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Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

La faillite de la "start-up nation" / 01. Prise de pouvoir en bande organisée

Dernière mise à jour : 25 juin



De sacrés "PhénoMen" ! Pour célébrer leur élection au Bureau des Elèves de HEC, quelques-uns des futurs piliers de la Macronie avaient imaginé une soirée de "désintégration" avec promesse « de strings à perte de vue ». C’était en 2003. Vingt ans plus tard, la désintégration est avancée, merci, mais faute de strings à perte de vue, Jupiter est nu. Les "Macron Partners", passés par l’écurie strauss-khanienne où on les surnommait "la bande de la Planche", ont parfaitement réussi leur plan de braquage de l’Élysée, en 2017. Une "soirée kif" a célébré cette victoire à la hussarde : la "start-up nation" a pris le pouvoir. Mais pour en faire quoi ? Aucun projet, aucun programme… Au fil du temps, les flibustiers ont fui le navire de la Macronie, qui peine aujourd'hui à se maintenir à flots. Plus isolé que jamais, l’inactif du climat, alias Jupiter-Narcisse, est allé mirer sa grandeur en déclin dans les eaux du lac artificiel de Serre-Ponçon, cherchant l’augure par cette mystérieuse formule : "Écho, what ?" Premier épisode d'une série au long cours...


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« On vient de réussir un braquage », savoure le stratège en chef du commando, connu sous le diminutif d’Isma. « C'est comme dans Ocean's Eleven, sauf qu'on était moins nombreux. Mais il faut dire qu'on connaissait le propriétaire et qu'on avait les plans. »

Nous sommes au soir du 7 mai 2017. Emmanuel Macron vient de remporter l’élection présidentielle.

Pendant qu’au Louvre, le boss traverse seul la cour de l’ancien palais royal au son de l’hymne européen, Isma a réuni les braqueurs dans un bar parisien, par un simple SMS : « On se fait un kif ? »


Dans Ocean's Eleven (sorti en 2001, remake de L'Inconnu de Las Vegas), Daniel "Danny" Ocean, fraîchement sorti de prison, monte une équipe composée de onze malfrats afin de cambrioler le coffre-fort d'un casino de Las Vegas. Chacun d’eux a une spécialité. L’un d’eux, Frank Catton a été chargé "d'infiltrer" le casino.


Le "casino" braqué par la bande à Isma se nomme Palais de l’Élysée. Dans le rôle de "l’infiltré" : Emmanuel Macron.


L’histoire ne sera sans doute jamais connue dans sa totalité (1) : ceux qui ont préparé le coup ont « fait un pacte », comme l’a confié l’un d’eux, Benjamin Griveaux, alias "Ben le showman". Une bande de trentenaires : outre Benjamin Griveaux, Stanislas Guerini, Cédric O, Emmanuel Miquel et le fameux "Isma" : Ismaël Emelien. Ceux-là qui ont mis en orbite, avec Emmanuel Macron, la "start-up nation". D’autres les rejoindront en cours de route.


Issus de Sciences-Po et de HEC, ils ont en commun de naviguer allègrement entre politique, fonction publique et secteur privé. Et allègrement, c’est allègrement. Le cas le plus symptomatique est peut-être celui de Benjamin Griveaux : après avoir été collaborateur de Dominique Strauss-Kahn de 2003 à 2007, après avoir exercé différents mandats locaux en Saône-et-Loire, Il rejoint le cabinet du ministre de la Santé Marisol Touraine de 2012 à 2014, avant de devenir directeur de la communication et des affaires publiques du groupe immobilier Unibail-Rodamco-Westfield (URW). Pour un salaire mensuel de 17.000 €, sa mission consiste alors, selon le journaliste d’investigation Vincent Jauvert, à "contrôler que personne au ministère des Finances ou au Parlement ne propose d’abolir" une niche fiscale favorable à l'entreprise… (2)


En 2014, Benjamin Griveaux se dit « las de piétiner en politique ». Et à Unibail-Rodamco-Westfield, la mission est bien payée, mais sans doute pas follement excitante quand on a de l’ambition à revendre. Créer une start-up, voilà qui aurait de la gueule. A cette même époque (juillet 2014), Emmanuel Macron quitte ses fonctions de secrétaire général adjoint de l’Élysée, où François Hollande l’avait nommé deux ans plus tôt. Et lui aussi a en tête un projet de start-up, plus précisément sur l’éducation : il veut donner des conférences, enseigner à Berlin, faire du conseil, créer des mooc pour donner en cours en ligne, etc.


Ismaël Emelien, "homme de l'ombre", en 2019.


Les "Macron Partners"


Entre Griveaux, Emelien et les autres de la "bande de la planche" (voir ci-dessous) et Emmanuel Macron, la rencontre, par l'entremise de Gilles Finchelstein, le directeur de la fondation Jean Jaurès mais aussi directeur des études chez Havas, se fait à ce moment-là. Nos larrons choisissent un nom à la société qu’ils envisagent de créer : les "Macron Partners". Celle-ci ne sera jamais officiellement enregistrée, car les "associés" hésitent sur l’objet social. Une start-up, d’accord, mais pour quoi faire ? L’éducation, franchement, c’est bof-bof. C’est Ismaël Emelien qui aurait lancé au cours d’une soirée de brainstorming, cette idée a priori saugrenue : une start-up pour prendre le pouvoir !


On imagine le dialogue qui a pu suivre :

- Isma, tu déconnes ?

- Non, non, voilà çomment on va faire…


Grand amateur de théories avant-gardistes, Ismaël Emelien aime à se définir comme un homme de l’ombre : « il considère qu’il ne faut pas révéler les cuisines, que l’on ne montre pas ce qu’il y a derrière le rideau », a confié l’un de ses proches.


Il est le seul, de toute la petite bande, à ne pas avoir fait HEC, à ne pas y avoir joué aux "Pheno-Men" (clin d’oeil à la série américaine X-Men) pour se faire élire au Bureau des Élèves (3). En 2005, en arrivant de sa Grenoble natale, où son père, Jean-Marc Emelien, a créé une entreprise de matériel électrique qui prospère jusqu’en Chine et en Syrie, Ismael Emelien s’est précipité au QG de Dominique Strauss-Kahn, qui était en lice pour l’élection présidentielle de 2007. Il avait à peine 18 ans, et Strauss-Kahn, c’était son Dieu.


D’ailleurs, au QG de campagne de DSK, au deuxième étage d’un appartement cossu de la rue de la Planche, dans le 7ème arrondissement parisien, ils l’appelaient tous "Dieu" (et Ségolène Royal, qui devait lui être opposée lors de la primaire socialiste, c’était « la cruche »).


La foi, forcément, ça soude. C’est là, en 2005, qu’a commencé à se former le gang des futurs braqueurs de l’Élysée. Emelien, Griveaux, Miquel, Guerini et Cédric O faisaient partie de ce qui a été surnommé la "bande de la Planche". Dans la bande, ils ne sont pas seuls. On trouve aussi Thomas, le fils de François Hollande ; Fleur Pellerin, future ministre de la Culture ; Stéphane Séjourné ; Sibeth Ndiaye ; ou encore le publicitaire Adrien Taquet, qui trouvera plus tard le nom « En Marche » parce que c’est les mêmes initiales qu’Emmanuel Macron.


« Ils s’installent dans la chambre des enfants. Parfois on les voit rester tard le soir, s’endormir sur le canapé. Ce sont de bons petits soldats, de véritables couteaux suisses », a témoigné, à une journaliste de Vanity Fair, Ramzi Khiroun, alors conseiller pour les affaires sensibles et la communication de DSK. Et eux, ils "kiffent" quand ils voient Ramzi Khiroun venir poser ses Berluti sur leur bureau, en donnant quelques leçons de communication. Impressionnant, surtout que Ramzi Khiroun est un homme d’influence. Spécialiste des "situations de crise" au sein du groupe Euro RSCG, proche du groupe Lagardère (il deviendra conseiller spécial d’Arnaud Lagardère jusqu’en juin 2020), c’est aussi un spécialiste des coups tordus et des menaces et intimidations vis-à-vis de journalistes qui lui déplaisent (Lire ICI).

Dans la galaxie Strauss-Kahn (photo de gauche, à Singapour, le 1er février 2011),

Gilles Finchelstein, directeur des études du groupe Euro RSCG et de la Fondation Jean-Jaurès (au centre),

et le "communicant" Ramzi Khiroun, spécialiste des situations de crise à Euro RSCG, proche du groupe Lagardère (à droite).


En 2006, malgré cette ébullition de cerveaux sur canapé chez DSK, "la cruche" (alias Ségolène Royal) remporte la primaire socialiste. Partie remise en 2011, en vue de l’élection de 2012. Entre temps, la "bande de la Planche" se recase ici ou là. Ismaël Emelien se rend un temps en Syrie, chez le très cher Hafez el-Assad, pour installer une succursale de l'entreprise que son père a fondée avec… Stanislas Guerini. Las, le Printemps arabe compromet cette magnifique perspective. Pas de souci, pour Ismaël Emelien : le microcosme de l’entre-soi, où il évolue désormais, ne laisse pas tomber ses valeureux soldats. Gilles Finchelstein, qui cumule un poste de directeur des études du groupe Euro RSCG (devenu entre-temps Havas Worldwide) et la direction de la Fondation Jean-Jaurès (reconnue d’utilité publique), tout en participant aux dîners du Siècle (club ultra-select et presque exclusivement masculin, des décideurs politiques, économiques, culturels et médiatiques) offre à Ismaël Emelien un petit job sympa à la Fondation Jean Jaurès. En plus, ça ne se verra même pas dans les comptes de campagne de DSK, alias "Dieu" (car il s’agit bien de cela).


Mais les voies du Seigneur sont impénétrables. Dans la nuit du 14 au 15 mai 2011, "Dieu" brise le charme, et ses apôtres en restent coi. Dominique Strauss-Kahn est arrêté à New-York, accusé par Nafissatou Diallo, femme de chambre de l’hôtel Sofitel, d'agression sexuelle, tentative de viol et séquestration. Pour la "bande de la Planche", c’est la douche froide. La « bible » de ces jeunes gens, c’était La Flamme et la cendre, publié par Strauss-Kahn en 2002. Là, exit la flamme. Reste la cendre.


Exit DSK, donc. François Hollande remporte l’élection présidentielle de 2012. Tout ce beau monde "social-démocrate" trouve chaussure à son pied. Co-auteur en 2009 du Monde d’après avec l’homme d’affaires Matthieu Pigasse, associé-gérant de la banque Lazard, Gilles Finchelstein a été l’une des "plumes" du candidat Hollande, notamment pour le fameux discours du Bourget, exception faite de la digression sur la "finance ennemie" qui lui est quelque peu restée en travers de la gorge (on y reviendra dans un prochain épisode).

Et les lascars de la "bande de la Planche" continuent d’échanger sur une messagerie Telegram cryptée et de se retrouver lors de "soirées kif", de préférence autour d’une viande argentine bien saignante. Ils ambitionnent toujours de refaire le monde, mais à leurs yeux, François Hollande n’est pas assez visionnaire, pas assez "moderne". Entre eux, ils le surnomment, paraît-il, "Couillemolle" (évidemment, à côté de DSK, il n’y a pas photo !).


En voiture Simone (ou Julie ?). François Hollande en scooter à Paris, le 17 novembre 2009.


Là aussi, il faut imaginer la scène, entre deux conseillers du Président, autour d’une machine à café, dans un couloir de l’Élysée :

- Alors, tu as remis ton rapport au Président ?

- Oui, j’y ai encore passé la nuit.

- Et alors ?

- Ben, il n’en fera rien, comme d’hab. Couillemolle un jour, Couillemolle toujours…

Et François Hollande, président "de synthèse" et ectoplasmique, ne se rend rien compte de rien. Il a la tête (et pas que la tête) ailleurs : comment va-t-il duper ses propres gardes du corps pour rejoindre en scooter Julie Gayet ?


Comme déjà dit, en juillet 2014, Emmanuel Macron quitte le secrétariat général de l’Élysée. Un mois plus tard, il est nommé, dans le gouvernement de Manuel Valls, ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, en succession d’Arnaud Montebourg. Bercy ! Quelle forteresse idéale pour prendre l’Élysée. La "bande de la Planche", rejointe par Julien Denormandie, un conseiller repéré à Bercy, a désormais son cheval de Troie. Emmanuel Macron se laisse aisément enrôler. La "start-up nation" est en marche.


Trois ans plus tard, le braquage a réussi. En surfant sur la vague du « ni droite ni gauche » (on y reviendra), la start-up a pris le pouvoir. Mais pour en faire quoi ?

A vrai dire, cette bande de brillants cerveaux n’a aucun programme précis. Au moins, au Bureau des Élèves de HEC, les ex-PhenoMen avaient pu redoubler d’ingéniosité, comme par exemple organiser une fameuse soirée de "désintégration" intitulée "Lord of the Strings", avec une promesse « de strings à perte de vue » (Lire ICI)…


Manifestation à Paris de "l’Affaire du siècle", qui a fait condamner l’État français pour inaction climatique


Du premier quinquennat de la start-up nation de Jupiter et associés, l’Histoire ne retiendra pas grand-chose, à l’exception de deux "crises" qui, paraît-il, entravèrent son action : la crise sanitaire liée au Covid (mais celle-ci fut planétaire), et celle des Gilets jaunes. Face à ce très long mouvement social, les fringants trentenaires qui avaient réussi à prendre l’Élysée ont témoigné de leur incapacité à comprendre l’état du pays. L’admonestation d’Emmanuel Macron à un chômeur, lui conseillant de « traverser la rue » pour trouver un emploi, restera comme une "pépite" de cette période, tout comme les péripéties de "l’affaire Benalla", révélatrice d’un "État de passe-droits" qui, pour maintenir son "autorité", aura fait un usage immodéré des violences policières et de la répression.


Le même scénario se répète aujourd’hui face au mouvement de contestation de la réforme des retraites et aux poussées de fièvre écologiste des "soulèvements de la Terre", avec quand même une innovation majeure : désormais, la répression se déplace en quad, comme on l’a vu sur le "champ de bataille" de Sainte-Soline. Même face au défi climatique, la start-up nation s’est révélée inopérante. Alors qu’Emmanuel Macron a trahi la promesse d’appliquer sans filtre les recommandations d’une "convention citoyenne" convoquée à grand barouf de mise en scène, la France a été condamnée en 2021 par le tribunal administratif de Paris pour inaction climatique. Et un tout récent rapport de France Stratégie, qui est pourtant un organisme gouvernemental de réflexion, d'expertise et de concertation, vient de mesurer les coûts de cette inaction. Le réchauffement climatique va logiquement accroître ces risques et les coûts pour les dépenses publiques, notamment dans le domaine de la santé. Ainsi, écrivent les auteurs de ce rapport, « le coût cumulé entre 2015 et 2020 en France métropolitaine de cette surmortalité est estimé entre 16 et 30 milliards d'euros par Santé publique France ». Dans ce rapport, dont quasiment personne n’a parlé (ci-dessous téléchargeable en PDF), le seul chapitre sur la ressource en eau est pour le moins inquiétant. Or, face à ce défi majeur, que les phénomènes de sécheresse rendent d’ores et déjà palpable, Emmanuel Macron s’est transporté en hélicoptère jusqu’au lac artificiel de Serre-Ponçon, dans les Hautes-Alpes, le 30 mars, pour annoncer un "plan eau" constitué d’une série de mesurettes, sans aucune ambition à long terme. Ah si : il a annoncé la mise en place d’un "Ecowatt" de l'eau, « qui va permettre de responsabiliser chacun sur les gestes à adopter et l'évolution de la situation. » On se pince pour y croire.



La "French Tech", le mantra d'Emmanuel Macron


Il est vrai qu’une start-up n’a de comptes à rendre à personne…, exception faite des bailleurs de fonds qui ont financé sa mise sur orbite. La thune, la thune, la thune. C’est l’obsession récurrente de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron au moment de lancer En Marche, comme l’ont révélé les échanges de mails et compte-rendus de réunions dévoilés dans les MacronLeaks (informations inédites à venir dans un prochain épisode).


L’argent, c’est bien connu, ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. Et plutôt à droite qu’à gauche.

Les financiers qui ont payé leur écot à l’opération "braquage de l’Élysée" sont impatients d’avoir un retour sur investissement. La finance, cet « ennemi sans visage » aux dires d’un ancien président de la République, en veut pour son argent. Et là, qu’importe le réchauffement climatique et autres balivernes, l’urgence, c’est de défaire le satané "modèle social français" issu de la Résistance. L’actuelle obsession d’Emmanuel Macron, quasiment seul contre tous, à maintenir en l’état sa chère réforme des retraites, trouve sans doute là sa principale explication. Faute de pouvoir exercer le pouvoir, il s’arc-boute pour le garder, tant que ses investisseurs ne seront pas remboursés et même, payés au centuple.


On est quand même un peu injuste avec Emmanuel Macron. Car un grand projet, le locataire de l’Élysée en avait au moins un. Ce projet consistait à faire de la France "la nation des startups", comme il l’avait déclaré en avril 2017 lors d’un sommet organisé par le magazine Challenges.

En juin 2017, sitôt élu, il avait débloqué 10 milliards d’euros pour l’innovation, confiés à un fonds géré par Bpifrance. Or, même sur ce terrain-là, le bilan est pour le moins pâlichon. Le Président de la République en convient lui-même : « On est trop lents, je sens trop de frilosité chez nos copains du fonds Tibi 2 », déclarait-il le 20 février dernier lors d’une rencontre avec les acteurs de la French Tech. Vraiment pas sympas, les « copains du fonds Tibi 2 » (du nom de l’économiste Philippe Tibi, professeur de finance à l'Ecole polytechnique et à Sciences Po Paris, le "plan Tibi" vise à mobiliser des investisseurs institutionnels pour combler les faiblesses du financement de la tech).


La "French Tech", c’est le mantra d’Emmanuel Macron. Pas sûr que ça fasse rêver dans les chaumières. Pas sûr non plus que ça fasse vraiment projet de société. Voilà : une société, fut-elle "start-up nation", ne fait pas à elle seule société au sens de la res publica. Et malgré le renfort de tous les cabinets McKinsey du monde (sujet d’un prochain épisode), un pays ne se gouverne pas comme une entreprise.


C’est là-dessus, quelle que soit la virtuosité des cerveaux qui ont conçu le braquage de l’Élysée, que la "start-up nation" a échoué, et que sa faillite est aujourd’hui patente.

La "bande de la Planche" : Emmanuel Miquel, Stanislas Guerini, Ismaël Emelien, Cédric O, Benjamin Griveaux, avec Emmanuel Macron. Illustration : Daniel Océan pour Vanity Fair.


De la "bande de la Planche", il n'y a aujourd’hui plus grand monde dans l’entourage de Macron.


Seuls restent Stéphane Séjourné, nommé en septembre 2022 secrétaire général de Renaissance, et Stanislas Guerini, nommé en mai 2022 ministre de la Transformation et de la Fonction publiques dans le gouvernement Élisabeth Borne.


Emmanuel Miquel a très tôt quitté le navire. Ex-employé de la division Investment Banking de la banque JPMorgan à Londres et Paris, il a rejoint dès 2014 le groupe Ardian en tant que Senior Investment Manager. Ardian, société de capital-investissement créée en 1996 par Dominique Senequier au sein du groupe AXA de Claude Bébéar (surnommé « le parrain du capitalisme français »), gère plusieurs fonds d’investissement, dont AD Education, "plateforme européenne d’éducation supérieure dédiée au domaine des Arts Créatifs".


Seule femme de la bande, Sibeth Ndiaye, ex-secrétaire d’État et porte-parole du gouvernement, a été recrutée en janvier 2021 comme secrétaire générale du groupe Adecco, spécialisé dans l'intérim, où elle est chargée "des affaires publiques, du juridique, de la communication et des solutions emploi".

Cédric O, du secrétariat d’État au numérique à l’exploration spatiale… (capture d’écran Agence spatiale européenne)


Cédric O, ex-chargé de mission auprès du directeur industriel du groupe Safran puis responsable de production chez Safran Aircraft Engines, secrétaire d’État chargé du numérique jusqu’en mai 2022, s’est carrément envolé pour l’espace. Plus exactement, il a rejoint en septembre 2022 le groupe consultatif de haut niveau sur l'exploration spatiale au sein de l’Agence spatiale européenne : il fait partie des experts qui conseillent l’agence sur « la pertinence géopolitique, économique et sociétale de l'exploration spatiale humaine et robotique pour l'Europe, ainsi que des options recommandées pour aller de l'avant »…


Benjamin Griveaux, débarqué du gouvernement en mai 2021 pour une sombre histoire de braguette mal fermée, a créé une société de services financiers, Alcoma Invest, et une autre d’immobilier, (Re)Open, ainsi qu’un cabinet de conseil en stratégie dédié aux dirigeants d'entreprises, Nicéphore Capital, ces trois entités étant domiciliées 182 rue de Rivoli à Paris. Aucune déclaration ne semble avoir été faite à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).


Julien Denormandie, ex-ministre de l’Agriculture, se voyait en futur Premier ministre. En septembre 2022, il a été recruté en qualité de directeur de l’impact par la greentech Sweep, qui édite et commercialise un logiciel applicatif de mesure et de contrôle des émissions de carbone à destination des entreprises. Il a également créé une société de conseil aux entreprises, HMAGI, domicilée 8 avenue de Salonique, à Paris 17ème. Depuis le mois de janvier dernier, il est en outre administrateur d’une société immobilière, Fleximmo, présidée par l’investisseur Xavier Lépine (XL pour les intimes), patron du groupe La Française, boute-en-train à ses heures : lors d’une remise de prix au sein de sa société, il a surpris son monde en chantant Nasdaq de Thomas Dutronc : “J’suis pas Nasdaq / Je vais tous les Nikkei / Toujours plongé / Dans le Cac 40 / D’vant mon ordi / Et mes sushis ».

Enfin, en octobre 2022, Julien Denormandie a été nommé Senior Advisor au sein du fonds d’investissement français Raise, créé en 2013 par Clara Gaymard et Gonzague de Blignières, qui gère notamment un "fonds de dotation philanthropique" dédié… aux startups. Ces deux dernières activités (Fleximmo et Raise) n’ont apparemment pas été déclarées par Julien Denormandie à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), comme la loi y oblige…


Du public au privé, l'art du pantouflage et de l'en-même temps


Un petit tour et puis s’en vont… Ils ne sont pas les seuls à être retournés dans le privé après avoir déserté la "start-up nation". Comme le révélait Le Monde en janvier dernier, depuis la réélection d’Emmanuel Macron, près d’une centaine de conseillers ministériels ont rejoint le secteur privé : grandes entreprises, cabinets de conseil ou lobbys industriels. Si ce "pantouflage" est légal, il nourrit toutefois les soupçons de conflits d’intérêts. La pratique est théoriquement contrôlée par la Haute autorité à la transparence de la vie publique, mais « cette réserve est très artificielle, car ils disposent toujours des réseaux et des réflexes acquis en cabinet, et rien ne les empêche de partager leur carnet d’adresses avec leurs nouveaux collègues », fait remarquer le juriste Jean-François Kerléo, membre de l’Observatoire de l’éthique publique.


Quant à Ismaël Emelien, le fin stratège de la bande, son cas mériterait un chapitre à lui seul. Notamment chargé du "wording" (les "éléments de langage" de la communication jupitérienne, forgés avec une start-up de stratégie électorale, Liegey Muller Pons, et une autre start-up, d'analyse linguistique : Proxem) au cabinet d’Emmanuel Macron, inventeur (entre autre perles) du slogan "Make Our Planet Great Again", il a dû quitter le Palais de l’Elysée en mai 2019, un an après s’être pris les pieds dans le tapis de l’affaire Benalla.


Ismaël Emelien est un condensé de ce que la Macronie a de plus caricatural dans le mélange permanent des genres (droite et gauche, public et privé, etc.). Un véritable prodige de "l’en-même temps", capable de travailler simultanément pour la Fondation Jean Jaurès et pour le groupe Havas (filiale de Vivendi) sous la même houlette de l’incontournable Gilles Finchelstein, de redéfinir la stratégie marketing de McDo et de « repenser l’action publique » (dans un livre co-écrit avec l’économiste Julia Cagé, supportrice du mouvement Nuit Debout et soutien de Benoît Hamon en 2017) ; d’aller prodiguer des conseils électoraux à l’autocrate vénézuélien Nicolás Maduro tout en se faisant le chantre du nudge, ce "concept" forgé en 2008 par les économistes américains Richard Thaler et Cass Sunstein, et qualifié de « paternalisme libertarien », qu’on pourrait encore taxer de "coercition douce" (3).

De gauche à droite, Ismaël Emelien, désormais "conseiller environnement" au groupe LVMH (Photo S. Allaman/Sipa) ;

Emmanuel Macron et Bernard Arnault au salon VivaTech, le 24 mai 2018 (Photo Michel Euler / AFP),

Emmanuel Macron avec Bernard Arnault, lors d'une visite de la collection Morozov à la Fondation Vuitton, le 21 septembre 2021

(Photo Valérie Bougault / Connaissance des Arts)



Après son départ de l’Elysée, Ismaël Emelien n’a pas tardé à se recaser. Dès le mois de juin (2019), il crée une société de conseil, "Unusual", qui a pour objet social une "activité de formation, de conseil et d’assistance" dans de nombreux domaines. A ce titre, il va notamment conseiller Veolia dans son opération de rachat de Suez. Selon le magazine Capital, « la présence d'Ismaël Emelien auprès de Veolia a éveillé les soupçons d'une possible intervention de l'Élysée dans cette opération ».


Là non plus, les activités de "conseil" d’Ismaël Emelien ne semblent pas avoir fait l’objet d’une déclaration auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. En gros : la loi, c’est bon pour les autres.


"Unusual", c’était juste un amuse-gueule. En janvier 2021, il crée une société d'investissement baptisée Caled, dont l’objectif est d'investir… dans des start-up, puis, en janvier 2022, avec l'aide de Christian Dargnat — meneur de la levée de fonds d'Emmanuel Macron pour ses campagnes présidentielles —, il réunit 20 millions d’euros pour lancer une start-up baptisée Zoï, spécialisée dans la "médecine préventive". « Le casting des investisseurs, entre premier cercle macroniste et milliardaires proches du pouvoir, interroge. Tout comme le sérieux scientifique du projet », écrivait le 10 février 2022 Libération.


Entre temps, Ismaël Emelien s’est encore fait engager par Bernard Arnault au sein du groupe LVMH comme conseiller en matière d’environnement. C’est à peu près comme être chargé du développement de la laïcité au Vatican ! On serait curieux de lire les "rapports" sur l’environnement que peut rédiger le consultant Emelien. Seuls certains esprits mal intentionnés peuvent être amenés à penser que son rôle pourrait consister à améliorer l’environnement de LVMH, par exemple en créant une passerelle entre la Samaritaine et le musée du Louvre, dans le cadre du futur grand chantier du musée, comme le suggérait La Lettre A, le 16 mars dernier.


Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée


Il en reste encore un, qui a pour l’heure encore survécu à la tourmente. Son nom est désormais sur toutes les lèvres : Alexis Kohler. Lui, c’est un animal à part. La "bande de la Planche", il n’en était pas. En tout cas pas directement, juste un peu. C’est un haut-fonctionnaire. Haut-fonctionnaire de père en fils : son père a fait toute sa carrière au Conseil de l’Europe.


Après avoir fait Sciences-Po Paris, l’ESSEC (très bonne école de commerce), puis l’ENA (promotion Averroès,1998-2000), Alexis Kohler a intégré le corps des administrateurs civils pour occuper un poste à la direction générale du Trésor du ministère des Finances. A l’époque de Sciences-Po, il était rocardien. Est-il resté "de gauche" ? En tout cas, il est fermement décidé à pousser la réforme des retraites). A son actif : il a refusé de faire partie des cabinets de Christine Lagarde et de François Fillon. Mais il dit oui à Pierre Moscovici, dont il devient directeur adjoint de cabinet au ministère de l'Économie et des Finances, après l’élection de François Hollande. Et en août 2014, il devient directeur de cabinet d’Emmanuel Macron à Bercy.


Un parcours quasiment parfait. Le voilà pourtant pris la main dans le pot de confiture, c’est-à dire mis en examen, pour "prise illégale d’intérêt". Le remarquable reportage de Complément d’enquête, le 30 mars dernier sur France 2 (à voir jusqu’au 6 avril 2024), brosse un portrait fort documenté sur ce "grand serviteur de l’Etat" qui semble avoir servi, parallèlement, les intérêts d’une multinationale du transport maritime, MSC, avec qui il a des liens familiaux (il a été dénoncé par Anticor, association de lutte contre la corruption). Une collusion que le général de Gaulle, sans doute un peu rigoriste (normal, pour un général), n'aurait jamais tolérée. De Gaulle, il est vrai, ignorait tout de l'univers des start-up.


Certes, Alexis Kohler n’a pas encore été condamné. Mais sur des faits aussi graves, dans n’importe quelle démocratie normalement constituée, une simple mise en examen aurait dû valoir mise en réserve de la République. Pas dans la France d’Emmanuel Macron, qui a au contraire renouvelé sa confiance. Le secrétaire général de l’Elysée, auparavant directeur de cabinet de Macron à Bercy, aurait-il trop de secrets à "protéger" ? Hors micro et caméra, Alexis Kohler a confié aux journalistes de Complément d'enquête : « Cela fait bien longtemps que je sais que la vie est ailleurs ».


Il serait grand temps de s’en apercevoir. Car Alexis Kohler est aussi soupçonné d’avoir menti, sous serment, à une commission parlementaire qui enquêtait sur l’affaire Benalla.


Au fait, il est où, le fameux coffre-fort d’Alexandre Benalla, jamais retrouvé ? La suite au prochain épisode…


Jean-Marc Adolphe

Photo en tête d'article : Emmanuel Macron sur le campus station F en 2018. Photo AFP


NOTES


1. En mai 2018, BFMTV a diffusé un documentaire, Macron à l'Elysée, le casse du siècle, co-réalisé par Pauline Revenaz et Jérémy Trottin sur la conquête du pouvoir par Emmanuel Macron, nourri d'une trentaine de témoignages qui retracent les coulisses de son ascension.


2. Vincent Jauvert, Les Intouchables d'État, bienvenue en Macronie (éditions Robert Laffont, 2018).


3. « Le nudge, le terme que nous utiliserons, est un aspect de l'architecture du choix qui modifie le comportement des gens d'une manière prévisible sans leur interdire aucune option ni modifier de manière significative leurs motivations économiques. Pour ressembler à un simple « coup de pouce », l'intervention doit être simple et facile à esquiver. Les « coups de pouce » ne sont pas des règles à appliquer. Mettre l’évidence directement sous les yeux est considéré comme un coup de pouce. Interdire uniquement ce qu’il ne faut pas faire ou choisir ne fonctionne pas. » (Richard Thaler et Cass Sunstein). A noter qu’une société anonyme de droit britannique, la Behavioural Insights Team britannique, opère en France depuis 2018, à l’origine grâce à un partenariat avec la Direction Interministérielle de la Transformation Publique (DITP) au sein du ministère de la Transformation et de la Fonction Publique. Au sein de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), une équipe de 5 chercheurs sous la direction de Stephan Giraud travaillent sur la théorie du Nudge et ses applications dans l’administration française.


Prochains épisodes à suivre : Le coffre-fort d'Alexandre Benalla / Uber, McKinsey etc., le monde comme si / Ni droite ni gauche, mais quand même à droite / En Marche et Nuit Debout, la dépolitisation de la politique / Les financiers de la Macronie / Et Brigitte Macron dans tout ça ? / Une entreprise de démolition de la démocratie / etc.


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Entièrement gratuit et sans publicité ni aides publiques, édité par une association, le site des humanités entend pourtant fureter, révéler, défricher, offrir à ses lectrices et lecteurs une information buissonnière, hors des sentiers battus.

Il y a encore du pain sur la planche, il ne reste plus qu’à faire lever la pâte. Concrètement : pouvoir étoffer la rédaction, rémunérer des auteurs, et investir dans quelques outils de développement…


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2 Comments


Michel Strulovici
Michel Strulovici
Apr 01, 2023

Remarquable enquête. Quel scénario de thriller.

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jmnicrus
jmnicrus
Apr 01, 2023

Excellent article et passionnante enquête. Les dessous de la Macronie ne sont pas reluisants…

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