Anand Malligavad dans les eaux propres du lac Kyalasanahalli. Photo Priyadarshini Ravichandran / The New York Times
Troisième ville d'Inde, Bangalore était jadis surnommée "la ville des lacs". Cette réputation, justifiée par un système de lacs artificiels et d'irrigation inventé il y a 500 ans, a été mise à mal par une croissance effrénée. Aujourd'hui, les lacs meurent. Meurent, ou plutôt mouraient : Anand Malligavad se bat pour raviver ces précieuses source d'eau potable pour toute la région. Au début, on le prenait pour un fou. Il est aujourd'hui à la tête d'une Fondation reconnue. Et l'eau revient...
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Bangalore, 2016. Anand Malligavad apprend que la ville va manquer d'eau. Il est témoin, comme ses concitoyens, d'un spectacle de désolation : les lacs ne reflètent plus le ciel, leur eau claire est remplacée par de la mousse blanchâtre, des détritus et des sorties d'égouts. Il décide alors de réagir et se plonge dans l'étudie approfondie des lacs de la région. "J'ai visité près de 180 lacs en un an, analysant leur structure, leur forme, l'état du sol, leur topographie, leur écosystème, la façon dont les lacs sont inter-connectés, etc.", raconte-t-il au Times of India. Il se penche aussi sur le savant système d'irrigation conçu par la dynastie régnant au XVIe siècle.
Après plusieurs mois de recherche, Anand Malligavad, qui est alors ingénieur en mécanique, parvient à convaincre son employeur, la société Sansera Engineering, l’un des plus grands fabricants de composants automobiles en Inde, de financer ses travaux. "Ils se sont moqués de moi, tout le monde pensait que j'étais fou", se rappelle notre sauveur de lacs, aujourd'hui âgé de 43 ans. Son entreprise lui accorde 100.000 dollars, et il se lance dans son premier chantier de restauration : le lac Kyalasanahalli, un plan d'eau de quinze hectares. En quarante cinq jours, à l'aide d'une douzaine d'excavatrices et de centaines d'ouvriers, il retire d'énormes quantités de boue, de déchets et de plastique. Pari gagné : six mois plus tard, après la mousson, le lac est à nouveau rempli d'eau et le niveau de la nappe phréatique remonte. Anand Malligavad y navigue au milieu des canards et des oiseaux migrateurs et... pique une tête.
Le lac Hadosiddapura, avant et après sa restauration.
Il fut un temps où Bangalore comptait près de mille lacs. 80% de ces plans d'eau ont aujourd'hui disparu sous le béton et les déchets, et seulement une trentaine peuvent être qualifiées de sains. Bangalore, jadis surnommée la “ville des lacs”, était célèbre dans toute l’Inde pour son système de lacs artificiels. Contrairement à de nombreuses grandes villes, elle ne possède pas de fleuves majeurs, et ces lacs créés il y a cinq cents ans ont joué un rôle clé dans l'approvisionnement en eau. En devenant capitale indienne de la tech, Bangalore – "la Silicon Valley de l’Inde"- est passée de quatre millions d'habitants dans les années 1990 à environ quatorze millions aujourd'hui. Des gratte-ciel, des gares routières, des zones commerciales, ont été construits sur les lacs. Victimes de ces projets immobiliers voraces, ils deviennent le déversoir de déchets industriels et domestiques. "En raison de la forte population, les lacs contiennent des eaux usées non traitées donc très polluées, qui peuvent provoquer des infections", explique Anand Malligavad. Et la faune et la flore qui y logent s'en trouvent menacées également.
Opération de nettoyage dans un canal se jetant dans le lac Maragondanahalli (Priyadarshini Ravichandran pour The New York Times)
On a pu voir l'immense lac Bellandur, devenu un gigantesque égout à ciel ouvert, s'enflammer en raison du méthane produit par les produits chimiques. Autre conséquence de cette urbanisation sauvage et de l'obstruction des lacs : en périodes de fortes pluies, l'eau n'a nulle part où aller, et provoque fréquemment des inondations. La nappe phréatique est, elle, à un niveau dangereusement bas, et Bangalore est désormais confrontée à une pénurie d'eau, comme tout le pays. L'Inde, devenu le pays le plus peuplé au monde en 2023, avec 1,4 milliard d'habitants, fait face à une très grave crise hydrique. Plus de deux cents millions d'Indiens n'ont pas accès à une source d'eau potable, selon la Banque Asiatique de Développement, et ils sont deux millions, principalement des enfants, à mourir chaque année de maladies causées par l'eau.
" Je veux restaurer cent mille lacs avant de mourir "
"Rajeunir les lacs, c'est possible ! Mais cela nécessite un travail ardu et un engagement de la part de toutes les parties impliquées, principalement les entrepreneurs, et les habitants", proclame Anand Malligavad. Aujourd'hui, sept ans après son premier chantier, il a réhabilité plus de trente cinq lacs, d'une superficie totale de plus de plus de 300 hectares. Objectif : aller jusqu'à quarante cinq d'ici 2025. Un des lacs sauvés, autrefois dépôt d'eaux usées et d'ordures, et sur lequel un immeuble allait inévitablement être bâti, accueille désormais des centaines d'oiseaux migrateurs et nourrit plusieurs variétés d'espèces végétales indigènes. Le succès a fait d'Anand Malligavad un expert en conservation très demandé. Il a quitté son emploi d'ingénieur mécanique et se consacre entièrement à la mission qu'il s'est fixé, à la tête d'une fondation. Insensible aux intimidations des puissants constructeurs et propriétaires immobilier, il garde le cap. "C'est désormais le but de ma vie", dit-il dans un sourire, "je veux restaurer cent mille lacs avant de mourir."
Aurélie Marty (sources : New York Times et Times of India).
Pour en savoir plus
le site de la Fondation créée par Anand Malligavad : https://www.malligavadfoundation.org/
On peut également suivre Anand Malligavad sur ses comptes X (anciennement Twitter) et Instagram
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