L'activiste Teresa Anderson, militante de l'ONG ActionAid International, mène une manifestation pour appeler au financement du climat
lors de la COP29, à Bakou, le 14 novembre 2024. Photo Peter Dejong/AP
Pour déguster, les Philippines dégustent. Six typhons en un mois ! Le dernier en date, nommé Man-Yi, est en train de sévir. Pendant ce temps, alors que Trump nomme à l’Énergie un apôtre de la fracturation hydraulique, ça souffle modérément, voire pas du tout, dans les voiles de la COP Climat à Bakou, où l'on discute ce dimanche, "capture du carbone". Et la France réduit le montant de son aide au développement...
A vol d'oiseau migrateur, il y a près de 7.400 kilomètres entre Manille, capitale des Philippines, et Bakou, en Azerbaïdjan. Un même monde ?
Sans être invité à la table des négociations, Man-yi a fait irruption au beau milieu de la COP Climat à Bakou. Man-yi n'est ni un État ni même une ONG, c'est le nom donné au super typhon qui, hier, a commencé à souffler sa colère sur l'archipel des Philippines, provoquant des vagues allant jusqu'à 14 mètres, et avec des vents pointés à près de 250 km/h.
Pour déguster, les Philippines dégustent : en un mois, c'est la sixième tempête majeure qui frappe le pays. Les précédentes ont tué au moins 163 personnes, fait des dizaines de milliers de sans-abris, détruit des récoltes et tué du bétail. « À chaque fois que nous avons un typhon de la sorte, cela nous ramène à l'ère médiévale », déplore un responsable local, dans la province de Samar du nord, où la plupart des habitants sont fermiers ou pêcheurs. Alors que plus de 750.000 personnes ont trouvé refuge dans des abris d'urgence, Man-yi devrait poursuivre sa route dévastatrice ce dimanche en direction du nord-ouest de Luçon, la région la plus peuplée de l'archipel...
Des maisons endommagées par le typhon Man-yi à Viga, dans la province de Catanduanes, au nord-est des Philippines,
le 17 novembre 2024. Photo MDRRMO Viga Catanduanes
Pendant ce temps, ça ne souffle guère dans les voiles de la COP Climat à Bakou. Ce dimanche, pour amuser la galerie, on va causer science et technologie. En vedette : les technologies de capture de carbone, qui intéressent beaucoup les gros pollueurs : pour nombre d'ONG, ce n'est rien d'autre que du greenwashing, mais il y a un gros marché à prendre. A Bakou, on compte pas moins de 480 lobbyistes-VRP de ces "technologies du futur", soit plus que l’ensemble des représentants de l’Union européenne (UE), du Royaume-Uni, du Canada et des États-Unis. Pour la technologie de capture des typhons, on verra plus tard.
Alors que, pendant des décennies, les multinationales du pétrole et du gaz ont agi en coulisses pour retarder les politiques environnementales et minimiser le rôle moteur de leurs activités dans la crise climatique, à Bakou, le patron d'Exxon Mobil, Darren Woods, a demandé à Donald Trump de ne pas retirer les États-Unis de l'Accord de Paris. Mais pour Romain Ioualalen, de l'ONG Oil Change International, « ce que dit Exxon, c'est qu'il vaut mieux rester dans le cadre d'un accord qui ne le contraint pas à grand-chose, tout en se parant d'un vernis d'action pour le climat, plutôt que de claquer la porte et de prendre le risque de voir le mouvement climatique se renforcer. » Vous avez dit greenwashing ? De toute façon, Donald Trump fera ce qu'il veut. Après les premières nominations de sa future administration (voir nos dernières publications), il vient de désigner au secrétariat d’État à l’Énergie un certain Chris Wright. Patron de Liberty Energy, qui a irrigué de millions de dollars dans la campagne de Trump, il est l’un des plus virulents critiques des politiques visant à freiner le changement climatique, et un ardent militant de la facturation hydraulique, qui, outre qu’elle consiste encore en une source d’énergie non-renouvelable, combustible et polluante, entraîne une contamination importante des sols et des nappes phréatiques. La cotation en bourse de Liberty Energy ne devrait pas tarder à s’envoler…
Chris Wright fait sonner une cloche de cérémonie pour célébrer l'introduction en bourse de Liberty Energy à la Bourse de New York,
le 12 janvier 2018. Photo Lucas Jackson/Reuters
A propos de greenwashing, la Russie de Poutine a trouvé un moyen assez simple de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Tout en ayant réduit l'ambition de sa feuille de route, sur fond de guerre en Ukraine, et en ayant supprimé tout contrôle sur les entreprises, Moscou a décrété d'un coup de baguette magique que ses forêts absorbent en fait plus de CO2 que ce que les experts avaient calculé. Un tour de passe-passe qui dispense de financer de coûteux investissements écologiques. L'effort de guerre, ça coûte bonbon ; la planète attendra.
Bon, revenons à la COP Climat. Comme prévu, à la mi-temps, ça patine. Ainsi que l'écrit l'agence Associated Press : peu de progrès ont été réalisés sur la question de savoir combien d'argent les pays riches devraient verser aux pays développés pour qu'ils abandonnent les combustibles polluants. « Peu de progrès », c'est un euphémisme. Les "pays en développement" demandent toujours un financement de 1.000 milliards par an pour faire part au changement climatique. Dans leur grande mansuétude, les pays riches parlent, du bout des lèvres, de 100 milliards. « L'intention des pays développés de faire preuve d'honnêteté et d'engagement fait défaut », note Harjeet Singh, directeur de l'engagement mondial pour l'initiative du traité de non-prolifération des combustibles fossiles (Fossil Fuel Non-Proliferation Treaty Initiative). Et les chefs d’État des pays les plus riches n'iront pas à Bakou pour la fin de la COP, ils ont piscine. Piscine, ou plus exactement G20, au Brésil, à partir de ce lundi. A elles seules, les nations du G20 sont responsables de 77 % des émissions de gaz à effet de serre...
Et la France, dans tout ça ? Alors que, comme l'écrivait récemment Le Monde, plusieurs grands pays européens veulent réduire fortement leur budget d’aide au développement, souvent sous la pression des partis d’extrême droite, c’est en France que la baisse, de 34 %, est la plus importante : « L'aide, autrefois orientée vers la solidarité internationale, répond à de nouveaux objectifs comme lutter contre l’immigration ou favoriser les intérêts économiques des pays donateurs ».
Sur fond de ratiboisages divers et avariés que l'actuel gouvernement français tente d'imposer, la dernière proposition de budget pour l’année 2025 prévoit une réduction jamais vue de 2 milliards d’euros de l'Aide Publique au Développement, soit un tiers de son budget actuel. Forcément, il y a d'autant moins d'argent dans les caisses de l'Etat que cette même proposition de budget pour 2025 prévoit de supprimer l’affectation de taxes sur les transactions financières et sur les billets d’avion. Cherchez l'erreur !
« L’héritage de la France en tant que leader de la solidarité internationale, championne de l’équité et défenseuse des plus vulnérables ne doit pas être compromis par de simples coupes budgétaires », s'indignait voici peu une tribune signée par une soixantaine de collectifs. Encore faut-il préciser que pour la France, cette aide au développement est très largement constituée de prêts, qui ne font qu'alourdir la dette aux pays pauvres. Et il y a, enfin, quelque condescendance dans l'expression "aide au développement". Les pays qui sont le plus touchés par le changement climatique ne demandent pas l'aumône d'une "aide" que la réparation des dommages dont ils sont victimes, sans en être en rien responsables. Et cela porte un nom : la "dette climatique". Cette "dette climatique" n'est pas seulement celle que nous légons aux générations futures, mais celle dont les pays pauvres supportent d'ores et déjà le fardeau.
A vol d'oiseau migrateur (bis), il y a près de 12.000 kilomètres entre Bakou et Rio de Janeiro, où va s'ouvrir le G20. Il faudrait un sacré typhon pour souffler dans les bronches des dirigeants du G20 les voix de celles et ceux qui, à la COP29, demandent la mise en oeuvre d'une véritable justice climatique.
Jean-Marc Adolphe
Parce que vous le valez bien, les humanités, ce n'est pas pareil. Mais ça ne va pas de soi. Dons et abonnements ICI
Comments