et diverses organisations syndicales viennent par ailleurs de lancer une initiative populaire pour inscrire dans la Constitution la nationalisation totale de toutes les activités minières au Chili (Lire ICI, en espagnol).
D’ores et déjà, au sein de l’Assemblée constituante, la Commission de l'environnement, des droits de la nature, des biens naturels et du modèle économique s’est attaquée à plusieurs sujets brûlants, au premier rang desquels la question de l’eau. Depuis la dictature d'Augusto Pinochet, l’eau, soumise à la loi du marché, s'achète comme des titres de propriété (voir vidéo ci-dessous, reportage France 24)
Parmi les membres de la Commission de l'environnement, des droits de la nature, des biens naturels et du modèle économique de l’Assemblée constituante : Constanza San Juan, 36 ans, est licenciée en histoire de l'Université du Chili. Militante socio-environnementale, elle est porte-parole de l’Assemblée pour l’Eau de la région du Guasco, membre du Mouvement pour l’Eau et les Territoires et de la Coordination des Territoires pour la Défense des Glaciers. Elle s’est investie depuis près de dix ans dans la province d’Atacama, où elle devient l’une des figures qui emporte le combat local contre le projet minier de Pascua Lama, reconnu responsable d’importantes violations environnementales (Lire ICI). Elle se définit comme « une gardienne de la terre » : « Nous souhaitons récupérer tous les biens élémentaires nécessaires à la vie : les glaciers, l’eau, les bois, la mer, les sols et les sous-sols. Et les déclarer inappropriables. (…) Le problème du Chili ce n’est pas la sécheresse mais le pillage de l’eau ». Elle souhaite en finir avec le « modèle extractiviste prédateur et néolibéral » et considérer l’environnement comme « un sujet de droit ».
Constanza San Juan, élue à l'Assemblée constituante.
Élue à la Convention constitutionnelle pour la région du Valle del Guasco, dans l’Atacama, elle participe notamment aux travaux de la Commission de l'environnement, des droits de la nature, des biens naturels et du modèle économique. Elle dénonce notamment « le traité d'intégration minière entre le Chili et l'Argentine [qui] a permis la fermeture de la chaîne de montagnes et la création d'un pays virtuel où la souveraineté est entre les mains des sociétés transnationales ». Elle évoque encore « la région de Huasco, qui est contaminée par les centrales thermoélectriques et les usines de pellets ; Chañaral, dont la mer est polluée par les résidus miniers déversés directement dans la mer ; Diego de Almagro, dont les puits d'eau sont contaminés par des métaux lourds provenant de l'exploitation minière ; et Copiapó, qui n'a plus de rivière en raison de la surexploitation par l'agro-industrie et l'exploitation minière. Dans le contexte de crise écologique et d'urgence climatique dans lequel nous vivons, nous ne pouvons pas continuer à faire les choses comme d'habitude. Nous avons dix ans pour changer de cap, pour modifier notre façon de produire et de consommer afin de sauvegarder la Terre telle que nous la connaissons, tant pour nous que pour les générations futures. »
Photo en tête d’article : Fin 2019, peu avant la COP25 une campagne de Greenpeace montrait le passé et le présent de la lagune d'Aculeo, dénonçant comment le changement climatique, la sécheresse et la crise de l'eau ont un impact dramatique sur de larges zones du Chili.
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