Pierre Déom, fondateur, rédacteur et dessinateur de la Hulotte, dont les bâtiments contemporains, en Argonne ardennaise, abritent six employés en temps normal, et jusqu’à dix lorsqu’un numéro paraît. Photo L’Union.
Nichée dans la forêt des Ardennes, La Hulotte fête ses cinquante d’années d’existence, avec 140.000 abonnés au compteur. Un succès de presse pour le moins atypique ! Rencontre avec son fondateur, Pierre Déom. Et pendant ce temps, en pleine ville, à Reims, une famille de hiboux moyens-ducs a élu domicile dans un thuya. Dans le cadre de la série VU D’EN FRANCES (pour prendre le pouls de la France comment qu’elle va, avec bonheurs et déboires, depuis les territoires voire terroirs, avec le concours de la presse quotidienne régionale).
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VU D'EN FRANCES Tapie dans la forêt des Ardennes, la Hulotte fait rimer succès et secret depuis cinq décennies. Fondateur, auteur et dessinateur du « journal le plus lu dans les terriers », Pierre Déom ouvre son album de souvenirs.
Vous dirigez depuis cinquante ans un ovni, un succès d’édition qui ne vit que par ses abonnements, et dont peu de gens savent finalement qui vous êtes, ni où vous êtes.
Qui êtes-vous, Pierre Déom ?
Je suis né à Pouru-aux-Bois, dans le nord des Ardennes, en 1949, et depuis je n’ai jamais quitté le département. Dès qu’on s’intéresse à la nature, les perspectives de découvertes sont illimitées, même sur un petit territoire… Quand j’étais gamin pourtant, je ne m’y intéressais pas du tout. C’est en commençant des études d’instituteur, à Charleville, que j’ai compris que j’avais une horreur totale de la ville et que la nature me manquait cruellement. Puis en lisant un récit de braconnier, j’ai découvert que la nature était très complexe et infiniment riche. J’avais alors 17 ans et je ne savais même pas reconnaître un merle !
Dans ces conditions, comment en arrive-t-on à créer La Hulotte ?
À l’école normale de Charleville, un pion baguait les oiseaux, et je suis allé le faire avec lui. Cela m’a fait toucher du doigt la disparition vertigineuse de la nature à la fin des années 1960. Rapide, terrible. J’ai vu par exemple disparaître un très grand marais à Vendresse, où nichaient quatre couples de busards cendrés. Alors qu’il faut des centaines ou milliers d’années pour faire un marais, celui-ci a disparu en quatre ou cinq ans, à coups de bulldozer. À la fin, les busards cendrés nichaient dans un massif d’orties… J’ai pris conscience d’une manière aiguë de la disparition foudroyante de ce qu’on n’appelait pas encore la biodiversité.
Y a-t-il une part de militantisme dans la création de la revue ?
Oui bien sûr ! On était conscients que si on ne bougeait pas, tout allait s’évanouir du fait des arasements de talus, des rectifications de rivières, des assèchements de marais, des remembrements… Avec des amis, on a donc créé, en 1969, la Société de protection de la nature des Ardennes. À l’époque les gens n’étaient pas du tout branchés là-dessus, donc on s’est adressé aux enfants. On a créé les clubs de protection de la nature, puis le centre d’initiation à la nature (il existe toujours, à Boult-aux-Bois). La troisième action était un journal, qui serait un bulletin de liaison entre les clubs. Je m’en suis chargé car j’adorais dessiner et écrire, et que j’aurais adoré être journaliste. La difficulté est d’arriver à une histoire qui soit amusante, passionnante, comme un conte mais un conte vrai. Rien ne doit être faux ou inventé.
Toute l’ironie, c’est que les clubs n’ont pas eu de succès, mais la Hulotte, qui devait faire
leur promotion, a tout de suite trouvé son public.
Oui. Le premier numéro est arrivé en janvier 1972. Grâce à une inspectrice d’académie qui était naturaliste, on l’a fait acheminer dans les classes. Alors qu’on espérait que ça créerait une centaine de clubs, on n’en a eu qu’une vingtaine, ça a été une désillusion. Mais le journal s’est envolé très vite. En juin 1972, on avait déjà 800 abonnés. Les Ardennais s’y intéressaient aussi car c’était ardennais, et que les Ardennais sont assez patriotes, pour pas dire chauvins !
C’est à ce moment que vous avez quitté l’enseignement ?
Oui. J’étais instituteur à Rubécourt, près de Sedan, et je ne pouvais plus faire et le journal, et la classe. J’ai donc abandonné l’Éducation nationale et en septembre 1972, j’étais à plein-temps sur la Hulotte. J’ai subsisté tant bien que mal pendant plus d’un an car le journal, vendu un franc, tirait à 1 000 exemplaires et ne pouvait pas me payer. J’ai vécu de peu, mais j’adorais ce que je faisais.
Quel est le rythme de parution de la Hulotte ?
Au départ on promettait dix numéros par an, mais c’était insensé ! On devait être à sept ou huit numéros. Le rythme n’a cessé de diminuer car au fil du temps, j’ai accordé de plus en plus de temps aux dessins et à la documentation. À l’époque je m’embêtais moins : je prenais ce que j’avais dans la littérature, je mettais ça à ma sauce, j’illustrais et ça partait comme ça ! Même si je n’ai jamais écrit d’âneries, je ne suis pas passé loin parfois, et ça m’a rendu prudent.
Rigoureux, méticuleux, vous passez beaucoup de temps sur chaque numéro. Comment se passe la confection de la Hulotte ?
Une assistante m’aide pour la documentation. On voit ce qu’on a dans notre bibliothèque, pour voir si le choix d’un animal est jouable. Si c’est le cas, on fait un énorme travail d’études. Pour le moineau par exemple, on cherche tout ce qui s’est publié dessus qui peut être raconté en anecdotes. On épluche tout, on note toutes nos sources, triées par thème. C’est un travail considérable, avec l’obsession de tout vérifier.
Un sérieux qui ne doit cependant pas peser à la lecture de la revue…
La difficulté est d’arriver à une histoire qui soit amusante, passionnante, comme un conte, mais un conte vrai. Rien ne doit être faux ou inventé. Le récit doit être écrit pour un enfant de 10 ans, dans un langage simple, sans jargon scientifique, et en même temps sans être infantile, car on a beaucoup d’abonnés adultes. C’est un chemin de crête ! Je passe beaucoup de temps sur la rédaction…
Et sans doute plus encore sur les dessins, sans lesquels la Hulotte ne serait pas la Hulotte…
Il y en a une centaine par numéro, qui occupent la moitié des quarante pages de la revue. Ils me prennent près de 700 heures par numéro. Ils sont liés à l’histoire du journal, car au départ on ne pouvait pas publier de photos. Aujourd’hui on pourrait très bien en mettre, mais on ne le fait pas car c’est l’originalité du journal, et aussi car le dessin permet de montrer exactement le comportement de l’animal que je souhaite. Mais c’est vrai que c’est extrêmement long.
Que reste-t-il du militantisme de vos débuts ? Quel regard portez-vous sur l’époque actuelle ?
En cinquante ans, j’ai vu des changements gigantesques dans la prise de conscience. Quand on a commencé, personne ne s’intéressait à la nature. Aujourd’hui l’écologie a gagné les esprits, même les plus rétifs. Même chose pour la biodiversité, il ne reste plus grand monde pour nier qu’il y a un grave problème… Prenez le sort des abeilles, les gens comprennent que quelque chose ne va pas et que ça va nous retomber dessus.
D’un autre côté, il y a toujours des dégradations épouvantables, des niveaux de pollution très inquiétants… Il y a beaucoup de raisons d’être pessimiste. Et en même temps, si on avait dit aux anciens que les castors reviendraient, que le faucon pèlerin ne disparaîtrait pas, que la cigogne noire allait réapparaître, que le loup serait de retour, ils auraient dit que c’était inimaginable !
Propos recueillis par Guillaume Lévy, pour L’Union.
La revue vit grâce à 140 000 abonnés
Les tout premiers numéros de la revue, qui a changé de format très vite. Dès la fin de l’année 1972, le format A4 a laissé la place au format actuel (A5), deux fois plus petit.
À part dans le monde de la presse, La Hulotte l’est aussi dans son village : ses bureaux, sa bibliothèque, sa rédaction qui fait office d’atelier de dessin, sont aménagés dans des locaux contemporains, à un vol d’oiseaux de l’église, avec vue sur la forêt. C’est ici que les six employés font vivre la Hulotte (l’effectif grimpe à dix lors des parutions), dont deux pour la documentation et la rédaction. Les autres assurent le suivi avec les abonnés : leur répondre, leur envoyer des numéros anciens, leur vendre des petites loupes, des jumelles, des nichoirs… Et bien sûr, signer de nouveaux abonnements.
Introuvable en kiosque, la Hulotte ne vit que grâce à eux. Un abonné débourse 34 €, pour six numéros. Pierre Déom se souvient encore du « jour où on s’est aperçu qu’on n’avait plus d’abonnés hors des Ardennes que dans les Ardennes. Sans qu’on comprenne comment, le journal avait voyagé partout en France. On voyait arriver des abonnés qui nous prenaient en affection et nous faisaient une publicité monstre auprès de leurs amis. Ce jour-là, on a retiré des Ardennes du nom et c’est devenu La Hulotte tout court. »
Aujourd’hui, la revue compte 140.000 abonnés, dont 1.600 dans les Ardennes. La plupart se trouvent en France, mais aussi à l’étranger (3.000 à 4.000 en Belgique ou en Suisse, entre autres). Le fait d’être absent en kiosque ne dessert pas La Hulotte, au contraire. « Ça nous a sauvés la vie », explique M. Déom. « L’avantage des abonnements, c’est qu’ils sont payés d’avance. Cela nous permet d’avoir une trésorerie considérable. On la garde précieusement, c’est un matelas d’argent qui nous a permis de franchir des épreuves mortelles. »
Il cite un épisode en particulier. « En 1984, on a perdu la commission paritaire de presse, et donc les aides à l’envoi. On s’est retrouvé, du jour au lendemain, à devoir acheminer les numéros avec un prix du timbre multiplié par 17 ! On a eu un trou d’un million de francs. Si on n’avait pas eu cette masse d’abonnés, cet argent, on serait morts. » La trésorerie sert aussi en cas de coups durs. « On a toujours gardé de quoi rembourser les gens où cas où je disparaisse. Étant le seul rédacteur, il faudra rembourser nos abonnés, et ce sera possible. »
Des dizaines de modèles pour un dessin
Un système de loupe, au-dessus d’une planche à dessin, devant deux écrans d’ordinateur où défilent des animaux en photo. Voici l’atelier de Pierre Déom, qui détaille sa technique : « Chaque animal fait l’objet d’un inventaire total de photos. Je ne laisse rien passer. Je les classe par thèmes selon les positions. Certaines vont me servir pour les pattes, d’autres le bec, les plumes. Je vais chercher des détails dans plusieurs dizaines de photos pour faire un seul dessin. » Ils sont exécutés avec des stylos à encre de Chine à pointe tubulaire : l’encre coule à travers un canal de la taille d’un cheveu. « C’est une technique proche de la gravure. Il faut dessiner détail par détail, noircir, cela représente plusieurs dizaines de milliers de traits… »
Le merle bientôt de retour
À la Hulotte comme dans bien des magazines, un large tableau montre le chemin de fer, c’est-à-dire le train de pages du numéro en préparation. Pierre Déom aime l’avoir sous les yeux pour voir ce qu’il peut améliorer. On découvre que le 113e numéro sera consacré au merle, comme le précédent. « Il m’est arrivé la même chose qu’avec le moineau. Je pensais qu’il n’y avait pas grand-chose à raconter dessus, et finalement j’ai découvert des oiseaux stupéfiants, dont la vie est captivante. » Ce numéro paraîtra « au printemps si tout va bien, si on trouve du papier déjà… » C’est une des matières premières qui manquent en ce moment. « À ce jour on n’en a toujours pas trouvé… »
La Hulotte, "le journal le plus lu dans les terriers" : https://www.lahulotte.fr/
Cinq hiboux ont élu domicile dans leur thuya
En hiver, les hiboux moyens-ducs se rassemblent pour constituer des dortoirs diurnes,
à la campagne ou parfois en ville, comme ici à la Lézardière, à Reims. Photo Aurélien Laudy / L'Union
Depuis un mois, au moins cinq rapaces, des moyens-ducs, nichent dans un conifère. Situé non pas dans une forêt lointaine, mais bien en pleine ville, dans le jardin privé d’une famille à Reims.
Ils préfèrent taire leur adresse exacte. Tout juste saurez-vous que ces Rémois habitent dans le quartier de la Lézardière, au sud de la cité des sacres. Si Eva et son fils Florian tiennent à conserver un brin d’anonymat, ce n’est pas pour préserver leur propre tranquillité, mais plutôt celle de leurs nouveaux hôtes. Des squatteurs, d’un genre plutôt discret en journée, et qui s’activent dès la tombée de la nuit.
Depuis un mois, quatre puis cinq hiboux, selon leur comptage, ont élu domicile dans le thuya planté dans leur jardin.
La famille occupe ce pavillon depuis quinze ans : « On n’avait jamais vu cette espèce d’oiseaux ici, s’étonne Eva. Avant, on avait un couple de tourterelles qui revenait tous les ans. Mais on ne les voit plus depuis que les hiboux sont arrivés. Les pigeons aussi ont disparu.»
Au départ, Eva et son fils n’ont rien décelé du manège des volatiles. Il faut dire que les magnifiques rapaces, reconnaissables à leurs aigrettes qui se dressent sur leur tête, ont choisi un conifère qui conserve son feuillage dense l’hiver. Et que leur plumage dans les tons gris-brun se confond avec le tronc et les branches. Bref, la planque idéale en attendant leurs sorties nocturnes.
« C’est Florian qui a commencé à trouver des pelotes par terre. Comme il y en avait de plus en plus, on a fini par lever la tête… » Les « coupables » étaient bien là, perchés à une douzaine de mètres de haut. Petit rappel pour ceux qui ont oublié (ou séché) les cours de SVT : les pelotes, ce sont ces rejets par le bec (rien à voir avec une crotte !) de tout ce que les oiseaux, qui n’ont ni dents ni glandes salivaires, ne digèrent pas. En général, des poils et des petits os agglomérés.
Depuis, la mère et son fils se plaisent à observer leurs insolites invités. « Ils s’envolent vers 18 heures, a remarqué Florian. Ils partent sans doute chasser dans les champs qui ne sont pas loin. Et je ne sais pas à quelle heure ils rentrent, mais le matin, ils sont toujours là. » Imperturbables. Ils ont visiblement le sommeil lourd car rien ne semble les perturber, pas même les aboiements de la chienne Irra, un dogue argentin.
Pour le moment, les hiboux restent assez silencieux. « Il y a quelques jours, j’en ai entendu un hululer en prenant son envol en fin de journée, mais c’est tout », raconte Florian. Pour le moment, le jeune trentenaire pense avoir repéré cinq spécimens. « Moi, j’ai vraiment beaucoup de mal à les voir », ajoute sa mère.
Le thuya cache peut-être toute une colonie... L’an dernier, à la même époque, on avait compté jusqu’à 14 hiboux moyens-ducs dans un saule pleureur à Blagny dans les Ardennes...
Alice Renard, L’Union, 6/02/2022
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