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L'intraitable beauté du monde

Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Une Drosera madagascariensis est exposée dans une exposition de plantes carnivores au jardin botanique de Bogota,

en Colombie, le 3 avril 2025. Photo Fernando Vergara/ AP


C'est la Journée de l'Art : un peu de répit, avant que le mot "fleur" ne soit banni du vocabulaire trumpiste sous kétamine muskée. Pour aujourd'hui, un florilège, notamment floral, en compagnie d'Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau, du Prince du Rire qui sut communiquer avec les moineaux, avec en prime, un tour du jour photographique en 80 mondes, de l'Ukraine à la Palestine, de la Chine à la Bolivie, de l'Argentine à l'Inde, avec halte égéenne sur l'île grecque d'Amorgos.


Malgré Trump Poutine Nethanyaou et toute la clique, il y a l'intraitable beauté du monde.

Malgré tous les populismes qui se réclament du peuple pour le dominer et l'asservir, il y a l'intraitable beauté du monde.

Malgré les pollueurs et saccageurs qui s'obstinent à méthodiquement détruire ce dont nous avons hérité, il y a l'intraitable beauté du monde.

Malgré l'intelligence artificielle qui ne triche pas en se proclamant artificielle, il y a l'intraitable beauté du monde.


L'intraitable beauté du monde. Tel est le titre de l'adresse à Barack Obama qu'Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau publièrent en décembre 2008 aux éditions Galaade. Extrait : « Ce monde relié en l'infini de ses possibles et de ses impossibles, concordances et disharmonies, ruptures génésiques et contrastes solidaires, ouvre cette autre région où il faut apprendre à deviner pour cheminer. Une région qui ne nous a jamais manqué, elle était en nous et nous en elle, mais qu’il nous a manqué pourtant de voir.

Tout a changé, dans le secret et dans l'indéchiffrable. Il y faut mieux qu'une connaissance, il y faut une poétique de cela qui advient sans cesse autour de nous. La puissance d'un homme ou d'une nation ne peut se mesurer que dans sa capacité à être en relation avec les Lieux du monde, à en mobiliser les richesses et les diversités pour en constituer le meilleur du partage. La puissance vit dans l'éclat du lien, dans ce qui lie, rallie, relie relaye ces possibles, individus et mondes. »


Sans doute Barack Obama n'a-t-il pas suffisamment prêté attention à cette missive qui lui fut généreusement adressée. Mais aujourd'hui, avec qui vous savez, c'est peu dire qu'on est loin du compte...


Dans son dernier libellé, Que peut Littérature quand elle ne peut, tout récemment paru aux éditions du Seuil (ICI), Patrick Chamoiseau pose d'emblée l'état d'un "état du monde" qui ne pourrait que rebuter, ou désespérer, tout geste d'écrire : « Aujourd’hui, pour questionner les littératures dans leur rapport au monde, donc à chaque être vivant, il serait indécent de ne pas considérer toutes les oppressions : Palestiniens, Tibétains, Ouïghours, Rohingyas, Tutsis, Kurdes, Ukrainiens, Haïtiens, Syriens, peuples-nations effacés dans l’Outremer français... Je les vois et les nomme un à un au cœur en apparence bien impuissant de nos littératures ! ». Et pourtant, chemin faisant malgré les ornières, comme le disait Vincent Josse sur France Inter, Patrick Chamoiseau redresse « une forme d'utopie à contre-courant des discours de haine et de repli qui dominent le paysage actuel, mais surtout un appel à se mettre en mouvement pour trouver la forme d'une révolution de la pensée et de l'action ». L'occasion, peut-être, de lire ou relire son appel à « faire front poétique » que nous avions publié en juin 2024 : ICI.


 Ephémérides


De l'art et des bijoux

Il y a 151 ans, le 15 avril 1874, au 35, boulevard des Capucines à Paris, une trentaine de peintres, parmi lesquels Paul Cézanne, Edgard Degas, Auguste Renoir, Camille Pissarro et Berthe Morisot (seule femme du groupe) se retrouvèrent pour leur exposer leurs œuvres dans l'atelier de leur ami Félix Tournachon, plus connu sous le pseudonyme Nadar. Parmi les exposants, il y avait aussi Claude Monet, qui présentait un tableau intitulé Impression, soleil levant. Il n'en fallait pas plus pour que naisse l'Impressionnisme.

Toutefois, ce n'est pas en mémoire de cette date inaugurale que l'UNESCO a homologué, en 2011, la proposition de l'International Association of Art (IAA) de faire du 15 avril la Journée mondiale de l'art : ce jour-là a été choisi en hommage à Léonard de Vinci, né le 15 avril à Vinci (Toscane).

Cette année, pour célébrer la Journée mondiale de l'art, madame Rachida Dati avait imaginé exposer, au 3 rue de Valois, sa collection de bijoux. Mais l'un de ses chambellans lui a fait remarquer que ce n'était peut-être pas une très bonne idée.


Totò. Photo Guy Bourdin


Le bal des disparus

Si Paradis il y a a, il y aura ce jour, au Bal des Disparus, Jean Genet (mort le 15 avril 1986) et Bernard-Marie Koltès (15 avril 1989), Jean-Paul Sartre (15 avril 1980). Tout le monde écoutera religieusement le poète péruvien César Vallejo (mort le 15 avril 1938), avant d'assister à un improvisation du saxophoniste Lee Konitz (15 avril 2020) qui brodera sur la version de Count Basie de Did You See Jackie Robinson Hit That Ball ?, en hommage au joueur de baseball Jackie Robinson, qui fut, le 15 avril 1847, le premier Noir à jouer aux États-Unis en Ligue majeure de baseball. La batte de Jackie Robinson a ainsi ouvert la "Révolution des droits civiques", que Donald Trump prévoit d'effacer des livres d'Histoire américains.


Au Bal des Disparus, la soirée devrait gaiement se terminer par un seul-en-scène d'Antonio Griffo Focas Flavio Angelo Ducas Comneno Porfirogenito Gagliardi De Curtis di Bisanzio, Antonio de Curtis en résumé, encore plus connu sous les quatre lettres du pseudonyme Totò, qui s'est fait la malle il y a 58 ans, le 15 avtil 1967. Gamin de Naples, plus précisément de la banlieue pauvre du Sanità, Totò était quand même descendant de la famille des marquis de Curtis, seigneurs de Somma Venusiana aux XVIIe siècle, qui auraient eux-même été pour ancêtres… les empereurs de Byzance. Cette noblesse héréditée, Totò la mit au service de l'humour pour devenir « le prince du rire » ("il principe della risata" en italien).


Dans un entretien enregistré pour la télévision italienne en 1961, il expliquera qu’il était « destiné à une carrière dans la marine militaire », mais qu’il n’en voulut pas : « La discipline n'était pas faite pour moi, je suis un indiscipliné ». Il s’enfuit alors de chez lui et, pour l'amour d’une danseuse, commence à faire du théâtre. C’est là qu’il apprit la commedia dell’arte et qu’il cultiva son amour pour l’improvisation, qui allait faire le style inoubliable de son jeu d’acteur. Destin ou coïncidence, le film qui lancera sa longue carrière dans le cinéma (Bas les pattes ! de Gerdo Zambuto, en 1937) raconte l’histoire de Totò di Terratota, un pauvre qui pour joindre les deux bouts finit par travailler dans un théâtre, séduire une danseuse, se disputer âprement avec le fiancé jaloux et se découvrir héritier d’un conte richissime… Ses origines modestes ne seront en effet jamais trop loin, pour ce comédien hors pair qui sut incarner les contradictions sociales de son époque. Son extraordinaire veine comique ne l'empêcha toutefois pas de faire des choses très sérieuses, comme par exemple mettre en scène, au théâtre Valle, dans Rome occupée, une féroce parodie de Hitler qui faillit le faire arrêter par les fascistes. « À la sortie du théâtre, les fascistes firent exploser une bombe. Comme le préfet avait donné l’ordre de m’arrêter, je trouvai refuge chez un ami. Et après un moment, il vint me dire qu’il y avait là une jeune fille qui voulait me connaître. Et ensuite, d’autres gens encore, à un tel point que je finis par m’en aller. Car, si un nazi avait débarqué, il lui aurait suffi de demander "Où est Totò ?" et on lui aurait dit : "Ben, il est là !" ».


Macchiettista sur scène, mais capable aussi de profondeur. Pier Paolo Pasolini pensait qu’on l’avait « mal utilisé », justement parce qu’on s’était "contenté" d’exploiter son côté cocasse et caricatural. Pasolini, lui, en fit autre chose, en jouant savamment du contraste entre sa propre approche d’intellectuel engagé et l’humour populaire, mais profondément humain, de Totò. Flanqué de Ninetto Davoli, jeune borgataro à sa première expérience d’acteur, le Prince incarna l’un de ses plus beaux personnages dans Uccellacci e uccellini (1966), fable douce-amère sur l’absurdité du monde moderne et l’échec de la tentative émancipatrice du communisme. « Je ne choisis jamais un acteur parce qu'il prétend être autre chose que ce qu'il est, mais je le choisis précisément pour ce qu'il est », expliquait Pasolini en marge de son film (Lettera aperta, OCCHIO CRITICO Anno I n. 2, nov. 1966). Extrait ci-dessous.



 Le livre du jour


« Regardez comme poussent les fleurs des champs : elles ne travaillent pas et ne tissent pas de vêtements.

Pourtant, je vous le dis, même Salomon, avec toute sa richesse,

n’a pas eu de vêtements aussi beau qu’une seule de ces fleurs. »

(parole de Jésus, Evangile de Luc)


« La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit, / Elle ne prête pas attention à elle-même,

elle ne se demande pas si on la voit. » (Angelus Silesius,1624-1677)


On s'étonnerait presque que le mot "fleur" ne soit pas encore banni du vocabulaire trumpiste sous kétamine muskée, ou musquée, comme les rats, sans rapport avec les notes olfactives du musc. Le mot "musc" vient du persan "musk", signifiant "testicule", en référence à la glande odorante du chevrotain. Car à l'origine, le musc naturel était extrait d'une glande située près des organes génitaux du chevrotain porte-musc, un petit mammifère vivant principalement au Tibet et en Sibérie. Cette extraction nécessitait souvent la mort de l'animal, ce qui a conduit à l'interdiction de cette pratique. Aujourd'hui, le musc est principalement produit de manière synthétique en laboratoire, reproduisant fidèlement l'odeur du musc naturel sans nuire aux animaux. Et traiter Elon X-Tesla de « couille de chevrotain » ne serait pas sympathique pour ledit chevrotain.


Illustration en couverture de "Pourquoi les fleurs", de Marion Grébert, aux éditions L'atelier contemporain.


De préférence, puisque nous avons placé au fronton de cette chronique Son Excellence Drosera madagascariensis, revenons aux fleurs avec le livre du jour. Après le très bel essai sur l’énigme des œuvres photographiques de Francesca Woodman et de Vivian Maier, Traverser l’invisible, paru en 2022 aux éditions de L’Atelier contemporain, Marion Grébert consacre aux fleurs dans l’art italien une réflexion non moins superbe dans un livre ample, comportant près de deux cents illustrations : Pourquoi les fleurs. Dans un empan chronologique allant du néolithique au Trecento, jusqu’à l’Italie postfasciste de Pasolini, ce somptueux ouvrage interroge la présence des fleurs dans l’art (pictural, sculptural, photographique).  


Pourquoi y a-t-il des fleurs plutôt que rien ? Que voyons-nous ? Pourquoi remarquons-nous généralement si peu les fleurs dans les œuvres que nous contemplons ? Evoquant l’éphémère, ne survivent-elles pas cependant aux ruines des bâtiments qui les environnent ? Les fleurs de Rome en cela ne sont-elles pas exemplaires ? Sans lourdeur, Marion Grébert partage sur le mode de l’érudition le fruit de ses recherches.


« Le lexique même des fleurs sert à en désigner la nature », écrit André Hirt : « la floraison, évidemment, qui porte toute la douceur de l’origine, mais aussi l’effleurement qui, par son tact et plus généralement son toucher, qui est offrande mais aussi réserve qui dit fermement "noli me tangere" au sens de la violence des emprises,  qui signifie moins la fragilité que la puissance de transparence et d’accès à l’invisible ». Lire la suite sur son blog...


  • Marion Grébert, Pourquoi les fleurs, Un autre voyage en Italie, L’Atelier contemporain, 2025, 352 pages.


 Le tour du jour en 80 mondes (portfolio)


Voilà. Aux humanités, on a toujours défendu le photojournalisme, et que, contrairement à beaucoup d'autres sites d'information, on consacre beaucoup de temps et d'attention à l'iconographie qui accompagne nos publications. En matière de photojournalisme, l'agence de presse AP (Associated Press), que Trump a bannie du bureau de presse de la Maison Blanche, est la meilleure au monde. Voilà pourquoi nous nous y référons souvent. Comme aujourd'hui. En diversité, le deuil rencontre la joie, la colère le recueillement, le ciel la mer.


Les mères de Danylo Nikittskyi, 15 ans, à gauche, et d'Alina Kutsenko, 15 ans, tués par un missile russe,

se recueillent lors d'une cérémonie funéraire à Kryvyi Rih, en Ukraine, le 7 avril 2025.

Photo Evgeniy Maloletka / AP


Un ouvrier textile vérifie les bobines de fil sur une machine à tisser des tapis dans une usine,

à la périphérie de Jammu, en Inde, le 8 avril 2025.

Photo Channi Anand / AP


Helena Jensen participe à une manifestation "Hands Off !"

contre Donald Trump et Elon Musk, à Trafalgar Square à Londres, le 5 avril 2025.

Photo Kin Cheung / AP


Un enfant regarde derrière le stand d'un artiste vendant des icônes religieuses

lors d'une foire à Bucarest, en Roumanie, le 5 avril 2025.

Photo Vadim Ghirda / AP


Des vendeurs attendent des clients dans un magasin de sapins de Noël au marché international de Yiwu,

dans la province du Zhejiang, dans l'est de la Chine, le jeudi 10 avril 2025.

Photo Ng Han Guan / AP


Des Palestiniens se pressent pour recevoir des dons de nourriture dans un centre de distribution

à Beit Lahiya, dans le nord de la bande de Gaza, le 7 avril 2025.

Photo Jehad Alshrafi / AP


Des policiers gardent l'entrée du ministère de la Justice jonchée de cornes de vaches

jetées par des bouchers exigeant que le gouvernement réglemente les prix

de la viande de leurs fournisseurs, à La Paz, en Bolivie, le 10 avril 2025.

Photo Juan Karita / AP


Des retraités et leurs sympathisants participent à une manifestation hebdomadaire

contre les mesures d'austérité du président Javier Milei, à Buenos Aires, en Argentine, le 9 avril 2025.

Photo Rodrigo Abd / AP


Le moine chrétien orthodoxe père Spyridon marche au monastère de Panagia Hozoviotissa

face à la mer Égée est visible sur la droite, sur l'île d'Amorgos, en Grèce, le 27 mars 2025.

Photo Petros Giannakouris / AP


« Cette photographie fait partie d'un reportage photo (ICI) que j'ai réalisé sur l'île grecque d'Amorgos. C'est une histoire visuelle sur le père Spyridon, le moine représenté sur l'image, qui vit au monastère de Panagia Hozoviotissa depuis 54 ans. Je suis resté au monastère pendant environ une semaine, documentant sa vie avec respect et discrétion. Dès le début, j'ai été frappé par la beauté du balcon surplombant la mer Égée - un endroit où le regard peut se perdre à l'infini. Dès mon deuxième jour au monastère, j'ai remarqué qu'autour de 8h30 du matin, après la prière du matin, le père Spyridon sortait de sa cellule et se promenait le long du balcon du monastère. Alors, chaque matin, j'essayais d'être prêt pour ce moment.

Le défi était toujours la lumière. Le soleil s'était déjà levé et souvent l'arrière-plan était surexposé, perdant de la profondeur. Mais ce jour-là, les nuages ont beaucoup aidé. Ils ont adouci et équilibré la lumière, donnant à l'image profondeur et clarté. Un élément clé est également le mouvement de sa soutane, attrapée par le vent - un petit détail qui ajoute de la vie et une sensation de mouvement au cadre. C'est une photo avec une belle lumière, de multiples couches et une forte sensation de profondeur - tous les éléments qui améliorent une photographie et maintiennent l'intérêt du spectateur. En même temps, elle permet au spectateur de « lire » l'espace : de voir clairement le monastère, son architecture unique et l'endroit où il se trouve depuis plus de mille ans, creusé dans la falaise. Et surtout, l'image a de la vie - le père Spyridon marchant dans la cour apporte du mouvement et une présence humaine. » (Petros Giannakouris)


Une femme indigène participe au camp annuel « Terre libre » où les communautés indigènes du Brésil

discutent des droits, de la protection territoriale et de leur rôle dans la prochaine COP30,

à Brasilia, au Brésil, le 8 avril 2025.

Photo Eraldo Peres / AP

 

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1 Comment


wilputte.brigitte
il y a 3 jours

Une page de beauté, si ce n'est la gravité humaine d'un tragique journalier!

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